Le 15 février dernier était convoquée à N'Djamena, au Tchad, la septième session ordinaire de la conférence des chefs d'État du G5 Sahel, énième occasion de relancer une opération qui nécessite depuis huit ans une perfusion militaire et économique. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Qui peut croire en une victoire militaire dans la guerre contre le terrorisme, alors que cela fait vingt ans que cette stratégie échoue ? Lorsque l'on fait la guerre à des groupes éparpillés, qui n'ont pas de véritable cohérence, et que l'on rassemble sous le nom générique de « djihadistes » sans véritablement comprendre la multiplicité de leurs intentions, comme gagner militairement ?
Ces groupes évoluent en permanence, évitant les affrontements directs mais faisant toujours plus de morts en créant et en amplifiant des tensions ethniques, tout en faisant preuve d'une résilience incroyable face aux revers qu'ils subissent grâce à l'action de nos soldats, que je salue.
Mener des représailles armées est d'autant plus complexe que c'est dans ses anciennes colonies d'Afrique occidentale que la France est ainsi présente, compliquant l'acceptation par les populations au sein desquelles les groupes armés développent une stratégie d'ancrage.
Nous sommes donc très loin de gagner les coeurs et les esprits, comme l'exige toute contre-insurrection victorieuse. Dès lors, comment arrêter une guerre qui n'est ni gagnée ni perdue ? Quelles conditions permettront de sortir du conflit ?
Ma conviction, je le dirai en toute humilité, est qu'il faut privilégier les objectifs de long terme, les substituer au court terme des objectifs militaires dont les succès répétés ne font qu'alimenter le tonneau des Danaïdes, et qui imposent le gel du contexte politique.
Geler le contexte politique, cela veut dire ne rien faire au nom de la stabilité lorsqu'un chef d'État opprime son peuple ou vole des élections. C'est comme cela que la question du djihadisme sert indirectement certains chefs d'État du Sahel : Idriss Deby au Tchad est de ceux qui utilisent à plein ce prétexte de la stabilité pour se maintenir brutalement au pouvoir, en bafouant la démocratie. Or c'est précisément en laissant étouffer la volonté des peuples et en laissant croire que les dirigeants se maintiennent au pouvoir grâce à Paris que l'impopularité de la France et de son armée au Sahel ne peut que grandir.
Au regard de l'échec manifeste de cette stratégie de guerre contre le terrorisme et du terrible impact politique de la tactique court-termiste de notre intervention militaire, il faut amplifier, monsieur le ministre, l'action politique et diplomatique. Il faut, je le répète, privilégier le long terme et pour cela agir directement sur le terreau socioéconomique qui a permis à cette bête immonde de surgir. Le djihadisme du Sahel prend ses racines dans l'effondrement des États et des services publics lié aux coupes budgétaires imposées par le Fonds monétaire international dans les années 1980. Exsangues, les populations ont tenté de survivre, mais les services publics n'ont jamais été restaurés et les États ne se sont jamais vraiment remis de ce choc budgétaire ; ils n'ont pas pu mener de véritables politiques publiques, viables, visant à lutter contre la corruption, à lever des impôts, à donner des moyens à l'éducation, à la santé, à la culture, ou encore à donner des moyens au vivre ensemble.
Plus que jamais, la solution réside dans la refondation des États, dans le respect des peuples et de leurs droits et dans le développement des services publics. Vous l'aurez compris, il s'agit d'imaginer une solution où les objectifs militaires seraient soumis aux exigences démocratiques, populaires, humanitaires, et non l'inverse, comme c'est le cas aujourd'hui ; une politique où le long terme dicte ses objectifs au court terme. Cela implique, j'y insiste, une coordination au plus haut niveau des différents acteurs : armées, affaires étrangères, Agence française de développement – en lien avec les Nations unies, car la France, membre permanent du Conseil de sécurité, doit multiplier ses efforts pour faire respecter le droit international et les droits nationaux.
Pour cela, il faut renforcer l'aide publique au développement bilatéral et multilatéral ; inciter à mener des politiques publiques de réconciliation nationale, soutenues si nécessaire par la justice internationale ; impulser une politique de consolidation de la démocratie à tous les échelons ; aider les États à restaurer les services publics dignes des populations du Sahel. Un tel chantier prend du temps, mais depuis dix ans, nous aurions pu avancer bien mieux.
Avoir le soutien des peuples, voilà l'enjeu ; l'obtenir par des actions politiques concrètes, par la démocratie, par la diplomatie et non pas par la seule intervention armée, voilà une piste que les députés communistes vous proposent de creuser afin de gagner les coeurs et les esprits.