La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
Monsieur le Premier ministre, le mardi 17 mars 2020, la France entamait son premier confinement. Un an plus tard, nous déplorons la mort de 90 762 personnes du covid-19. En leur mémoire, je souhaite que nous leur consacrions quelques instants de silence.
Mmes et MM. les députés ainsi que les membres du Gouvernement se lèvent et observent quelques instants de silence.
Un an plus tard, donc, je souhaite que vous nous indiquiez quelle est votre stratégie pour affronter la croissance exponentielle de l'épidémie.
Bien entendu, je m'associe à l'hommage que vous avez bien voulu rendre aux personnes décédées de la covid-19 depuis un an. Leur nombre est très important même si le taux de mortalité, en France, n'est pas parmi les plus élevés du monde, surtout en ce qui concerne la deuxième vague de l'épidémie. Je pense aussi à toutes les personnes touchées par ce virus et qui développent des formes dites longues de la maladie, formes identifiées progressivement. Je pense enfin à tous les dégâts que cette terrible pandémie cause au corps social ; elle laisse des séquelles d'autant plus lourdes qu'elle joue, vous l'avez dit, les prolongations. Nous vivons en effet ce qui ressemble à une troisième vague, caractérisée par l'apparition de nombreux variants – le variant dit britannique prenant une place de plus en plus importante.
Quelle est la stratégie du Gouvernement, demandez-vous ? L'Assemblée la connaît bien. Je mettrai évidemment, au moment où je m'exprime, la vaccination au premier rang car nous savons que c'est la vaccination massive – même si elle doit d'abord être ciblée et concerner avant tout les personnes les plus vulnérables à la maladie – , qui nous permettra d'en sortir. Mais, compte tenu de la situation actuelle, plus que jamais nous devons respecter tous les gestes élémentaires, les gestes barrières qui, depuis un an, constituent une garantie contre la progression de la pandémie ; plus que jamais il faut se faire tester et s'isoler dès l'apparition des premiers symptômes.
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LR.
Nous prenons donc les mesures que la situation impose. Nous avons une stratégie territorialisée que nous allons poursuivre.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
Dimanche dernier, vous avez déclaré aux Français que si le taux d'incidence dépassait 400 malades pour 100 000 habitants, vous confineriez le territoire concerné. Confirmez-vous qu'il s'agit là de votre doctrine ?
Le 28 janvier dernier, je vous ai interrogé sur la projection de l'évolution, que vous nous avez présentée, du nombre de contaminations dues au variant britannique. Vous avez alors répondu que ce n'était qu'un exercice théorique. Or, six semaines plus tard, nous constatons que le nombre de contaminations correspond exactement à celui de ladite projection. Soit, dès lors, on est capable de vacciner massivement – à savoir 500 000 vaccinations par jour – , soit on se prend le mur. Le Conseil scientifique ne dit pas autre chose. Aussi, je vous le demande une fois encore : que comptez-vous faire pour éviter que nous ne nous prenions le mur ?
Je ne comprends toujours pas votre stratégie vaccinale. Tous vaccins confondus, le Territoire de Belfort a reçu 27 doses pour 100 habitants alors que le département des Hauts-de-Seine n'en a reçu que 3,5. Comment expliquer de telles disparités entre les départements ?
Vous le savez, depuis un an les Français ont consenti beaucoup d'efforts dans leur vie personnelle, leurs activités culturelles, sportives, associatives, professionnelles… Ils sont en droit d'obtenir des perspectives que vous ne leur donnez pas.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
Stratégie gouvernementale contre la pandémie de covid-19
Monsieur le Premier ministre, demain sera le triste anniversaire du premier confinement. J'ai bien conscience que le Gouvernement a dû faire face à une crise d'une violence inouïe.
Néanmoins, le bilan de sa gestion est bien sombre.
En effet, votre gouvernement a durement attenté aux libertés des Français au prix d'une détresse psychologique, chez eux, parfois dramatique. La France paie un coût économique très élevé et vous n'avez pas su suffisamment protéger nos concitoyens. Les Français et les soignants ont en effet manqué de tout : pénurie de masques, de tests, manques de lits de réanimation, pénurie de blouses, de surblouses, manque de kits de séquençage et, désormais, de doses de vaccins.
Mme Caroline Fiat applaudit.
Nous avons subi un défaut d'anticipation quasi systématique, des lourdeurs administratives incroyables avec moult attestations et protocoles indigestes, et un recul de notre souveraineté.
Le démarrage de la vaccination s'est révélé catastrophique – une vaccination à deux vitesses entre les métropoles et le reste du territoire. Quelque 4 millions de Français devaient être vaccinés au 28 février ; or seuls 2,7 millions à peine avaient reçu les deux doses à cette date !
Le 15 mars, 5 millions de Français avaient reçu une première injection, contre 25 millions de Britanniques outre-Manche…
Enfin, depuis un an, nous subissons l'accumulation d'ordres et de contre-ordres, avec des ministres qui disent souvent le lendemain le contraire de ce qu'ils affirmaient la veille.
D'abord sur le masque, puis sur les tests massifs et maintenant sur le vaccin AstraZeneca.
Monsieur le Premier ministre, vous avez incité les Français, dimanche soir, à avoir confiance dans ce vaccin avant que, vingt-quatre heures plus tard, le Président de la République n'en suspende l'utilisation.
Résultat catastrophique : angoisse des Français, démobilisation des professionnels.
Alors que la France compte plus de 90 000 morts du covid-19, alors que l'on nous menace à nouveau de confinement, quand allez-vous cesser de faire de la mauvaise communication et d'infantiliser nos concitoyens ? Les Français en ont marre ! Ils veulent être protégés et retrouver leur liberté.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.
Vous demandez de la constance.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
Or vous en avez fait preuve, pendant un an, monsieur le député. Les oppositions, du moins certaines, nous ont en effet demandé avec constance tout et son contraire. Vous terminez votre intervention en affirmant que les Français veulent être protégés et retrouver leur liberté. Je suis venu à sept reprises vous présenter un texte sur l'état d'urgence sanitaire, à chaque fois pour demander la confiance du Parlement, notamment de votre groupe, afin de prendre toutes les mesures à même de protéger les Français et de leur permettre de retrouver la liberté.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Quand vous nous exhortez, en même temps, à rouvrir les bars, les restaurants et à lutter contre la pandémie, je ne suis pas sûr qu'au bout de cette année les Français soient parfaitement convaincus par l'attitude des groupes de l'opposition vis-à-vis de l'action du Gouvernement.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
Vous nous demandez de la constance mais également de la transparence et de la pédagogie, et de redonner confiance aux Français. Que s'est-il passé avec le vaccin AstraZeneca ? Ce vaccin est très efficace et précieux dans notre lutte contre la pandémie.
Nous nous sommes toujours engagés à la plus grande transparence quant à son utilisation, ses éventuels effets indésirables, par le moyen d'un système de pharmacovigilance national et européen. L'Agence européenne des médicaments estime que ce vaccin est efficace et que la balance bénéfice-risque est positive.
Alors pourquoi en avoir suspendu l'utilisation ?
Cependant, ladite agence instruit pendant quarante-huit heures, avec des scientifiques de toute l'Europe, la déclaration de cas très rares de complications trombo-emboliques qui pourraient éventuellement en modifier partiellement les indications.
Nous devons écouter l'ensemble des pays membres de l'Union européenne et, ici, nous donner quarante-huit heures de recul pour revenir avec confiance devant les Français ; je le souhaite de tout mon coeur comme ministre et comme Français et savez-vous pourquoi, monsieur le député ? Quand on aime son pays, on a envie qu'il s'en sorte et on fait tout pour l'aider et non pour le tirer vers le bas.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et Dem. – Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Il y a une solution, monsieur le ministre : vacciner, vacciner et vacciner ; et en finir avec les injonctions contradictoires.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Monsieur le Premier ministre, voilà un an que nous luttons sur le front sanitaire et contre les conséquences économiques et sociales de la pandémie : les soignants par leur engagement, les salariés de deuxième ligne par leur abnégation, les Français par leur vigilance,
MM. Jimmy Pahun et Olivier Becht applaudissent
le Parlement qui siège jour et nuit depuis une année, le gouvernement d'Édouard Philippe, le vôtre, de Bercy à Grenelle en passant par Ségur, pour prendre les mesures nécessaires en faveur des hôpitaux, des entreprises, des salariés, des services publics… On n'a pas fait tout bien…
… mais tout le pays, depuis un an, a fait tout ce qu'il pouvait.
Bien sûr, nous continuons le combat et nous aurons encore des mesures difficiles à prendre. Mais nous avons besoin de perspectives, d'horizons communs. Les Français vivaient déjà avec deux épées de Damoclès suspendues au-dessus de la tête : …
… l'urgence climatique et le risque terroriste. S'y ajoutent donc l'angoisse sanitaire, la peur de l'avenir. Nous vivons tous de terribles moments d'atonie psychologique.
Hier, vous avez réuni une conférence sociale dans la forme que le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés avait suggérée il y a un an. Vous avez dessiné des perspectives pour les jeunes, pour les apprentis, pour les salariés de deuxième ligne, pour tous ceux qui travaillent avec la prime Macron et qui touchent de petits salaires et qui sont éloignés de leur véritable utilité sociale.
Mais, parce que vous savez qu'une société ne peut pas avoir que l'angoisse et la lutte en partage, parce que vous savez, comme l'écrivait Chateaubriand, que les moments de crise produisent un redoublement de vie chez les hommes, pouvez-vous détailler les mesures discutées avec les partenaires sociaux – celles qui esquissent nos premiers pas vers la sortie de la crise et qui nous permettront demain de renouer avec notre part d'humanité la meilleure ?
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, LaREM et AE.
Au moment où je m'exprime, la Commission européenne a indiqué que la France était parmi les premiers pays d'Europe, sinon le premier, à avoir soutenu ses entreprises et défendu le pouvoir d'achat de ses salariés depuis le début de la crise sanitaire. C'est à l'honneur de la France.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
Nous avons également maintenu le dialogue social aux niveaux les plus élevés. D'abord parce que sa nécessité relève chez nous de la conviction ; ensuite parce que, comme je l'ai rappelé hier à la troisième conférence du dialogue social que j'ai eu l'honneur de présider avec l'ensemble des partenaires sociaux et les ministres concernés, cela nous paraît être l'un des meilleurs antidotes contre la crise et l'un des leviers pour préparer l'avenir. Cette conférence s'inscrit dans un processus constant de dialogue social et de concertation.
Partout dans les entreprises, dans les branches et même au niveau interprofessionnel, des négociations aboutissent.
Ainsi, quelque 18 000 accords d'activité partielle de longue durée, une de nos principales armes pour lutter contre la crise, ont été signés, couvrant environ 600 000 salariés français. C'est notre honneur. Les partenaires sociaux ont également signé un accord interprofessionnel sur la santé au travail, sur le télétravail, instrument majeur, là aussi, de lutte contre la crise.
Hier, qu'avons-nous fait ? Après avoir entendu les partenaires sociaux, j'ai décidé de continuer d'utiliser un des leviers les plus efficaces contre le chômage des jeunes : le développement de l'apprentissage.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM. – M. Olivier Becht applaudit également.
Ainsi, 500 000 contrats d'apprentis ont été signés en 2020 – un record. Eh bien, j'ai décidé que les aides destinées à encourager l'apprentissage seraient prorogées tout au long de l'année 2021.
Mêmes mouvements.
La prime d'aide à l'embauche pour les jeunes sera prolongée jusqu'au 31 mai et représentera 1,6 SMIC.
J'en termine en évoquant les travailleurs de la deuxième ligne, sur la situation desquels la représentation nationale comme les partenaires sociaux nous avaient interpellés. Nous avons décidé de reconduire en 2021 la célèbre prime Macron,
Mêmes mouvements
à hauteur de 1 000 euros pour tous les salariés des entreprises qui feront le choix de la verser et de 1 000 euros supplémentaires pour les salariés de la deuxième ligne appartenant à des branches où des accords d'intéressement auront été conclus et qui ouvriront des négociations de long terme pour rendre les métiers correspondants plus attractifs.
Oui, le dialogue social est un impératif en toutes circonstances, …
… et plus que jamais dans la gestion de cette crise sanitaire.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
Intermittents de l'hôtellerie, professionnels de l'événementiel, du tourisme ou de la restauration, extras, saisonniers : 2,3 millions de personnes travaillent dans des secteurs où l'emploi discontinu est d'usage. Depuis un an que ces secteurs sont à l'arrêt ou presque, ces travailleuses et travailleurs ne bénéficient ni du chômage partiel ni d'aucune aide d'État. La plupart d'entre eux sont en fin de droits et sombrent dans la pauvreté.
Vous leur avez péniblement accordé une aide de 900 euros en novembre, mais, comble du mépris, la grande majorité d'entre eux ne peuvent en bénéficier. Je pourrais donner des milliers d'exemples, comme celui de Xavier, maître d'hôtel, qui vient de recevoir un avis d'expulsion de son logement, alors qu'il ne peut déjà offrir qu'un repas par jour à ses enfants. Ne pleurez pas sur son sort : lui ne le fait pas, il se bat contre l'indignité de vos mesures.
Quelle conception de l'économie peut justifier de laisser tomber ces personnes, quand celles qui possèdent un emploi stable ont légitimement bénéficié du chômage partiel ? Aucune ! C'est un choix purement idéologique de votre part : pour vous, elles sont une simple variable d'ajustement. Comble du cynisme, en pleine crise, alors qu'un sixième de la population de notre pays a besoin de l'aide alimentaire pour survivre, vous relancez la réforme de l'assurance chômage, qui durcit les conditions d'accès à l'allocation : 840 000 personnes vont ainsi subir une baisse de leur indemnisation.
Vous faites la guerre aux chômeurs, pas au chômage ! Car l'unique objectif de cette réforme est de discipliner ces travailleurs et d'en faire une main-d'oeuvre docile, terrifiée à l'idée de perdre son emploi – en faisant au passage 1,3 milliard d'économie par an sur leur dos ! Cette réforme est une honte ! Il faut l'abandonner purement et simplement, et prendre des mesures d'urgence pour les intermittents de l'emploi !
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
Je ne vous demande pas, mesdames et messieurs les ministres, quelle mission, quelle commission, quel groupe de travail ou quel numéro vert vous comptez créer, mais quand vous allez prendre des mesures pour mettre fin à cette non-assistance à personne en danger !
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et FI. – M. José Evrard, M. Nicolas Dupont-Aignan et Mme Agnès Thill applaudissent également.
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des retraites et de la santé au travail.
En vous écoutant, je suis tenté de vous inviter à sortir de l'idéologie pour regarder les choses de façon objective.
Je crois que vous pourriez le faire sans difficulté. Contrairement à ce que vous prétendez, nous avons pris un certain nombre de mesures particulièrement efficaces et utiles pour tous ceux qui sont concernés par la permittence.
Je songe d'abord à l'aide d'urgence que vous avez daigné mentionner et qui garantit aux travailleurs précaires une rémunération de 900 euros mensuels. Cette aide a bénéficié à plus de 460 000 demandeurs d'emploi pendant les trois derniers mois.
Elle est proposée, chaque fois que cela est possible, par les agents de Pôle emploi qui appellent directement les permittents potentiellement concernés. Cette aide, qui ne devait être versée que pendant trois mois, a d'ailleurs été prolongée jusqu'à la fin mai. Des centaines de milliers de travailleurs précaires bénéficieront ainsi, pendant sept mois, d'un revenu minimum garanti de 900 euros pour faire face à la crise.
Exclamations sur les bancs des groupes GDR et SOC.
Vous avez souligné le recours excessif aux formes d'emplois précaires parfois observé en France. C'est précisément pour cette raison que le Gouvernement, en la personne de Mme la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, a fait évoluer les règles applicables en matière d'assurance chômage et que nous avons créé le système de bonus-malus.
Cette réforme vise à éviter le recours aux contrats courts, qui explose depuis plus de dix ans dans notre pays. C'est dans ce but que nous la mènerons à bien.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
Voilà presque deux ans, nous votions le projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé. Ce texte prévoit, dans sa première partie, une réforme majeure et nécessaire, qui met fin au numerus clausus et transforme les études de santé. Grâce à cette réforme, il y aura davantage de médecins à l'avenir ; les bons étudiants ne seront plus placés en situation d'échec après deux années de travail et d'engagement total ; et les profils des futurs professionnels de santé seront plus diversifiés, car ils viendront de tous les territoires.
Or nous sommes nombreux à être alertés par des étudiants et leurs familles, qui s'inquiètent de la façon dont se déroule cette première année. Il s'agit certes d'une année de transition, difficile à vivre pour tous les étudiants en période de crise sanitaire, mais les étudiants en santé expriment une inquiétude majeure. Pour l'avoir vécu, je sais l'engagement et le stress des étudiants de première année, ainsi que la mobilisation des parents pour soutenir leurs enfants – je ne remercierai d'ailleurs jamais assez les miens. Leurs fortes interrogations portent sur les capacités d'accueil des différentes universités, dont certaines ne sont pas encore connues, et sur la méthode et les attendus des oraux à venir. Elles relaient surtout un sentiment d'injustice entre les étudiants des différentes promotions.
Ma collègue Anne Brugnera et moi-même, ainsi que nombre de nos collègues, avons entendu le message des étudiants. Il nous faut maintenant les rassurer. Comme vous, madame la ministre, je crois sincèrement en cette réforme, qui a fait l'objet d'un long travail et dont le financement est prévu.
Elle ne peut tout simplement pas se transformer en échec. Aussi, pouvez-vous confirmer que le nombre d'étudiants admis en deuxième année augmentera bien cette année, conformément à l'objectif de suppression du numerus clausus ? Pouvez-vous également confirmer que les primants de cette année ne seront pas perdants par rapport aux redoublants de l'ancien système ?
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
La parole est à Mme la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.
Merci pour cette question, qui me permet de faire un point d'étape du déploiement de cette réforme, qui, vous l'avez dit, intervient pendant une année particulièrement difficile et contrainte en raison de l'épidémie de covid-19.
Je suis d'autant plus heureuse de le faire ici que cette réforme est effectivement issue de la volonté du Parlement, qui l'a votée il y a deux ans.
Vous en avez rappelé les principaux objectifs : ouvrir le champ des possibles, permettre aux étudiants de démarrer leur cursus partout en France, y compris dans des villes dépourvues de CHU, et mettre fin au numerus clausus. Je veux tout d'abord vous rassurer : le nombre de places ouvertes au concours garantira à ceux qui redoublent actuellement dans l'ancien système autant de chances que celles dont ont bénéficié leurs prédécesseurs pendant les trois dernières années.
Pour les nouveaux entrants, le travail que nous avons mené avec les établissements et les ARS, les agences régionales de santé – puisque, si les prises de décisions sont décentralisées, elles sont évidemment pilotées par le ministère – , me permet d'annoncer que 1 800 places supplémentaires seront ouvertes au concours, soit une augmentation de 12 % par rapport au numerus clausus de 2020,
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM
ce qui me semble conforme à l'orientation tracée par la loi votée en 2019. L'information sera publiée par tous les établissements d'ici la fin de la semaine prochaine.
S'agissant enfin des primo-entrants pour l'année 2021-2022, la réforme se poursuit : le nombre de places augmentera encore et nous veillerons à ce que tous les étudiants aient, s'ils le souhaitent, une seconde chance, en fin de deuxième ou de troisième année de L. AS – licence accès santé. La situation sera donc très différente de celle qui prévalait auparavant, puisque des étudiants pouvaient être exclus des études de santé dès le mois de février.
Ces quelques chiffres redonneront, je l'espère, de la sérénité aux étudiants et à leurs parents.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et Dem.
J'ai parcouru 9 000 kilomètres pour venir témoigner, devant la représentation nationale, de ce qu'ont vécu nos compatriotes mahorais durant les deux mois qui viennent de s'écouler, pendant lesquels le taux d'incidence de la covid-19 a atteint 930 cas pour 100 000 habitants. Je ne souhaite à aucune région de vivre ce que nous affrontons à Mayotte.
Cette situation s'explique notamment par une pauvreté qui touche plus de 77 % de la population locale. Les élus du département n'ont pourtant cessé de réclamer l'amélioration de la situation sociale. En effet, les dispositifs d'aide sociale ne s'appliquent que partiellement à Mayotte : les droits de base, pour ceux qui existent, sont souvent plafonnés à 50 % de ceux appliqués partout ailleurs. C'est par exemple le cas des allocations familiales et du RSA. Quant aux pensions de retraite pour une carrière complète, elles plafonnent souvent à 300 euros par mois. Le SMIC, quant à lui, est décoté de 20 % par rapport au SMIC national.
Que sont les Mahorais à Mayotte ? Tout ! Qu'ont-ils été jusqu'à présent dans l'ordre social ?
Rien ! Que demandent-ils ? À y devenir quelque chose – des citoyens égaux en droits, y compris en droits sociaux ! On ne lutte pas efficacement et durablement contre une épidémie dans la misère générale. C'est pourquoi, pour la énième fois, je demande l'égalité sociale à Mayotte, c'est-à-dire l'application, dans un calendrier resserré, du code de la santé publique, du code de l'action sociale et des familles et du code de la sécurité sociale de droit commun.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.
Vous avez raison : Mayotte a affronté une vague épidémique terrible, avec des taux d'incidence extrêmement élevés et la présence, en très forte proportion, du variant sud-africain. Le département aurait d'ailleurs pu voir la catastrophe sanitaire se transformer en catastrophe humanitaire si nous n'avions pas pris, sur place, avec le soutien des élus – que je remercie – , des mesures courageuses mais nécessaires pour freiner la course folle du virus. Le confinement généralisé est en vigueur depuis plusieurs semaines. Il a permis une décroissance très importante de la circulation du virus. C'est tant mieux.
Vous le savez, tous les moyens ont été déployés pour éviter la catastrophe : le service de santé des armées est intervenu, en montant notamment un hôpital militaire, et près de cent soignants ont pris l'avion pour prêter main-forte à Mayotte – des anesthésistes, des infirmiers spécialisés, des aides-soignants, des urgentistes, des infectiologues, ou encore certains des meilleurs épidémiologistes dont nous disposons en métropole. La Réunion s'est aussi montrée solidaire, en accueillant de nombreux patients mahorais à la suite de plusieurs évacuations sanitaires. Elle fait désormais face à une augmentation de l'incidence du virus et doit elle-même adapter ses soins hospitaliers. Nous avons d'ailleurs, il y a quinze jours, transféré pour la première fois quatre patients de La Réunion vers l'Île-de-France. C'était nécessaire.
Vous avez également raison sur le plan social : il est évident que les inégalités sociales creusent et renforcent les inégalités de santé, et que les publics les plus précaires sont les plus sensibles face au risque viral et au risque de développer des formes graves de la maladie. Là encore, le Gouvernement intervient depuis plus d'un an, en appliquant non seulement des mesures nationales, comme l'augmentation de l'allocation de rentrée scolaire, mais aussi des mesures locales. J'en mentionnerai une, que vous connaissez : il y a quelques semaines, Sébastien Lecornu et moi-même avons décidé d'attribuer aux Mahorais des chèques d'aide alimentaire, à raison de 40 euros par mois et par famille, ce qui représente un effort supplémentaire de 1,3 milliard d'euros. Je remercie d'ailleurs le préfet Jean-François Colombet qui en assure la distribution, avec l'aide des associations, des collectivités et des élus locaux. C'est absolument fondamental.
Croyez, monsieur le député, à l'engagement total du Gouvernement pour soutenir les Mahorais dans cette épreuve.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et Dem.
Je veux bien vous remercier pour ce qui a été fait, monsieur le ministre, mais vous répondez à côté de la question. Heureusement que vous n'êtes plus sur les bancs de la fac : vous seriez mal noté !
Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Au moment où je l'apprends, je tiens, en votre nom à tous, à adresser les plus vives félicitations de l'Assemblée nationale à nos compatriotes Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, lauréats pour 2021 du prix Pritzker, la plus haute distinction internationale dans le domaine de l'architecture.
Applaudissements sur tous les bancs.
Il n'y a pas que des mauvaises nouvelles, madame la ministre de la culture !
Il y a un an, la France se confinait. Ce qui devait durer deux semaines a finalement duré deux mois. Ce qui aurait dû être un événement unique et exceptionnel s'est, depuis, répété.
Il y a un an, la décision du confinement, prise en catastrophe, s'était imposée à nous, impuissants face à une épidémie brutale et à un virus inconnu. À l'époque, les tâtonnements et les erreurs pouvaient se comprendre.
Mais un an après, alors que nos connaissances ont évolué, et que des retours d'expérience ont eu lieu, rien n'a vraiment changé dans la méthode. Depuis un an, les mêmes tares perdurent : centralisation extrême, technocratie en folie et absence de concertation et d'anticipation.
La transparence fait également défaut. Les avis du Conseil scientifique sont publiés de manière erratique, le dernier disponible datant du 12 février. Un avis plus récent a fuité dans la presse ; pourquoi nous est-il caché ?
