Voici l'état de ma réflexion sur cette question épineuse. Avec cet article, je crains que nous touchions une fois encore aux limites d'une démarche, entre affichage et contraintes, qui caractérise l'ensemble du texte.
L'instruction en famille est une possibilité qui existe dans notre pays. Ce choix singulier, soumis à certaines règles, résulte d'un principe ancien qui remonte aux aurores de la République, et selon lequel l'instruction est obligatoire. Ce principe est d'ailleurs assuré par l'État qui, en tant que garant du droit des enfants, met à disposition l'école publique, gratuite et laïque. C'est dans tous les lieux de sa vie que l'on se construit, y compris avec les parents ou avec l'éducation populaire. Dans ce cadre, l'école concourt à l'éducation.
L'école est un bien précieux car elle est notre bien commun, une manière de prendre soin de tous les enfants. Nul ne peut cependant ignorer qu'elle aussi subit la crise de confiance qui touche toutes les institutions. À cet égard, les annonces faites ces derniers jours à propos de la carte scolaire n'arrangent rien à mes yeux, d'autant qu'elles arrivent après une politique dont les ambitions éducatives ont été revues à la baisse alors même qu'il faudrait la renforcer pour mieux appliquer les principes républicains.
Je crois en l'école de la République. Je crois en l'école comme lieu de rencontres, d'altérité, de mixité et de socialisation autant que d'apprentissage. Elle l'est, autant que possible, portée par la volonté farouche de celles et ceux qui la font au quotidien et dont on a d'ailleurs pu mesurer pendant le confinement l'ampleur et la difficulté de la tâche. Nous devons, mieux encore, donner à l'école les moyens d'être à la hauteur des besoins et des attentes, de garantir l'émancipation et la réussite de chacun.
Cependant, pour diverses raisons, certains parents ne recourent pas à cet enseignement. Sans promouvoir ce choix, je me demande si cette possibilité ne doit pas exister par précaution de principe contre l'éventualité d'un arbitraire. Telle est d'ailleurs peut-être la philosophie actuelle du droit. Ceux qui ont fait valoir cette possibilité parce qu'elle leur semblait féconde et qui ont donc fait un choix particulier d'organisation et de vie – hors de tout esprit de sécession et de repli pour l'essentiel d'entre eux – se sont sentis ces derniers temps blessés, voire stigmatisés et redoutent de la voir disparaître.
Si c'est ce choix en lui-même qui pose problème, le projet de loi que vous proposez ne va pas assez loin. Si tel n'est pas le cas, ne faut-il pas se donner d'autres moyens pour agir ? La proposition que vous mettez sur la table apparaît en effet bancale et un peu sibylline. Opérant une rupture symbolique, elle remplace l'obligation d'instruction par l'obligation de scolarisation, ce qui met fin à la possibilité de l'instruction en famille et précarise la situation de celles et ceux qui ont fait ce choix. Au passage – mais nous y reviendrons dans la suite de la discussion – , nous aimerions voir autant de zèle s'agissant de la situation des écoles hors contrat, ce qui serait justifié car dans ce cas il ne s'agit pas du tout d'une question de liberté individuelle.
Je n'approuve donc pas cette proposition qui décline trois critères précis et un « critère joker » plutôt vague. Cela donne le sentiment que l'on souhaite, d'un côté, réserver cette pratique à des enfants que l'école ne se donne pas vraiment les moyens d'accueillir et, de l'autre, face à la contestation, introduire une petite possibilité laissée à l'appréciation, sinon à la discrétion, du responsable académique.