Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Séance en hémicycle du mardi 2 mars 2021 à 15h00
Territorialisation du plan de relance

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva :

À l'automne dernier, nous votions les crédits alloués au plan de relance. Nous voici aujourd'hui dans sa phase d'application. Dès septembre 2020, le Gouvernement annonçait sa volonté de territorialiser sa mise en place. Sur le principe, c'est un choix que nous saluons.

L'exécution du plan de relance doit placer les élus territoriaux au coeur de la reprise économique – ce sont eux qui sont les plus au fait de la structure économique et sociale de leur territoire – afin que le déploiement des crédits et des projets s'effectue au plus près des besoins du terrain – c'est une évidence. Cette territorialisation du plan de relance est d'autant plus nécessaire que les territoires ont été touchés différemment par la crise du covid-19. Leurs capacités de rebond diffèrent elle aussi. Le travail de l'Observatoire des impacts territoriaux de la crise, créé par les économistes Olivier Portier et Vincent Pacini, est précieux et instructif sur le sujet, notamment à travers l'image des wagons et des locomotives. Les économistes constatent également que la période que nous vivons frappe tous les territoires de manière différente, et pas nécessairement les mêmes secteurs d'activité à tous les endroits. C'est pourquoi un pilotage uniforme de la relance par le haut ne peut être adapté. Les constats sur la situation économique et sociale de certains territoires divergent d'ailleurs même entre les élus et les acteurs socioprofessionnels d'un côté, les services de l'État de l'autre. Je prends évidemment pour exemple la Corse, où un travail d'élaboration long d'un plan concerté entre la collectivité de Corse et le tissu économique insulaire, dit plan Salvezza, a été effectué. Ce plan propose différentes mesures simples. Or l'État, en l'occurrence le Président de la République lui-même, et le préfet de Corse ont répondu que la situation économique de la Corse n'était pas si catastrophique et que le plan de relance de l'État suffisait. Le PIB de la Corse a baissé de 18 % en 2020, contre 8,3 % dans l'hexagone : un cataclysme ! Je pourrais également parler des territoires de montagne, mais je laisse ce soin à ma collègue Jeanine Dubié, présidente de l'Association nationale des élus de la montagne – ANEM – , qui le fera mieux que moi.

Afin d'assurer la territorialisation du plan de relance, le Gouvernement a fait le choix de nommer – une fois de plus – des sous-préfets à la relance. Pour vous, territorialisation rime toujours avec déconcentration, jamais trop avec décentralisation des décisions – c'est un marqueur constant. Nous craignons que ces préfets à la relance trouvent difficilement leur place dans l'architecture déjà complexe que prévoit le Gouvernement : trois échelons de comités de suivi – aux niveaux national, régional, départemental – , deux niveaux de contractualisation entre les collectivités et l'État, trois types d'enveloppes de 16 milliards d'euros au total, certaines territorialisées, beaucoup verticalisées et centralisées. Ce sont autant de lourdeurs procédurales inutiles qui font courir le risque d'un flou artistique quant à l'organisation du plan de relance.

Nous souhaitons exprimer une inquiétude qui revient régulièrement sur le terrain : celle de la capacité des petites collectivités à gérer le travail administratif du plan de relance. Celui-ci est aujourd'hui calibré pour les grosses collectivités qui disposent des moyens administratifs et d'ingénierie nécessaires pour traiter rapidement les dossiers. Les petites communes disposent d'instruments moins importants, nous le savons, et nombreuses sont celles qui peuvent renoncer à certaines aides ou certains projets, voire en être écartées. Dès lors, nous voyons bien le risque d'une relance à deux vitesses, creusant toujours plus la fracture territoriale. Prenons l'exemple de l'enveloppe exceptionnelle de la DSIL « plan de relance ». Nous ne pouvons qu'être favorables à l'objectif de soutenir des projets prêts à être déployés, mais nous regrettons un calendrier trop contraint. Avec une annonce à l'automne pour un dépôt de projets prévu au 31 décembre, comment voulez-vous que les élus aient le temps de réfléchir à un projet pertinent, de contacter les prestataires pour réaliser les travaux et d'estimer un devis pour ensuite postuler à l'aide du plan de relance ?

C'est pourquoi le bon accès des collectivités territoriales aux dispositifs d'aide, indépendamment de leurs ressources et de leur taille, est un enjeu important, crucial. C'est là que l'accompagnement conjoint et non concurrent des services de l'État, des régions, des départements, des collectivités territoriales vis-à-vis des communes et intercommunalités doit jouer son rôle. Être davantage dans l'accompagnement et moins dans la décision doit être la priorité. Or si l'État semble se reposer sur les collectivités territoriales et leur capacité à déceler les besoins du terrain et accompagner des projets locaux, on ne peut que s'interroger sur leur rôle dans l'élaboration même de ce plan de relance où les volets territoriaux ne peuvent se déployer. Comment expliquer que la plupart des financements octroyés le seront sur décision des préfets ? Vous réduisez les collectivités au seul rôle d'opérateur de l'État et les élus territoriaux à des supplétifs. Nous pensions, au contraire, que le plan de relance constituait l'opportunité d'une plus grande décentralisation des décisions. En effet, la territorialisation, telle qu'envisagée par le Gouvernement, demande du temps dans sa mise en place, repoussant encore des stimuli économiques déjà étalés dans le temps. Il aurait été plus pertinent de permettre des investissements ciblés sur les actions à fort effet d'entraînement sur l'économie, notamment via les collectivités territoriales. Les achats des acteurs locaux représentent près de 60 % de la commande publique en France, ce qui fait d'eux un levier privilégié de relance par la demande. Or les transferts aux collectivités territoriales ne représentent que 2,4 milliards d'euros en 2021. L'investissement des collectivités est donc négligé pour la relance immédiate, alors que son effet d'entraînement, notamment pour les secteurs du bâtiment et des travaux publics, doit être fort et qu'il génère en grande partie de l'activité locale.

Bref, nous sommes plusieurs à émettre des doutes à ce stade sur les impacts positifs de ce plan. J'espère vraiment me tromper, car accompagner la reprise est vital pour l'emploi et nos territoires.

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