Si, ce risque existe ! J'ai entendu des députés de la majorité dire que l'intérêt de la mesure consistait à dissuader ces comportements ; cela veut dire provoquer l'autocensure.
Mais l'efficacité du dispositif est tout aussi cruciale. Certains points de la rédaction ont été améliorés. Ainsi, à l'article 4, on ne se réfère plus à la loi de 1881 sur la liberté de la presse, mais à l'article 433-3 du code pénal ; à l'article 18, on ne mentionne plus l'intégrité psychique, trop difficile à qualifier ; la notion de risque immédiat a été remplacée par celle de risque direct. Tout cela représente des avancées, mais il n'en reste pas moins que l'intention de nuire devra être prouvée. Or les procureurs avec lesquels j'ai discuté me disent que ce sera très compliqué. Monsieur le garde des sceaux, si vous deviez défendre, en tant qu'avocat, des personnes accusées sur la base de cet article, vous arriveriez certainement à trouver des failles qui le permettraient.
Ainsi, l'intention est bonne, mais le dispositif risque de se révéler à la fois liberticide et inefficace.
Je regrette profondément une chose. Puisqu'on n'arrive pas à « ciseler » l'article, selon le mot de Michel Larive, il vaudrait mieux s'attaquer à la cause du problème. Au lieu d'essayer d'endiguer en aval le flux des révélations en tentant de le judiciariser, il serait bon de le réduire en amont. Nous le prônions déjà dans le cadre de la proposition de loi de Mme Laetitia Avia : il faut travailler sur le caractère viral de ces révélations, qui a conduit à l'assassinat de Samuel Paty. Quand on évoque les manières de réduire la viralité des messages, toutes les plateformes répondent qu'on ne leur en a jamais parlé, mais qu'elles peuvent y réfléchir. Il faut tenter de réduire la viralité des informations en travaillant sur les modèles d'affaires et les algorithmes. Il ne s'agit pas d'aller chercher les secrets de leur fabrication, mais les biais cognitifs sur lesquels ils s'appuient. Cela n'a pas été fait dans le cadre de la proposition de loi contre les contenus haineux, mais nous étions plusieurs dans l'hémicycle à demander de travailler sur les modèles d'affaires plutôt que de laisser les GAFA faire à la fois la police et la justice. On y reviendra dans le cadre de l'article 19 bis du présent texte, qui fait malheureusement son marché dans la législation européenne sur les services numériques, qui sera beaucoup plus opérationnelle car conçue au niveau communautaire.
Pour résumer, l'intention est bonne, mais votre dispositif n'est pas bien ciselé et risque d'être liberticide et inefficace. C'est pourquoi nous pensons qu'il vaut mieux s'attaquer à la source du problème, plutôt que de tenter d'endiguer un flot qui déborde.