Je vais compléter les propos du rapporteur. Monsieur Lagarde, cette expression qui vous semble vague découle d'une jurisprudence européenne et est bien connue de la jurisprudence administrative. Celle-ci nous permet notamment, en s'appuyant sur les fondements du droit européen, de faire des choses aussi étonnantes – au sens premier du terme – que d'expulser un étranger originaire d'un pays de l'Union européenne.
Madame Genevard, bien que je ne partage pas votre opinion, je peux comprendre que vous regrettiez de voir l'application des dispositions de l'article 35 limitée par la Constitution – encore qu'il suffirait de la modifier – et le droit européen, qu'il nous faut effectivement respecter. Nous étions tous deux députés lorsque le traité établissant une constitution pour l'Europe a été soumis au référendum et, personnellement, j'ai voté contre, considérant que cela posait certaines questions en matière juridique en France. Cependant, nous ne pouvons pas faire comme si ce traité n'existait pas : si nous décidions de simplement nous faire plaisir dans le droit – ce soir, demain, la semaine prochaine – , voire d'ignorer une possible censure du Conseil constitutionnel, nous ne ferions que fragiliser plus encore les décisions que nous voulons prendre pour lutter contre les ennemis de la République. Je ne pense pas que ce soit votre intention.
En effet, quoi qu'il arrive – à moins de sortir de l'Union européenne, mais j'imagine que ce n'est pas ce que vous proposez – , des recours seront toujours possibles devant la Cour de justice de l'Union européenne. Par conséquent, je ne crois pas qu'ignorer le droit européen soit de bonne politique. La seule solution serait de modifier des traités qui datent des années cinquante, ce qu'aucun gouvernement n'a encore fait, et pour cause : nous avons négocié le traité et, à l'époque, nous avons considéré que ces bornes démocratiques délimitaient un État de droit européen.
Cependant, il ne faut pas juger trop négativement le contenu de l'article 35. Au contraire, c'est une innovation extrêmement positive : pour la première fois, le droit français va permettre de mieux connaître les financements étrangers et le cas échéant de s'y opposer. Cela ne va peut-être pas aussi loin que vous le souhaiteriez, je le comprends, mais cela reste une avancée considérable.
Il n'existe pas encore de jurisprudence, puisqu'il s'agit d'une création juridique, mais le droit évolue tous les jours. Il est donc possible qu'une application très large des dispositions de l'article 35 soit admise par les tribunaux. Il reviendra à la jurisprudence européenne d'encadrer ces dispositions – car nous sommes des Européens et à ce titre nous nous inscrivons depuis 1952 dans l'application des traités communautaires. Mais il ne fait pas de doute qu'en certaines circonstances, leur application sera permise par le droit européen.
Plusieurs autres mesures, comme l'interdiction du port de vêtements religieux à l'école, ont d'ailleurs déjà fait l'objet de tels débats. Or, si la loi du 15 mars 2004 a été contestée jusque devant les tribunaux européens, c'est sur la requête d'une ressortissante turque que la Cour européenne des droits de l'homme a confirmé que cette mesure était conforme au droit européen.