Le point de départ de notre discussion est la réforme constitutionnelle de 2003, qui a représenté une première étape dans la reconnaissance de l'expérimentation par les collectivités territoriales. Contrairement à ce que certains semblent dire, le quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution a été élaboré pour expérimenter, et non pour différencier. Près de vingt ans plus tard, la réforme a produit peu d'effets en raison des contraintes posées au passage à l'expérimentation, et ce qui aurait dû être le support d'une politique d'innovation n'a été que peu utilisé : selon les informations disponibles, les expérimentations ont concerné le revenu de solidarité active, la tarification sociale de l'eau ou encore l'apprentissage et les ressources qui y sont consacrées.
La révision constitutionnelle et la loi organique prise en application de celle-ci étaient prudentes et prévoyaient une procédure rigoureuse préalablement à l'autorisation de l'expérimentation. Cette précaution était justifiée par le fait que l'expérimentation ne pouvait remettre en cause les conditions essentielles de l'exercice des libertés publiques, ni celles d'un droit constitutionnellement garanti. Elle était aussi une façon de rappeler que la République a un caractère indivisible. Derrière ce débat juridique et sémantique, c'est bien la conception de l'État et de la démocratie qui est en jeu : nous devons accepter l'innovation tant qu'elle ne remet pas en cause les principes de la République et du service public, dont le principe d'égalité.
Le texte lui-même a vocation à substituer à une procédure comptant plusieurs étapes un dispositif allégé. Ainsi, toute collectivité entrant dans le champ d'application de l'expérimentation pourra décider, par délibération motivée, de participer à celle-ci sous le contrôle du préfet. De façon opérationnelle, la conclusion de l'expérimentation pourra être soit son abandon, soit sa généralisation, soit, désormais, son application aux collectivités intéressées, y compris, éventuellement, à des collectivités nouvelles. En tout état de cause, nous devrons rester attentifs à ce que le droit à la différenciation territoriale ne soit pas l'occasion de creuser les inégalités, tant il est vrai que la capacité à exercer certains droits s'appuie sur des moyens en compétences et en finances qui peuvent varier sensiblement d'une collectivité à une autre.
Venons-en aux principales dispositions du texte. Je ne souhaite pas les reprendre toutes – les différents orateurs, ainsi que Mme la ministre et M. le rapporteur, les ont déjà rappelées – , mais je voudrais partager avec vous quelques réflexions.
Que penser du texte ? Certains y voient la programmation de l'abandon de l'égalité entre territoires et habitants – sujet qu'il convient, de façon générale, de garder à l'esprit. D'autres y voient la possibilité de différencier les territoires pour assurer la diversité des réponses à une multitude de situations locales, c'est-à-dire d'adapter les réponses pour les rendre plus efficaces. La vérité n'est assurément pas du côté de l'abandon de l'innovation, mais elle n'est pas davantage dans une spécialisation et une différenciation renforcées. Demain comme aujourd'hui, les différences de traitement devront être justifiées par un motif d'intérêt général et des différences de situation objectives entre les territoires, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel : elles ne dépendront donc pas de la seule volonté des collectivités territoriales.
Qu'inférer de ces observations ? Nos collègues du Sénat ont rappelé que l'évaluation des expérimentations serait un sujet central, mais nous devrons aussi, me semble-t-il, être capables de mener de véritables évaluations socioéconomiques mettant en évidence les bénéfices et les coûts de l'expérimentation en tenant compte de ce qui se serait passé si les collectivités n'avaient rien fait.
En somme, le projet de loi organique vise à simplifier les expérimentations sans aller jusqu'à la différenciation promue par le Gouvernement, alors même que les différences d'attractivité, d'environnement économique et de ressources des collectivités différencient déjà la capacité de celles-ci à innover et à expérimenter. Je pense qu'une nouvelle étape sera tôt ou tard nécessaire. En attendant, nous prenons acte de ce qui a été proposé, et nous déterminerons notre position en fonction des explications qui seront données par la suite. Quoi qu'il en soit, nous accompagnerons cet effort.