Le manque de transparence est aussi criant s'agissant des indicateurs retenus pour justifier les confinements locaux. Ces revirements alimentent la défiance, laquelle nuit à l'efficacité de la lutte contre l'épidémie. L'adaptation ne doit pas rimer avec l'improvisation.
Ainsi les mêmes errements et dysfonctionnements se répètent-ils : hier c'étaient le manque des masques puis le manque des tests. Aujourd'hui ce sont les vaccins. La France est un des pays les plus en retard…
… et les plus désorganisés. Les parlementaires présents ont tous été alarmés sur ces dysfonctionnements multiples.
Monsieur le Premier ministre, alors qu'il y a un an vous n'occupiez pas ces fonctions, les méthodes sont malheureusement restées les mêmes ! Le problème n'est donc pas à Matignon mais à l'Élysée.
Quand le Président tirera-t-il enfin les leçons de l'année écoulée pour proposer une autre méthode de Gouvernement qui repose sur l'anticipation, la concertation et la transparence ?
Monsieur le député, vous admettrez que je ne partage pas tout à fait votre diagnostic sur la façon dont cette crise sanitaire est gérée. Effectivement, elle dure trop longtemps. Toutefois ce n'est pas le cas uniquement en France mais aussi en Europe et même partout dans le monde. Vous avez évoqué le premier confinement, instauré il y a un an. Or vous n'êtes pas sans savoir que l'Italie vient de décider d'un nouveau reconfinement.
Vous avez parlé de transparence. L'Assemblée nationale comme le Sénat le savent très bien : nous rendons compte en permanence de notre action. Jamais autant de données n'ont été rendues publiques sur les sites des ministères. La transparence est non seulement un devoir vis-à-vis de nos concitoyens mais aussi un outil de pédagogie et de connaissance de la crise.
La concertation et la territorialisation – je me permets d'aborder ces deux questions en même temps – sont au coeur de notre action, partout et à chaque instant.
Où que j'aille sur le terrain – et Dieu sait si je m'y rends – je vois des élus et des maires à la manoeuvre avec le préfet et les autres représentants locaux de l'État.
Vous avez parlé de désorganisation de la vaccination. Or ce n'est pas du tout ce que je constate sur le terrain. Tout le monde, dans un cadre concerté et transparent, fait le maximum d'efforts ; c'est à l'honneur de notre pays.
MM. Rémy Rebeyrotte et Erwan Balanant applaudissent.
Vous êtes revenu une nouvelle fois sur les chiffres de la vaccination. Dès lors que nous disposons des doses commandées par la Commission européenne, la stratégie vaccinale se déroule normalement, dans les conditions que j'ai exposées ici même en décembre, c'est-à-dire en privilégiant les personnes qui risquent de développer les formes les plus graves du virus, susceptibles de conduire à leur hospitalisation.
Non, ce n'est pas en stigmatisant la façon dont cette crise sanitaire est gérée que nous redonnerons confiance à nos concitoyens. Posons les choses. Retroussons-nous tous ensemble les manches pour faire face à cette pandémie qui dure. Telle a toujours été et telle restera la ligne de conduite du Gouvernement.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et Dem.
Ma question s'adresse à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Monsieur le ministre, la stratégie vaccinale de la France est claire. L'objectif est de vacciner tous les adultes qui le souhaitent avant la fin de l'été. Aujourd'hui plus de cinq millions de Français ont reçu une première dose de vaccin. Je souhaite saluer la mobilisation de tous les acteurs, les professionnels de santé, les collectivités et les services de l'État, tous ceux qui s'engagent chaque jour pour que cette ambition se réalise.
Cette stratégie visant à vaincre le covid-19 repose sur la confiance des Français dans la science et dans la vaccination. Mais la confiance n'exclut pas la prudence. Hier, le Président de la République a annoncé la suspension, à titre préventif, du vaccin AstraZeneca en France, une décision prise également dans d'autres pays européens.
Une suspicion de complication est en effet apparue chez des patients ayant reçu une injection de ce vaccin. Aucun lien de cause à effet n'a pour l'instant été établi car les pathologies dont il est question sont plutôt fréquentes. Alors que nous attendons l'avis de l'Agence européenne du médicament, rendu jeudi prochain, pouvez-vous s'il vous plaît nous éclairer sur les motifs de cette décision du Président de la République ?
J'ajoute que ce vaccin est au coeur de notre stratégie puisque des millions de doses étaient attendues dans les prochains mois, correspondant à plus de 100 000 injections par jour. Quelles sont les conséquences de cette suspension sur le rythme actuel de la vaccination ? Si elle venait à durer, quelles seraient les conséquences sur la stratégie vaccinale du Gouvernement ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Plusieurs questions se posent concernant le vaccin AstraZeneca. Nous savons tout d'abord qu'il est très efficace pour limiter les risques de formes graves du virus. Il représente donc un outil précieux dans le cadre de notre stratégie vaccinale, vous l'avez dit.
Nous déplorons cependant qu'à plusieurs reprises le laboratoire n'ait pas respecté les engagements qu'il avait pris avec les pays de l'Union européenne en matière de livraison de doses.
C'est parce que vous avez mal négocié ! Ne cherchez pas de bouc émissaire pour masquer votre incompétence !
Pour ne rien vous cacher, les doses qui doivent arriver au cours des trois prochaines semaines sont infinitésimales – je pèse mes mots – par rapport à l'engagement pris.
Ce vaccin reste néanmoins, de fait, très précieux dans le cadre de notre stratégie. Les pharmaciens, les médecins, les infirmiers, les sages-femmes en centres l'utilisent. Nous avons donc besoin de ce vaccin dont les arrivages vont augmenter au fil des semaines et des mois.
La pharmacovigilance fonctionne de la façon suivante : toute personne subissant des effets indésirables, en France comme partout en Europe, peut en faire état auprès de son Agence du médicament nationale. Lorsque des effets indésirables, même en petit nombre, sont colligés par différents pays européens, un système d'alerte est déclenché au niveau de l'Agence européenne du médicament, laquelle peut alors décider de diligenter, ou non, une enquête scientifique pour savoir si la qualité du lot est correcte, s'il peut exister un lien entre la vaccination et la survenue des effets indésirables et pour estimer ensuite, en transparence et en conscience, si la balance entre les bénéfices et les risques du vaccin reste favorable.
En réalité, l'Europe nous a déjà donné la réponse à cette dernière question : c'est oui. Dès lors, pour savoir si nous devions changer quelque peu la cible en matière de vaccination par AstraZeneca, deux possibilités s'offraient à nous : ou bien nous attendions les conclusions des scientifiques de l'Agence européenne du médicament – qui devraient être connues ce jeudi – ou bien nous faisions le choix de suspendre la vaccination pendant quarante-huit heures, le temps de s'assurer que nous disposions de toutes les données scientifiques nous permettant de dire, en confiance, aux différentes populations concernées qu'elles pourraient bien se faire vacciner.
Mon voeu le plus cher, en tant que ministre mais aussi en tant que citoyen, médecin, Français et Européen, est que nous puissions relancer cette campagne. Si les conditions sont réunies et si l'Agence européenne du médicament et les agences nationales nous disent que nous pouvons y aller, alors nous dirons aux Français qu'ils peuvent y aller.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – M. Bruno Millienne applaudit également.
Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de la relance, je veux vous parler aujourd'hui de l'industrie du monde de demain, celle qui mêle exigence environnementale, responsabilité et utilité sociale, qui produit intelligemment dans le souci de l'économie de la ressource et qui respecte notre environnement et les salariés en répondant à de réels besoins exprimés par nos territoires.
Cette industrie de demain est incarnée par le site de Chapelle-Darblay, situé près de Rouen. Cette papeterie – la seule en France à produire du papier journal recyclé – assurait le recyclage du papier de près de la moitié du pays. Elle est actuellement fermée.
Sommes-nous – ou plutôt êtes-vous – prêts à brûler ou à enfouir de nouveau ces déchets, alors même que nous discutons en ce moment d'un projet de loi sur le climat ? Chapelle-Darblay peut aussi être un formidable outil énergétique et écologique, sa chaudière biomasse étant capable de chauffer l'équivalent d'une ville de 20 000 habitants. C'est le modèle de ce qu'il nous faudra accomplir pour réussir la transition écologique et pour conserver des emplois qualifiés sur nos territoires.
Et pourtant Chapelle-Darblay risque de ne pas rouvrir. Nous en connaissons les raisons : compétitivité, gains de productivité ou encore concurrence mondialisée exacerbée. Il est aujourd'hui moins cher de couper du bois à l'autre bout de la planète pour produire du papier que d'utiliser du papier recyclé parce que l'on ne prend pas en compte le coût environnemental total.
Mme Valérie Rabault applaudit.
Une autre voie consiste à favoriser les outils industriels vertueux qui conjuguent respect de l'environnement et souci d'une économie solidaire qui se caractérise par le développement de partenariats avec des entreprises d'insertion.
Monsieur le ministre, ma question est simple. Comment comptez-vous répondre à cette mobilisation exemplaire des salariés, des élus et des forces vives du territoire ? Comment comptez-vous faciliter une solution de reprise et sécuriser l'arrivée d'un futur repreneur ? Comment comptez-vous réellement engager l'État pour notre environnement et pour notre territoire ?
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.
Vous m'interrogez sur la transition écologique et industrielle, sur les moyens que nous lui consacrons et sur la préservation de l'emploi dans les territoires dans un tel contexte.
Nous portons tous, vous le savez, une attention particulière aux territoires à l'heure où nous donnons des moyens sans précédent à cette transition, notamment dans le cadre du plan de relance. Vous examinez d'ailleurs en ce moment les mesures prévues par le projet de loi « climat et résilience ».
Dans ce cadre nous trouvons les moyens permettant aux filières, dans les territoires, de mener une transition devenue indispensable.
D'autre part, nous avons un devoir de cohérence entre les différences politiques publiques. Lorsque nous accompagnons la transition de certains secteurs, nous devons le faire en nous orientant vers des filières plus pérennes.
Nous consacrons donc des moyens financiers sans précédent à l'accompagnement de cette transition. Notre volonté est partagée par les élus des collectivités qui se rassemblent et savent s'affranchir des postures afin d'accompagner les filières concernées. La responsabilité qui nous incombe n'est pas de faire perdurer des modèles qui ont parfois montré leurs limites mais d'être créatifs en inventant, pour ces filières, les modèles de demain.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Je suis extrêmement déçu par votre réponse, qui se résume à des paroles. J'attendais des actes. Nous avons jusqu'au mois de juin pour trouver une solution, nous ne pourrons nous contenter de mots.
Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'État chargée de l'éducation prioritaire.
Depuis la rentrée de septembre, les enfants n'ont jamais cessé d'aller à l'école. Tout a été fait, au niveau du protocole sanitaire comme de la mobilisation des personnels, pour que les classes restent ouvertes.
Je veux saluer cet engagement car l'accès à l'éducation est une nécessité absolue. Notre pays ne connaît que trop l'impact désastreux de la déscolarisation sur l'apprentissage de l'élève mais aussi sur sa vie quotidienne, en particulier dans les familles les plus précaires.
Il y a la scolarité elle-même mais il y a aussi tout ce que celle-ci apporte en matière de lutte contre les inégalités. Ce matin, nous étions d'ailleurs ensemble, madame la secrétaire d'État, avec également le maire Jean-Louis Marsac, dans une école de Villiers-le-Bel, à l'heure du petit-déjeuner.
Dans nos quartiers, vous avez en effet instauré la distribution gratuite du premier repas de la journée pour tous les élèves. Ce dispositif est bénéfique pour des enfants qui arrivent souvent mal nourris, qui ne mangent pas forcément à leur faim à la maison et ont besoin d'un vrai repas pour être concentrés sur l'apprentissage scolaire.
Ce temps du petit-déjeuner est d'ailleurs mis à profit par les enseignants – nous l'avons constaté ce matin – pour faire également de la pédagogie mais aussi, avec l'aide de nutritionnistes, pour favoriser une alimentation plus équilibrée.
La crise sanitaire a malheureusement ralenti l'application de cette mesure dans tous les territoires prioritaires. Cette distribution a pourtant fait la preuve de son efficacité. Madame la secrétaire d'État, que prévoyez-vous pour relancer au plus vite le déploiement de cette initiative dans les écoles ?
Plus largement, la crise sanitaire s'est transformée en crise sociale pour de nombreux foyers modestes. Nos quartiers pâtissent de la fermeture de toutes les structures hors temps scolaire et de toutes les activités extrascolaires, souvent assurées par les municipalités, laissant notre jeunesse sans encadrement, sans temps de convivialité ou de loisir.
Cette absence est créatrice de tensions, les flambées de violences qui agitent régulièrement nos quartiers ces dernières semaines étant le fait d'individus de plus en plus jeunes, justement livrés à eux-mêmes hors de l'école.
Madame la secrétaire d'État, je sais que nous partageons la même préoccupation pour ces quartiers et voulons à tout prix offrir une perspective à notre jeunesse. Quelles mesures prévoyez-vous pour les plus jeunes dans ces territoires ? Lorsque la réouverture des structures extrascolaires sera possible, comment envisagez-vous de les accompagner et de faciliter les recrutements pour qu'elles touchent un public de plus en plus nombreux ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.
La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de l'éducation prioritaire.
Nous étions en effet ce matin ensemble à Villiers-le-Bel, avec Olivier Véran, Jean-Michel Blanquer et Adrien Taquet pour annoncer le nouveau déploiement de la mesure « petit-déjeuner gratuit », lancée en 2019 et qui a été stoppée du fait du confinement. En présentant cette nouvelle ambition, nous avons souhaité anticiper et répondre aux conséquences de la crise sanitaire qui frappe bien sûr plus durement les plus fragiles. Tout d'abord, je rappelle que cette mesure concerne l'ensemble de nos élèves, de la petite section au CM2 car, si jusqu'alors elle était appliquée aux élèves scolarisés en éducation prioritaire, nous allons dorénavant l'élargir aux écoles hors éducation prioritaire qui accueillent des élèves socialement fragiles. Et puis, s'il était auparavant question de distribuer un ou deux petits-déjeuners, nous souhaitons, là encore pour répondre à cette crise, pouvoir en distribuer tous les jours si le besoin s'en fait sentir.
Pour y parvenir, nous joignons à l'ambition que j'évoquais le volontarisme puisque l'État s'engage fortement pour cette mesure en augmentant sa dotation de 30 %, passant d'un euro par petit-déjeuner à 1,30 euro depuis septembre dernier – le prix moyen constaté d'un petit-déjeuner étant de 1,20 euro et de 2 euros en outre-mer. Nous allons évidemment mobiliser l'ensemble de la communauté éducative, mais également les élus, à qui je tiens à dire que nous privilégions deux mots pour la réussite de cette mesure : souplesse et pragmatisme, car c'est ainsi qu'ils pourront s'emparer de cette mesure dès maintenant ou à la rentrée prochaine, comme ils le souhaitent, en fonction des besoins identifiés et de leurs moyens.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem.
Ma question s'adresse à Mme la ministre de la culture.
Madame la ministre, la culture est essentielle. Un corps social privé de culture meurt car elle est une alimentation vitale comme les autres, et qu'elle s'adresse à l'esprit et non à l'estomac n'enlève rien à son caractère impératif. Elle porte en elle toute notre humanité ; culture et liberté sont deux facettes de cette humanité consciente, la culture étant l'antidote absolu contre les obscurantismes et sachant qu'il n'est pas de liberté sans culture.
Or depuis le mois de décembre et l'ouverture des salles de spectacle au public ailleurs en Europe, notamment à Barcelone, je vous interpelle pour qu'il soit procédé de la même façon ici, en France, avec un protocole sanitaire adapté. À la révolte qui gronde dans les théâtres occupés, vous répondez : « Inutile et dangereux. » Vous n'avez pourtant qu'une seule solution, madame Bachelot : rouvrir de toute urgence les lieux culturels. Déconfinez la culture !
Il est temps de reconnaître aux serviteurs de la culture une place aussi essentielle dans la société qu'à la culture elle-même. Depuis un an, celles et ceux qui donnent du sens à nos vies s'enfoncent dans la pauvreté ! Ils vous attendent ! Annoncez maintenant l'octroi d'une nouvelle année blanche pour les intermittents
Applaudissements sur les bancs du groupe FI
et, mieux encore, abandonnez cette réforme de l'assurance chômage qui précarise tous les professionnels dont le travail discontinu est l'essence même de leur action, qu'ils soient intermittents, saisonniers ou extra.
Madame la ministre, l'art est subversif, c'est sa raison d'être et ainsi il a participé à l'évolution de nos sociétés. Derrière la nudité de Corinne Masiero, …
Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LaREM et LR
… vous ne retenez que l'image alors qu'il faut y voir le symbole d'une culture que vous déshabillez tous les jours un peu plus !
Mêmes mouvements.
Vous n'avez jamais habité le rôle, madame Bachelot… Est-il toujours pertinent que vous endossiez le costume de ministre de la culture ?
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Je peux parfaitement être d'accord, monsieur le député, avec vos premières définitions de la culture et ce que vous dites sur son aspect essentiel en tant que créatrice d'identité, d'existence et de substance, mais le Gouvernement a-t-il été absent du soutien à la culture dans cette épidémie terrible, dans cette tragédie que nous vivons ?
Nous avons soutenu les artistes, les créateurs, apporté 7 milliards d'euros à la culture pendant l'année 2020, soit 2 milliards d'euros supplémentaires.
Et, dans cette crise qui mobilise un certain nombre de syndicalistes et de jeunes sur des lieux de culture, nous apportons des aides supplémentaires : c'est ainsi que le Premier ministre a décidé de 100 millions supplémentaires,
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem
dont 30 millions de soutien aux festivals, 20 millions pour les répétitions, 15 millions pour les créations et 17 millions pour soutenir, dans le cadre du FUSSAT – le fonds d'urgence spécifique de solidarité pour les artistes et les techniciens du spectacle – , les artistes qui ne pouvaient pas émarger au titre de l'intermittence. J'ajoute qu'une mission a été confiée à André Gauron sur la situation des intermittents.
Il va rendre ses conclusions le 31 mars, soit dans quinze jours, et je peux déjà vous dire que nous n'établirons pas une protection des intermittents au rabais. Je le leur ai promis et je tiendrai cette promesse !
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem.
Ma question s'adressait à M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation car nos campagnes s'embrasent ; dans le Cantal, dans le Massif Central, dans tous les départements d'élevage allaitant, nos éleveurs bovins crient leur colère et leur désespoir dans une violence qui monte un peu plus chaque semaine. Comment ne pas comprendre en effet leur émotion, …
… sachant que trois ans après le lancement des EGA, les états généraux de l'agriculture, le constat est sans appel : …
… les éleveurs de bovins de race à viande ont perdu 30 % de leurs revenus, de 12 000 euros par an en 2018 à moins de 700 euros par mois, 2 000 exploitations ferment leurs portes chaque année.
Étant moi-même éleveur, je dirai avec beaucoup de gravité au ministre s'il était présent que ce n'est pas une nouvelle déclaration d'amour de la part de leur ministre qu'attendent les producteurs, non plus qu'un énième plan d'urgence, mais un oui clair pour leur garantir des prix couvrant leurs coûts de production. C'était la promesse des EGA : nous savons désormais que c'est un échec cuisant ! C'est un oui clair qu'ils attendent de sa part pour leur permettre de ne rien perdre des soutiens de la PAC…
… car il n'y a pas qu'un secteur de production et des emplois à sauver, mais aussi des pratiques agricoles en modèle d'élevage durable qui stockent du carbone et qui préservent la biodiversité, …
… très loin des fermes brésiliennes, très loin de ses usines de 32 000 bovins, encouragées malheureusement par les accords de libre-échange.
« Eh oui ! » sur quelques bancs du groupe LR et parmi les députés non inscrits.
Il ne peut pas plus longtemps crier sa fierté du modèle d'élevage à la française et son amour des éleveurs tout en les abandonnant aux seules lois d'un marché mondial.
Que va faire concrètement le ministre de l'agriculture et de l'alimentation pour que nos éleveurs ne disparaissent pas définitivement de nos territoires ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LR – MM. André Chassaigne et Jérôme Lambert applaudissent aussi.
La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement.
Je vous prie d'excuser l'absence de mon collègue Julien Denormandie qui est à l'isolement en tant que cas contact. Il aurait évidemment souhaité pouvoir vous répondre.
La crise a touché tous les secteurs et nos agriculteurs en particulier. Je veux rendre hommage, une nouvelle fois, à tous les acteurs de la chaîne agro-alimentaire qui ont traversé toutes les épreuves durant cette crise…
… pour permettre aux Français de continuer à se nourrir en parvenant à ce que la chaîne ne se brise pas pendant cette crise que nous connaissons depuis un an. Je les remercie au nom du Gouvernement pour cet engagement exceptionnel. Vous l'avez dit, la crise sanitaire a accentué les difficultés de nos éleveurs, plongeant certains dans une extrême précarité. Et l'enjeu, c'est d'abord de répondre à l'urgence. Voilà pourquoi le Premier ministre a annoncé le 6 mars dernier, dans la Creuse, terre d'élevage, une aide exceptionnelle de 60 millions d'euros à destination des éleveurs en difficulté, et elle leur sera versée avant l'été.
À terme, il s'agira aussi et surtout de garantir la pérennité de notre agriculture et des entreprises qui en dépendent. C'est pourquoi cette assemblée a voté en 2018 la loi EGALIM – loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous – qui, clairement oui, rebat complètement les cartes en faveur de nos agriculteurs et de nos éleveurs.
Mais, vous le savez bien, le chemin est long pour changer une situation qui dure depuis plusieurs décennies. Le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a entrepris un dialogue franc et direct avec l'ensemble des acteurs, il est en lien constant avec eux depuis l'été dernier ; six réunions du comité de suivi des négociations commerciales se sont déjà tenues, une mission a été confiée à M. Serge Papin pour dresser le bilan des premières années d'application de la loi, plusieurs décisions très fortes ont d'ores et déjà été prises, notamment le renforcement de la médiation et la multiplication des contrôles pour que la loi EGALIM soit parfaitement appliquée.
La situation est évidemment difficile, mais, vous le voyez, nous disposons d'une loi très ambitieuse : il faut maintenant qu'elle soit parfaitement appliquée partout, à tous les endroits de la chaîne, ce à quoi nous nous attaquons.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Les agriculteurs ne veulent plus d'aumône ! Ils veulent des actes ! Ils veulent vivre de leur métier décemment !
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR et parmi les députés non inscrits. – M. Sébastien Jumel applaudit également.
Ma question s'adresse à Roselyne Bachelot, ministre de la culture.
Madame la ministre, notre secteur culturel renforce aussi bien notre esprit que notre rayonnement artistique à l'international ; ses lieux d'expression, d'échange, de rêve, de plaisir et parfois même de contestation, sont la fierté culturelle d'une ville et d'un territoire.
Mais, depuis presque un an, l'opéra, le cinéma, les galeries d'art, les festivals et, plus largement, l'ensemble du monde de la culture traversent une crise inédite qui a déjà ébranlé nombre de ses acteurs, et ce malgré 7 milliards d'euros d'aides en 2020. Ce moment critique est aussi décisif et le Gouvernement doit répondre à l'attente immense qui se fait ressentir chez les professionnels du secteur culturel. Leur inquiétude est palpable encore maintenant : ne la laissons pas céder la place au désespoir.
Vous le savez, c'est une problématique qui m'est chère, car dans ma circonscription, le festival d'Avignon, la plus grande manifestation de théâtre et plus largement de spectacles vivants au monde, est l'incarnation de notre belle ville du Vaucluse. Mais aujourd'hui, de trop nombreuses inquiétudes demeurent quant à son édition 2021, à son modèle et à son protocole. Je peux en témoigner puisque nombre de professionnels ont manifesté dans ma ville leur émoi face au risque d'annulation. Et même si je travaille en permanence avec les élus, le préfet, que je salue, et les professionnels, pour ensemble trouver des solutions, même si, madame la ministre, les annonces récentes du 18 février et du 11 mars ont été une preuve supplémentaire de la mobilisation du Gouvernement auprès du monde de la culture, les protocoles de réouverture permettront-t-ils une reprise des activités au cours du deuxième trimestre 2021 ? Un accompagnement économique exceptionnel va-t-il être proposé pour soutenir nos festivaliers dans la préparation de ces événements ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Nous avons travaillé d'arrache-pied pour permettre une réouverture des manifestations culturelles, en particulier des festivals au cours du deuxième trimestre 2021. J'ai transmis au Premier ministre les protocoles que vous évoquez. C'est évidemment extrêmement important car ils concernent les musées, les théâtres, les cinémas mais aussi les festivals. Je suis convaincue que nous aurons des festivals au printemps et cet été.
Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes LaREM et Dem.
Et mon ministère sera en soutien de toutes ces manifestations, en particulier s'agissant du festival d'Avignon, l'une des manifestations les plus emblématiques de la culture française et dont l'importance est extrême. Il s'agit donc de les soutenir dans ce processus d'adaptation à des protocoles eux-mêmes à adapter. S'agissant des festivals, le Premier ministre a d'ores et déjà dégagé un fonds de 30 millions d'euros. Certains d'entre eux, je pense en particulier à ceux où les spectateurs sont debout – ce qui ne concerne pas le festival d'Avignon – ne pourront pas se tenir pour des raisons sanitaires évidentes, mais nous les dédommagerons bien sûr.
