Intervention de Marie-Noëlle Battistel

Séance en hémicycle du jeudi 18 février 2021 à 21h00
Fonds d'indemnisation des victimes de la covid-19 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Noëlle Battistel :

Derrière le bilan de la pandémie qui ne cesse de s'alourdir, derrière les chiffres en constante augmentation se cachent de véritables drames humains et des situations de détresse : des décès dans les familles, des personnes qui ont tout perdu et qui ne peuvent pas reprendre le travail à cause d'une fatigue qui ne disparaît jamais. Les histoires personnelles comme les formes de la maladie sont différentes mais toutes ces victimes, peu importe leur statut professionnel ou leur mode de contamination, doivent bénéficier d'une forme de reconnaissance, aujourd'hui absente, de la part de la nation.

L'État ne se reconnaît pas de responsabilité vis-à-vis de ces victimes. En effet, certaines fautes manifestes telles que l'absence d'un plan de gestion et d'anticipation, les pénuries de matériel médical et de protections sanitaires, l'absence d'accès aux soins hospitaliers de tous les malades, l'absence de mesures permettant un dépistage massif et rapide de la population ainsi que la communication du Gouvernement sur la question du port du masque justifient la reconnaissance de la responsabilité de l'État et, de ce fait, l'indemnisation des victimes au titre de la solidarité nationale.

Rappelons, à titre d'exemple, que la mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid-19 a établi qu'aucune commande de masques pour le stock stratégique d'État n'avait été engagée entre le 30 octobre 2018 et le 31 janvier 2020, lorsque débuta la crise sanitaire.

Les travaux de cette mission d'information ont également souligné la mauvaise gestion de la crise sanitaire dans les EHPAD lors de la première vague. Alors que le risque accru pour les personnes âgées a fait dès le départ l'objet d'un consensus sur le plan scientifique, les décisions relatives aux EHPAD ont suivi la même temporalité que celles concernant la population générale : elles ont été trop tardives au regard des risques encourus par les résidents. Les EHPAD ont été très durement frappés par la pénurie de matériels : équipements de protection individuels comme les gants, les masques FFP2, les lunettes et les blouses ; médicaments, traitements ou matériels – oxygène, par exemple. Cette pénurie a été d'autant plus dure qu'il a été demandé aux EHPAD de créer des unités dédiées à la covid-19 au sein des établissements, sans qu'ils soient toujours équipés du matériel médical nécessaire à la prise en charge des patients et des protections individuelles pour les soignants.

Au-delà de la question de la responsabilité de l'État, il est urgent de concrétiser la promesse d'une indemnisation des victimes les plus graves de cette terrible maladie, dans toute leur diversité. Le Gouvernement a enfin publié, le 14 septembre 2020, un décret accordant automatiquement le statut de victime de maladie professionnelle à certains personnels soignants atteints dans leur cadre de travail par une forme grave du covid-19 ayant nécessité un apport d'oxygène ou ayant entraîné le décès. Ce premier pas était indispensable, mais est-il suffisant ?

En ne prenant en compte que les séquelles pulmonaires, le Gouvernement oublie toutes les personnes victimes de séquelles temporaires ou définitives sur le plan cardiaque, neurologique ou cérébral. Par ailleurs, l'indemnisation accordée au titre de la maladie professionnelle est forfaitaire et ne répare pas l'ensemble des préjudices subis par une victime ou ses ayants droit. Par exemple, en cas de décès d'un agent de la fonction publique reconnu en maladie professionnelle, seul le conjoint survivant d'un couple marié peut être indemnisé. Les pacsés et les concubins ne sont pas considérés comme des ayants droit.

Ainsi, cette reconnaissance pour les seuls personnels soignants exclut toutes les autres catégories de travailleurs : les premières de tranchées, montées au front durant la crise sanitaire, devront se soumettre aux procédures classiques, particulièrement complexes, longues et incertaines, de reconnaissance des maladies professionnelles.

Sont donc exclus du décret les hôtesses de caisse, les agents des forces de l'ordre et de sécurité, les pompiers, les enseignants, les agents de la propreté publique ou d'accueil au public, les éboueurs, les postiers, les commerçants, les routiers et les livreurs, mais aussi les résidents d'EHPAD.

Il ne couvre pas les personnes dont l'activité sur le lieu de travail a été maintenue pendant la crise sanitaire par leur employeur ou du fait de la nature de leur métier : maintenance, magasinage, préparation de commandes dans les centres logistiques, agents de conduite et de maintenance des installations à marche continue, agents de conduite et de surveillance des transports, etc.

Il ne couvre pas l'ensemble des personnes chargées de la tenue des bureaux de vote lors des élections municipales – élus, assesseurs volontaires, agents municipaux et scrutateurs.

Il ne couvre pas les bénévoles qui ont prêté main forte aux services hospitaliers ni ceux qui ont aidé les plus démunis dans le cadre des activités des associations de solidarité.

Il ne prend pas en compte les victimes environnementales contaminées au sein de leur propre famille par des soignants ou des salariés travaillant au contact du public, porteurs du virus sans le savoir.

Pour toutes ces raisons, la proposition de loi que nous vous présentons ce soir vise à créer un fonds dédié à l'indemnisation de toutes les personnes connaissant des séquelles temporaires ou définitives, ainsi que des ayants droit de personnes décédées de la covid-19. Ce fonds d'indemnisation sera financé par une contribution de l'État et de la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale.

Si de nombreux combattants en première ligne ont guéri de formes moins graves de la covid-19, d'autres ont passé des jours voire des semaines entières en réanimation sous respiration artificielle et en garderont des séquelles durables ; certains d'entre eux sont même décédés du covid-19. Ce fonds n'oubliera aucun des malades atteints des formes graves de cette maladie et apportera une réponse digne, juste et rapide – les dossiers seront instruits en six mois, quel que soit le régime social de couverture de la personne, que cette dernière travaille dans le privé ou le public, qu'elle exerce une profession indépendante, libérale ou qu'elle soit autoentrepreneur.

Vous n'êtes pas favorables à cette proposition de loi qui offre une solution concrète pour faire avancer la reconnaissance des victimes : alors que proposez-vous ? Vous ne proposez aucun nouveau dispositif ; pire, vous ne cherchez pas à légiférer sur le sujet : hier, nous avons discuté dans l'hémicycle d'une proposition de résolution, déposée par la majorité, qui n'aura aucune valeur contraignante. Si nous l'avons bien entendu votée, la résolution n'apportera absolument rien au-delà d'une reconnaissance purement symbolique.

Chers collègues de la majorité, pourquoi avoir proposé cette résolution plutôt qu'une loi ? L'adoption de votre résolution permettra-t-elle de mieux prendre en compte et de mieux accompagner une seule victime de la covid-19 ? Vous connaissez les réponses à ces questions, mais vous faites comme si de rien n'était, comme si nous n'avions pas inscrit à l'ordre du jour de notre niche parlementaire l'examen de cette proposition de loi, comme si aucune proposition concrète n'avait été formulée pour faire avancer les choses, comme si le Gouvernement avait tenu ses engagements depuis le début de cette crise.

Puisque nous préférons les solutions opérationnelles aux incantations, puisque nous affirmons l'urgence d'agir pour la reconnaissance de toutes les formes graves de la covid-19 et de toutes les victimes qui en ont souffert, puisque nous savons que le dispositif de maladie professionnelle est inadapté aux enjeux de cette crise sanitaire et qu'il constitue un véritable parcours du combattant pour des personnes fatiguées et malades, puisque nous devons passer enfin des paroles aux actes, nous présentons cette proposition de loi et nous vous invitons à la voter avec nous ce soir.

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