Nous nous apprêtons à examiner une proposition de loi qui vient de loin : formellement, elle vient du Sénat, mais elle vient aussi de toutes celles et tous ceux qui se battent sans relâche, depuis des années, voire des décennies, pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes, particulièrement à l'égard des enfants. Nous examinons le texte déposé par la sénatrice Annick Billon, qui s'inscrit dans l'esprit de très nombreux travaux parlementaires menés avec engagement, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat.
Cette loi doit marquer – et marquera – un tournant historique pour la protection des mineurs. Vous vous en souvenez tous : ce sujet a été abordé, il y a trois ans, lors des débats sur la loi, dite Schiappa, du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Cette dernière a notamment allongé le délai de prescription pour les crimes commis sur les mineurs et enrichi la définition de la contrainte, avec une disposition interprétative intégrant l'âge de 15 ans.
Après le vote de cette loi à l'unanimité, il n'était pas question de refermer le dossier. Le Parlement a poursuivi son travail ; les parlementaires ont continué à écouter les associations, à entendre les juristes et à imaginer des solutions – nous ne soulignons d'ailleurs jamais assez combien nos initiatives législatives prennent leur source dans nos activités de contrôle. La piste de l'infraction autonome, qui sera soumise à l'approbation de l'Assemblée nationale, a ainsi été ouverte par une mission d'information sénatoriale, dirigée par la sénatrice Marie Mercier – que je tiens à saluer – , et par le travail de contrôle d'application de la loi Schiappa, dont j'ai eu la charge. C'est en poursuivant nos efforts que nous avons levé les obstacles pour consacrer une solution équilibrée et qui, je l'espère, sera juridiquement solide. Nous allons donc pouvoir progresser grâce à cette proposition de loi, que le groupe majoritaire a inscrite dans son ordre du jour réservé parce qu'elle est la plus avancée dans la procédure.
Je ne reviendrai que très brièvement sur le coeur du débat, à savoir l'âge du consentement à 15 ans – âge que le Sénat, préoccupé par des considérations constitutionnelles, avait fixé à 13 ans. Je ne crois pas avoir à vous convaincre : les débats en commission des lois ont montré que nous étions unanimes à ce sujet. Le principe retenu sera clair : en dessous de 15 ans, c'est non. Aucun adulte n'a le droit d'engager une relation sexuelle avec un enfant : c'est simple, c'est précis, et le contraire sera criminel. On ne recherchera plus la notion de consentement.
Les discussions en commission ont toutefois montré que ce principe devait recevoir quelques aménagements. Nous avons décidé que, dans les cas d'inceste, l'âge serait porté à 18 ans, plutôt qu'à 15 ; cette position semble faire l'unanimité sur tous les bancs. Nous avons aussi beaucoup discuté des fameux couples « Roméo et Juliette », ces jeunes gens qu'une faible différence d'âge sépare, mais dont l'un est majeur et l'autre mineur de moins de 15 ans : de l'avis général, criminaliser ces relations serait une véritable folie. Nous avons donc convergé vers un écart d'âge de cinq ans, en deçà duquel on ne parlerait plus de cour d'assises.
Enfin, parmi les sujets importants figure la définition d'une règle spéciale de prescription pour les viols en série. C'est une question complexe, au sujet de laquelle je vous fais à nouveau part de ma circonspection, au vu des difficultés pratiques qu'entraînent des réformes successives dans les tribunaux. Je reste néanmoins convaincue que nous devons avancer sur ces affaires très précises, et je me réjouis des amendements qui seront présentés pour encadrer plus précisément le mécanisme adopté en commission des lois.
Le texte issu des délibérations de la commission est riche, et je vous proposerai de l'enrichir encore sur des sujets qu'il n'aborde pas. Je pense à la prostitution des mineurs : une répression accrue doit viser les clients et les proxénètes. Je pense aussi à l'activité des prédateurs en ligne, la « sextorsion », contre laquelle, conformément aux demandes des policiers de la brigade de protection des mineurs, je proposerai d'ouvrir une voie pour recourir à la qualification de viol lorsque la victime a été contrainte à s'autopénétrer. Je pense également aux pervers qui s'exhibent et se masturbent en public, dans les transports ou devant les écoles, sans risquer grand-chose : je proposerai d'autoriser l'autorité judiciaire à les juger en comparution immédiate, pour qu'ils ne traînent pas pendant des mois dans la nature, avec les risques que leur profil implique.
Pour conclure, j'évoquerai mon amendement sans doute le plus symbolique : je proposerai que le terme « inceste » désigne un crime dans le code pénal. C'est un sujet qui blesse ; il mine un grand nombre de nos compatriotes qui l'ont subi ou qui continuent à le subir. Je souhaite que nous réaffirmions clairement cet interdit, sans équivoque, non pour des raisons morales, mais parce que la protection des enfants repose essentiellement sur la conscience des adultes.
Dans ma vie d'avocate, comme dans ma vie d'élue – et comme beaucoup d'entre vous, sans doute – , j'ai été marquée par de nombreuses rencontres avec des victimes et leurs proches, et je crois pouvoir dire qu'elles m'ont beaucoup appris. Leurs situations sont certes différentes, mais tous leurs parcours sont compliqués. Laissez-moi vous parler de cette mère de deux enfants : une nuit, il y a quelques mois, sa fille lui a appris que son frère l'avait violée pendant plusieurs années, sans que la famille n'en sache rien. En quelques secondes, cette femme d'une extrême dignité s'est retrouvée à la fois mère d'un auteur et d'une victime. Ce qui m'a le plus frappée, dans ses propos, est sa terrible solitude face à une société restée trop longtemps mutique, malgré l'ampleur du phénomène – car ni elle, ni ses enfants n'avaient jamais été sensibilisés à l'inceste. Pire, elle a appris que son propre fils avait fait lui-même l'objet d'un viol par un tiers lorsqu'il avait 12 ans. Ces sordides histoires sont, malheureusement, bien ordinaires.
La loi pénale n'a pas seulement une fonction répressive, elle doit aussi exprimer les valeurs d'une société. Exprimons notre attachement à la protection de l'innocence des enfants. Il faut non seulement que les coupables sachent qu'ils commettent un crime, mais aussi – et surtout – que tous les citoyens sachent qu'ils doivent ouvrir les yeux et poser les bonnes questions.