L'ensemble des questions déjà posées sur tous les bancs ont bien montré à quel point l'impact de cette pandémie était important et suscitait de nombreuses interrogations.
Oui, le monde la culture est vivant dans notre pays. Et nous le soutenons !
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
Monsieur le Premier ministre, à un an de l'élection présidentielle, la nomination, il y a quelques jours, d'un proche du chef de l'État à la tête du service politique de France Télévisions a suscité une surprise et un émoi bien légitime.
Je ne remets pas en cause le journaliste choisi ou ses qualités, lui qui se vante d'échanger par SMS à propos de The Voice avec le Président de la République le samedi soir.
Cependant, je m'interroge sur le timing de cette nomination hautement politique, qui intervient à quelques mois d'un rendez-vous démocratique tant attendu. Ce changement est d'autant plus surprenant que les équipes en place à la rédaction politique n'ont pas démérité et que leur professionnalisme ne peut être remis en cause.
Le Gouvernement ou l'exécutif a-t-il interféré dans cette nomination ? Ou serait-ce une volonté de la direction de France Télévisions de vouloir trop bien faire ? Les Français sont en droit de se poser la question. Dans un cas comme dans l'autre, cette nomination laisse planer un doute – voire inspire quelques soupçons – sur l'indépendance du service public.
Cela ne sert ni le Président de la République ni France Télévisions, dont la direction devrait davantage se préoccuper de la défense de France 4 – chaîne directement menacée, et pourtant essentielle pour la culture des plus jeunes – ou de la qualité des programmes du service public. Que de tambouilles internes dans l'optique des présidentielles !
Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous rassurer quant à l'indépendance du service politique de France Télévisions et lever les doutes sur cette nomination ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Je peux vous rassurer concernant l'indépendance du service public de la télévision : …
… le Gouvernement n'a interféré en aucune manière dans la nomination de M. Cyril Graziani.
Ce dernier a été nommé à la tête du service politique de France Télévisions par la direction générale. Il s'agit d'un journaliste, enquêteur et grand reporter parfaitement connu pour son intégrité et ses qualités professionnelles.
Très longtemps journaliste à France Inter, il travaille depuis huit mois sur la chaîne France Info, diffusée sur le canal 27 de la télévision numérique terrestre.
En outre, je vous indique que le respect du pluralisme, de la pluralité de l'information et de l'impartialité de celle-ci font bien entendu l'objet de toute la vigilance de la direction générale de France Télévisions…
… et, surtout, du Conseil supérieur de l'audiovisuel, garant de l'indépendance du service public de l'information. J'ai toute confiance en M. Cyril Graziani pour remplir, avec le maximum de ses qualités professionnelles, la tâche qui lui est confiée. Je relève qu'il a reçu le soutien du Syndicat national des journalistes de France Télévisions, syndicat de journalistes majoritaire au sein de France Télévisions.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
Madame la ministre, votre réponse ne parvient pas à masquer votre embarras
Sourires sur les bancs du groupe LR. – Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
France Télévisions appartient à l'ensemble des Français, et doit parler à chacun d'entre eux en faisant preuve, d'abord et avant tout, de loyauté à leur égard, et non envers le pouvoir en place.
Cela n'est ni digne de sa mission ni acceptable dans une démocratie comme la nôtre.
Prenez garde à ne pas laisser perdurer une situation ou des pratiques qui jetteraient le discrédit sur le service public, surtout à un an des élections présidentielles.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Monsieur le Premier ministre, entre 2019 et 2020, la Polynésie a vu son nombre de touristes divisé par trois. Au vu de la décision récente de l'État de fermer nos frontières, 2021 sera sans doute la pire année depuis très longtemps, voire depuis toujours, pour le tourisme en Polynésie. La moitié des grands hôtels sont fermés.
La compagnie aérienne de la collectivité, Air Tahiti Nui, demande de l'aide depuis près de deux ans. Elle bénéficie bien sûr des dispositifs classiques accessibles à toutes les entreprises, mais l'activité aéronautique requiert bien davantage, vous le savez, en raison de sa nature même. Sept milliards d'euros ont été débloqués pour Air France, 136 millions pour Corsair, mais pas un franc pour Air Tahiti Nui !
Dans le même temps, nous apprenons qu'au mois de juin, la France va envoyer trois Rafale, deux Airbus A330 Phénix et un Airbus A400M Atlas survoler Tahiti. Le coût de cette belle opération commerciale, baptisée mission Heiphara, est estimé à 4 millions d'euros, au bas mot.
Monsieur le Premier ministre, que comptez-vous faire pour aider la compagnie Air Tahiti Nui, essentielle pour le secteur touristique de la Polynésie ? Si l'opération Heiphara est maintenue, il est à craindre que ces beaux Rafale et Airbus ne survolent des hôtels morts et des avions d'Air Tahiti Nui cloués au sol.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – M. Alain David applaudit également.
Les compagnies aériennes, de même que l'ensemble du secteur touristique, sont en effet violemment touchées par la crise sanitaire. Nous avons déployé des moyens sans précédent pour soutenir la filière aéronautique et, plus généralement, le secteur aérien, atout indéniable pour tous. Il s'agit de préserver 1,1 million d'emplois directs et indirects et de former des pôles d'activité, élément clé pour ce secteur, premier secteur français en matière d'exportations. Ces moyens doivent répondre à la baisse de 70 % du trafic aérien et soutenir les chaînes de production de la filière.
Il fallait d'abord gérer la crise. Vous l'avez dit, toutes les compagnies, de même que les donneurs d'ordre, les sous-traitants, les TPE et les PME, bénéficient des mesures de droit commun : les dispositifs de chômage partiel, les prêts garantis par l'État et les aides du fonds de solidarité. En outre, des mesures spécifiques ont été prises en faveur du secteur aérien : les prêts garantis par l'État « Aéro », des commandes de l'armée et de la gendarmerie, plusieurs fonds de modernisation qui tendent à soutenir la filière.
Les besoins en matière de gestion de stocks, d'activité partielle de longue durée et de fonds propres ont également trouvé une réponse. Nous continuerons à apporter cette aide si nécessaire.
Air Tahiti Nui est détenue à 84 % par le gouvernement de Polynésie, ce qui impose des contraintes spécifiques pour l'accompagnement que nous pouvons proposer. Ses pertes de l'année 2020 ont pu être couvertes. L'évaluation des besoins en fonds propres pour 2021 est en cours de finalisation.
Le ministre délégué chargé des transports, le ministre des outre-mer et le ministère de l'économie, des finances et de la relance échangent régulièrement avec l'ensemble des acteurs concernés. Bpifrance est également très impliquée.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et Dem.
Je n'ai entendu aucun chiffre concernant spécifiquement Air Tahiti Nui, madame la secrétaire d'État. Ma question reste donc sans réponse. Je pense qu'en juin prochain, les Polynésiens regarderont passer les Rafale avec un mélange d'incrédulité et de fatalisme.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – M. Gérard Leseul applaudit également.
Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Je tiens à relayer un appel au secours d'un restaurateur de Strasbourg, qui s'appelle Grégory. D'une phrase, je commencerai par dire que le fonds de secours, qui bénéficie à tant de restaurateurs, est un dispositif unique, remarquable, massif et, peut-être, inégalé dans le monde.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et LaREM.
Je suis fier d'appartenir à une majorité qui soutient l'économie comme elle le fait.
Cependant, Grégory n'a pas le droit au fonds de secours.
En septembre dernier, il a dépensé avec son épouse les économies d'une vie pour acheter le fonds de commerce d'un restaurant. S'il avait acheté les parts d'une entreprise, il aurait bénéficié d'une aide du fonds de secours, basée sur le chiffre d'affaires de son prédécesseur. Mais comme il a acheté un fonds de commerce, il n'a droit à rien.
Ses coûts fixes s'élèvent à 4 000 euros par mois, et il ne bénéficie, à ce jour, d'aucune aide. Il appelle donc au secours, et je relaie son appel. Nous avons échangé à de nombreuses reprises à ce sujet avec les équipes de Bruno Le Maire. En février, j'ai organisé une table ronde avec Alain Griset, ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises, à laquelle ont participé une trentaine de restaurateurs strasbourgeois. Je le remercie très sincèrement ; il a évoqué quelques pistes, afin de trouver une solution. Je connais les difficultés techniques, qui sont réelles.
Le groupe Dem a proposé plusieurs pistes de réflexion : autoriser le préfet à agir par dérogation ; utiliser les données relatives au chiffre d'affaires saisies lors de l'enregistrement des ventes de fonds de commerce ; déléguer l'aide aux régions. Les difficultés sont réelles, je l'ai dit. Malgré les travaux que nous menons, Grégory n'a encore aucune aide et, mois après mois, il sombre.
Nous tenons l'engagement présidentiel du « quoi qu'il en coûte » ; il nous faut maintenant tenir celui du « personne ne restera au bord de la route ». Pourrons-nous trouver une solution, avant qu'il ne soit trop tard, pour Grégory et les autres professionnels du secteur des CHRD – cafés, hôtels, restaurants et discothèques – qui sont dans sa situation ?
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et LaREM. – M. Olivier Becht applaudit également.
La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable.
Monsieur Waserman, vos mots sont justes et je sais votre implication auprès des acteurs du territoire alsacien, dans lequel je me suis rendue le 12 février dernier. J'ai eu l'occasion d'échanger avec vous sur ces sujets, et je veux être très claire : soyez assuré de la mobilisation pleine et entière du Gouvernement ; au nom de Bruno Le Maire, je peux vous dire que nous sommes en ce moment même, notamment cet après-midi, en train de chercher une solution et que nous allons en trouver une.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem.
Nous avons, il est vrai, plusieurs sujets à traiter. Si le fonds de solidarité est un outil fantastique qui convient à la majeure partie des entreprises, il n'est cependant pas adapté à certains cas plus spécifiques, comme celui de Grégory, qui a récemment créé une nouvelle entreprise en achetant un fonds de commerce.
Je pense aussi à la polyactivité et aux acteurs de la ruralité et de la montagne, en faveur desquels mon collègue et ami Joël Giraud se mobilise.
Au-delà de Bruno Le Maire, d'Alain Griset et de la direction générale des entreprises, c'est tout Bercy qui se mobilise pour trouver une solution à cette situation particulière. Nous sommes confrontés, vous l'avez dit, à la difficulté suivante : comment compenser la perte de chiffre d'affaires d'une entreprise qui n'a jamais réalisé de chiffre d'affaires ? C'est une question qui mérite d'être traitée et qui devrait intéresser tout le monde.
Nous sommes au travail pour apporter une réponse. Nous sommes conscients qu'il existe encore des trous dans la raquette et, surtout, que ces situations concernent des femmes et des hommes qui ont pris leur risque. Nous serons à la hauteur. Quand ? Sachez que nous faisons tout pour aller le plus vite possible et apporter une réponse à Grégory.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et Dem.
Madame la secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable, ma question concerne le maillage des services de La Poste sur le territoire national, plus particulièrement dans ma circonscription du Médoc. L'attachement à la présence des services postaux y est fort, grâce à un fabuleux secrétaire d'État aux postes et télécommunications, Aymar Achille-Fould.
Dans la commune de Margaux, le bureau de poste est ouvert moins de trois heures par semaine ; à Ludon-Médoc, c'est moins de six heures. À Avensan, l'agence postale a disparu, tandis qu'à Lacanau, un bureau de poste a été supprimé et les services proposés ont été réduits.
Dans la commune de Listrac-Médoc, les distributeurs automatiques de billets n'ont pas été remplacés. Oui, c'est l'oraison funèbre des services postaux que je prononce ici !
Ce qui se passe dans le Médoc, on le constate sur tout le territoire national. Bien entendu, j'ai interpellé le PDG du groupe La Poste, notamment en commission des finances. Il a toute ma sympathie, mais répond invariablement qu'il existe toujours un maillage serré de la présence postale sur le territoire.
On ne cesse de supprimer des bureaux, mais La Poste serait toujours présente ; c'est une sacrée prouesse !
Chacun d'entre nous sait ce que représente La Poste dans nos territoires. Par son histoire, elle est liée à l'imaginaire de notre pays. La Poste, c'est le territoire et le service de proximité.
Qu'on le veuille ou non, les agences qui disparaissent, c'est l'État qui retire des services publics du territoire. Certes, La Poste n'est plus une entreprise publique, mais les populations n'ont pas cette perception. Lorsqu'un bureau de poste réduit ses horaires d'ouverture, c'est autant de personnes qui sont obligées de rallonger leur trajet ou de se réorganiser pour envoyer du courrier ou effectuer des opérations financières – au détriment du développement durable qui fait tant couler d'encre en ce moment.
Madame la secrétaire d'État, je demande au Gouvernement d'engager des discussions avec La Poste afin d'inverser les politiques de rationalisation appliquées actuellement et de fixer une nouvelle stratégie.
Applaudissements sur les bancs du groupe LT. – M. Hubert Wulfranc applaudit également.
La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable.
Monsieur Simian, je souhaite d'abord vous remercier pour votre question, qui nous permet à tous de saluer l'engagement sans faille des agents de ce grand service public qu'est La Poste. Dans la période que nous traversons depuis un an, les femmes et les hommes qui y travaillent n'ont pas ménagé leurs efforts.
Dans ce contexte difficile, La Poste a dû procéder à une redéfinition très rapide de ses priorités et mettre en place des solutions d'urgence, tout en assurant la continuité du service postal dans des conditions respectant les règles de confinement, ce qui n'était pas chose aisée.
Le Gouvernement a évidemment été très attentif à ce que La Poste continue d'assurer les services essentiels à la vie quotidienne de nos concitoyens, en particulier le versement des prestations et le retrait d'espèces. Depuis le début de la crise, La Poste a assuré chaque mois le versement des prestations sociales au 1,5 million d'allocataires clients de la Banque postale. En outre, les retraits de dépannage en agence postale communale ont été facilités, leur montant ayant été porté de 350 à 500 euros. La Poste a ainsi maintenu les services aux populations les plus fragiles et isolées.
Au lendemain du premier confinement, La Poste a rétabli la plupart de ses prestations dans des conditions proches de la normale. Ces adaptations ont été possibles parce que La Poste est bel et bien un service public de haut niveau.
Elle est toutefois confrontée à des enjeux particuliers en matière de développement numérique, comme tous les services publics, ainsi qu'à la baisse du trafic du courrier, qui entraîne une dégradation de sa situation financière. C'est la raison pour laquelle Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, a confié à Jean Launay, votre ancien collègue, une mission relative aux leviers à mobiliser pour limiter le déficit du service universel postal. Bien entendu, le Gouvernement ne manquera pas de faire part des conclusions de cette mission à la représentation nationale, d'ici à la fin du mois de mars, afin de dégager des pistes utiles dont il s'inspirera.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Ma question s'adresse à Mme Nadia Hai, ministre déléguée chargée de la ville.
Marianne Grumberg-Manago, biochimiste, découvrit une enzyme qui bouleversa la recherche sur l'hérédité. Chérif Cadi, polytechnicien, reçut la croix de guerre avec palme pour sa conduite au feu, au coeur de la Grande Guerre. Gisèle Halimi, avocate et députée, changea la vie des femmes au procès de Bobigny.
Ces noms font partie d'une liste de 318 personnalités d'origine étrangère, nées à l'étranger ou issues des outre-mer. Leur parcours est indissociable de l'histoire politique, intellectuelle, scientifique ou artistique de notre pays. Certains de ces noms sont célèbres ; d'autres nous sont familiers ; beaucoup restent inconnus.
Toutes ces femmes et tous ces hommes ont fait l'histoire de France, mais l'histoire ne leur a pas toujours accordé la place qu'ils méritaient, et les pouvoirs publics les ont souvent oubliés quand il s'agissait de baptiser une rue, une bibliothèque ou une école.
Toutes ces personnalités sont mises à l'honneur dans le recueil « Portraits de France », résultat d'un travail de grande ampleur et de longue haleine orchestré par l'historien Pascal Blanchard, dont vous avez été à l'initiative, madame la ministre déléguée.
Ne nous y trompons pas, il s'agit non pas de récrire l'histoire, mais simplement de continuer à l'écrire dans toute sa diversité, donc dans toute sa richesse. Ce recueil, c'est certain, aidera et incitera les collectivités locales à diversifier les noms de leurs rues et de leurs bâtiments publics. Cette dynamique a déjà été engagée, notamment à Metz, dans le quartier de la Grange-aux-Bois, où j'ai été à l'origine de la dénomination d'un nouveau stade en l'honneur de Yacine Cherradi, infatigable animateur sportif et héros du quotidien.
Je suis convaincu que ce recueil peut et doit nous permettre d'aller plus loin encore. Madame la ministre déléguée, ce travail s'arrête-t-il à ces 318 portraits ? Pourquoi l'avoir mené et, surtout, comment le décliner aujourd'hui dans nos territoires ?
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et GDR.
Oui, il était temps ! Il était temps que nous regardions la France telle qu'elle est, c'est-à-dire une nation une et indivisible, mais, surtout, riche de sa diversité. Nous parlons de 318 portraits de personnalités qui n'ont qu'un seul point commun : leur amour pour la France. Cet amour pour la France, elles l'ont exprimé par leur engagement, par leur art, par leur combat, qui est parfois allé jusqu'au sacrifice. Nous nous devons de les honorer.
Vous l'avez dit, un comité scientifique indépendant a rendu ses travaux et nous a remis, à Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, et à moi-même, le recueil « Portraits de France », soit 318 biographies documentées, référencées, de personnalités issues de la diversité, qui sont autant de figures importantes pour notre jeunesse, pour nos concitoyens, pour les élus auxquels nous destinons cet ouvrage, afin qu'ils s'en servent pour nommer des rues, des médiathèques, des écoles, tout ce qui fait vivre la République dans nos villes et dans nos territoires.
Lorsqu'il dit que notre histoire est la conjugaison de toutes les histoires, le Président de la République porte le message de l'unité nationale et place au centre des enjeux le débat de mémoire et de reconnaissance. L'unité nationale ne se décrète pas ; elle se construit. Le Président nous a exhortés à la construire ; le Gouvernement y travaille depuis plusieurs mois, en particulier avec le premier livret rendu par ma collègue Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants, livret qui rend hommage aux combattants d'Afrique.
C'est aussi tout le travail que conduit Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la citoyenneté, en mettant à l'honneur 109 Mariannes.
C'est également le travail que nous poursuivons au sein du Gouvernement, notamment avec ma collègue Élisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances, pour redonner une place à tous les enfants de la République autour des valeurs qui nous rassemblent, plutôt qu'autour de valeurs qui nous divisent.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Le vaccin « sera un bien public mondial ». Cet engagement était pris par Emmanuel Macron, il y a près d'un an. L'Union européenne l'a prouvé : le vaccin doit être un bien public mondial ! Dans la foulée, notre assemblée votait à l'unanimité une résolution du groupe Agir ensemble.
C'étaient les belles déclarations d'avant, avant qu'on ait le vaccin. Or maintenant qu'il est là : rien. Le président de l'Organisation mondiale de la santé réclame – il supplie ! – de renoncer à la propriété intellectuelle, aux brevets, pour augmenter la production afin de se débarrasser du virus dès que possible.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes FI et GDR.
Pour trancher cette question se tenait, la semaine dernière, une réunion de l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce. Qu'a décidé l'OMC ? Que le vaccin resterait la propriété privée des labos. Ma question est donc simple : quelle position a défendu la France ?
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes FI et GDR. – Mme Christine Pires Beaune applaudit également.
Monsieur Ruffin, croyez en la détermination de la France, depuis le premier jour, à faire du vaccin un bien public mondial. Cela présente un intérêt à la fois du point de vue humain et du point de vue sanitaire : nous avons intérêt à débarrasser la planète entière de la circulation du virus, sachant que, de fait, un certain nombre de pays n'ont pas accès au vaccin en temps et en heure, à la différence du nôtre et de l'Union européenne.
Je vous cite quelques initiatives tout à fait concrètes.
Le mécanisme COVAX, créé à l'initiative de l'Union européenne, a permis de déployer 27 millions de doses dans trente-trois pays. L'Union européenne en est l'un des principaux financeurs.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Conformément à l'engagement personnel pris par le Président de la République – Clément Beaune, secrétaire d'État chargé des affaires européennes, peut témoigner que c'est à l'initiative de la France – , la Commission européenne a introduit, dans chacun des contrats qu'elle a passés avec les laboratoires, une clause très claire précisant que le vaccin serait aussi accessible aux pays les plus pauvres qui n'ont pas la possibilité de passer les mêmes contrats.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
L'engagement du Président de la République se traduira en outre par le don de 500 000 doses par la France, en plus des initiatives européennes, d'ici au mois de juin.
Il existe des mécanismes de don de doses au niveau européen. Je pense au partenariat ACT Accelerator pour le développement des vaccins et l'accès aux doses. L'exigence de faire du vaccin un bien public mondial se lit, je l'ai dit, dans la clause d'inspiration française inscrite dans chaque contrat. L'accélération des capacités de production dans toute l'Europe…
… permettra de produire davantage de vaccins plus rapidement et d'en fournir aux pays dont le stock est faible. Vous le voyez, monsieur le député, nous agissons.
Ma question était : qu'a voté la France, la semaine dernière, à l'OMC ? Vous n'y répondez pas.
Vous ne dites pas la vérité, que Le Figaro a pourtant écrite. On peut y lire que la proposition de lever la propriété intellectuelle « est fermement combattue par l'industrie pharmaceutique appuyée par l'Union européenne ».
La vérité, c'est que vous vous faites les relais de cette industrie avant de vous préoccuper de la vie.
La vérité, c'est que vous servez les firmes avant les Français ; si nous attendons aujourd'hui les doses de vaccin de Pfizer-BioNTech et de Johnson & Johnson, c'est que vous l'acceptez.
La vérité, c'est que, demain, alors que le vaccin existe, les morts du covid-19 chez nous mais aussi dans les pays du Sud, les milliers de morts du covid-19 seront en partie les vôtres, en partie les nôtres, parce que la France n'aura pas élevé la voix, parce que la France n'aura pas dit non, parce que la France, votre France, notre France, n'aura pas fait passer les gens avant l'argent.
La vérité, c'est que le virus, ce n'était pas de votre faute, mais que, désormais, ça l'est, ça l'est un peu : vous avez refusé que le vaccin soit un bien public mondial ; vous choisissez de nous soumettre à la pénurie ; vous décidez de prolonger le tunnel, quoi qu'il en coûte.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Monsieur le député, nous sommes dans l'hémicycle, non dans une de vos vidéos sur YouTube.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – Exclamations continues sur les bancs du groupe FI.
Vous pouvez exprimer votre avis, mais non considérer que nous serions responsables du virus ou des morts. S'il vous plaît, gardez au moins le peu de décence qu'il vous reste.
Nous faisons plus que lever la propriété intellectuelle de tel ou tel laboratoire : nous faisons en sorte que toutes les entreprises capables de produire des vaccins en France et en Europe en produisent, y compris lorsque ce n'est pas celui de leur propre marque.
Sanofi fabrique des vaccins pour des laboratoires concurrents. Vous croyez que c'est tombé du ciel ? Vous croyez que, chez Sanofi, ils ont regardé une vidéo de M. Ruffin sur YouTube et se sont dit « Oh là là ! Produisons des vaccins étrangers » ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.
Ce n'est pas comme cela que ça marche dans la vraie vie, monsieur Ruffin ! La vraie vie, c'est être responsable, et la responsabilité vous incombe à vous aussi, vous êtes parlementaire !
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur plusieurs bancs du groupe Dem. – Exclamations continues sur les bancs du groupe FI.
Monsieur Ruffin, ça suffit, vos interpellations ! À chaque fois, vous organisez le spectacle. Vous voulez faire remarquer vos rares présences ; croyez bien que ce n'est pas à votre honneur !
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur plusieurs bancs du groupe Dem. – Exclamations continues sur les bancs du groupe FI.
Exclamations sur les bancs du groupe LaREM et sur plusieurs bancs du groupe Dem.
Les exclamations se poursuivent.
Monsieur le Premier ministre, je vous adresse cette question au nom de nos collègues calédoniens, Philippe Dunoyer et Philippe Gomès.
Vous le savez, la Nouvelle-Calédonie traverse une période très agitée : on annonce la mise sous tutelle prochaine de la collectivité, faute d'un budget adopté dans les délais. Un nouveau gouvernement a été installé, mais il se révèle incapable d'élire son président. Enfin, le cyclone Niran a touché l'archipel, heureusement sans faire trop de dégâts.
Aux difficultés météorologiques et institutionnelles de ces dernières semaines s'ajoute désormais une crise sanitaire, avec les premiers cas autochtones de covid-19. Le statut de territoire covid free est donc perdu, mais tous les Calédoniens sont mobilisés et respectent le confinement strict instauré afin de retrouver cette situation privilégiée aussi rapidement que possible.
