Intervention de Alexandra Louis

Séance en hémicycle du lundi 15 mars 2021 à 16h00
Protection des jeunes mineurs contre les crimes sexuels — Article 1er

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexandra Louis, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Nous en revenons au débat fondamental sur l'écart d'âge. Permettez-moi d'abord de partager avec vous une certitude : il n'est pas possible d'instaurer un seuil d'âge de 15 ans – lequel constitue, nous l'avons rappelé, une avancée historique – sans prévoir une exception. Comme beaucoup d'entre vous, je travaille sur cette question depuis des années, mais il est vrai qu'elle est revenue de façon récurrente dans le cadre de la mission d'évaluation de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

D'abord, je dois souligner très humblement que tous les juristes auditionnés au cours de ces travaux n'étaient pas favorables au seuil d'âge de 15 ans : certains proposaient de le fixer à 13 ans, pour des raisons constitutionnelles, mais aussi dans le souci de préserver les adolescents concernés. La commission a décidé de conserver l'âge de 15 ans. Ce choix me semble très pertinent, parce qu'il est plus protecteur. Pour autant, nous devons être très prudents et garder à l'esprit que les relations adolescentes existent – cela a été rappelé par de nombreux parlementaires – et que nous devons les prendre en considération.

Nous devons trouver le moyen de concilier la protection des mineurs contre les violences sexuelles dont ils sont victimes et le respect des relations consenties entre mineurs, qui concernent parfois avec de très jeunes adolescents. C'est l'éternelle difficulté liée aux effets de seuil : une personne change-t-elle fondamentalement quand elle passe de 17 ans, 11 mois et 29 jours à 18 ans ? Ses relations avec les autres sont-elles transformées ? Je ne le crois pas. Pour que le texte que nous allons adopter soit juste et passe le filtre constitutionnel afin de protéger effectivement les victimes – ce qui n'a rien anodin, car, comme l'ont montré les débats qui ont eu lieu en 2018, dont chacun se souvient, nous avançons, dans ce domaine, sur une ligne de crête – , nous devons donc trouver le juste équilibre. Il n'y a pas de réponse évidente en la matière. Je crois néanmoins que l'écart d'âge de cinq ans présente le mérite de pouvoir être appréhendé de façon plus objective par le juge, tout en étant protecteur.

Vous avez raison, madame Ménard, d'évoquer l'effet de sidération, car il s'agit là d'un phénomène très commun, qui est souvent la résultante de psychotraumatismes très violents. Or la sidération, je veux vous rassurer sur ce point, est prise en considération au titre de la contrainte : même dans les cas où la nouvelle incrimination de viol que nous nous apprêtons, je l'espère, à voter ne serait pas retenue, les dispositions que nous avons adoptées en 2018, et qui prennent bien en considération ce seuil de 15 ans, trouveraient à s'appliquer. Le juge tiendra donc bien compte, dans son appréciation, du phénomène de sidération : il ne sera pas dépourvu d'outils juridiques pour agir.

Je ne prétendrai pas, ensuite, que la solution de repli que vous proposez est mauvaise, puisque j'avais moi-même avancé cette option dans le rapport d'évaluation de la loi du 3 août 2018. Je rappelle en effet, pour que chacun ait tous les éléments du débat à l'esprit, que j'avais, dans ce document, évoqué deux hypothèses pour éviter de sanctionner excessivement les relations entre adolescents : faire une exception en cas de relation préexistant à la majorité, ou instaurer un écart d'âge. Cette deuxième solution, déjà utilisée dans certains pays, présente l'avantage de pouvoir être appréciée objectivement et de protéger aussi les amours naissant à 18 ans et 1 jour – car elles existent. Chacun est évidemment libre de porter sur ces relations un jugement moral, mais ce n'est pas ce pour quoi nous sommes réunis aujourd'hui : notre objectif est de protéger les jeunes mineurs des agressions sexuelles dont ils pourraient être victimes.

J'émets donc des demandes de retrait ou, à défaut, des avis défavorables sur l'ensemble des amendements, notamment sur les amendements identiques nos 43 , 87 , 98 et 148 , car la suppression pure et simple de l'écart d'âge serait à mon sens dangereuse. Le même avis vaut pour les amendements nos 121 rectifié , 162 et 179 , qui visent à remplacer l'écart d'âge par un autre fait justificatif. J'estime en effet que le texte proposé est à la fois équilibré, protecteur et solide constitutionnellement.

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