Intervention de Adrien Taquet

Séance en hémicycle du lundi 15 mars 2021 à 16h00
Protection des jeunes mineurs contre les crimes sexuels — Présentation

Adrien Taquet, secrétaire d'état chargé de l'enfance et des familles :

Nous nous réunissons de nouveau aujourd'hui pour garantir à nos enfants une meilleure protection contre les violences sexuelles. C'est un travail exigeant, rigoureux, toujours indispensable, sur lequel beaucoup a déjà été dit. Nous pâtissons depuis trop longtemps du décalage entre la réalité des violences sexuelles faites aux enfants et le regard que portent les institutions mais aussi une partie de la société sur ces violences.

Longtemps, nous n'avons proposé aux victimes qu'une alternative profondément insatisfaisante et injuste : soit le silence – une chape de plomb, au sens étymologique du terme, cet instrument de torture qu'au Moyen Âge, on enfilait au prisonnier pour le faire souffrir – , soit des réponses complexes sur le plan judiciaire, et incomplètes en matière d'accompagnement des victimes.

Cet héritage, dont nous connaissons les failles, nous devons le solder. Bien sûr, des étapes importantes ont été franchies ces dernières années – M. le garde des sceaux l'a rappelé : il faut saluer la portée des lois adoptées en 2018 et 2019, soutenues notamment par Marlène Schiappa, Bérangère Couillard et Guillaume Gouffier-Cha ; il faut aussi saluer le plan de lutte contre les violences faites aux enfants, dont les vingt-deux mesures visent à mieux prévenir les violences, recueillir la parole des victimes et les accompagner ; il faut également saluer le travail des associations – comme celle des docteurs Bru, ou comme Les Papillons de Laurent Boyet – et des acteurs de terrain, telle la Fédération française des centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles. Bien plus qu'hier, on écoute désormais les victimes, on les croit et on les aide.

Sur le plan pénal, toutefois, nous devions aller plus loin. Les débats en commission ont permis de cerner les enjeux et d'identifier des sujets que nous devrons traiter plus profondément : il s'agira par exemple de renforcer le mécanisme de prescription prolongée et de connexité de la prescription – M. le garde des sceaux l'a évoqué – , d'avancer concernant le délit de « sextorsion », ou encore de mieux sanctionner ceux qui recourent à la prostitution des mineurs, afin de mieux protéger ces derniers. Ce sera le premier pas de l'arsenal complet sur lequel nous travaillons avec Mme la procureure générale près de la cour d'appel de Paris, Catherine Champrenault.

S'agissant de questions aussi complexes, un travail collectif entre le Gouvernement, les parlementaires et les acteurs de la société civile s'est avéré indispensable. Il a permis d'éviter les polémiques inutiles, et nous souhaitons qu'il se poursuive jusqu'à l'adoption définitive de la loi, dont les avancées sont claires et fortes. Les pouvoirs publics tiendront leur promesse d'améliorer la législation en toute responsabilité.

Ce qui est en jeu, c'est qu'enfin, nous changions de culture : nous devons adopter une culture de la prévention et de la protection, au bénéfice des enfants et des victimes. Ce changement procède d'une double révolution. La première, liée au renforcement de la loi, conduit à ne plus interroger la notion de consentement en dessous de 15 ans, tout en intégrant les amours adolescentes. La seconde, tout aussi importante, tient à la prévention et à l'accompagnement. Elle fait écho à plusieurs démarches récemment initiées. Je pense bien sûr aux annonces faites par le Président de la République le 23 janvier, visant à instaurer deux rendez-vous de dépistage et de prévention contre les violences sexuelles à l'école, l'un au primaire, l'autre au collège ; des travaux ont été lancés à ce sujet avec Jean-Michel Blanquer, pour faire de l'école un espace central de la prévention, et donc de la protection des enfants – et ce, dès la rentrée prochaine. Le Président de la République a également annoncé le remboursement des soins psychologiques et de la prise en charge des enfants victimes ; nous y travaillons avec Olivier Véran. Mentionnons aussi l'action engagée par la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles subies pendant l'enfance, présidée par Édouard Durand et Nathalie Mathieu : ses travaux devront aboutir, entre autres, à un véritable programme de prévention auprès des enfants, à des messages clés adressés à tous, et à une formation plus adaptée de l'ensemble des professionnels en contact avec les mineurs.

Nous étions ce matin, avec certains d'entre vous, au centre de victimologie pour mineurs de l'Hôtel-Dieu – M. le garde des sceaux l'a rappelé ; les professionnels avec lesquels nous avons échangé à cette occasion – Caroline Rey-Salmon, Mélanie Dupont, Charlotte Gorgiard et Patricia Vasseur – l'ont tous dit : les actions de prévention et de formation sont incontournables, et doivent être largement diffusées. Nous ouvrons donc une nouvelle ère de la prévention, qui permettra aux enfants d'être davantage sensibilisés et mieux protégés. Elle permettra également aux professionnels de repérer plus précocement les violences, de mieux accompagner les enfants et de mieux recueillir leur parole. Elle permettra enfin aux auteurs potentiels – c'est crucial – d'être pris en charge pour éviter les passages à l'acte ou les récidives.

Ce travail collectif, nous le faisons avant tout pour les enfants, pour qu'ils ne soient pas victimes, ou, s'ils l'ont été, qu'ils soient mieux pris en charge ; c'est un impératif moral pour chacun d'entre nous. Nous le faisons aussi pour l'entourage des enfants et leur famille. Traiter et prévenir ces blessures physiques, psychologiques, morales et sociales, c'est, au-delà, oeuvrer pour la société dans son ensemble. Comme je l'ai déjà souligné, la protection des enfants doit être notre boussole. Au moment où nous allons changer la loi, ayons en tête que les traumatismes de l'enfance affectent la santé tout au long de la vie, et qu'ils réduisent l'espérance de vie, parfois jusqu'à vingt ans. Ayons en tête, comme l'explique l'Organisation mondiale de la santé – OMS – , que les enfants maltraités, devenus adultes, sont davantage exposés à divers troubles comportementaux, physiques et psychiques : propension à commettre des violences ou à en subir, dépression, tabagisme, comportements sexuels à risque, alcoolisme, toxicomanie… Ayons en tête que les traumatismes subis pendant l'enfance favorisent les pathologies cardiaques, le cancer, les suicides et les infections sexuellement transmissibles. Au-delà de ces répercussions sur la santé et sur la société, ces traumatismes ont un coût économique, lié notamment aux hospitalisations, au traitement des troubles psychiques, à la protection de l'enfance et aux dépenses de santé à plus long terme. Ayons en tête que nous avons, ensemble, le pouvoir de casser ce cercle vicieux de la violence, dont les effets perdurent de longues années au cours de la vie d'adulte. Ayons en tête que nous avons le pouvoir de mettre un terme au coût individuel, collectif et sociétal démesuré et absurde des violences sexuelles subies par les enfants.

Ce changement de culture prendra du temps. Il suscitera sans doute quelques réticences, mais c'est l'un des enjeux les plus exaltants de notre action : il s'agit simplement d'offrir aux enfants d'aujourd'hui la protection sans concession à laquelle ils ont droit, et d'offrir aux adultes de demain l'existence épanouie qu'ils méritent, libérée de la culture de la domination. Nous devons rompre avec un passé qui n'est pas à la hauteur de la société que nous voulons construire. C'est possible, et le vote de cette proposition de loi y participe. C'est même indispensable.

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