L'apparition du virus a également conduit les pouvoirs publics à accélérer la cadence des vaccinations, notamment en multipliant les ouvertures de centres. Toutefois, au rythme actuel, le stock de vaccins existant ne permettra pas de répondre aux besoins. Selon les experts, dans le cadre d'une stratégie de vaccination efficiente, il est nécessaire que l'État approvisionne la Nouvelle-Calédonie à hauteur de 10 000 doses par semaine. Pouvez-vous nous assurer que l'État accompagnera la collectivité sur cet important sujet ?
Au moment où les Calédoniens doivent décider, pour la troisième fois, s'ils se séparent ou non de la France, la solidarité nationale n'a jamais été aussi nécessaire. Cette solidarité nationale est aussi attendue sur le plan économique car, avec le confinement, il est indispensable de garantir aux entreprises et aux artisans que les aides de l'État destinées à soutenir leur activité seront rapidement mobilisables.
Quelles sont vos réponses, monsieur le Premier ministre, sur ces sujets d'une importance capitale pour les Calédoniens ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-I.
Merci beaucoup, monsieur Naegelen, pour votre question relative à la Nouvelle-Calédonie. Il est vrai qu'elle était l'un des derniers territoires covid free, pour reprendre un mauvais anglicisme, …
… disons plutôt un territoire sans covid. Depuis un an, seuls les échanges avec Wallis-et-Futuna étaient libres, et c'est d'ailleurs de cette collectivité voisine que le virus a été importé, hélas, la semaine dernière.
À la suite de la détection de premiers cas positifs, le président du gouvernement et le haut-commissaire ont annoncé, le 9 mars dernier, un confinement strict pour quinze jours de l'ensemble du territoire. Je salue l'engagement de la population de Nouvelle-Calédonie qui, depuis une semaine, respecte pleinement ce confinement, alors que nous mesurons depuis un an en France métropolitaine combien il peut être coûteux, humainement, de suivre un confinement strict – le reste du monde le sait également.
Quelle est la réponse sanitaire apportée en Nouvelle-Calédonie, sous le pilotage du Premier ministre et du ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu, que j'associe à mes propos ? Outre les mesures de confinement, nous avons mis en place des mesures de dépistage des voyageurs de retour de Wallis. Nous organisons également l'appui de la Nouvelle-Calédonie à Wallis-et-Futuna. Notre objectif est très clair : casser immédiatement la transmission du virus sur le territoire, de manière que la Nouvelle-Calédonie redevienne un territoire sans covid.
Plus de 12 000 vaccinations ont déjà eu lieu. D'ici à la fin de cette semaine, la Nouvelle-Calédonie aura reçu plus de 25 000 doses, et nous augmentons les envois vers ce territoire ultramarin, puisque nous y expédierons 6 000 doses supplémentaires la semaine prochaine. Vous le constatez : notre mobilisation est pleine et entière. Chaque fois que la Nouvelle-Calédonie aura besoin de notre soutien, nous serons là pour le lui apporter.
M. Florian Bachelier applaudit.
Monsieur le Premier ministre, à la fin de l'année 2021, l'épargne accumulée par les Français pourrait atteindre 200 milliards d'euros, selon la Banque de France. Pourtant, notre consommation est à l'arrêt et les entreprises de nos territoires souffrent. Il est donc urgent de prendre des mesures fortes pour libérer cette épargne, qui dort sur les livrets des Français.
Du fait du vieillissement de la population, le patrimoine se concentre sur les plus de 55 ans. C'est pourquoi j'ai déposé, avec le groupe Les Républicains, une proposition de loi visant à accélérer la transmission de patrimoine aux jeunes générations. Il faut permettre aux grands-parents et aux parents d'aider les jeunes à acheter un logement ou une voiture, à réaliser des travaux, à investir en créant une entreprise et, partant, des emplois.
Nous proposons donc d'élever le plafond pour les dons d'argent, et de les rendre possibles tous les cinq ans plutôt que tous les quinze ans, comme c'est le cas actuellement.
En parallèle, parce que nos concitoyens n'ont pas tous des parents qui peuvent les aider financièrement, nous avons aussi déposé, avec le concours de Sylvie Bonnet, une proposition de loi pour permettre un déblocage exceptionnel de la participation et de l'intéressement des salariés avant le 31 décembre 2021. Là encore, cela permettrait de relancer la consommation, donc la croissance, sans alourdir la dette de notre pays. Les recettes de TVA seraient même très positives pour les finances de l'État.
Depuis un an, monsieur le Premier ministre, nos concitoyens et nos entreprises souffrent. Ils attendent des mesures concrètes, comme la libération de l'épargne, pour pouvoir financer leurs projets à court terme. Allez-vous soutenir nos propositions de bon sens…
… qui permettraient de relancer la consommation et de redonner du souffle à notre économie dans les territoires ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable.
Je vous remercie de votre question, monsieur Cinieri, qui porte sur un sujet que vous connaissez bien, puisque vous y travaillez depuis des années et avez récemment déposé deux propositions de loi qui s'y rapportent.
Vous avez fort justement souligné que les restrictions ont pesé sur notre économie. Force est de constater qu'en 2020, les Français ont mis de côté 120 milliards d'euros de plus qu'à leur habitude. D'ici à la fin de l'année 2021 – nous pourrons le mesurer ensemble – , ils auront accumulé près de 200 milliards d'euros d'épargne.
Tout d'abord, cette épargne est déjà en partie consommée. Je tiens à vous faire part à cet égard de chiffres encourageants : sur le mois de décembre dernier, les dépenses de consommation des ménages en biens…
… ont augmenté de 23 %, après un repli de 18 % en novembre, lié au confinement.
Notre objectif à tous est que cette épargne en croissance vienne financer l'économie réelle et l'investissement productif. Telle est notre préoccupation et celle de la majorité depuis 2017, notamment au Parlement, comme l'attestent les travaux menés en faveur de l'investissement productif ainsi que la loi, dite PACTE, relative à la croissance et la transformation des entreprises.
Avant de modifier la loi, il importe selon moi que l'on se serve bien et amplement des outils déjà mis à disposition des épargnants et des entreprises par la loi PACTE, laquelle traite également du partage de la valeur, que vous avez mentionné. Nous avons remarqué que le fléchage vers l'économie réelle fonctionnait : en deux ans, les Français ont ouvert 800 000 plans d'épargne en actions – PEA – et 1,2 million de plans d'épargne logement – PEL. C'est un succès ; l'épargne s'oriente peu à peu vers l'économie réelle.
J'ajoute que le label « France relance », que vous connaissez également, lancé en octobre dernier, permet lui aussi aux épargnants…
… d'investir par l'intermédiaire de fonds dans les fonds propres ou quasi-fonds propres des entreprises françaises : 147 fonds labellisés ont déjà mobilisé 14 milliards d'euros en faveur des PME et ETI françaises.
Pour terminer, monsieur Cinieri, je vous dirai : réfléchissons ; le Gouvernement est disponible pour étudier vos propositions.
Madame la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, il y a un an, la France était confinée, toute activité paralysée, chacun renvoyé chez soi. La crise sanitaire a entraîné des conséquences non seulement économiques, mais aussi sociales, c'est indéniable. Les plus précaires le sont devenus encore plus, et certains, qui ne l'étaient pas, le sont devenus.
De nombreux jeunes sont désormais confrontés à la précarité. Si la jeunesse est peu exposée au risque de la maladie, elle l'est aux risques de la précarité, du décrochage, de la violence, des situations de détresse, celle-ci étant psychologique, économique, parfois alimentaire.
Selon une étude du Centre national de ressources et de résilience, 11,4 % des jeunes évoquent des idées suicidaires lors du premier confinement. D'après l'Observatoire national de la vie étudiante, un étudiant sur dix affirme avoir dû diminuer son alimentation au cours de la même période.
Aussi, le Gouvernement est venu en soutien aux étudiants en apportant des réponses concrètes et d'ampleur. Nous saluons notamment l'aide proposée pour faire face à la précarité alimentaire – tous les étudiants peuvent désormais bénéficier de deux repas par jour à 1 euro dans les restaurants gérés par les CROUS, les centres régionaux des oeuvres universitaires et sociales – , l'accompagnement psychologique proposé aux étudiants qui en ressentent le besoin, la création de 20 000 emplois étudiants supplémentaires pour des missions de tutorat, le doublement des aides d'urgence pour tous les étudiants, ainsi que toutes les aides au recrutement prévues dans le plan « 1 jeune, 1 solution ».
Toutefois, les étudiants éprouvent encore des difficultés à se projeter vers l'avenir, vers leur avenir, qu'il s'agisse de la poursuite de leurs études, de l'insertion dans l'emploi ou du retour à la liberté, à une vie normale. Madame la ministre, de quelle manière le Gouvernement entend-il répondre à leurs inquiétudes ? Comment les aider à se projeter vers l'avenir ? Comment leur assurer cet avenir ?
Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens.
La parole est à Mme la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.
Vous avez raison, madame Kuric, cela fait un an que nous subissons tous cette pandémie, un an que la vie des étudiants et des jeunes est compliquée par la solitude, l'éloignement et les enseignements à distance. L'ensemble du Gouvernement s'est mobilisé et a apporté une réponse – nous n'avons évidemment pas attendu les unes des journaux pour le faire. Nous avons agi ; vous avez rappelé un certain nombre de mesures que nous avons prises dès le mois de mai 2020.
Nous agissons en favorisant la recherche des stages, en lien avec les établissements, le monde socio-économique, les professionnels, les collectivités.
Nous agissons en soutenant l'apprentissage. Le Premier ministre a annoncé le maintien des dispositifs de soutien en la matière.
Nous agissons en donnant de la visibilité aux étudiants, avec le gel des droits d'inscription à la rentrée prochaine et, pour la deuxième année consécutive, le gel des loyers perçus par les CROUS, afin d'éviter l'augmentation du coût de la vie.
Nous agissons aussi grâce au plan de relance, en mettant à disposition des établissements des financements pour accueillir 20 000 étudiants supplémentaires. Les établissements agissent, et nous travaillons avec eux, de manière à mieux accueillir les étudiants en réorientation ou les néo-bacheliers cette année : certains d'entre eux envisagent des pré-rentrées ; d'autres envisagent de mettre à disposition des étudiants des cours en ligne pour qu'ils puissent se préparer pendant l'été.
Bref, c'est une mobilisation sans faille. En outre, nous menons une lutte permanente contre le non-recours aux aides. C'est pourquoi nous avons rappelé, sur le site internet « 1 jeune 1 solution », l'ensemble des mesures que nous avons prises. Nous continuerons à en prendre autant que nécessaire pour soutenir notre jeunesse.
M. Olivier Becht applaudit.
Ma question s'adresse à M. le garde des sceaux et j'y associe mon collègue Jean-Jacques Ferrara, député de Corse-du-Sud.
Vous n'ignorez pas l'émoi suscité par l'expulsion manu militari de maître Sollacaro lors d'une audience du tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence, le jeudi 11 mars. Une justice qui expulse sa défense n'est pas une justice démocratique. Lors d'un incident précédent, en 2018, le président du tribunal de grande instance de Paris, Jean-Michel Hayat, avait rappelé à juste titre qu'en aucun cas il ne peut être recouru au concours des forces de l'ordre à l'égard d'un avocat dans l'exercice de ses fonctions.
L'autorité judiciaire, et non le pouvoir judiciaire – certains semblent pourtant vouloir exercer un tel pouvoir – , tient sa légitimité de la Constitution. Cette légitimité est confortée par la confiance que lui accordent les citoyens. « La justice est rendue au nom du peuple français. Le magistrat se doit de prêter attention à ceux qu'il juge, comme à ceux qui l'entourent, … »
« … sans jamais attenter à la dignité de quiconque, en préservant l'image de l'institution judiciaire et en respectant le devoir de réserve. » Ces mots figurent dans le recueil des obligations déontologiques des magistrats ; il semble bon de les rappeler ici aujourd'hui.
Si nous en croyons vos déclarations, nous sommes à la veille de l'examen d'un texte visant à renforcer la confiance dans l'autorité judiciaire. Soit l'événement du 11 mars est isolé, et il faudra en tirer les conséquences ; soit il est le fruit d'une évolution de nos institutions, et alors la tâche est énorme.
Je n'ai pas l'expertise pour juger de la situation mais, si j'en crois les experts praticiens de la matière et connaisseurs de nos prétoires, les craintes sont grandes. L'un des meilleurs d'entre eux ne disait-il pas : « L'avocat est rarement le bienvenu dans le débat judiciaire. Trop peu nombreux sont les magistrats qui considèrent qu'une défense vigoureuse est nécessaire à l'élaboration d'une décision juste. Pour la plupart des juges et des procureurs, nous sommes des trublions, des voyous diplômés en droit, des menteurs professionnels » ? Ce point de vue, je le partage.
La confiance, nous la voulons tous et nous la devons aux Français. Elle passe par le respect de toutes et tous, mais aussi et surtout par celui des droits d'être entendu et de se défendre. Que comptez-vous faire pour que plus jamais de tels faits ne se reproduisent ?
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Mme Emmanuelle Ménard applaudit également.
La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement.
Protestations sur les bancs du groupe LR.
Le garde des sceaux a été autrefois l'avocat de l'un des protagonistes de cette affaire. Il ne peut donc pas répondre à votre question, monsieur Savignat, et croyez bien qu'il le regrette.
Vous interrogez le Gouvernement sur le grave incident d'audience qui s'est produit jeudi dernier devant le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence et qui a conduit, après l'usage de son pouvoir de police par le président de l'audience, à l'expulsion d'un avocat de la défense. Faire expulser par la force publique un avocat d'une salle d'audience est une décision extrême et, fort heureusement, rarissime. Nous comprenons tout à fait l'émoi que cela a pu susciter.
Si nous ne pouvons pas nous prononcer sur les décisions juridictionnelles rendues par le tribunal, on ne peut que regretter profondément l'existence de tensions qui tranchent avec la sérénité dont la justice a besoin, comme avec la nécessaire collaboration des magistrats et des avocats à l'oeuvre de justice.
Pour comprendre l'enchaînement des événements et disposer des informations les plus exactes et complètes possibles, le Premier ministre va saisir l'inspection générale de la justice
M. Antoine Savignat applaudit
d'une inspection de fonctionnement, dont les conclusions devront être remises dans une quinzaine de jours au plus tard.
Nous souhaitons que le calme et la sérénité reviennent, que les magistrats et les avocats continuent à travailler au quotidien dans la compréhension et le respect des compétences et des missions de chacun. Tel est l'objet, vous l'avez souligné, du projet de loi qui sera présenté par mon collègue Éric Dupond-Moretti.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM ainsi que sur quelques bancs des groupes Dem et Agir ens.
Madame la secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable, ma question concerne l'incendie intervenu sur le site d'OVH à Strasbourg dans la nuit du 9 au 10 mars dernier et ses conséquences. J'y associe mes collègues alsaciens ainsi que Fabien Gouttefarde, très investi sur les questions de sécurité des systèmes informatiques.
Madame la secrétaire d'État, vous avez pu voir comme nombre de nos concitoyens l'incendie qui a frappé cet important site de l'industrie et des services numériques. Malgré l'intervention rapide des pompiers, dont je salue le professionnalisme, les dégâts ont entraîné des interruptions significatives de service pour les usagers – la presse s'en est largement fait l'écho. À l'heure où nous parlons, OVH, associé à ses sous-traitants alsaciens et à ses partenaires, est toujours en train de gérer les conséquences de l'incendie, afin de les minimiser pour ses clients : collectivités locales, entreprises et particuliers.
Cet incident marquant nous rappelle l'importance croissante des services numériques dans nos vies et nos activités. Sans le numérique, nous n'aurions pas pu accélérer la mise en oeuvre de la télémédecine, de l'enseignement à distance ou du télétravail, si utiles pour réduire l'impact de la pandémie de covid-19. Il nous alerte aussi sur l'extrême dépendance vis-à-vis des services numériques, dont la continuité peut être menacée soit de manière accidentelle, comme dans le cas présent, soit de manière volontaire, ainsi qu'en témoignent les cyberattaques dont certains de nos hôpitaux ont récemment fait l'objet.
Dans ce contexte, pourriez-vous éclairer la représentation nationale sur les trois points suivants ?
Le premier point a trait à l'État et aux services publics. Dans quelle mesure l'incident subi par OVH a-t-il mis en difficulté l'hébergement de données relevant des services publics ?
Le deuxième point concerne les entreprises affectées par l'accident. Dans le cadre du plan de relance, l'État a fait du développement numérique sa priorité. Comment s'assurer que ce développement se fasse dans de bonnes conditions, autrement dit que les risques soient bien évalués et que les mesures appropriées soient prises ?
Troisième point, enfin, nous devons nous réjouir d'avoir en France et en Europe des opérateurs comme OVH qui permettent de limiter le monopole des GAFA, les géants du numérique. Quelle politique industrielle menez-vous pour développer ce type de services sur nos territoires et en Europe ?
Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.
La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable.
Je vous remercie de votre question, monsieur Michels. Je répondrai également à M. Gouttefarde, dont vous avez mentionné l'implication sur ces sujets.
Impressionnant incendie que celui d'OVH ! Je l'ai vu, comme tous les Français. Très vite s'est posée la question de la protection des données que les consommateurs avaient pluggées chez cette entreprise.
Tout d'abord, soyons clairs : la protection des systèmes d'information est garantie par chaque direction informatique de l'État – je le dis sous le regard attentif de Mme la ministre de la transformation et de la fonction publiques, Amélie de Montchalin. D'une part, chacune de ces directions procède à la sauvegarde systématique et en double des données sur ses infrastructures internes. D'autre part, un plan de continuité d'activité et un plan de reprise d'activité en cas de sinistre sont appliqués. Par souci de sécurité, ces différentes procédures s'ajoutent aux dispositifs de protection des données propres aux fournisseurs de cloud auxquels l'État fait appel, en particulier grâce à des mécanismes de redondance. Soyez absolument assuré, monsieur Michels, que ces règles sont appliquées avec d'autant plus de soin qu'elles concernent des infrastructures sensibles, notamment celles de la défense et celles de la sécurité intérieure.
Amélie de Montchalin l'a confirmé, quelques sites internet hébergés sur OVHcloud ont été touchés, notamment data. gouv. fr, mais tout est rentré dans l'ordre en l'espace de vingt-quatre heures.
S'agissant du site touché par l'incendie, le Gouvernement est confiant dans la capacité d'OVHcloud à démontrer sa résilience. Nous parlons ici d'un champion français et européen, voire mondial, qui rivalise avec ses concurrents américains. Soulignons aussi l'engagement d'Octave Klaba, président du groupe.
Nous continuerons à soutenir OVHcloud. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance, Bruno Le Maire, et le secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques, Cédric O, s'y emploient depuis Bercy. Nous le ferons dans le cadre de la stratégie pour le cloud de confiance, lancée en 2018.
Nous ferons davantage encore, s'il le faut, pour soutenir le groupe après ce sinistre.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM. – Mme Valérie Petit applaudit également.
Monsieur le Premier ministre, la jeunesse de notre pays ne va pas bien du tout. Outre le sort des étudiants et des apprentis, il y a celui des jeunes qui demeurent sans formation et sans emploi. Plus de 5 millions de jeunes âgés de 18 à 25 ans, qui feront la France de demain, sont privés de la solidarité nationale dont bénéficient toutes les générations qui suivent la leur.
Le 18 février dernier, nous vous avons modestement proposé d'ouvrir des droits nouveaux, pendant la durée de la pandémie, en étendant l'accès au RSA – revenu de solidarité active – aux moins de 25 ans.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC.
Juste pendant la durée de la pandémie ; juste pour répondre à l'urgence à laquelle font face ceux qui ont des difficultés pour manger, pour se loger ou pour se chauffer.
Vous avez balayé cette proposition d'un revers de la main. Pourtant, chaque jour, la situation s'aggrave. Plusieurs organisations et syndicats d'étudiants manifestent en ce moment même pour vous rappeler avec force que la crise pèse deux fois plus sur leur génération que sur toute autre, que leur taux d'insertion sur le marché du travail a chuté de vingt points, …
… que l'on ne compte plus les décrochages – ils sont massifs – , les appels de détresse et les renoncements aux soins.
Nous en sommes rendus à remercier les grands médias nationaux, qui voient la réalité que vous refusez d'admettre.
Ainsi, RTL et M6 se sont associés au Secours populaire pour récolter des dons au bénéfice des étudiants. Ainsi, France Télévisions cartographie les points de distribution alimentaire. Pour votre part, monsieur le Premier ministre, vous allez causer sur Twitch, pour dire que vous croyez « avoir fait le maximum » pour les étudiants !
L'addition de mesures disparates ne suffira pas. Les services civiques et les garanties jeunes, qui ne sont pas calibrés pour la circonstance, seront très insuffisants, de même que les chèques psy ou les repas à 1 euro. C'est d'un plan d'urgence national que la France a besoin pour sa jeunesse !
Agissez, monsieur le Premier ministre ! Protégez l'avenir de notre pays avec autant d'énergie que vous en mettez à protéger notre économie. Donnez à la jeunesse les moyens de son autonomie. Nous vous demandons non pas une dépense, mais un investissement dans ce qu'une nation a de plus précieux : ses enfants.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.
La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Votre question est très importante, monsieur Saulignac, et nous sommes d'accord sur le principe de base : la priorité doit être la jeunesse. Le Président de la République et le Premier ministre l'ont affirmé très clairement, nos politiques publiques doivent être dirigées vers la jeunesse.
Votre question ne porte pas sur le domaine scolaire, …
… mais sachez que, si les écoles sont ouvertes, c'est évidemment parce que les enfants et les adolescents sont la priorité du Gouvernement.
S'agissant des jeunes, nous savons tous, bien entendu, que la condition des étudiants, tout comme celle des jeunes qui ne sont pas étudiants, est dure dans la période actuelle. C'est vrai dans tous les pays du monde touchés par l'épidémie, la situation créant de la précarité – personne ne le nie.
Doit-on pour autant considérer, comme vous semblez le faire, que le Gouvernement ne fait rien ? Bien entendu, non ! Nous menons, au contraire, une action résolue – nous l'avons rappelé à plusieurs reprises.
Depuis le début du quinquennat, 13,5 milliards d'euros ont été consacrés à la formation des jeunes et à leur accompagnement vers l'emploi. Grâce au plan « 1 jeune, 1 solution », résolument dynamique et doté de 6,5 milliards, nous obtenons des résultats très intéressants – les jeunes peuvent en témoigner. Ainsi, alors même que nous sommes en pleine crise, nous sommes en train de battre un record, avec 500 000 contrats d'apprentissage. Toute notre philosophie consiste à accompagner les jeunes vers la formation et l'emploi, et cela donne des résultats.
L'année dernière, tout le monde craignait un décrochage des jeunes dans l'enseignement. Or, non seulement celui-ci ne s'est pas produit, mais la situation s'est améliorée en 2020 par rapport à 2019. Pourquoi ? Parce que nous avons déployé une série de dispositifs. Il n'y a pas de mesure miracle ; il y a un éventail de mesures – le temps manque d'ailleurs pour les citer tant elles sont nombreuses.
Vous avez évoqué les services civiques. Nous en avons ajouté 100 000 aux 140 000 existants, ce qui n'est pas rien ! En d'autres termes, 240 000 jeunes effectuent une mission qui a beaucoup de sens.
Outre les 500 000 contrats d'apprentissage, citons les 600 000 jeunes entrés dans un parcours d'insertion et les 200 000 formations aux métiers d'avenir, dans l'environnement et le numérique. Mentionnons aussi les 500 euros supplémentaires attribués aux 18-25 ans qui s'engagent dans l'apprentissage…
Dommage que vous ne répondiez pas à la question ! Certes, vous suivez bien la consigne !
… et le repas à 1 euro pour les étudiants en situation de précarité.
Nous menons bel et bien une politique en faveur de la jeunesse, et c'est une politique d'insertion.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures.
Le présent projet de modification de la Constitution, qui vise à inscrire à son article 1er le principe selon lequel la France « garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique », nous lance un défi, résumé par ces mots du Président de la République : il nous faut « réconcilier en France la liberté et le progrès. C'est notre vocation et je n'en connais pas de plus belle. »
Ce projet de loi constitutionnelle, fidèle à l'engagement du Président et au travail de la convention citoyenne pour le climat, représente incontestablement un progrès historique vers une société plus écologique. J'utilise ici le terme « écologique » à dessein et dans son sens premier, à savoir l'aspiration à un meilleur équilibre entre l'homme et son environnement, non pas seulement en protégeant ce dernier, mais en changeant petit à petit « nos manières d'être vivants » et de nous « unir au vivant », pour reprendre les expressions du philosophe Baptiste Morizot.
Cette modification est un progrès écologique parce qu'en inscrivant la préservation de l'environnement dans la Constitution, elle en confirme et consolide définitivement la place aux côtés des principes fondateurs de la République. Elle représente un progrès écologique parce qu'elle ajoute, à la préservation de l'environnement, celle de la diversité biologique ainsi que la lutte contre le dérèglement climatique, précisant et étendant ainsi le périmètre de l'action environnementale, en cohérence avec les engagements internationaux de la France en matière de climat et de biodiversité.
