La discussion qui nous réunit aujourd'hui constitue une étape importante, non seulement parce que cette proposition de loi s'inscrit dans un contexte politique et médiatique marqué par des débats relatifs à la protection de l'enfance – je me réjouis d'ailleurs que des parlementaires de tous rangs aient souhaité dégager des espaces de réflexion sur le sujet – mais aussi parce que le renforcement de la loi sur les questions de violences sexuelles faites aux enfants est fondamental. Nous savons tous que nous devons aller encore plus loin et appréhender le phénomène des violences sexuelles de façon globale, systémique.
Cette réforme de la loi pénale est nécessaire car elle permettra de mieux protéger nos enfants et de poser un interdit clair et sans équivoque. Cependant cette évolution ne suffira pas à elle seule, pas plus que le mouvement actuel de libération de la parole, la déferlante de témoignages. Un effort collectif est indispensable pour agir dans tous les champs, la répression bien sûr mais aussi la prévention, la détection, la formation des professionnels, l'accompagnement des victimes et la prise en charge des auteurs.
Nous le devons aux millions d'existences abîmées dès le plus jeune âge, à ces vies brisées par les violences sexuelles et par leurs conséquences, dont nous savons aujourd'hui qu'elles sont délétères pour les victimes, pour leur entourage et pour la société tout entière.
Éva Thomas, Lydia Gouardo, Sarah Abitbol, Laurent Boyet, Vanessa Springora, Camille Kouchner, mais aussi des dizaines de milliers d'anonymes qui ont pris la parole sans plus attendre qu'on la leur donne : tous nous disent que les violences sexuelles faites aux enfants sont là, partout, d'une affligeante banalité et que l'inceste, ce tabou que Claude Lévi-Strauss croyait commun à toutes les sociétés, n'a pas disparu, bien au contraire.
La loi doit bien sûr évoluer, il faut nous débarrasser de ce que Jean-Marc Sauvé appelle « ce point aveugle de notre droit » qui conduit à tenter de discerner chez un enfant le consentement à une relation sexuelle avec un adulte. Cette recherche, qui postule une sorte d'égalité, de coresponsabilité dans un tel rapport sexuel est illusoire. Il nous faut au contraire prendre en considération l'asymétrie entre l'adulte et l'enfant, les rapports de domination et d'emprise, et probablement rompre avec la notion même de consentement. L'étymologie du mot « consentement » – du latin consentire, « ressentir pareil » – n'a ici pas de sens.
Je remercie le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, pour l'excellent travail que nous avons mené ensemble ces dernières semaines, en concertation étroite avec l'ensemble des associations, et qui a conduit aux annonces récentes, qu'il a rappelées bien mieux que je ne saurais le faire, sur le seuil d'âge et sur le renforcement des dispositifs de prescription.
Mais ce que je viens de dire ne prendra tout son sens que si nous adoptons également, comme l'a souhaité le Président de la République, une démarche de prévention et d'accompagnement des victimes dont l'ambition soit à la hauteur du silence qui a prévalu pendant des décennies. Le Président a ainsi annoncé, le 23 janvier dernier, deux premières mesures fortes que le Gouvernement travaille à rendre effectives. D'une part, « deux rendez-vous de dépistage et de prévention » seront organisés au primaire et au collège sur tout le territoire. Cette politique de prévention dès le plus jeune âge est cruciale pour identifier, aider et protéger les enfants victimes de violences sexuelles et donc pour faire cesser celles-ci définitivement. Le travail est en cours avec Jean-Michel Blanquer afin de renforcer l'action que mène déjà l'ensemble des professionnels de l'éducation nationale, faisant ainsi de l'école un lieu clef de protection et de repérage grâce à l'implication de l'ensemble de la communauté éducative. D'autre part, il est tout aussi fondamental que les victimes puissent bénéficier d'un accompagnement psychologique intégralement pris en charge.
Mais nous devons aller plus loin encore, notamment en matière de prévention des actes commis par les potentiels auteurs. À cet égard, le Gouvernement est aux côtés de la Fédération des centres de ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles, qui a mis en place un service téléphonique d'évaluation et d'orientation vers les soins pour les personnes attirées sexuellement par les enfants. Car prévenir le passage à l'acte, c'est aussi agir à la source des violences sexuelles. À cette fin, les professionnels se sont inspirés de dispositifs ayant fait leurs preuves dans des pays voisins – en Allemagne depuis 2005 et en Angleterre depuis les années 90.
Il faut aussi traiter dans ses spécificités la question des violences sexuelles subies par les enfants handicapés, eux qui sont encore plus victimes que les autres enfants et pour qui la libération de la parole est souvent un concept bien beau mais bien éloigné de la réalité de leur vie.
Nommer les choses, les définir, les quantifier et les appréhender dans toute leur complexité, voilà des enjeux qui dépassent le seul cadre de la loi et qui nous concernent nous tous en tant qu'individus, en tant que nation, en tant que peuple. Les travaux des associations nous donnent une meilleure connaissance de ces situations et de leurs conséquences ; ils seront approfondis, et la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles subies pendant l'enfance, coprésidée par Nathalie Mathieu et Édouard Durand, y contribuera. Il s'agit de briser, quand il le faut, ce que Paul Éluard, au moment de l'affaire Violette Nozière, nommait « l'affreux noeud de serpents des liens du sang ».
Il nous faudra collectivement interroger nos schémas de pensée, encore fondés sur la domination et sur une conception qui demeure probablement trop patrimoniale de l'enfant, pour se mettre plutôt à hauteur d'enfant, condition indispensable à ce qu'il soit enfin un sujet de droit plein et entier.