Messieurs les ministres, je commencerai mon intervention en rappelant qu'un décret publié le 8 avril dernier, juste en amont du plan de relance, permet au préfet de déroger à certaines normes réglementaires dans un champ d'application assez vaste pour couvrir la construction, le logement, l'urbanisme, l'emploi, les subventions, l'aménagement du territoire ou encore l'environnement. Depuis cette date, le préfet peut notamment restreindre la durée d'une enquête publique, passer outre une étude d'impact, limiter certaines consultations préalables ou même déroger à la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement – ICPE. Un mot est depuis sur toutes les lèvres : la différenciation. Cela nous pose problème, puisqu'il devient possible de déroger à la loi qui, à nos yeux, protège nos concitoyens, notamment sur les questions concernant l'écologie. Dans ce schéma, le plan de relance est aussi une façon d'adapter l'organisation territoriale aux exigences de la relance, des conséquences de la crise et de la construction de la résilience territoriale, toujours dans une logique de différenciation.
Les rapporteures du groupe de travail sur la territorialisation du plan de relance au sein de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation tiennent à critiquer la méthode du « premier arrivé, premier servi » qui a été appliquée aux divers appels à projets. Elles appellent à une vision globale de la mise en oeuvre du plan de relance à partir de 2021, pour une répartition équitable des crédits qui permette une forme de péréquation entre les territoires et ne conduise pas à un creusement des inégalités entre ceux-ci. En effet, les territoires les plus réactifs seront les premiers servis, tandis que ceux qui ont besoin d'un appui pour finaliser leurs projets ne pourront voir ceux-ci aboutir. C'est notamment le cas des agglomérations rurales, qui n'ont pas l'armature pour répondre à des appels à projets de l'État. Leurs dossiers arriveront par conséquent trop tard. Il faut y remédier.
Ce même rapport abonde dans ce sens, en soulignant que 25 % des établissements publics de coopération intercommunale – EPCI – sont totalement démunis en matière d'ingénierie et risquent de passer à côté du plan de relance. De l'aveu même des interlocuteurs auditionnés, les appels d'offres des communes accusent une diminution de 40 %. Les crédits s'entassent dans la trésorerie des collectivités, du fait d'une forte préoccupation pour l'avenir et d'un réflexe de thésaurisation.
S'agissant de d'eau et de l'assainissement, par exemple, on note des carences dans la maîtrise d'ouvrage, dues notamment à la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRE, qui a transféré les compétences en matière d'eau et d'assainissement aux communautés de communes et d'agglomération à compter du 1er janvier 2020. Nombre de ces collectivités sont mal armées pour présenter des projets. Cette différenciation tant souhaitée par les représentants des collectivités ne l'est donc pas réellement, que ce soit au niveau des citoyens, à celui des élus ou même à celui des structures d'appui, qui ont également été auditionnées. Pour ces dernières, les règles ne doivent pas changer sans cesse si l'on veut que la coordination puisse être efficace.
Comment ne pas aborder les difficultés d'ingénierie humaine qui ont déjà été relevées ? Le projet de loi de finances pour 2021 rend plus inquiétant encore cet état de fait, le schéma d'emplois pour la fonction publique n'allant pas dans le sens des recrutements. Il y a un vrai problème de fixation des cadres, notamment en province.
Enfin, de l'aveu même de l'Association nationale des pôles d'équilibre territoriaux et ruraux, qui regroupe plusieurs établissements publics de coopération intercommunale, le plan de relance se réduit à du saupoudrage. Si l'on prend l'exemple du plan de relance fléché vers le secteur ferroviaire, l'investissement additionnel par rapport à la période d'avant la crise est estimé à 650 millions d'euros, et non à 4,8 milliards comme annoncé. En outre, la chargée d'études de la Fédération nationale des travaux publics indique que le projet de loi de finances pour 2021 précise dans la mission « Plan de relance » qu'il s'agit d'autorisations d'engagement permettant de lancer les projets. Cependant, les montants réellement décaissés en 2021, c'est-à-dire les crédits de paiement, représentent moins d'un tiers des engagements, soit 173 millions d'euros. Ce constat met en lumière l'effet du plan, qui intervient majoritairement à partir de 2022 et à très moyen terme.
En matière d'aide à l'investissement de transformation vers l'industrie du futur, il semblerait que ces plans soient façonnés pour répondre uniquement aux besoins des grandes entreprises. En effet, le guichet numérisé, géré par l'Agence de services et de paiement, mentionnait qu'il en excluait les entreprises artisanales et agricoles. Enfin et surtout, la relance telle qu'elle est présentée par le Gouvernement ne vise pas à soutenir la demande, mais à permettre à l'offre de s'adapter et d'innover pour créer sa propre demande.