Cette modification de la Constitution est donc bien un progrès écologique majeur, mais elle est aussi un progrès démocratique, puisqu'elle renforce et étend la possibilité offerte aux citoyens de saisir le juge constitutionnel a posteriori pour évaluer les lois. N'oublions pas ce progrès-là, car il compte, dans les temps difficiles que traverse notre démocratie.
Le défi est cependant de faire rimer progrès avec liberté, pour reprendre le mot du Président de la République. En effet, la liberté, qui n'est rien de moins que le premier de nos principes républicains, se trouvera désormais à égalité avec la préservation de l'environnement. Je pense bien sûr à la liberté d'entreprendre, dont la jurisprudence montre qu'elle est l'une des premières libertés mise en question par le principe de préservation de l'environnement. Je pense aussi aux droits individuels, comme celui de disposer de moyens convenables d'existence, qui peuvent être mis à mal par des mesures imposant trop de contraintes, notamment aux Français les plus modestes.
En réalité, ce texte nous invite à faire ce que nous aurions dû faire depuis longtemps, à savoir penser et, plus précisément, penser une écologie compatible avec le libéralisme économique mais aussi avec le libéralisme politique ; une écologie compatible non pas seulement avec les libertés économiques, mais avec toutes les libertés et les droits individuels. Cette modification de la Constitution – c'est pour moi sa deuxième grande vertu – nous invite à retraduire, sans les trahir, notre État de droit et notre démocratie dans le cadre d'une relation nouvelle de l'homme à son environnement.
Le groupe Agir ensemble s'attache, depuis sa création, à penser une écologie libérale, soucieuse de toutes les libertés. Il nous semble en effet que, dans une démocratie, aucun progrès véritable ne peut s'accomplir sans une libre adhésion à celui-ci. L'enjeu est important, car mieux nous saurons penser l'articulation entre écologie et liberté, mieux nous réussirons à verdir notre démocratie et à éviter la dictature et le populisme verts.
Pour ce faire, je le crois sincèrement, nous devons faire confiance à la société française. J'ai entendu les inquiétudes de nos collègues du groupe Les Républicains quant aux libertés. Je les comprends et les partage dans une certaine mesure, mais ce qui me distingue des positions de Julien Aubert, par exemple, c'est la confiance que je place dans les acteurs de la société : je crois au discernement et à la proportionnalité de la justice ; je crois à la créativité des entreprises ; je crois à la responsabilité de l'État et des élus locaux. D'aucuns diront que c'est risqué, mais c'est le seul risque que, pour ma part, je serai toujours prête à prendre : celui de l'homme !
Voilà pourquoi le groupe Agir ensemble votera sans hésitation et avec conviction ce texte de progrès, et sera toujours pour lui sa meilleure conscience libérale.
Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens et sur les bancs de la commission.
La parole est à M. Pascal Brindeau, pour le groupe UDI et indépendants.
La source du projet de loi constitutionnelle sur lequel nous sommes amenés à nous prononcer est très paradoxale. En effet, le mouvement des gilets jaunes est né de la contestation d'une hausse de la fiscalité sur les carburants qui avait précisément pour objectif de mieux protéger l'environnement mais a mis des dizaines de milliers de nos concitoyens dans la rue. Ce mouvement, qui s'est transformé et a connu des vicissitudes et, malheureusement, des accès de violence, a donné lieu au grand débat national voulu par le Président de la République, puis à la convention citoyenne chargée de faire des propositions pour mieux protéger notre planète.
Je le dis de manière simple et franche : il est nécessaire de rappeler que des citoyens tirés au sort ne représentent pas les Français.
La convention citoyenne était, on le sait, une réponse politique à ce mouvement social, mais elle n'a en aucun cas vocation à se substituer aux débats de la représentation nationale comme celui que nous avons aujourd'hui. En effet, seuls les parlementaires détiennent un mandat représentatif confié par nos concitoyens. La logique de nos institutions donne au Parlement le dernier mot.
Évidemment, le changement climatique est la priorité des priorités de l'action publique pour les générations futures. Nous devons bien sûr tout faire, par-delà les combats politiques, pour donner à nos enfants de meilleures chances de vie sur une planète préservée. Si le groupe UDI et indépendants n'a pas d'opposition de principe à cette modification constitutionnelle, ses membres sont en revanche très sceptiques sur ses conséquences.
De deux choses l'une. Soit cette modification n'a pas de portée normative, comme l'a d'ailleurs rappelé le Conseil d'État – le Conseil constitutionnel ayant renforcé, dans sa décision du 31 janvier 2020, le poids juridique de la préservation de l'environnement en en faisant un objectif à valeur constitutionnelle alors qu'elle n'était jusqu'alors qu'un simple motif d'intérêt général, notre arsenal constitutionnel pourrait, avec la charte de l'environnement, être considéré comme suffisant – , et, dans ces conditions, la nouvelle rédaction de l'article 1er de la Constitution n'apporterait finalement rien de plus et ne serait qu'une opération de communication sur un sujet pourtant majeur.
Soit cette modification a une portée normative et, dans ce cas, nous craignons, par l'effet des questions prioritaires de constitutionnalité intervenant a posteriori, voire du contrôle exercé a priori par le Conseil constitutionnel sur des projets de loi ayant un impact sur la protection de l'environnement, sur la biodiversité ou sur le changement climatique, une très forte diminution de notre capacité à légiférer dans de bonnes conditions en matière d'économie ou d'agriculture. Cette capacité risque alors de dépendre uniquement des décisions du Conseil constitutionnel.
Le groupe UDI et indépendants est pour l'écologie, une écologie de l'intelligence collective et du bon sens, non pas l'écologie inquisitoriale, qui édicte des interdictions. C'est pourquoi, face à ces grandes interrogations, le vote de notre groupe se partagera entre quelques soutiens, beaucoup d'abstentions et des oppositions à ce projet de loi constitutionnelle.
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-I.
Je constate l'absence de M. François-Michel Lambert, auquel je m'apprêtais à donner la parole.
La parole est à Mme Mathilde Panot, pour le groupe La France insoumise.
Finalement, vous avez raison, nous devrons nous acquitter d'une dette, je veux bien le reconnaître : la dette écologique d'abord, même si ce sera difficile avec vous, et, surtout, votre dette à l'égard de la vérité. Celle-ci est énorme, puisque l'on compte en moyenne un à trois mensonges lorsqu'un député du groupe La République en marche prend la parole, …
… entre deux et cinq s'il s'agit d'un ministre, et une dizaine lorsque le Président de la République s'exprime. Je crains que ce projet de loi constitutionnelle n'aggrave votre cas, mais je propose, dans un élan de bonté, de vous aider à éponger cette dette en réécrivant votre texte.
« La République garantit la préservation [… ] de la diversité biologique ». Je ne suis pas sûre que les abeilles apprécieront cette formulation et, dans un souci de vérité, je vous suggère plutôt d'écrire : « La République garantit la préservation des néonicotinoïdes, du glyphosate et de tout autre pesticide qui détruit la biodiversité, la santé humaine et les sols. La République accélère la sixième extinction de masse des espèces en laissant des entreprises forer les sols avec du cyanure, comme en Guyane avec la Montagne d'or bis. La République garantit la persistance du chlordécone dans les sols et les cours d'eau aux Antilles et l'impunité de l'État quant à ce désastre écologique, sanitaire et social. »
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Ensuite, voyons voir : « La République garantit la préservation de l'environnement. » Je propose : « La République garantit la préservation des profits des multinationales – à commencer par Amazon – , favorise l'artificialisation des sols, garantit la destruction de l'environnement à travers la signature frénétique d'accords de libre-échange sans débat démocratique, …
… l'affaiblissement du code de l'environnement et l'abandon du fret ferroviaire. »
Ensuite, que dites-vous ? « La République [… ] lutte contre le dérèglement climatique. » Collègues, nous pouvons être plus exacts : « La République lutte contre le maintien des effectifs du ministère de la transition écologique et des opérateurs publics dédiés, contre les militants écologistes et les lanceurs d'alerte, notamment concernant l'énergie nucléaire. »
Voilà. Ne se sent-on pas mieux quand on dit la vérité aux Français ? Vous devez vous sentir soulagés d'un poids ! Pour information, collègues, la méthode Coué a ses limites : ce n'est pas en inscrivant dans la Constitution ce que vous ne faites pas que vous le ferez davantage. Vous me faites penser au célèbre tableau de Magritte qui avait pour légende : « Ceci n'est pas une pipe. » On pourrait dire pareillement de votre projet de loi : « Ceci n'est pas de l'écologie. »
D'autant que la charte de l'environnement a déjà une valeur constitutionnelle. Votre projet de loi est donc inutile et, pis, dangereux. Vous introduisez une incertitude juridique forte, si bien qu'avec votre formulation, la condamnation de l'État pour inaction climatique dans « l'affaire du siècle » n'aurait pu avoir lieu. Au fond, nous savons tous ce que ce texte est réellement : un coup de com'.
Ben voyons !
La vérité, la voici. Ce projet de loi, c'est Emmanuel Macron qui se réveille un matin, se rend compte que son bilan écologique est désastreux et se dit : « Mince, l'écologie, il faut bien la noter quelque part ! »
Son inscription dans la Constitution était peut-être même une sorte de mémo, un rappel de ce qu'il avait à faire. À moins qu'il ne s'agisse d'une basse manoeuvre politicienne pour faire mine que le peuple a son mot à dire, alors même que les trois quarts des mesures de la convention citoyenne ont été dilapidés.
Collègues, la Constitution a été tripatouillée vingt-quatre fois en tout, dont vingt-deux sans consultation du peuple. Si le Président était un peu courageux, il convoquerait une constituante pour que le peuple décide enfin des règles du jeu.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Les citoyens pourraient, par exemple, inscrire la règle verte dans la Constitution, afin que l'on ne prélève pas plus à la nature que ce qu'elle peut reconstituer ; ils pourraient y inscrire le principe de non-régression ; ils pourraient faire de l'eau et des forêts des communs mis à l'abri de la main invisible du marché ; ils pourraient aussi arrêter le grand déménagement du monde en interdisant la signature des traités de libre-échange. En somme, les citoyens pourraient récrire la Constitution en partant de leurs besoins fondamentaux, pour ouvrir, enfin, un horizon heureux.
Mais le Président n'a pas ce courage et n'a qu'une seule idée en tête : sa réélection – d'ailleurs, ne vous inquiétez pas, on s'en occupe.
C'est incroyable d'insulter les gens comme ça !
L'adoption de ce texte n'est qu'une simple formalité pour un monarque déjà en campagne. Les conditions mêmes de son examen l'ont montré : aucun amendement n'a été retenu, hormis ceux du Gouvernement et du rapporteur ; …
La France insoumise a confondu la Constitution avec un tract de campagne !
… cet examen s'est fait en même temps que celui du projet de loi climat et résilience, de manière qu'il y ait le moins de débat possible. Faute de planifier la bifurcation écologique, vous planifiez vos manigances. Nous voterons contre cette mascarade.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
La parole est à M. Hubert Wulfranc, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Je l'ai dit lors de la discussion générale, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera ce projet de loi constitutionnelle, en pleine connaissance de cause.
Il s'inscrit dans la continuité des propositions de la convention citoyenne pour le climat. Certes, nous pourrions encore débattre longuement de sa portée normative ; il reste qu'inscrire la protection de l'environnement et la lutte contre le dérèglement climatique à l'article 1er de la Constitution est une avancée politique. Nous y voyons un appel pressant à ce que l'urgence climatique soit élevée au niveau d'exigence nécessaire et irrigue enfin l'ensemble de nos politiques publiques.
Nous avions proposé, au cours des débats, de reprendre la proposition de modification du préambule de la Constitution. Cependant, elle a été bien vite rejetée par le chef de l'État, en juin dernier. Quel était l'enjeu de cette modification ? Tout simplement de mettre fin à l'exercice abusif du droit de propriété et de la liberté d'entreprendre, qui constituent de puissants leviers et, en même temps, des obstacles à la reconnaissance des biens communs. Le terrible exemple des brevets sur les vaccins – c'est d'actualité – le démontre dans le champ de la santé. En la circonstance, il s'agissait d'affirmer que le droit de propriété ne pouvait plus être le droit de détruire et de dégrader l'environnement, que la liberté d'entreprendre n'était pas la liberté de nuire au patrimoine commun de l'humanité.
Nous comprenons, dans le débat politique, que les libéraux ne veuillent pas s'engager sur ce terrain. Mais le débat sur les biens communs est nécessaire, indispensable et contemporain ; il devrait nous inviter à reconsidérer les politiques de privatisation de secteurs socialement et écologiquement stratégiques, tels que ceux de l'eau et de l'énergie.
Vous avez refusé d'autres propositions de notre groupe, notamment l'inscription du principe de non-régression. Nous comprenons vos réticences, bien sûr, après l'épisode des néonicotinoïdes.
Cependant, la rigidité dont vous avez fait preuve lors des débats et votre refus de tout amendement traduisent selon nous la volonté de vous en tenir à un texte et, surtout, à un débat les plus étroits possible et, en même temps, les plus déconnectés des réalités. Quelques passes d'armes avec certains de nos collègues – je pense à François Ruffin – l'ont démontré.
L'enjeu pour votre majorité est aussi, disons-le, d'user du terrain écologique pour faire progresser une démarche de référendum et un plébiscite pour le Président.
Si nul n'est dupe de la manoeuvre politique, la question majeure qui intéresse les Français demeure de savoir quelles suites opérationnelles vous entendez réserver à cette réforme de la Constitution.
Eh bien, l'examen en commission spéciale du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique semble donner le ton : selon nous, c'est une loi brouillonne, qui multiplie les mesures d'ajustement et les dispositions accessoires. Elle ne traduit aucune ambition réelle, faute de s'inscrire dans une perspective de transformation économique, écologique et sociale à long terme.
Vous prétendez concilier la préservation de l'environnement avec la logique de l'autorégulation des marchés. Même si vous ne l'affirmez pas explicitement, votre credo est que la concurrence libre et non faussée finira d'elle-même par faire de l'écologie une opportunité économique majeure pour l'économie de marché, le rôle de l'État ne consistant qu'à accompagner ce mouvement en évitant de trop dépenser et de faire peser des obligations de résultat sur les grandes entreprises.
Les déboires du PDG de Danone devraient pourtant vous ouvrir les yeux : les dividendes et les cours de bourse, toujours à la hausse, demeurent et demeureront encore longtemps l'unique boussole de ceux pour qui la responsabilité sociale et sociétale n'est que de la publicité mensongère.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – M. François Ruffin applaudit également.
Monsieur Lambert, vous n'étiez pas là tout à l'heure lorsque j'ai appelé votre nom. Vous avez donc théoriquement perdu votre droit de parole. Toutefois, eu égard à l'enjeu qui nous réunit aujourd'hui, je vous propose de prendre la parole maintenant, pour le groupe Libertés et territoires.
Quelle magnanimité, monsieur le président !
Cette réforme de la Constitution va-t-elle ajouter dix-sept ou dix-huit mots à son article 1er ? C'est la seule question qui a été réellement débattue la semaine dernière, avouons-le.
Sans surprise, monsieur le garde des sceaux, vous vous êtes montré inflexible et hermétique à toutes les pressions et propositions d'amélioration du texte. Aucun des 318 amendements discutés n'a trouvé grâce à vos yeux : l'inscription des limites planétaires, rejetée ; le principe de non-régression, balayé ; la lutte contre toutes les formes de pollution, écartée. Autant de propositions qui répondaient pourtant à l'ambition affichée : donner plus de poids à la protection de l'environnement dans sa conciliation avec les autres principes à valeur constitutionnelle. Quant à toutes les propositions faites pour améliorer la démocratie, qui souffre pourtant de grands maux, vous les avez estimées hors sujet, notamment la suppression du mot « race », qui restera donc inscrit dans la Constitution.
En fait, nous avons été convoqués pour avaliser un texte dont vous saviez, dès l'origine, qu'aucune virgule ne bougerait. Une fois de plus, vous avez trop considéré l'Assemblée comme une chambre d'enregistrement, au lieu d'y voir la représentation du peuple. Alors que nous estimons qu'une réforme de la Constitution doit s'attacher à rassembler le consensus le plus large possible, nous n'avons pas trouvé cet esprit dans les débats. Pis, en érigeant ce référendum en étendard de la démocratie citoyenne et directe, vous tentez un coup politique grossier.
Nous nous retrouvons pourtant dans l'objet de cette révision constitutionnelle : inscrire dans notre texte fondateur une aspiration croissante de nos concitoyens, la protection de l'environnement. Les Français souhaiteraient majoritairement y donner suite, mais nous savons tous que cette réforme n'aboutira pas. Elle est vouée à l'échec, et votre manoeuvre consiste à mettre cet échec sur le dos du Sénat.
J'ai évoqué le nombre de mots de votre réforme : dix-sept ou dix-huit, selon le mode de calcul. Mais qu'en est-il du poids de ces mots ? Quelle influence auront-ils sur nos lois, sur l'action publique ? Ces questions demeurent sans réponse.
Je mesure la portée symbolique de l'inscription de la préservation de l'environnement et de la biodiversité et de la lutte contre le dérèglement climatique à l'article 1er de la Constitution ; j'y souscris même. Ses répercussions juridiques, elles, font toujours l'objet de débats. Les constitutionnalistes sont divisés : le terme « garantir » imposera-t-il une obligation de résultat ou, du moins, une quasi-obligation de résultat, comme vous le soutenez ? Mais qu'est-ce qu'une quasi-obligation ? Cette révision permettra-t-elle d'aller plus loin que la charte de l'environnement ? Nul ne le sait.
Quant aux effets concrets d'une telle révision, ils sont tout aussi incertains. Mes questions posées en commission, renouvelées en séance, sont toujours en suspens. Si cette réforme allait à son terme, …
… quelle quantité de gaz à effet de serre permettrait-elle d'éviter ? Nul ne le sait. Mettrait-elle fin à l'utilisation du glyphosate ? Très certainement, non. Pourrait-elle mettre un coup d'arrêt à l'accord de libre-échange avec le MERCOSUR, au CETA – Accord économique et commercial global signé avec le Canada – , à tout accord de libre-échange climaticide ? C'est peu probable.
Au fond, tout le monde s'accorde à dire que son impact dépendrait largement de l'interprétation du Conseil constitutionnel. Or, en la matière, on peut regretter un manque de constance de la part des sages. J'admets bien volontiers certaines avancées : dans une décision rendue au début de l'année 2020, le Conseil constitutionnel a reconnu la protection de l'environnement comme un objectif de valeur constitutionnelle pouvant justifier des atteintes à la liberté d'entreprendre. Mais d'autres décisions du même Conseil vont à rebours d'une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux, notamment sur les néonicotinoïdes et sur la loi, dite ASAP, d'accélération et de simplification de l'action publique, pour ne citer que les derniers exemples.
Dans ce contexte, il me semble beaucoup trop aléatoire de miser sur une révision de notre texte fondateur pour rehausser notre ambition environnementale. D'autant que l'action du Gouvernement pour répondre aux urgences écologiques et climatiques est, tout le monde le reconnaîtra, largement insuffisante. L'ensemble des études le disent, les mesures prises depuis 2017 ne nous permettront pas de tenir nos engagements environnementaux. Les membres de la convention citoyenne ne s'y sont pas trompés, puisqu'ils ont attribué une note de 3,3 sur 10 au projet de loi climat.
Conscients du piège politique que constitue cette réforme, compte tenu de l'action menée depuis quatre ans, les membres du groupe Libertés et territoires s'abstiendront majoritairement ; certains voteront pour le texte sans être dupes de la mascarade ; d'autres affirmeront leur franche opposition par un vote contre. Bref, aucun député du groupe Libertés et territoires ne vous donne quitus. Tous s'accordent pour estimer que nous sommes bien loin de l'ambition plastronnée de remettre le climat au coeur du projet national. Tous s'accordent à dire que faire mine de modifier la Constitution pour camoufler les renoncements de votre politique environnementale relève de l'entourloupe et de la communication politique.
Applaudissements sur les bancs du groupe LT.
La parole est à M. Jacques Krabal, pour le groupe La République en marche.
Modifier l'article 1er de la Constitution est un acte politique majeur. Notre République est une et indivisible, et sa langue est le français – je tiens à le rappeler, en cette semaine de la francophonie. Aujourd'hui, elle s'engage résolument dans la lutte contre le changement climatique, lequel menace les écosystèmes, nos modes de vie, nos cultures et – oserai-je le mot ? – nos civilisations. Depuis 1976, notre droit conçoit, par une sorte de révolution silencieuse, la nécessité d'affirmer les voies et moyens pour élever le niveau de responsabilité de la France à la hauteur du combat du siècle.
Les rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat et ceux du Haut Conseil pour le climat ne laissent aucun doute : l'urgence est là ; il faut agir sans tarder. Nous devons donc lutter en conséquence, en particulier au moyen de garanties. L'urgence implique certes un risque, mais elle offre également une chance ; saisissons-la tous ensemble.
Pour la première fois, le Parlement se prononce sur un texte de conception citoyenne à l'issue référendaire. Ce n'est pas rien ! Respectons la convention, de même que les citoyens et les citoyennes, pour leur engagement. La démocratie représentative que nous incarnons démontre que le Parlement sait s'appuyer sur la participation citoyenne. C'est encore une chance : n'ayons pas peur de la revitalisation de notre démocratie.
Si la démarche est novatrice, la finalité l'est tout autant. Cette volonté politique sera traduite dans un cadre constitutionnel explicite. En effet, la nature prioritaire de la cause environnementale sera désormais inscrite aux côtés des principes fondamentaux de la République.
Pour la première fois, nous instituons un droit constitutionnel de l'environnement : nous élevons sa préservation, celle de la biodiversité et la lutte contre le dérèglement climatique au rang de principes à valeur constitutionnelle. Nous créons, en responsabilité, une quasi-obligation de moyens et de résultat.
M. le garde des sceaux acquiesce.
Enfin, nous renforçons l'intensité et le champ du contrôle constitutionnel.
En maturation depuis 2018, cette réforme s'inscrit dans une démarche globale et cohérente. Avec le plan de relance, 30 milliards sont dévolus à la transition écologique. Loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, bientôt examiné en séance : pour certains, c'est trop ; pour d'autres, pas assez. S'il reste beaucoup à faire, les premiers résultats sont là.
Notre pays est donc à la pointe de la lutte contre le dérèglement climatique. Ce projet de loi n'est ni superfétatoire ni exagérément prescriptif, pas plus qu'il n'est antiparlementaire. Il est même tout le contraire : il donnera un souffle nouveau à l'action écologique, à nos yeux inséparable du contrat social. Par cet exercice historique, la démocratie délibérative redonne des couleurs à notre démocratie parlementaire.
Permettez-moi, pour conclure, de citer une nouvelle fois Jean de La Fontaine, né à Château-Thierry il y a 400 ans : « Diversité, c'est ma devise. » Si le respect de la diversité des opinions est naturel dans notre Parlement, notre fabuliste universel rappelait, en même temps : « Toute puissance est faible, à moins que d'être unie ». Aussi, les crises climatiques et démocratiques que nous traversons devraient nous inciter, au-delà des postures, à nous rassembler en grand nombre autour d'une République sociale et écologique. Tel est le voeu que je formule avant le vote. Voilà ce qui justifie le soutien plein et entier des députés du groupe La République en marche à cette réforme constitutionnelle.
Non seulement nous assumons de défendre ce texte, mais nous le faisons avec fierté et humilité.
Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et Dem.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Julien Aubert, pour le groupe Les Républicains.
Ce jour aurait dû être un jour heureux pour Les Républicains. La droite, fidèle à l'écologie et à l'environnement,
Applaudissements sur les bancs du groupe LR – Exclamations sur les bancs du groupe LaREM
a créé le ministère de l'environnement – que cela vous plaise ou non – , a organisé le Grenelle de l'environnement – que cela vous plaise ou non – , a fait adopter la charte de l'environnement – que cela vous plaise ou non.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
… aurait dû être heureuse aujourd'hui. Malheureusement, elle est amère…
… car, avec ce texte, vous nous confrontez à un dilemme.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez traversé ce débat constitutionnel avec la subtilité d'une cohorte romaine manoeuvrant en tortue pour enfoncer les rangs des barbares sur les berges de l'Asie mineure,
Sourires
avec la grâce d'un pack de rugby déterminé à protéger le ballon en écartant toute menace sur son passage jusqu'à l'en-but.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.
C'est ainsi que vous avez marqué un essai. Cependant, vous avez raté la transformation : quand on n'accepte aucun amendement, d'où qu'il vienne, on révèle une incompréhension de ce qu'est un projet de loi constitutionnelle ; il fallait non pas garder le ballon pour vous, mais faire des passes aux représentants de la droite, que vous retrouverez demain au Sénat.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
À trois contre un, il n'est pas compliqué de marquer. Votre seule victoire est d'être majoritaires dans l'hémicycle, …
… mais cela, nous le savions déjà.
