Plus de la moitié des victimes de viol dans notre pays a moins de 15 ans, près d'un tiers a même moins de 10 ans. Chacun connaît ici l'ampleur de ces crimes qui nous apparaissent chaque jour plus nombreux ; les livres-témoignages se multiplient, les campagnes sur les réseaux sociaux aussi, entraînant dans leur sillage des révélations de faits depuis si longtemps enfouis. Cette proposition de loi se trouve ainsi rattrapée par l'actualité alors même qu'elle est en construction depuis bien longtemps. La vague qui s'est levée ne s'arrêtera pas. Et les victimes qui se libèrent enfin d'un fardeau nous renvoient aux insuffisances de notre législation qui n'a pas su les protéger des crimes sexuels qui ont meurtri leur existence !
En l'état actuel du droit, lorsqu'il s'agit d'une victime de moins de 15 ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l'absence de discernement. Il revient alors au parquet d'établir si la victime disposait, ou non, du discernement nécessaire. La réalité dans nos juridictions est à cet égard très diverse et nombreuses sont les affaires qui finissent par être requalifiées en atteinte sexuelle pour finir devant seulement un tribunal correctionnel. C'est ainsi que parfois, le traitement judiciaire paraît très en deçà de la souffrance endurée.
Pourtant, le viol n'est plus un délit depuis 1980 mais un crime, et c'est en tant que tel qu'il doit être jugé, sans aucune qualification alternative ni atténuation possible ! Qu'est-ce que le discernement lorsque l'on a moins de 15 ans ? Un enfant, parce qu'il est un enfant, ne doit-il pas bénéficier, par principe, d'une protection absolue et exclusive, sans qu'elle ne puisse être remise en cause par l'hypothèse d'un consentement ? Nous le croyons intimement. L'heure est venue d'affirmer clairement qu'un enfant n'est jamais consentant à une relation sexuelle avec un adulte, a fortiori quand il s'agit d'un parent.
C'est la raison pour laquelle tout ce qui s'oppose à la libération de la parole doit s'effacer pour laisser place à une incitation à la parole. Et de ce point de vue, le chemin à parcourir sera long. Parler, c'est se mettre à nu, s'exposer aux doutes des enquêteurs, à la remise en cause parfois de son comportement, c'est se soumettre aux questions qui tentent d'établir son degré de discernement. Parler, ce peut être aussi entraîner son entourage dans une tourmente qui vous dépasse… au point de se résigner au silence. Parler, c'est s'exposer à la horde des commentateurs indécents qui font parfois de la victime un coupable et du coupable une victime.
Tous les obstacles qui jalonnent le chemin qui conduit à la vérité et à la justice doivent être levés. Le premier d'entre eux nous commande de poser désormais un principe législatif clair : l'interdiction absolue d'un rapport sexuel entre une personne majeure et une personne mineure de moins de 15 ans – tout en ayant à l'esprit, pour reprendre vos propos, monsieur le ministre, qu'il ne faut pas « criminaliser les amours adolescentes ».
C'est à l'aune de cette évidence que le groupe Socialistes et apparentés, par la voix d'Isabelle Santiago, a décidé de vous soumettre cette proposition de loi. Je tiens à saluer l'engagement sans faille des associations, des militants et des experts de la protection de l'enfance, avec lesquels notre rapporteure a vraiment beaucoup travaillé. Que de chemin parcouru en près de trois ans, depuis les débats nourris et houleux qui ont émaillé le projet de loi contre les violences sexuelles et sexistes, lequel n'a pas permis d'avancer comme nous l'aurions voulu !
Fixer aujourd'hui un seuil d'âge de 15 ans constituerait une avancée majeure, porteuse de sens pour tous les Français. Néanmoins, je veux ici dénoncer la manoeuvre de la majorité qui, en réécrivant quasi intégralement notre proposition de loi en commission, a fait la preuve du peu de considération qu'elle a pour le travail sérieux effectué par notre groupe !