Ma question s'adresse à Mme Bourguignon, ministre déléguée chargée de l'autonomie.
Du haut des terrils jumeaux du 11-19 de Lens, le regard porte à l'infini, d'Ouest en Est, sur l'ex-bassin minier. Des chevalets disparus aux molettes qui ne tournent plus, reste le témoignage visuel d'un territoire qui fut jadis terre d'accueil parce que terre de travail. Ce sont des pyramides de schiste laissées par les gueules noires après plus de deux siècles d'exploitation charbonnière ; en ce temps d'avant la liquidation par la CECA, la Communauté européenne du charbon et de l'acier, les quartiers ouvriers, les corons, foisonnaient de vie ; multiples étaient les associations sportives, culturelles et amicales.
La fin du charbon a entraîné des conséquences douloureuses pour la vie sociale. L'ex-capitale du bassin minier en porte de lourds stigmates ; les enfants du terril sont violemment frappés par un chômage endémique, qui pointe à la première place en France. À Lens, le salaire annuel moyen s'élève à 15 000 euros, 23 % de la population est au RSA, un pourcentage encore en nette augmentation avec la crise sanitaire, et il y a 20 % de chômeurs, un chiffre qui continue également de croître, l'hémorragie du chômage de masse se poursuivant.
La récession du travail a entraîné l'explosion des problèmes de santé : les cancers sont de 70 % supérieurs à la moyenne nationale, le service de pneumologie du centre hospitalier de Lens, qui assurait 4 000 consultations annuelles, est fermé.
Le travail réduit à peau de chagrin gangrène la vie : pauvreté, misère, paupérisation provoquent une angoisse pétrifiante et minent l'appétit de vivre. La souffrance humaine est profonde. La galère a remplacé le bonheur au quotidien. Assurément, avoir 20 ans aujourd'hui dans les corons n'est pas le plus bel âge de la vie ! Cette jeunesse a grandi avec l'angoisse du lendemain, le terrorisme et maintenant la crise sanitaire. Cette jeunesse est cassée avant même d'avoir la chance de connaître la vie active. 2020 entrera dans l'histoire comme le marqueur d'une génération sacrifiée dont la situation des étudiants exprime tout le tragique.
Une jeunesse sacrifiée augure du destin douloureux d'un pays, la France, où les signaux d'espérance sont au rouge. Quand on vit dans un endroit complètement déglingué, comme le sont les corons, il est difficile de se sentir intégré et de croire en l'avenir. Ce ruissellement de la pauvreté entraîne une perte de confiance en soi. L'épidémie renforce les inégalités et accentue les fragilités : surpoids, troubles de l'alimentation, hausse des maladies cardio-vasculaires, diabète, explosion du nombre de cancers et de suicides, problèmes psychologiques…
Ce surcroît de crise prépare au pire ; le pays est en train de dérailler. Le centre de gravité d'une société, c'est son psychisme social. Détruire le travail, c'est détruire la vie. Le monde d'après ne sera pas radieux. Dans les corons, la vie des gens n'est pas celle de personnages fictifs ; ces gens ont un visage humain.
L'être humain vit en société, il a besoin de lien social pour se construire et se réaliser. Il faut dépister, soigner et protéger ; le confinement ne peut être la bonne réponse contre l'épidémie. Il faut endiguer cette détresse sociale et humaine. Donnons la possibilité d'accéder aux soins ; faisons reculer ce traumatisme. Les rêves et les espoirs ne doivent pas être brisés : ils sont un hymne à la vie.