Vous direz que vous aviez pris un engagement auprès des conventionnels. Billevesées !
Sourires.
Le 29 août 2019, La République en marche avait déjà déposé un projet de loi constitutionnelle disposant que la France « favorise la préservation de l'environnement, la diversité biologique et l'action contre les changements climatiques ». Le texte existait avant même que la convention se réunisse.
Vous dites que ce sont les conventionnels qui parlent, mais vous êtes un ventriloque : lorsque la convention parle, c'est M. Macron que j'entends.
Il avait déjà écrit le texte. Vous les prenez pour des imbéciles !
Vous dites assumer le mot « garantit » parce que vous seriez de grands écologistes. Calembredaines !
Sourires.
Vous ne garantissez pas la lutte contre le réchauffement climatique. Vous dites que la France lutte contre le réchauffement climatique, mais jamais vous n'écrivez que la France garantit la baisse des émissions de dioxyde de carbone. Vous êtes de faux écologistes !
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Vous offrez une quasi-garantie. Qu'obteniez-vous, quand vous étiez avocat ? Des quasi-acquittements ? Allez-vous organiser un quasi-référendum ? Donnez-vous une quasi-assurance ? Que signifie ce « quasi » ? On n'en a rien à faire ! Ce sont les résultats qui nous intéressent !
Vous dites : « Nous garantissons ». Mais à qui s'adressent vos garanties ? Le préambule de la Constitution de 1946 garantit des droits « à la famille », « à la femme » ou « à l'enfant » ; on ne garantit pas des droits urbi et orbi ! Sinon, demain, la moindre organisation non gouvernementale ou le moindre lobby viendra mettre en question vos contradictions, vos ambiguïtés et votre subtilité, en arguant qu'en garantissant la biodiversité, on garantit un peu la lutte contre le réchauffement climatique. Ensuite, ce sera le gouvernement des juges.
On vous voit venir, avec votre piège rudimentaire : vous vous dites que Les Républicains voteront contre le texte, et que vous montrerez par là qu'ils sont contre la préservation de l'environnement. Monsieur le ministre, contrairement à ce que vous nous avez dit ici, nous n'avons pas peur du référendum. Votre rejet des arguments de l'opposition assure-t-il le succès de votre réforme constitutionnelle ? Non ! En instrumentalisant la convention, garantissez-vous une meilleure démocratie ? Non ! En refusant de garantir les baisses d'émissions de dioxyde de carbone, garantissez-vous la lutte contre le réchauffement climatique ? Non, non, et non !
Néanmoins, Les Républicains suivront le conseil de Napoléon : « N'interrompez jamais un ennemi qui est en train de faire une erreur. »
Nous nous abstiendrons très majoritairement sur ce texte. Nous refusons de donner dans votre piège grossier, car nous avons toujours défendu l'écologie et l'environnement.
Applaudissements sur les bancs du groupe LR.
Monsieur le ministre, nous vous donnons rendez-vous place du référendum, afin que le peuple tranche quant à la valeur de votre écologie factice. Nous n'avons pas peur du peuple ; nous avons confiance dans son bon sens. Vous dites référendum ? Nous vous disons chiche !
Nous nous retrouverons, tous ensemble, pour appeler à voter non à votre mauvais texte !
Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Huées sur quelques bancs de gauche.
La parole est à Mme Élodie Jacquier-Laforge, pour le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés.
La réalité de l'urgence climatique n'est plus à démontrer ; le groupe Dem en a parfaitement conscience et est particulièrement engagé dans la lutte contre le changement climatique. Notre planète connaît la sixième extinction de masse de son histoire, et l'activité humaine en est responsable.
Nous sommes donc individuellement et collectivement responsables.
Le climat se dérègle, ce qui a des conséquences graves pour la biodiversité et des effets sur les espèces. Les insectes, les oiseaux et les mammifères sont en danger ; le monde végétal ainsi que les écosystèmes des mers et des océans sont fragilisés. Je n'oublie évidemment pas la montagne, dont les glaciers fondent, se brisent et s'effritent 500 fois plus vite, à cause de l'activité humaine.
Si nous voulons préserver un avenir où les humains vivent en harmonie avec la nature – tel est bien l'enjeu – , il nous faut agir vite et maintenant. En effet, nous n'avons pas de planète de rechange. Celle-ci nous survivra, à n'en pas douter, mais j'ai l'espoir que nos enfants, nos petits-enfants et leurs enfants – l'espèce humaine – pourront continuer à y vivre, à profiter de ses bienfaits et de ses merveilles, en ayant une conscience aiguë de la fragilité de la diversité biologique mondiale.
Les Français nourrissent à ce sujet beaucoup d'attentes, légitimes. La convention citoyenne pour le climat a constitué une manière inédite de recueillir leur parole et leur travail pour la préservation de la planète. De nombreux Français avaient contribué au grand débat national ; ils avaient alors mis en avant leur attente d'une démocratie plus participative et d'une transition écologique plus juste. Pour y répondre, le Président de la République a voulu la réunion d'une convention citoyenne pour le climat.
Les membres de la convention ont proposé de rehausser la place de l'environnement dans la Constitution, en inscrivant le principe de sa préservation à l'article 1er. Cette disposition fait partie d'un ensemble plus large de 149 propositions visant à faire diminuer de 40 % au moins les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. Les autres dispositions figurent, vous le savez, dans le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
Le Président de la République s'est engagé à donner suite à cette proposition, qui place la préservation de l'environnement au coeur des autres principes constitutionnellement garantis. C'est le sens du texte qui nous réunit, lequel complétera la charte de l'environnement, adossée en 2005 à la Constitution.
Le principe général de préservation de l'environnement est présent dans la charte et occupe ainsi la plus haute place dans la hiérarchie des normes. Néanmoins, ce projet de loi constitutionnelle entend aller plus loin : donner une force particulière à la préservation de l'environnement, en introduisant un principe d'action positif pour les pouvoirs publics et une volonté affirmée de mobiliser la nation.
Conformément à l'engagement du chef de l'État, le texte sera ensuite soumis au référendum prévu à l'article 89 de la Constitution, s'il est adopté en termes identiques par les deux assemblées.
L'exercice inédit que constitue la convention citoyenne, dont les propositions sont traduites dans un projet de loi, nous montre que nous devons penser l'articulation entre démocratie participative et démocratie représentative, sans les opposer, car elles poursuivent un même objectif : améliorer le fonctionnement démocratique.
La compétence législative du Parlement – l'une de ses trois missions constitutionnelles, avec le contrôle de l'action du Gouvernement et l'évaluation des politiques publiques – ne doit pas être amoindrie, ni s'effacer, mais s'inscrire dans une partition démocratique où nos concitoyens occupent une place qui leur permette de prendre part à nos travaux. Cela était déjà le cas, mais le sera désormais de façon plus active et plus transparente.
C'est pourquoi le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés votera pour ce texte à la quasi-unanimité.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et LaREM.
La parole est à M. Gérard Leseul pour le groupe Socialistes et apparentés.
Nous voici réunis, au terme de l'examen du projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement, pour décider de notre vote. Les débats sur ce texte ont été frustrants, que ce soit en commission ou en séance publique. Vous avez, monsieur le garde des sceaux, sagement siégé, comme les collègues de la majorité, qui ont acquiescé sans broncher à toutes vos propositions de rejet d'amendements. Vous avez globalement répondu à nos interventions et à nos propositions, mais, finalement, assez rarement sur le fond.
Vous avez même exprimé, à plusieurs reprises, votre agacement et votre impatience. Certes, nos collègues de droite ont proposé de trop nombreux amendements, très éloignés de l'objet et de l'esprit du texte, …
… qui vise clairement à donner corps et vigueur à la protection de l'environnement. Or, comme cela a été rappelé au cours des dix-huit heures de débat, un texte relatif à la Constitution permet de discuter de la Constitution. Dans un régime parlementaire, aussi rationalisé soit-il, il est normal d'attendre du Gouvernement qu'il permette la tenue de véritables débats au sein de l'Assemblée nationale et une coconstruction de la loi, à moins que des pratiques de plus en plus verticales et sourdes ne se développent.
Pour sa part, et avec sincérité, le groupe Socialiste et apparentés a patiemment participé à l'examen de ce texte, en argumentant sur des propositions que, pour certaines d'entre elles, il défend depuis plusieurs années.
M. Jean-Louis Bricout applaudit.
Nous avons déposé vingt-deux amendements, autant que la majorité : seuls trois d'entre eux étaient un peu éloignés de la question environnementale, qui nous réunit.
À l'occasion de la discussion sur la notion d'amélioration constante en matière environnementale, que nous avons défendue, nous avons rappelé l'importance d'une écologie sociale et responsable. Nous avons ainsi proposé que les régimes de retraite et d'indemnisation du chômage soient préservés, car ils constituent le socle de notre contrat social. C'était bien normal de le rappeler à l'heure du détricotage de la protection sociale envisagée par le Gouvernement, alors même que la crise sanitaire fragilise non seulement notre économie et ses grands équilibres, mais surtout nos concitoyens, toutes celles et tous ceux que nous croisons dans nos communes et dans nos territoires.
À quoi aurait pu ressembler une réforme constitutionnelle ambitieuse, monsieur le ministre, permettant de relever les défis du XXIe siècle ? Nous avons fait d'importantes propositions, parfois principielles, sur le coeur du présent texte, telles que l'ajout d'une notion d'amélioration constante en matière environnementale, l'introduction d'une référence aux limites planétaires, l'introduction d'un véritable crime d'écocide et pas seulement d'un délit, qui sera discuté dans le cadre du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, le nécessaire recours systématique aux études d'impact et à l'évaluation des projets et des propositions de loi, ou encore la notion de biens communs.
Nous avons fait aussi des propositions très concrètes, qui auraient permis de mettre en oeuvre intelligemment la réforme constitutionnelle. Nous avons notamment proposé la création d'un défenseur de l'environnement, sur le modèle du défenseur des droits, pour veiller à la préservation de l'environnement.
Cependant, à aucun moment, ni l'esprit d'un débat ouvert, ni la volonté d'un travail collectif n'ont régné dans l'hémicycle. Comment accepter que le Gouvernement demande aux parlementaires de discuter d'une réforme constitutionnelle sans lui donner le droit de modifier un seul mot du texte ? Vous vous êtes cramponnés au texte issu de la convention citoyenne pour le climat que vous aviez validé. J'en suis d'autant plus surpris que de très nombreuses autres propositions de ladite convention ne connaîtront pas le même sort, à la suite la discussion parlementaire que nous menons actuellement en commission spéciale.
Les membres de la convention citoyenne avaient d'ailleurs émis un souhait clair, et fixé, de manière globale, un certain nombre d'objectifs, pour atteindre une baisse de l'émission des gaz à effet de serre de 40 % d'ici à 2030, dans un esprit de justice sociale. Ils avaient lancé une proposition, sans en limiter la portée : c'est vous qui l'avez fait ! Le travail parlementaire de coécriture a finalement été escamoté.
Le Gouvernement a considéré l'Assemblée nationale comme une simple chambre d'enregistrement.
Le Président de la République a mis le Parlement dans une situation impossible, compte tenu des délais extrêmement courts restants pour permettre à cette réforme constitutionnelle d'aboutir. Soyons lucides : la réforme annoncée par le Président et le Gouvernement pourra difficilement être organisée avant l'échéance de 2022.
Sur le fond, vous auriez dû accepter nos contributions. Sur la forme, vous prenez le risque que la réforme n'aboutisse pas en tentant un coup politique. L'ambition aurait pu, aurait dû être plus grande, plus juste, plus engageante et plus collective.
Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – MM. Sébastien Jumel et François-Michel Lambert applaudissent également.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 553
Nombre de suffrages exprimés 438
Majorité absolue 220
Pour l'adoption 391
Contre 47
Le projet de loi constitutionnelle est adopté.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
Je tiens à dire la fierté qui est la mienne, à la place qui est la mienne. Ce texte est une véritable chance. Nous allons vers le référendum promis par notre président de la République.
Disons les choses clairement : oui, nous voulons garantir ; oui, nous voulons lutter.
Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Qu'il me soit permis de dire, à M. le député Aubert en particulier,
Protestations sur les bancs du groupe LR
que, lors des débats, il nous a été reproché de faire un coup politique, …
… sachant que le Sénat ne voterait pas ce texte. Je m'en suis étonné, car j'ai appris que tout mandat impératif est nul.
M. Erwan Balanant applaudit
Je me suis demandé comment vous pouviez prétendre que le Sénat ne voterait pas ce texte, et M. Aubert m'a demandé en retour si je n'avais pas lu le JDD – Journal du dimanche – dimanche dernier, dans lequel le président Larcher s'exprimait.
Sourires et applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem, UDI-I et Agir ens.
La navette parlementaire, c'est, pour M. Aubert, un vote à l'Assemblée nationale et la lecture du JDD !
Mêmes mouvements.
Mais j'ai retenu la leçon, monsieur Aubert. Je suis gourmand et friand de vos conseils, toujours distribués avec tant d'empathie. Ce matin, j'ai lu la presse. Que dites-vous dans la presse, tambours et trompettes, monsieur Aubert ? Vous acceptez maintenant l'augure que le Sénat votera ce texte et vous parlez de nous battre au référendum !
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem, UDI-I et Agir ens – Exclamations sur les bancs du groupe LR.
Suspension et reprise de la séance
La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures cinq, sous la présidence de Mme Annie Genevard.
La parole est à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Je suis heureuse d'être avec vous aujourd'hui pour examiner ce projet de loi organique consacré à l'assouplissement des expérimentations. Le texte que je présente répond concrètement aux deux principaux besoins exprimés ces dernières années par les élus et les citoyens quant à l'action publique : la proximité et l'efficacité.
Je crois que, désormais, nous sommes tous d'accord : la décentralisation doit permettre d'adapter les politiques publiques à la diversité des territoires. La solution, c'est la différenciation. Ce texte renforce l'un des outils permettant sa mise en oeuvre concrète. Il permettra d'adapter les règles applicables dans certains domaines aux particularités des territoires, que celles-ci tiennent à leur géographie, à leur démographie ou encore à leur situation économique et sociale.
Il sera complété par d'autres outils dans le projet de loi 4D – décentralisation, différenciation, déconcentration, décomplexification – , par exemple par des transferts de compétences aux seules collectivités volontaires, par un pouvoir réglementaire local renforcé ou encore par des mesures de déconcentration spécifiques. Vous l'avez compris, les transferts en bloc ne sont plus adaptés à notre temps. Les territoires ont besoin de cousu-main pour être plus agiles.
Toutefois, la cohésion des territoires, dont j'ai la charge, impose de marcher sur une ligne de crête, de trouver le point d'équilibre entre la pente naturelle vers davantage de liberté et l'impératif de cohésion nationale, c'est-à-dire d'unité de la République et d'équité entre les territoires. Ce débat est essentiel. D'ailleurs, les amendements qui ont été déposés, notamment par les groupes FI et GDR, reposent légitimement sur cette question.
Le projet de loi organique que je présente vise à faciliter les expérimentations pour les collectivités locales, afin qu'elles ouvrent la voie à une différenciation durable. Trop d'éléments bloquants demeurent à ce jour. Ainsi, seules quatre expérimentations ont été menées depuis 2003 sur la base de l'article 72, alinéa 4, de la Constitution. Le texte, issu en grande partie d'une étude du Conseil d'État, que nous avions saisi du sujet, doit permettre d'assouplir les conditions des expérimentations territoriales, de les rendre à la fois plus simples d'accès, plus rapides à mettre en oeuvre et plus attractives pour les collectivités.
Premier objectif : simplifier considérablement la procédure d'entrée dans l'expérimentation. Les collectivités répondant aux conditions déterminées par la loi prévoyant l'expérimentation pourront désormais décider d'elles-mêmes d'y participer, alors qu'actuellement, vous le savez, elles ne peuvent qu'en faire la demande, la décision finale relevant du Gouvernement qui fixe par décret la liste des collectivités admises à participer. Ainsi, l'accès à l'expérimentation sera considérablement facilité, les collectivités s'y engageant par simple délibération de leur assemblée délibérante et à mesure qu'elles le décideront. Cette procédure devrait réduire le délai moyen d'entrée dans l'expérimentation, qui est actuellement d'un an, à deux mois.
Les actes pris dans le cadre des expérimentations ne seront plus publiés qu'à titre d'information au Journal officiel, alors que cette publication conditionne aujourd'hui leur entrée en vigueur. Par ailleurs, le contrôle de légalité sera allégé. Actuellement, tous les actes pris dans le cadre des expérimentations sont soumis à un contrôle de légalité renforcé et dérogatoire, avec un déféré suspensif. Le projet de loi organique ne restreint ce régime spécial qu'à la décision d'entrer dans l'expérimentation, pour éviter que des collectivités ne répondant pas aux conditions prévues par la loi n'entament sa mise en oeuvre.
Deuxième objectif : assurer une évaluation plus pertinente des expérimentations. Le rapport d'évaluation finale de chaque expérimentation transmis au Parlement est naturellement maintenu. Il s'agit d'un préalable indispensable aux décisions sur le devenir des mesures prises à titre expérimental.
D'autre part, le Sénat a introduit un rapport d'évaluation à mi-parcours de chaque expérimentation. J'y suis favorable et je sais que de nombreux députés sont également sensibles à cette question de l'évaluation. Ce rapport constitue à mon sens un document utile pour les collectivités participantes et pour celles qui hésiteraient à rejoindre l'expérimentation.
Enfin, le Sénat a également réintroduit le rapport annuel recensant les propositions et les demandes d'expérimentation, que nous avions initialement jugé superflu, puisque chaque expérimentation fait l'objet d'une évaluation, mais il est vrai que, plus on communiquera sur les expérimentations, plus les collectivités se saisiront de ce nouvel outil. D'ailleurs, votre commission des lois a décidé de conserver ce rapport.
Troisième objectif, et c'est un élément décisif de notre texte : nous permettons la sortie de l'alternative binaire entre la généralisation ou l'abandon de l'expérimentation. Le législateur aura désormais quatre options à l'issue de la période d'expérimentation.
La première est la prolongation de l'expérimentation pour une durée ne pouvant excéder trois ans – c'est-à-dire qu'il y aura au total cinq plus trois ans. Deuxième option : la pérennisation et la généralisation des mesures prises à titre expérimental à l'ensemble du territoire.
Troisième solution : la pérennisation des mesures prises à titre expérimental, soit uniquement pour les collectivités territoriales ayant participé initialement à l'expérimentation, soit seulement pour certaines d'entre elles, soit pour d'autres collectivités où elle serait pertinente. Enfin, quatrième option : l'abandon de l'expérimentation si son évaluation n'est pas concluante.
Compte tenu du bilan du dispositif expérimenté, la loi pourra naturellement modifier les dispositions régissant l'exercice de la compétence ayant fait l'objet de l'expérimentation. Il s'agit – j'insiste sur ce point – de laisser au législateur une marge d'adaptation pour effectuer les ajustements nécessaires. La pérennisation de mesures prises à titre expérimental dans certaines parties du territoire devra naturellement s'inscrire dans le respect du principe constitutionnel d'égalité. Nous y reviendrons lors de la discussion de la motion de rejet préalable.
Enfin, simplifier ne suffit pas : il faut aussi accompagner. Pour assurer l'effectivité des futures expérimentations, nous renforcerons notre organisation institutionnelle en vue de mieux accompagner les collectivités qui les instaureront. Ainsi, nous allons suivre la recommandation du Conseil d'État de créer des guichets permanents qui seront placés auprès des préfets afin de favoriser les initiatives. Il s'agit d'une disposition de nature réglementaire que je m'engage à prendre. D'ailleurs, une circulaire, que nous vous communiquerons, viendra très prochainement en préciser les modalités de fonctionnement.
Ce texte, dont je rappelle qu'il a été – pour une fois – très peu modifié et très largement adopté par les sénateurs, est équilibré et répond à une véritable attente des élus locaux. Je voudrais remercier l'ensemble des groupes puisque je constate que beaucoup partagent les objectifs de ce texte. Je termine en espérant un vote le plus large possible marquant, j'en suis convaincue, une véritable avancée pour la différenciation.
La parole est à M. Stéphane Mazars, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
Le texte, que nous examinons aujourd'hui et que la commission des lois a adopté il y a deux semaines sans modification, n'est pas aussi technique qu'il y paraît. En effet, il s'inscrit dans une démarche collective positive en faveur des collectivités territoriales qui, je l'espère, se prolongera par le dépôt attendu et espéré au printemps prochain du projet de loi 4D.
Le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui concerne les expérimentations menées par les collectivités territoriales, prises sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution, lesquelles ont été permises par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République.
Dix-huit ans après l'acte II de la décentralisation, le constat dressé est unanimement regretté et sans appel : les possibilités ouvertes par ce dispositif sont restées largement inexploitées. En effet, depuis 2003, seules quatre expérimentations ont eu lieu dans ce cadre : deux ont été généralisées avant leur évaluation finale, une a été abandonnée et une autre a été prolongée. Les sujets d'expérimentation relatifs au revenu de solidarité active – RSA – , à la tarification sociale de l'eau, à la taxe d'apprentissage et à l'accès à l'apprentissage étaient pourtant essentiels et concrets et auraient dû appeler d'autres expérimentations.
Le constat relatif aux causes de cette désaffection est largement partagé. La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation et le Conseil d'État ont réalisé en 2018 et en 2019 un important travail, mettant en lumière les deux problèmes spécifiques à ces expérimentations.
D'une part, la procédure de mise en oeuvre prévue par la loi organique du 1er août 2003 est trop lourde, ce qui engendre des délais excessifs. À l'évidence, la portée des nouvelles possibilités ouvertes par la révision constitutionnelle a été restreinte par la loi organique elle-même. À l'heure actuelle, il faut franchir pas moins de sept étapes pour mettre en oeuvre une expérimentation, ce qui est beaucoup trop long. Ainsi, pour ces quatre expérimentations, un délai moyen d'un an a été constaté entre la loi ou le décret autorisant leur lancement et la publication du décret arrêtant la liste des collectivités territoriales autorisées à y prendre part.
D'autre part, le caractère binaire de l'issue de l'expérimentation – abandon ou généralisation, sauf si l'expérimentation est prolongée – s'est avéré peu incitatif pour les collectivités territoriales.
Rendue nécessaire, l'évolution de la loi organique du 1er août 2003 doit néanmoins aujourd'hui être envisagée à cadre constitutionnel constant. Je ne peux que regretter que la perspective d'une adoption prochaine de la réforme constitutionnelle qui aurait permis d'offrir plus de responsabilités et de libertés à nos territoires se soit éloignée, mais je constate que cette contrainte n'a cependant pas empêché le Gouvernement de proposer le présent projet de loi organique opérationnel et utile, qui permettra de simplifier et de faciliter les expérimentations dans nos territoires.
À cette fin, ses articles 1er, 2, 4 et 7 faciliteront l'entrée des collectivités territoriales dans l'expérimentation et allégeront le contrôle exercé en la matière. L'article 2 mettra ainsi fin au régime d'autorisation préalable auquel étaient soumises les collectivités territoriales souhaitant prendre part à l'expérimentation. L'article 3 prévoit une entrée en vigueur des actes dérogatoires dans les conditions de droit commun. L'article 5, que le Sénat a récrit, enrichira le processus d'évaluation, en prévoyant la remise d'un rapport intermédiaire au cours de l'expérimentation.
L'article 6 consacre deux options supplémentaires à l'issue de l'expérimentation : le maintien des mesures prises à titre expérimental dans toutes les collectivités territoriales ayant participé à l'expérimentation ou dans certaines d'entre elles, et la possibilité d'une extension à d'autres collectivités. Il prévoit également la modification des dispositions régissant l'exercice de la compétence ayant fait l'objet de l'expérimentation. Cet article important permettra d'adopter une approche plus fine et plus intelligente de la mise en oeuvre des politiques publiques, afin de répondre aux problématiques de chaque territoire.
Le principe d'égalité, auquel nous sommes tous très attachés, contraindra la pérennisation différenciée des expérimentations, ce qui est une bonne chose. D'ailleurs, le Sénat a fait en sorte que cette contrainte positive soit inscrite noir sur blanc dans le texte. Cependant, le principe d'égalité ne doit pas être interprété de manière monolithique : il ne s'agit pas d'un principe d'uniformité : comme tout principe, celui-ci peut faire et fait l'objet d'adaptations lorsqu'elles sont justifiées, en l'espèce par une situation objectivement différente ou par un motif d'intérêt général.
Au-delà de ce point qui suscite quelques inquiétudes – nous y reviendrons lors de la discussion des amendements – , le projet de loi organique s'inscrit dans une démarche collective et consensuelle qu'il convient de saluer. D'abord, il se fonde sur des travaux préparatoires de grande qualité. Ensuite, il est soutenu par l'ensemble des associations d'élus locaux que j'ai pu auditionner. Enfin, et vous l'avez rappelé madame la ministre, le Sénat, saisi du texte en premier lieu, a enrichi ses dispositions de manière très constructive.
