Avant de devenir député, le 8 octobre dernier, j'ai enseigné durant trente ans dans un réseau d'éducation prioritaire. J'ai eu la chance d'exercer à tous les niveaux du premier degré et j'ai été aussi bien directeur d'école que coordonnateur du réseau. Monsieur le ministre de l'éducation nationale, il faut beaucoup aimer pour bien comprendre et tout admettre : l'amour que je porte à l'école ne m'empêche pas d'admettre qu'elle est loin de constituer, aujourd'hui, pour tous les élèves, l'idylle républicaine qu'avait imaginée Condorcet.
J'ai été confronté à des enfants victimes de violences et de harcèlement ou souffrant de phobie scolaire : pour eux, l'école n'était pas adaptée. Certes, les raisons différaient de l'un à l'autre ; certes, ils ne représentaient qu'une minorité ; mais, comme toute minorité, celle-ci mérite que nous l'écoutions. Face à eux, je me sentais démuni, impuissant, ne pouvant que constater la nécessité de les déscolariser. Je n'étais pas le seul : psychologues scolaires, collègues enseignants, directeurs, conseillers pédagogiques, jusqu'aux inspecteurs, tous les professionnels de l'éducation partageaient mon désarroi.
J'avais découvert à l'époque des familles instruisant leur enfant en leur sein, pour des motifs variés. Certaines avaient choisi ce mode d'instruction pour des raisons pédagogiques, mais la plupart l'avaient fait par nécessité, en raison d'un handicap ou de l'exercice par l'enfant d'une activité culturelle ou sportive de haut niveau. Les enfants en IEF étaient étroitement contrôlés chaque année par des inspecteurs. Ils étaient souvent pleins de vie, très loin des caricatures d'êtres asociaux que l'on en dresse parfois.
Fort de cette expérience, je me suis engagé en faveur du maintien de la liberté pour les parents de choisir l'instruction à domicile, dès que j'ai entendu le discours du Président de la République aux Mureaux. Depuis cinq mois, j'ai eu l'occasion d'auditionner près de 300 parents pratiquant l'IEF, soixante enfants étudiant à domicile et quarante enseignants. Tous ont renforcé ma conviction : la liberté de l'instruction à domicile est une richesse inestimable pour de nombreuses familles, qui doit être préservée.
Je ne reviendrai pas, monsieur le ministre, sur l'étrangeté de la présence de l'article 21 dans ce projet de loi – je sais que mes collègues vous rappelleront l'instabilité constitutionnelle sur laquelle il repose – , ni sur l'utilisation abusive de la notion d'intérêt supérieur de l'enfant, ni encore sur les propos que vous avez tenus en juin dernier lors de votre audition au Sénat, selon lesquels l'instruction à domicile possède des bases constitutionnelles sérieuses. Je souhaite en revanche vous rappeler qu'au-delà du fait qu'il réduira l'IEF à de maladroites catégories d'exceptions et qu'il détruira des familles dont le rythme est adapté à l'instruction à la maison, l'article 21 ne réduira en rien – vous le savez – les pratiques séparatistes dévoyant l'IEF et n'aura de conséquences que pour des familles attachées aux valeurs de la République.