Intervention de Loïc Kervran

Séance en hémicycle du mardi 2 mars 2021 à 15h00
Territorialisation du plan de relance

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLoïc Kervran :

Le plan de relance peut faire encore mieux pour les ruralités. Il constitue sans doute une chance unique d'inverser un phénomène qui asphyxie peu à peu les territoires ruraux, cette concentration qui vide nos campagnes – non pas la province, mais bien la ruralité – et qui, à terme, menace la possibilité même d'y vivre. Il offre aussi l'occasion de répondre à l'immense défi démocratique induit par le sentiment croissant d'abandon des campagnes.

Certains éléments défavorables aux ruralités persistent dans la construction de France relance. Laissez-moi en citer quelques exemples pour que nous puissions y remédier ensemble. Ainsi, la combinaison d'une logique d'appel à projets avec un nombre extrêmement important de dispositifs est l'ennemie des territoires les plus défavorisés. La complexité est l'amie de ceux qui possèdent les ressources et l'ingénierie pour la lire et s'en emparer ! Ni quelques heures de secrétaire de mairie ni la meilleure volonté des sous-préfectures ne permettent de mobiliser des moyens équivalents à ceux des grandes collectivités, dotées de directions générales des services et d'équipes importantes.

Par ailleurs, les délais rapides de remise des dossiers, laissant très peu de temps entre l'appel à projets et le dépôt, défavorisent les territoires ruraux. Nous comprenons que, par essence, la relance ne puisse être renvoyée aux calendes grecques, mais il faut mesurer les difficultés que rencontrent les conseils municipaux renouvelés, installés en juillet, pour déposer dès janvier des projets complets faisant appel à la DSIL – dotation de soutien à l'investissement local – exceptionnelle.

Certaines dépenses très significatives sont également concentrées sur les zones qui se portent le mieux. À titre d'exemple, la dépense fiscale représentée par la baisse des impôts de production soutient en réalité l'existant : 2,8 milliards d'euros sont dépensés à ce titre pour l'Île-de-France, contre 364 millions pour la région Centre-Val de Loire. Au sein même de cette dernière, les départements les plus dotés sont ceux qui se portent le mieux : 119 millions sont dépensés pour le Loiret, mais trois fois moins – 40 millions – pour le Cher, et cinq fois moins – 22 millions – pour l'Indre.

Aussi, messieurs les ministres, laissez-moi vous faire quelques propositions. Pourquoi ne pas introduire une logique de discrimination positive au profit des territoires ruraux, en fléchant vers eux les relocalisations d'activités stratégiques, dans une double logique d'aménagement du territoire et de résilience nationale ? Pourquoi ne pas créer une gouvernance qui serait d'abord départementale, avant d'être nationale – avec les agences – et régionale ? Pourquoi ne pas introduire davantage de proximité et de flexibilité, en donnant aux préfets de département de réelles enveloppes ? Enfin, pourquoi ne pas investir plus massivement dans des sujets spécifiques à la ruralité, notamment dans le défi que représente un linéaire très important, couplé à un faible nombre d'habitants – défi que l'on retrouve, par exemple, pour les réseaux d'eau potable ou l'entretien des digues ? Ce serait d'autant plus pertinent que ces réseaux vieillissants, qui sont eux-mêmes le fruit d'une politique d'aménagement du territoire, sont en fin de cycle.

Enveloppes, gouvernance, sujets stratégiques… : la ruralité mérite d'être davantage priorisée. Ce faisant, nous pourrons construire un pays plus résilient. Le commissaire à la défense que je suis n'oublie pas les travaux du maréchal Foch : en concentrant nos efforts, nous facilitons le travail de l'ennemi, qu'il soit sanitaire ou militaire. Au contraire, la crise a montré que la capillarité, la proximité et la déconcentration étaient des atouts. Une France concentrée est une France fragile, qui économise des coûts individuels immédiats, mais qui fait exploser les coûts collectifs de long terme pesant sur l'environnement – artificialisation des sols, pollution – comme sur le vivre ensemble, la sécurité et la démocratie.

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