Alors que nous pouvons désormais entrevoir une adoption définitive dès ce soir et une entrée en vigueur dans les plus brefs délais, je le redis : le projet de loi organique ne pourra pas se suffire à lui-même. En effet, l'ambition ne se décrète pas, elle se suscite. Pour développer la démarche expérimentale dans nos territoires, deux éléments devront être pris en considération.
Tout d'abord, il y a la question de l'offre : rien ne sert de simplifier la procédure si le nombre d'expérimentations proposées est trop faible. En l'occurrence, quatre en dix-huit ans, c'est trop peu.
Si des expérimentations existent sous d'autres formes – par exemple, celles de l'article 37-1 de la Constitution – , il est nécessaire de redonner un nouvel élan à celles relevant de l'article 72. Il ne s'agit pas d'un slogan ou d'une mode, mais j'ai la conviction que l'expérimentation peut apporter des réponses pertinentes à la recherche d'efficience pour les politiques publiques et au besoin de proximité exprimé par bon nombre de nos concitoyens.
En ce qui concerne la question de la demande, à l'échelon territorial, il est également nécessaire d'encourager les expérimentations, ce qui suppose d'instaurer un véritable accompagnement des collectivités par les services de l'État afin qu'elles puissent s'emparer concrètement de la réforme. Il ne suffit pas de simplifier : il faudra aussi encourager et accompagner les initiatives locales, y compris dans la durée.
Je remercie Mme la ministre d'avoir répondu, lors de son audition en commission, aux préoccupations que j'ai exprimées, et d'avoir formulé des engagements très concrets, parmi lesquels la création de guichets permanents et dédiés, placés auprès des préfets et qui permettront à l'État de recueillir, sur le terrain, les propositions des collectivités territoriales en matière d'expérimentation. Il s'agit d'une mesure utile et très positive.
Au niveau central, les guichets locaux s'appuieront sur la Direction générale des collectivités locales – DGCL – qui centralisera les propositions reçues par les préfectures et assurera une coordination avec les différents ministères chargés d'examiner l'opportunité et la faisabilité des propositions. Ce dispositif permettra également d'accompagner les collectivités territoriales dans la mise en oeuvre des expérimentations, de renforcer l'ingénierie mis à leur disposition et ainsi d'insuffler un nouvel élan à la démarche expérimentale.
Enfin, je me réjouis que l'avant-projet loi 4D prévoit d'ores et déjà deux nouvelles expérimentations sur le fondement de l'article 72 de la Constitution. L'une concernera un renforcement des dispositifs de délégation de compétences de l'État aux intercommunalités en matière de logement social et d'hébergement, et l'autre portera sur des mesures relatives au renforcement des dispositifs d'insertion et d'orientation pour les allocataires du RSA.
Le texte que nous allons adopter et la dynamique dans laquelle il s'inscrit feront oeuvre utile au service de nos territoires, de leur énergie, de leur intelligence et de leur diversité.
Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.
J'ai reçu de M. Jean-Luc Mélenchon et des membres du groupe La France insoumise une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à Mme Bénédicte Taurine.
Le projet de loi organique porte, selon nous, atteinte aux principes de la République. En effet, depuis 1789, chaque constitution a affirmé avec force le principe d'indivisibilité qui fonde la nation. La simplification des expérimentations que vous nous proposez est, ainsi que cela a été rappelé, une introduction au projet de loi 4D, qui sera examiné d'ici le mois de mai. Or l'expérimentation et la différenciation conduiront, selon nous, à faire que l'action publique ne sera plus uniforme sur le territoire.
Lors du 100e congrès des maires de France, le Président de la République s'est demandé ce qu'il y a de commun entre un centre-bourg, une métropole, une commune qui relève de la loi montagne ou entièrement de la loi littorale, parfois de manière totalement inadaptée. Je vais laisser le soin à Robespierre de lui répondre à ma place que partout, monsieur, le peuple a le même intérêt et les mêmes principes.
S'il n'est pas question pour nous de ne pas prendre en considération les spécificités territoriales qui appellent des solutions particulières, lesquelles sont déjà prévues par le cadre actuel, il s'agit de veiller à ne pas dépasser une limite, ce que vous appelez de vos voeux, celle de la différenciation territoriale. En effet, l'article que vous vous apprêtez à réviser permet aux collectivités ou à leurs groupements de déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences.
L'article 6 du projet de loi dont nous débattons aujourd'hui ouvrira une différenciation entre les territoires. Là où actuellement, à l'issue d'une expérimentation, le dispositif est abandonné ou généralisé sur tout le territoire, cet article permettra aux collectivités ayant recouru à celle-ci de conserver le dispositif, qui pourra être étendu à d'autres collectivités. Ainsi, la pérennisation d'un dispositif à certaines collectivités, et non plus à l'ensemble du territoire national, contrevient justement au principe d'égalité. Or l'égalité est l'essence même de la République et elle est constitutionnellement garantie.
Ce même article consacre la modification des dispositions régissant l'exercice de la compétence ayant fait l'objet d'une expérimentation, afin de confier davantage de responsabilités aux collectivités territoriales, en renforçant le pouvoir réglementaire dont elles disposent pour l'exercice de leurs compétences.
Si le projet de loi vise à rendre plus autonomes les politiques menées par les collectivités, il accroîtra indéniablement la concurrence et les inégalités non seulement entre les territoires, mais aussi – et surtout – entre les citoyens, qui n'auront plus accès à des dispositifs uniques au niveau national.
Le droit actuel prévoit déjà de possibles adaptations aux spécificités locales. C'est le cas notamment pour les collectivités d'outre-mer. Nous considérons donc que les dispositions en vigueur sont suffisantes.
Aujourd'hui, c'est une simplification, ou plutôt une différenciation des expérimentations, que vous proposez. Demain, il s'agira d'une véritable différenciation territoriale, ce que nous ne souhaitons pas.
Il y a un mois, nous avons discuté des principes de la République dans cet hémicycle. Or, au lieu de rechercher des séparatismes dans notre pays, il conviendrait plutôt de s'évertuer à garantir des principes fondateurs, tels que l'égalité et l'indivisibilité de la République. Nous considérons que votre projet de loi organique nous engage sur la voie d'une décentralisation qui, si elle est voulue par certains représentants d'élus, ne l'est peut-être pas par les élus eux-mêmes ni par les citoyens.
Au Sénat, la corapporteure centriste du texte, Françoise Gatel, indiquait que le degré d'appétence des collectivités pour les expérimentations reste une inconnue. Vous l'avez dit, seules quatre expérimentations ont eu lieu en quinze ans. Selon vous, cela s'explique par la complexité des procédures actuelles. À cet égard, je rappelle que selon un professeur de droit public de la Sorbonne que nous avons auditionné, si les collectivités territoriales ne recourent que très peu aux expérimentations, c'est en raison de leur caractère très technique. Les collectivités diagnostiquent bien leurs problèmes, mais sont incapables d'y apporter une solution en recourant à l'alinéa 4 de l'article 72 de la Constitution. À l'aune de cet éclairage, la simplification apparaît donc comme un faux remède.
En ce qui concerne l'article 2 du projet de loi organique, qui supprime le contrôle a priori du préfet, il n'apportera rien – nous en avons discuté en commission. Bien au contraire, le partage d'expertise avant la réalisation de l'expérimentation sera encore moins favorisé. Dorénavant, les conditions obligatoires ne pourront plus être contrôlées qu'a posteriori par le préfet, et ce alors que les préfectures manquent de moyens humains et que les actes des collectivités territoriales ne sont déjà pas contrôlés. Comment pouvez-vous donc imaginer que ce contrôle a posteriori sera effectif ?
Le rapport de la Cour des comptes pour l'année 2016 pointait justement le problème de l'efficience du contrôle de légalité. Nous estimons que votre souci n'est, en réalité, pas la simplification des procédures, mais la réduction du rôle de l'État.
Nous le savons, si les collectivités territoriales ne participent pas aux expérimentations, c'est parce qu'elles ne disposent pas non plus d'un niveau d'ingénierie suffisant. En somme, les plus grandes collectivités territoriales prendront le pas sur les autres, qui n'auront les moyens ni de négocier ni de proposer une expérimentation. Cela pose donc une question bien plus importante que celle de la simplification des expérimentations : celle des moyens humains et financiers des services préfectoraux et des petites collectivités. Ces dernières ne disposent pas du budget nécessaire pour mener ce travail d'ingénierie et ce ne sont pas les lois de finances successives, par le biais des schémas d'emplois, qui ont inversé cette situation. Elles n'ont pas permis l'augmentation du nombre de fonctionnaires et la loi de finances pour 2021 n'a pas dérogé à cette règle. La communication du groupe de travail sur la territorialisation du plan de relance souligne que « 25 % des EPCI – établissements publics de coopération intercommunale – sont totalement démunis en matière d'ingénierie et risquent de passer à côté du plan de relance ».
De plus, le millefeuille territorial français est déjà si complexe à appréhender que, lors de son examen des réformes françaises publié en mai 2013, la Commission européenne a critiqué les niveaux administratifs locaux, sources selon elle de doublons, de problèmes de coordination et de confusion des rôles. Cette bataille de la compréhension par le citoyen de l'organisation politique du pays est prépondérante. Si nous échouons, il passera toujours à côté de la vie politique. Il est indispensable de replacer le citoyen au centre de toute réforme.
Lors de son audition dans le cadre de ce projet de loi organique, Pierre Steinmetz, ancien membre du Conseil constitutionnel, a rappelé qu'il s'agit d'un défi démocratique patent et que les citoyens ont besoin de clarté dans l'attribution des compétences des collectivités territoriales. Le citoyen français doit comprendre comment les choses fonctionnent et qui agit.
Pierre Steinmetz craint également que les intérêts des élus ne soient parfois les seuls critères qui guident les choix des collectivités et des EPCI. Ainsi, plutôt que de procurer une simplification, nous estimons que le projet de loi organique rendra les circuits administratifs encore plus complexes. Notons également que la territorialisation du plan de relance a obligé les collectivités et les organismes qui y sont rattachés à appréhender de nouveaux dispositifs, alors que, de leur propre aveu, ils ont besoin d'une stabilité des normes.
Vous faites le choix continu de ne pas promouvoir l'implication des citoyens dans toutes les décisions politiques, ce que nous regrettons.
Nous avons vu ce que vous avez fait des propositions de la convention citoyenne pour le climat. Tirés au sort, les participants représentaient une aspiration de la nation, mais les deux tiers de leurs propositions n'ont pas été reprises. Nous voyons que les citoyens ne comptent jamais !
Pourquoi simplifier à tout prix les expérimentations afin d'accroître les compétences des collectivités territoriales, alors que les citoyens eux-mêmes ne participent pas directement à la prise de décision et s'en éloignent même toujours davantage ? Les citoyens souhaitent pourtant s'impliquer, comme en atteste le plan climat air énergie territorial – PCAET. Partout fleurissent des groupes constitués parfois d'une centaine de citoyens volontaires, qui participent aux différents ateliers. Enfin, nous considérons qu'il faut remettre la commune au coeur de la décision politique, celle-ci étant l'échelon le plus proche du citoyen.
Nous déposons donc cette motion de rejet préalable, car, selon nous, ce texte représente une rupture d'égalité entre les territoires, qui pourront adopter des modes de fonctionnement différents, et donc entre les citoyens.
Vous comprendrez que je ne puis qu'émettre un avis défavorable sur cette motion de rejet préalable. Je souhaite d'abord souligner que j'aurais aimé que le projet de révision constitutionnelle aille à son terme car, dans le respect d'un autre principe de rang constitutionnel, celui d'égalité, la simplification aurait été encore plus importante.
Cela étant, fallait-il ne rien faire ? Je ne le crois pas et les solutions que je présente aujourd'hui conduisent à aller au bout de ce que le cadre constitutionnel permet. Oui, nous avons des marges de manoeuvre. Le Conseil d'État l'a d'ailleurs rappelé à deux reprises ces dernières années, dans son avis du 7 décembre 2017 et dans son étude sur les expérimentations, publiée en octobre 2019.
Ainsi la différenciation est-elle possible selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, aux termes de laquelle le principe d'égalité devant la loi « ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ». Les règles relatives à l'exercice des compétences locales peuvent donc être différentes selon les territoires, sous réserve qu'elles soient justifiées par des différences de situation.
C'est pour cette raison que le Conseil d'État a permis que les mesures prises à titre expérimental puissent être maintenues dans tout ou partie des collectivités expérimentatrices et, éventuellement, étendues à d'autres.
Votre crainte, que je connais bien – nous en avons souvent parlé – est que ce projet de loi organique mette à mal l'égalité entre les territoires et, au fond, l'unicité de la République. À cet égard, je m'efforcerai de faire preuve de la plus grande clarté. Premièrement, il me paraît important de distinguer l'égalité de principe, formelle, à laquelle vous faites référence, de l'égalité réelle. Ces dernières années, l'égalité formelle de traitement entre les territoires n'a pas contribué à résorber les fractures territoriales : au contraire. Celles-ci se traduisent concrètement par de très fortes assignations à résidence et d'insupportables inégalités de destin, ce qui, in fine, remet grandement en cause notre modèle social.
Dès la première conférence des territoires, en juillet 2017 – c'était d'ailleurs au Sénat – , voici ce qu'avait affirmé le Président de la République : « L'égalité, qui crée de l'uniformité, n'assure plus l'égalité des chances sur la totalité de notre territoire aujourd'hui. » C'est pour cette raison que l'égalité devant la loi doit parfois être contrebalancée par un principe d'équité. Qui comprendrait que l'on traite exactement de la même manière un quartier prioritaire de la politique de la ville et un quartier d'affaires, un territoire urbain et un territoire rural, un territoire de montagne et un territoire littoral, la vallée de la Meuse et la vallée de la Seine ?
Je le répète, l'égalité devant la loi doit être véritablement compensée par un principe d'équité. Nos politiques publiques sont déjà différenciées. Nos territoires nous demandent une accentuation : ne ratons pas cette étape ! Soyez assurés qu'en tant que ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales je veillerai à garantir l'équilibre, l'équité et l'unité de notre pays – et je sais pouvoir compter sur vous tous pour le faire.
Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe Dem.
Nous en venons aux explications de vote sur la motion de rejet préalable. La parole est à M. Arnaud Viala pour le groupe Les Républicains.
Aucun des arguments qu'a développés notre collègue Taurine n'est recevable à mes yeux. En effet, le texte ne fait qu'aller dans le sens de ce que souhaitent les Français et les territoires lorsqu'ils demandent que soient prises en compte leurs particularités. Il ne contrevient en aucun cas aux principes d'égalité et d'équité nationales.
Enfin, je me permets de dire à ma collègue que je côtoie sur les bancs de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation que j'aimerais qu'elle tienne le même langage qu'aujourd'hui lorsqu'elle y défend les intérêts de sa circonscription des Pyrénées. Il me semble que nous sommes ici pour faire en sorte que la loi épouse l'évolution de notre pays et notre désir de l'aménager équitablement et partout. Nous voterons donc évidemment contre cette motion de rejet préalable.
La parole est à M. Rémy Rebeyrotte pour le groupe La République en marche.
Il est évident que notre groupe votera également contre cette motion de rejet préalable, d'abord par respect pour le travail du Sénat, qui a examiné et enrichi le texte du Gouvernement ; par respect également pour notre propre travail, étant donné que nous avons eu un riche débat en commission sur ce texte qui suscite tout de même un large consensus. Enfin, sur le fond, je vous confirme que nous n'avons pas les mêmes préventions que La France insoumise sur la liberté et l'autonomie de gestion de nos collectivités territoriales.
Nous ne voulons pas mettre les élus locaux en coupe réglée. Pour nous, les maires et les présidents d'intercommunalité confrontés à un problème ou à un enjeu particulier sur leur territoire doivent pouvoir prendre l'initiative et porter l'expérimentation qu'ils jugent nécessaire, avec le soutien de leur conseil municipal ou de leur conseil communautaire. L'égalité, c'est l'égalité des droits et l'opportunité d'agir : ce n'est pas un égalitarisme étriqué au nom duquel on attendrait tout d'un tiers, d'un tout, en l'occurrence l'État.
Par ailleurs, madame Taurine, je vous prierais de faire part à M. Mélenchon de ma compassion. Combien a-t-il dû souffrir quand il travaillait aux côtés du président François Mitterrand et de Gaston Defferre, qui ont souhaité donner toute leur place aux élus et aux pouvoirs politiques locaux, à un moment où l'État et les préfets décidaient de tout sur les territoires !
Ce texte est un nouvel acte de confiance adressé aux maires et aux élus locaux, une respiration pour nos territoires et leur capacité à agir.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.
La parole est à M. Christophe Jerretie, pour le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés.
Chacun connaît la position du groupe Dem sur cette question et, évidemment, madame la ministre, nous vous soutiendrons et voterons contre cette motion de rejet.
Au sein de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet, avec Jean-René Cazeneuve, Arnaud Viala et Rémy Rebeyrotte. Nous avons abouti au constat que l'évolution proposée était nécessaire. Faciliter l'expérimentation est une nécessité objective, dans la mesure où les règles juridiques qui l'encadrent la rendent difficile à mettre en oeuvre. La simplification proposée par ce projet de loi organique est donc la bienvenue.
Quant à l'unité de l'État, chacun entend la préserver, et c'est bien dans cet esprit que l'expérimentation a été encadrée par le Sénat, l'Assemblée nationale et l'ensemble des protagonistes impliqués.
Nous voterons donc contre cette motion qui nous semble manquer de fond. Nous considérons qu'au lieu de se situer sur le plan de la lutte politique, il est préférable de travailler ensemble sur ces expérimentations territoriales, dans le respect de l'unité du territoire.
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.
Ce texte ne mérite pas autant d'indignation. N'exagérons rien, il ne s'agit nullement du cheval de Troie destiné à mettre à bas la République. Comme le rapporteur, je pense qu'il s'agit d'un texte surtout technique, qui comporte une avancée essentielle en permettant la poursuite des expérimentations sans qu'elles soient généralisées.
Tout à fait !
Il faut bien comprendre que les territoires ont des demandes différentes, liées parfois à des spécificités qu'ils entendent conserver. Lorsqu'ils sont confrontés à des problèmes qui leur sont propres, je ne vois pas comment ils pourront développer une synergie pour s'en sortir, si on ne leur en donne pas les moyens. Le groupe Libertés et territoires considère donc que ce texte ne va pas assez loin, qu'il est même beaucoup trop timide. J'irai jusqu'à dire que vous êtes en train de réinventer, non pas l'eau chaude, mais l'eau tiède. Nous avons besoin d'un texte plus ambitieux !
Quant à l'égalité, un fils de paysan comme moi, issu du monde rural, a compris dès le départ qu'elle était toute théorique et qu'il n'aurait jamais les mêmes opportunités que celui qui habite dans un milieu urbain et aisé. Néanmoins, j'ai fait le choix de rester campagnard car, quand on est paysan, on ne quitte pas sa terre comme ça, on reste auprès de son arbre, comme le chantait Francis Cabrel.
Cela pour vous dire que, si dans certains cas la liberté opprime et la loi libère, en l'occurrence l'égalité théorique conduit à des inégalités réelles.
La parole est à M. Pascal Brindeau, pour le groupe UDI et indépendants.
La motion de rejet préalable présentée par notre collègue de la France insoumise est assez exemplaire de la divergence fondamentale qui oppose, dans cet hémicycle, les partisans d'une République décentralisée et les tenants d'une République qui devrait être absolument unitaire et égalitaire, sans amodiation ni exception ni aucun bémol, quels que soient l'enjeu et l'endroit du territoire national où l'on se trouve, en métropole ou outre-mer.
La France de Robespierre n'était pas cette France que vous décrivez, idéale dans l'égalité et efficace dans la justice. Les collectivités territoriales préexistaient à la France de Robespierre, et elles lui ont survécu. Ce que nous enseigne l'évolution de la décentralisation, à travers ses tentatives plus ou moins fructueuses, c'est que ce qui se passe à Paris n'est pas ce qui se passe en Loir-et-Cher, que les zones montagneuses n'ont rien à voir avec les littoraux et que nos îles et nos territoires ultramarins ont, dans leur diversité, des besoins spécifiques.
L'expérimentation en soi n'est qu'un instrument, à droit constitutionnel constant, pour tenter de résoudre des problèmes d'importance nés d'un trop grand centralisme ou d'une trop grande bureaucratisation. C'est pourquoi le groupe UDI et indépendants rejettera cette motion.
Notre groupe ne soutiendra pas cette motion de rejet préalable, pour la simple et bonne raison qu'on ne peut pas, sur ces bancs, exiger en permanence que l'on fasse confiance aux élus – et La France insoumise le réclame régulièrement à cor et à cri – et rejeter un projet de loi qui entend précisément donner aux maires, aux présidents d'intercommunalité, aux présidents de région et de département, la liberté d'expérimenter, au nom de la différenciation et de la diversité de nos territoires. Je dois dire que cela me laisse sans voix. J'ignore si c'est une posture, …
… ou si cela correspond à votre conviction profonde, laquelle serait alors en complet décalage avec les attentes des élus.
Nous serons donc évidemment à vos côtés, madame la ministre, pour soutenir ce projet de loi organique. Les apports, peu nombreux, du Sénat sont intelligents et améliorent le texte.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Agir ens et LaREM.
La parole est à Mme Bénédicte Taurine, pour le groupe La France insoumise.
Autant je peux entendre la parole de M. Molac, avec qui nous avons en effet des manières de voir totalement opposées mais qui, du moins, s'exprime avec respect, autant je remercie Mme la ministre, avec qui nous avons pu discuter de nos points de vue respectifs, autant je trouve très méprisants les propos de M. Viala : nous nous en expliquerons ultérieurement, car ce n'est pas le lieu ici.
Monsieur Rebeyrotte, je ne suis pas la secrétaire de M. Mélenchon : si vous avez quelque chose à lui dire, adressez-vous à lui.
Mme Caroline Fiat applaudit.
La motion de rejet préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Élodie Jacquier-Laforge.
Claude Bernard, le père de la méthode expérimentale, a ouvert la voie à cette approche scientifique, qui veut que l'on observe, que l'on expérimente, que l'on raisonne, pour ensuite voir arriver toutes les explications teintées de « la couleur de l'esprit de chacun ».
Si le droit public est longtemps resté fermé à cette démarche scientifique, parce que la loi devait s'appliquer à tous les cas et à toutes les personnes entrant dans les prévisions abstraites des textes régulateurs, la confrontation de cette conception universelle avec les réalités territoriales de notre pays a changé la donne.
La révision constitutionnelle de 2003 a ainsi inséré dans notre loi fondamentale l'expérimentation, donnant au pouvoir local une extension attendue, inscrite dans l'organisation décentralisée de la République. Le quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution permet désormais aux collectivités territoriales de déroger, lorsque la loi ou le règlement l'a prévu, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences.
Or, comme a pu le souligner le rapporteur, dix-huit ans après cet acte fondateur, force est de constater que le processus expérimental n'a pas atteint dans les collectivités territoriales le degré de maturité espéré. Depuis 2003, seules quatre expérimentations ont eu lieu sur le fondement de l'alinéa 4 : deux ont été généralisées avant leur évaluation finale, une a été abandonnée et une autre a été prolongée.
Le texte qui nous réunit aujourd'hui vise donc à simplifier le recours à ces expérimentations locales. Au lieu d'une procédure quelque peu dissuasive comptant de nombreuses étapes, ce projet de loi organique propose que toute collectivité entrant dans le champ d'application de l'expérimentation décide, par délibération motivée, d'y participer, sous le contrôle du préfet. Il prévoit également de sortir du schéma binaire – généralisation ou abandon – qui prévaut aujourd'hui en ce qui concerne l'issue des expérimentations locales. Ce texte propose ainsi que l'expérimentation puisse également aboutir, d'une part, au maintien des mesures prises à titre expérimental dans les collectivités territoriales ayant participé à l'expérimentation ou dans certaines d'entre elles, d'autre part, à leur extension à d'autres collectivités territoriales.
Il propose aussi que la loi puisse modifier les dispositions régissant l'exercice de la compétence ayant fait l'objet de l'expérimentation. En incitant les collectivités locales à se saisir de cet outil au service de politiques publiques innovantes et efficaces, qui permet également d'associer le citoyen à leur élaboration, nous pourrons avancer sur la mise en oeuvre du principe de différenciation territoriale.
Pour le groupe Dem, ce texte, qui s'inscrit dans la suite de l'étude demandée en 2019 par le Premier ministre au Conseil d'État, va dans le bon sens. Il est indispensable de faire confiance aux collectivités et à leurs élus locaux. Leur laisser plus de latitude, c'est leur permettre de mieux appréhender leur territoire et de répondre au mieux à ses besoins.
Le plan national Action, coeur de ville ou le programme Petites Villes de demain sont l'illustration de la nouvelle donne territoriale que nous souhaitons mettre en oeuvre, afin que chaque collectivité ait le moyen de concrétiser son projet, adapté aux besoins des habitants et répondant aux enjeux majeurs des territoires. Les collectivités territoriales, qui ont cette capacité d'innovation, ont démontré une fois de plus, depuis le début de la crise sanitaire de la covid-19, leur réactivité, leur ingéniosité, leur agilité et l'atout que représente leur proximité avec nos concitoyens.
