Intervention de Karine Lebon

Séance en hémicycle du jeudi 18 février 2021 à 15h00
Protection des mineurs victimes de violences sexuelles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaKarine Lebon :

Il est des moments où la vie législative rencontre l'histoire. Je crois que c'est le cas aujourd'hui et je vous propose, chers collègues, de dédier nos travaux et le texte que nous allons voter aux victimes et à toutes celles et ceux qui n'ont eu de cesse, des années durant, d'oeuvrer à la protection de l'enfance en dépit des obstacles, des dénis et des silences.

Cette proposition de loi nous donne l'occasion de créer dans le droit pénal un dispositif spécifique contre des violences sexuelles spécifiques, celles dont sont victimes les enfants. Il s'agit de garantir la protection des mineurs de 15 ans contre des actes sexuels auxquels ils ne peuvent librement consentir.

« Au chalumeau, on nous a brûlé la peau d'enfance », me disait une victime d'inceste. Il est banal de le dire : l'enfance est une période de construction, de découvertes et d'émerveillement, mais elle se caractérise aussi par une vulnérabilité et une dépendance à l'égard des adultes. Dans cette relation où l'affection et la confiance d'un enfant sont absolues, il arrive hélas que la bienveillante attention de l'adulte ne soit pas au rendez-vous. La fragilité de l'enfance peut alors devenir un lieu d'insécurité. Un enfant sur dix serait victime de violences sexuelles, plus de deux enfants par classe ! Dans la plupart des cas, c'est à la maison qu'il se retrouve en grand danger. Un enfant abusé c'est une enfance volée, confisquée, et un futur adulte en souffrance. Parce que leur état d'enfant les expose aux violences sexuelles et en font une proie idéale pour les adultes pédocriminels, les mineurs de moins de 15 ans doivent bénéficier d'une protection adaptée et sans faille.

Plusieurs affaires judiciaires ont récemment démontré la difficulté de la justice à appréhender le discernement des mineurs de moins de 15 ans dans le cadre de relations sexuelles avec une personne majeure. Cette question ne doit plus se poser. Un mineur de 15 ans doit être considéré comme non consentant dans une relation sexuelle avec une personne adulte.

Dans notre législation, pour caractériser une agression sexuelle ou un viol, c'est à la victime de prouver que l'auteur a usé de la « violence », de la « menace », de la « contrainte » ou de la « surprise ». La loi du du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite loi Schiappa, avait déjà permis de considérer que la « surprise » pouvait être caractérisée comme la différence d'âge entre un mineur et un majeur. En effet, un enfant n'a pas la capacité de dire « non » à un adulte. Parce qu'il existe un lien de confiance, parce que la position d'adulte peut créer une domination ou encore parce que la sidération, comme mécanisme de défense, le soustrait à la réalité de la violence, l'enfant ne sait pas et ne peut pas exprimer un quelconque avis. En cela, la loi Schiappa représentait déjà une avancée mais qui se révèle insuffisante.

La majorité des spécialistes s'accordent sur l'âge de 15 ans pour définir le seuil de non-consentement des mineurs. Nous sommes d'accord avec eux. En posant un seuil juridique de non-consentement à 15 ans, cette proposition de loi instaure un interdit sociétal clair. Interroger la responsabilité de l'enfant, c'est interroger sa culpabilité dans les actes qu'il a subis : cela n'est plus supportable ! Ce n'est pas aux mineurs de démontrer leur absence de consentement.

Parce que l'intérêt supérieur de l'enfant doit primer sur les clivages politiques, ce texte majeur doit nous rassembler et aller à son terme. Attention toutefois à l'instauration de la clause dite « Roméo et Juliette » qui diminuerait la protection des mineurs de 13 et 14 ans alors que, depuis 1945, le délit d'atteinte sexuelle réprime toute relation sexuelle entre un mineur de 15 ans et un majeur. Nous devons être vigilants sur ce point. La remise à plat du code pénal sur les violences sexuelles sur mineurs de 15 ans et les actes incestueux est une urgence absolue.

L'adjectif « incestueux » n'a fait son apparition dans le code pénal qu'en 2016. Nous voyons bien à quel point cette proposition de loi est légitime au regard de notre retard à qualifier et à réprimer ces comportements déviants. L'inceste n'est toujours pas considéré comme une infraction à part entière : il n'est qu'une surqualification pénale et une circonstance aggravante lorsqu'il est commis par un ascendant. À ce titre, nous partageons la définition d'un âge de non-consentement à 18 ans pour les actes incestueux. Nous soutiendrons également la proposition selon laquelle les viols incestueux sont des crimes à part entière et les agressions sexuelles incestueuses considérées comme des délits autonomes.

Toutefois, plusieurs sujets importants me semblent avoir été éludés : ils font l'objet d'amendements tel celui que nous avons déposés sur la nécessaire prévention en milieu scolaire, malheureusement déclaré irrecevable, ou encore sur les violences sexuelles subies par les enfants porteurs de handicap – je vous sais, monsieur le secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles, très attaché à cette notion.

Chers collègues, l'attente est immense et, en ce jour, notre devoir, comme notre responsabilité, est de protéger les plus jeunes, c'est-à-dire de légiférer à hauteur d'enfant.

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