Mes chers collègues, si nous voulons, en tant que législateurs, contribuer à la restauration du lien de confiance avec nos concitoyens, soutenir et accompagner la vitalité des territoires, tout en permettant une déclinaison efficace des politiques publiques au niveau local, il est essentiel que nous donnions davantage de liberté et de marge de manoeuvre aux collectivités territoriales. Ensuite, à elles de s'en saisir, accompagnées, au mieux, par les services de l'État.
Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – M. le rapporteur applaudit également.
Le point de départ de notre discussion est la réforme constitutionnelle de 2003, qui a représenté une première étape dans la reconnaissance de l'expérimentation par les collectivités territoriales. Contrairement à ce que certains semblent dire, le quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution a été élaboré pour expérimenter, et non pour différencier. Près de vingt ans plus tard, la réforme a produit peu d'effets en raison des contraintes posées au passage à l'expérimentation, et ce qui aurait dû être le support d'une politique d'innovation n'a été que peu utilisé : selon les informations disponibles, les expérimentations ont concerné le revenu de solidarité active, la tarification sociale de l'eau ou encore l'apprentissage et les ressources qui y sont consacrées.
La révision constitutionnelle et la loi organique prise en application de celle-ci étaient prudentes et prévoyaient une procédure rigoureuse préalablement à l'autorisation de l'expérimentation. Cette précaution était justifiée par le fait que l'expérimentation ne pouvait remettre en cause les conditions essentielles de l'exercice des libertés publiques, ni celles d'un droit constitutionnellement garanti. Elle était aussi une façon de rappeler que la République a un caractère indivisible. Derrière ce débat juridique et sémantique, c'est bien la conception de l'État et de la démocratie qui est en jeu : nous devons accepter l'innovation tant qu'elle ne remet pas en cause les principes de la République et du service public, dont le principe d'égalité.
Le texte lui-même a vocation à substituer à une procédure comptant plusieurs étapes un dispositif allégé. Ainsi, toute collectivité entrant dans le champ d'application de l'expérimentation pourra décider, par délibération motivée, de participer à celle-ci sous le contrôle du préfet. De façon opérationnelle, la conclusion de l'expérimentation pourra être soit son abandon, soit sa généralisation, soit, désormais, son application aux collectivités intéressées, y compris, éventuellement, à des collectivités nouvelles. En tout état de cause, nous devrons rester attentifs à ce que le droit à la différenciation territoriale ne soit pas l'occasion de creuser les inégalités, tant il est vrai que la capacité à exercer certains droits s'appuie sur des moyens en compétences et en finances qui peuvent varier sensiblement d'une collectivité à une autre.
Venons-en aux principales dispositions du texte. Je ne souhaite pas les reprendre toutes – les différents orateurs, ainsi que Mme la ministre et M. le rapporteur, les ont déjà rappelées – , mais je voudrais partager avec vous quelques réflexions.
Que penser du texte ? Certains y voient la programmation de l'abandon de l'égalité entre territoires et habitants – sujet qu'il convient, de façon générale, de garder à l'esprit. D'autres y voient la possibilité de différencier les territoires pour assurer la diversité des réponses à une multitude de situations locales, c'est-à-dire d'adapter les réponses pour les rendre plus efficaces. La vérité n'est assurément pas du côté de l'abandon de l'innovation, mais elle n'est pas davantage dans une spécialisation et une différenciation renforcées. Demain comme aujourd'hui, les différences de traitement devront être justifiées par un motif d'intérêt général et des différences de situation objectives entre les territoires, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel : elles ne dépendront donc pas de la seule volonté des collectivités territoriales.
Qu'inférer de ces observations ? Nos collègues du Sénat ont rappelé que l'évaluation des expérimentations serait un sujet central, mais nous devrons aussi, me semble-t-il, être capables de mener de véritables évaluations socioéconomiques mettant en évidence les bénéfices et les coûts de l'expérimentation en tenant compte de ce qui se serait passé si les collectivités n'avaient rien fait.
En somme, le projet de loi organique vise à simplifier les expérimentations sans aller jusqu'à la différenciation promue par le Gouvernement, alors même que les différences d'attractivité, d'environnement économique et de ressources des collectivités différencient déjà la capacité de celles-ci à innover et à expérimenter. Je pense qu'une nouvelle étape sera tôt ou tard nécessaire. En attendant, nous prenons acte de ce qui a été proposé, et nous déterminerons notre position en fonction des explications qui seront données par la suite. Quoi qu'il en soit, nous accompagnerons cet effort.
Dix-huit ans après l'acte II de la décentralisation introduit par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 créant les expérimentations par les collectivités territoriales sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution, nous voilà réunis pour discuter d'un dispositif dont les collectivités ont finalement eu du mal à se saisir. En effet, comme vous le rappeliez tout à l'heure, madame la ministre, seules quatre expérimentations ont eu lieu depuis 2003 sur le fondement de cet article. Déposé le 29 juillet 2020, le projet de loi organique propose une réforme consensuelle et soutenue par toutes les associations d'élus locaux. Nous saluons le travail des sénateurs qui, saisis du texte en première lecture, ont enrichi le dispositif de manière équilibrée et constructive.
Le projet de loi organique met sur la table un certain nombre d'améliorations et de simplifications destinées à encourager les collectivités territoriales à recourir davantage à ce dispositif. Aujourd'hui, les expérimentations souffrent d'un important défaut d'attractivité provoqué par une lourde procédure de lancement. Le projet de loi y répond efficacement, puisqu'il la simplifie très largement en permettant aux collectivités territoriales de participer à une expérimentation sur simple délibération de leur assemblée délibérante. Les formalités de publicité sont également allégées puisque la publication au Journal officiel ne sera plus faite qu'à titre informatif, alors qu'elle conditionne l'entrée en vigueur de l'expérimentation dans le dispositif actuel. Cet important effort procédural devrait permettre de réduire le délai moyen d'entrée en vigueur de l'expérimentation d'un an à deux mois.
La sécurité juridique est au coeur du projet de loi, puisque celui-ci met fin au contrôle de légalité renforcé du préfet sur l'ensemble des actes pris dans le cadre des expérimentations et limite celui-ci à la seule décision d'entrée dans l'expérimentation. C'est évidemment une avancée majeure.
Le défaut d'attractivité du dispositif actuel réside également dans sa finalité. Actuellement, deux issues sont possibles : une généralisation à toutes les collectivités, ou l'abandon de l'expérimentation. La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, dont M. le rapporteur, Stéphane Mazars, rapporte les propos dans le document faisant état de l'avancement de ses travaux, a parfaitement résumé la situation en expliquant que « l'ensemble des acteurs locaux entendus par la mission a fait le constat que cette conception restrictive de l'issue de l'expérimentation a constitué un frein non seulement psychologique mais aussi financier à l'utilisation de ce nouvel outil. Pourquoi consacrer du temps et des moyens humains et financiers pour concevoir, mettre en oeuvre et évaluer une expérimentation qui risque, in fine, d'être abandonnée ? »
Le projet de loi prend acte de cette problématique et y répond directement en ouvrant la voie à deux possibilités supplémentaires : ainsi, après évaluation, les mesures prises à titre expérimental pourront être maintenues dans les collectivités ayant participé à l'expérimentation, ou dans certaines d'entre elles, et pourront également être étendues à d'autres collectivités. De plus, les dispositions régissant l'exercice de la compétence ayant fait l'objet de l'expérimentation pourront être modifiées.
Toutefois, le projet de loi ne constitue pas une fin en soi. Il doit s'inscrire dans la stratégie plus globale du droit à la différenciation prévu dans le futur projet de loi 4D. La révision du dispositif des expérimentations locales devra aussi s'accompagner d'une augmentation des marges de manoeuvre données aux collectivités territoriales, notamment par le biais du renforcement du pouvoir réglementaire local et la clarification des compétences dévolues aux collectivités. Mais, grâce au projet de loi organique, nous franchissons une première étape importante, et le groupe Agir ensemble sera bien évidemment à vos côtés, madame la ministre, pour le soutenir.
Merci beaucoup !
Comme d'autres l'ont rappelé avant moi, le projet de loi organique modifie et élargit les conditions de recours à l'expérimentation à droit constitutionnel constant. Je ne souhaite pas commenter les raisons pour lesquelles une réforme constitutionnelle, qui avait été évoquée, n'a pas abouti dans le débat parlementaire : elle aurait permis d'envisager l'expérimentation dans un cadre élargi, y compris en modifiant le quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution.
Le projet de loi organique s'inscrit dans la suite de la réforme constitutionnelle de 2003 qui, vingt ans après les grandes lois de décentralisation, tirait le bilan de celles-ci dans plusieurs domaines, et pas seulement en termes d'expérimentation, qu'elle créait à la fois dans le cadre de l'article 37-1 pour les lois et règlements et dans celui de l'article 72 pour les collectivités territoriales. Cette réforme essayait par ailleurs, comme l'ont rappelé nos collègues de la France insoumise, de conjuguer notre attachement collectif au caractère indivisible de la République et les objectifs d'égalité et de justice avec la possibilité, pour les collectivités territoriales qui ont pris leur essor avec la première vague de décentralisation, de jouer pleinement leur rôle aux côtés de l'État, et parfois en substitution de celui-ci, afin d'apporter à nos concitoyens des réponses de proximité, de bon sens et donc d'efficacité, dans tous les domaines de la vie quotidienne.
Les blocs communaux, départementaux et régionaux ont évolué depuis le début de la décentralisation, au fil de différentes réformes visant à garantir le meilleur équilibre entre les libertés locales et la capacité de l'État d'appliquer les politiques publiques sur tout le territoire national, métropolitain comme ultramarin. Il a fallu placer le curseur au bon endroit pour faire en sorte que, en tenant compte de spécificités territoriales, ou parfois de spécificités sociales ou économiques, l'articulation entre l'État et les collectivités territoriales ne soit pas seulement théorique. C'est d'ailleurs la grande difficulté que nous connaissons depuis 2008 : outre la crise des subprimes, les différentes réformes qui se sont succédé jusqu'à la loi NOTRe – portant nouvelle organisation territoriale de la République – , qui a chamboulé l'équilibre entre les compétences des collectivités territoriales.
Le projet de loi organique qui nous est proposé et dont je ne détaillerai pas toutes les mesures – d'autres l'ont fait avant moi – a pour objectif d'assouplir un dispositif d'expérimentation qui n'a malheureusement pas connu le succès que l'on aurait pu espérer. Quatre expérimentations seulement en dix-huit ans montrent les limites du texte d'origine. Le dispositif est trop contraignant qu'il s'agisse de l'autorisation préalable, du contrôle et, surtout, de la sortie, puisqu'il prévoit tout ou rien, l'abandon ou la généralisation.
La vertu du présent projet de loi organique, modifié dans le bon sens par le Sénat grâce auquel nous parvenons à un texte équilibré, permettra une application beaucoup plus souple des expérimentations. Nous pouvons donc attendre qu'elles prennent un essor qu'on n'a pas constaté jusqu'à présent. C'est pourquoi les députés du groupe UDI et indépendants voteront le texte.
Deux ans après le lancement de la réforme constitutionnelle, voilà donc que la montagne a accouché d'une souris ; certes, d'une souris qui va dans le bon sens, mais qui n'aura fait qu'un petit pas de souris. Le présent texte reprend en effet des dispositions du projet de réforme constitutionnelle proposée par le Gouvernement en 2019 mais qui allaient plus loin. Nous regrettons donc que ce projet ait été purement et simplement enterré – il prévoyait d'inscrire le droit à la différenciation des collectivités dans l'article 72 de la Constitution et de faciliter le recours aux expérimentations. Évidemment, nous aurions aimé que la Corse ou la Bretagne figurent explicitement à l'article 74, mais cela semblait ne pas faire l'unanimité sur ces bancs – dommage.
Le projet de révision constitutionnelle prévoyait également de reconnaître la spécificité institutionnelle de la Corse, ce qui lui aurait donné une plus grande faculté de différenciation. Une ouverture était également proposée en faveur des collectivités territoriales d'outre-mer. Cette proposition, qui ne contentait pas tout le monde sur ces bancs, je viens de le dire, était tout de même au centre de débats que nous aurions bien aimé poursuivre jusqu'au bout.
Car c'est bien d'une réforme constitutionnelle que nous avons besoin : on voit bien que légiférer à cadre constant, comme vous le faites ici, ne permettra pas de lever les freins que tous les élus locaux déplorent. Autorisées par la Constitution depuis la réforme de 2003, les expérimentations menées par les collectivités territoriales ont en effet essuyé un échec patent. Le chiffre, cruel, a été rappelé : en près de dix-huit ans, seules quatre expérimentations ont été menées sur le fondement de l'article 72 de la Constitution et sur la cinquantaine de demandes d'expérimentations par la collectivité de Corse, le Gouvernement n'a daigné répondre qu'à deux d'entre elles, et encore négativement – je précise qu'il ne s'agit pas du présent gouvernement.
La loi organique enserrait trop les possibilités d'expérimentation mais le mal se situe bien à la racine de la norme suprême. Ainsi, on peut relever pas moins de neuf contraintes propres à l'expérimentation : objet, durée, espace, volontariat, évaluation, réversibilité, autorisation, finalisation et libertés publiques. Si l'on peut estimer que la contrainte relative à l'espace sera largement assouplie et que, grâce à la fin du choix binaire entre généralisation ou abandon, celle concernant la finalisation le sera également, la limitation de l'expérimentation dans le temps et de nombreuses autres contraintes n'en demeureront pas moins.
D'abord, le schéma retenu reste très descendant : c'est le législateur ou le Gouvernement qui décide d'ouvrir ces expérimentations territoriales et qui choisit les domaines de compétence. Ensuite, c'est aux collectivités territoriales de suivre ou non. À aucun moment lesdites collectivités et leur assemblée délibérante n'apparaissent dans le processus de décision en amont de ces lois que l'on pourrait qualifier d'habilitation à l'expérimentation territoriale – alors que les collectivités sont les premières concernées et sont au fait des réalités territoriales.
Ainsi, c'est toujours l'État qui autorise l'expérimentation locale, qui en précise l'objet, la durée, qui détermine les catégories et les caractéristiques des collectivités territoriales autorisées à y participer, ainsi que les cas dans lesquels l'expérimentation peut être entreprise. Retranscrire dans les articles du projet de loi organique les dispositions du texte constitutionnel, afin de préciser que les dérogations accordées aux collectivités ne pourront porter que sur les dispositions législatives qui régissent leurs compétences, bride la réflexion sur le champ de l'expérimentation. Quel est d'ailleurs le sens de cette limitation quand on sait que les communes bénéficient toujours de la clause générale de compétence ?
Tout à fait !
Et si, depuis 2015, départements et régions en sont privés, rien n'indique que cette clause générale de compétence ne sera pas réintroduite à l'avenir, rendant ainsi totalement caduque cette limitation.
En août, le législateur a posé d'autres conditions constitutionnelles d'application, des conditions strictes. Il en est ainsi du fameux principe d'égalité que les sénateurs ont inscrit noir sur blanc dans le projet de loi organique, alors qu'il ne l'était pas auparavant. Voilà qui nous fait craindre une lecture restrictive de ce principe d'égalité. Il ne faudrait pas que son inscription dans la loi organique soit prise pour un totem par le législateur ou par le Conseil constitutionnel. Le problème est par conséquent la jurisprudence qui risque de découler du principe d'égalité dans sa forme brute.
En fin de compte, nous avons le sentiment qu'il existe toujours cette méfiance vis-à-vis des expérimentations, de la différenciation, le sentiment que, selon vous, les collectivités locales ne seraient pas assez matures pour accéder à l'autonomie qui leur revient. Il faudrait que toujours l'État et le législateur veillent à ce que ces collectivités ne finissent pas par trop s'émanciper. Or c'est à cause de ce type de raisonnement que la différenciation n'a pas fonctionné dans notre pays.
Nous sommes au regret de penser que ce projet de loi organique, bien qu'allant dans le bon sens, je tiens à le souligner, ne sera pas suffisant pour réaliser le changement dont nos institutions ont besoin pour sauter le pas vers une république des autonomies locales.
Au moins, c'est dit !
Sous couvert de simplification, le projet de loi organique dont nous avons entamé l'examen ouvre la voie, dans son article 6, à la différenciation territoriale. Le président Macron, le Gouvernement et sa majorité font passer par la petite porte la différenciation territoriale envisagée par la révision constitutionnelle de 2018, différenciation recyclée grâce au présent texte, sans passer par un projet de loi constitutionnelle. La pirouette consistant à éviter le constituant en passant par une loi organique ne trompera personne.
Avant toute chose, je souhaite rassurer MM. Viala et Rebeyrotte. D'abord, monsieur Viala, ne vous inquiétez pas : nous tenons le même langage dans nos collectivités territoriales qu'ici et vous verrez que ce sera le cas, jusqu'au bout, de l'élue du Grand Est que je suis. Monsieur Rebeyrotte, quant à vous, même si nous sommes deux femmes de notre groupe à nous exprimer aujourd'hui à la tribune, nous parlons au nom de L'Avenir en commun, notre programme politique, et non au nom du président du groupe, que vous avez mentionné. S'il partage nos convictions, c'est parce que nous partons d'un programme commun. Il est désagréable de penser que, pour vous, des femmes parlent au nom d'un homme.
Le projet de loi constitutionnel, avant que n'éclate l'affaire Benalla, prévoyait dans son article 15…
Il est également très désagréable, en tant que femme, de se voir couper la parole, monsieur Rebeyrotte.
Merci, madame la présidente.
Le projet de loi constitutionnelle, abandonné à cause de l'affaire Benalla, prévoyait dans son article 15 de modifier l'article 72 de la Constitution pour introduire un droit à la différenciation entre collectivités territoriales. Il permettait tout d'abord à certaines d'entre elles d'exercer des compétences dont ne dispose pas l'ensemble des collectivités de même catégorie. Il donnait surtout la possibilité aux collectivités et à leurs groupements de déroger, lorsque la loi ou le règlement l'ont prévu, aux dispositions législatives ou réglementaires encadrant leurs compétences. Cette dérogation pouvait être appliquée sans passer par une expérimentation.
L'expérimentation prévue à l'article 72 était maintenue par le projet à une importante différence près : l'expérimentation n'aurait plus eu comme seule conclusion possible une généralisation sur tout le territoire français ou un abandon : elle pouvait conduire à une différenciation pérenne. Or c'est, à quelques détails près, exactement ce que prévoit l'article 6 du présent projet de loi organique.
Celui-ci modifie la procédure de sortie des expérimentations. Ces dernières, actuellement, je le répète, s'achèvent par un abandon ou pas leur généralisation sur l'ensemble du territoire français. Le texte soumis à notre examen prévoit que les mesures expérimentales pourront être maintenues dans les collectivités expérimentatrices ou dans certaines d'entre elles. Elles pourront également être étendues à d'autres justifiant d'une différence de situation. C'est donc la généralisation d'une expérimentation seulement à certaines collectivités et donc dans une seule partie du territoire de la République qui introduit de fait la différenciation.
Une telle disposition est une atteinte au principe d'égalité devant la loi, d'unicité et d'indivisibilité de la République. Différencier, c'est créer des inégalités encore plus grandes entre les collectivités, qui engendreront elles-mêmes des inégalités abyssales entre nos concitoyens. Les collectivités les plus riches lanceront les expérimentations qu'elles seront capables de gérer et pérenniser ; les plus pauvres et leurs administrés resteront pour leur part sur le bas-côté.
Or l'urgence n'est-elle pas au contraire de renforcer l'égalité de tous devant la loi, de renforcer l'unité et l'indivisibilité de la France ? Qu'ont fait les députés de la majorité lorsqu'à l'occasion de l'examen du projet de loi censé conforter les principes de la République, nous avons proposé que la loi de 1905 s'applique enfin à l'ensemble du territoire français, abrogeant ainsi le concordat d'Alsace-Moselle et les statuts spécifiques en vigueur dans les collectivités d'outre-mer ? Notre république est en effet une et indivisible depuis 229 ans, lorsque la Convention nationale l'a proclamé le 25 septembre 1792.
Les conclusions de la Convention sont aujourd'hui reprises dans l'article 1er de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. » De plus, l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le groupe La France insoumise votera contre le projet de loi organique.
Applaudissements sur les bancs du groupe FI.
Depuis une dizaine d'années, plusieurs réformes ont considérablement aggravé la mise en concurrence des territoires, élargi les inégalités, remis en cause les principes constitutionnels d'unité et d'indivisibilité de la République. Face à un tel bouleversement institutionnel, il aurait été indispensable d'engager un véritable débat national, mais les gouvernements successifs, pas seulement le vôtre, s'y sont obstinément refusé, préférant précipiter l'examen de réformes élaborées sans concertation et sans vision de long terme – la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République est très emblématique de telles dérives.
Toutes ces réformes, en louant les bienfaits de la gestion managériale, ont sans surprise renforcé partout la technostructure. À cet égard, la loi relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique a certes entériné des avancées minimes pour que les maires soient davantage entendus au sein des intercommunalités, mais elle n'a permis ni d'évaluer ni de contrarier les logiques supracommunales qui prévalent désormais dans l'organisation des intercommunalités. C'est bien pourtant le gigantisme sans contenu et la technocratisation qui affaiblissent la brique communale, c'est-à-dire le foyer même de la citoyenneté.
C'est dans ce contexte que nous examinons ce projet de loi organique qui, selon son exposé des motifs, entend simplifier les conditions de mise en oeuvre des expérimentations et ainsi illustrer le principe de différenciation territoriale. Tout notre désaccord est d'ailleurs résumé par cette phrase. L'expérimentation, oui, pourquoi pas, mais inscrire durablement la différenciation des territoires, là est pour nous le problème.
On pourrait tout d'abord s'interroger sur la pertinence de l'examen de ce texte alors que le projet de loi dit 4D, reporté à plusieurs reprises, devrait être présenté en conseil des ministres au début du printemps. Certes, le présent texte est modeste et ne permet pas au Gouvernement de réaliser ses ambitions, d'affermir le droit à la différenciation en le mettant au même niveau, constitutionnel, que d'autres comme le principe d'égalité ou d'indivisibilité. Mais le mot d'ordre de la différenciation est bien ce qu'inspire cette réforme. L'article 6 vise en effet à faciliter les expérimentations pour les collectivités locales afin qu'elles ouvrent la voie à une différenciation durable. L'adoption de ce dispositif créerait une brèche en provoquant une rupture avec le principe d'égalité entre les collectivités, d'une part, et entre les citoyens, d'autre part.
Mes chers collègues, mesurez que, depuis la Révolution française, l'exercice de la citoyenneté se fonde sur le contrôle de l'impôt et de la dépense publique par le citoyen. C'est ce lien précieux entre le citoyen et la collectivité qu'il convient de ne pas abîmer ou distendre, comme tant de lois semblables à celle que nous examinons aujourd'hui l'ont fait, contribuant à nourrir la défiance et, finalement, l'abstention. De très nombreux pouvoirs, dans les territoires, sont exercés par des instances qui n'ont pas été désignées au suffrage universel direct. Quand le citoyen ne peut pas contrôler directement, par son vote, celui qui décide de nombreux aspects de sa vie quotidienne, il ne faut pas s'étonner que l'abstention progresse.
Autre principe républicain malmené : l'égalité. Pour exercer une compétence, encore faut-il en avoir les moyens. Or seules les collectivités les plus riches pourront prendre le risque d'assumer de nouvelles compétences et, in fine, en tirer avantage au détriment des territoires les plus pauvres. Plusieurs études en attestent : la différenciation constitue un obstacle au mécanisme correcteur des inégalités induites par la décentralisation. En outre, alors même que nous en appelons régulièrement à une meilleure lisibilité des politiques publiques, l'adoption de ce texte, qui vise à ce que la loi puisse varier selon les collectivités plutôt que de s'appliquer uniformément en France, ajouterait indéniablement de la complexité à un droit déjà peu intelligible. Elle créerait en outre une insécurité juridique pour les citoyens et les élus locaux. Tout cela concourrait, en définitive, à réduire la lisibilité des compétences de chaque autorité publique, à brouiller les responsabilités des uns et des autres et donc à abîmer le lien si précieux que j'évoquais entre les citoyens et les collectivités dont ils dépendent.
Enfin, l'affermissement de la différenciation nourrit des antagonismes dangereux pour l'unité de la République. De nouvelles réflexions émergent autour du concept flou de « territoire », utilisé pour opposer non seulement les collectivités à l'État, mais également les collectivités entre elles. Une telle vision ne peut que renforcer les particularismes locaux et les revendications régionalistes.
En définitive, vous l'aurez compris, nous considérons que ce texte ne peut que conduire à accentuer les fractures territoriales, alors même que nous devons les combler d'urgence. Nous voterons donc contre cette réforme.
Mme Bénedicte Taurine applaudit.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures :
Suite de la discussion du projet de loi organique relatif à la simplification des expérimentations mises en oeuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution.
La séance est levée.
La séance est levée à dix-neuf heures trente.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra