Intervention de Stéphane Mazars

Séance en hémicycle du mardi 16 mars 2021 à 15h00
Article 1er de la constitution et préservation de l'environnement — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Mazars, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Le texte, que nous examinons aujourd'hui et que la commission des lois a adopté il y a deux semaines sans modification, n'est pas aussi technique qu'il y paraît. En effet, il s'inscrit dans une démarche collective positive en faveur des collectivités territoriales qui, je l'espère, se prolongera par le dépôt attendu et espéré au printemps prochain du projet de loi 4D.

Le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui concerne les expérimentations menées par les collectivités territoriales, prises sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution, lesquelles ont été permises par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République.

Dix-huit ans après l'acte II de la décentralisation, le constat dressé est unanimement regretté et sans appel : les possibilités ouvertes par ce dispositif sont restées largement inexploitées. En effet, depuis 2003, seules quatre expérimentations ont eu lieu dans ce cadre : deux ont été généralisées avant leur évaluation finale, une a été abandonnée et une autre a été prolongée. Les sujets d'expérimentation relatifs au revenu de solidarité active – RSA – , à la tarification sociale de l'eau, à la taxe d'apprentissage et à l'accès à l'apprentissage étaient pourtant essentiels et concrets et auraient dû appeler d'autres expérimentations.

Le constat relatif aux causes de cette désaffection est largement partagé. La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation et le Conseil d'État ont réalisé en 2018 et en 2019 un important travail, mettant en lumière les deux problèmes spécifiques à ces expérimentations.

D'une part, la procédure de mise en oeuvre prévue par la loi organique du 1er août 2003 est trop lourde, ce qui engendre des délais excessifs. À l'évidence, la portée des nouvelles possibilités ouvertes par la révision constitutionnelle a été restreinte par la loi organique elle-même. À l'heure actuelle, il faut franchir pas moins de sept étapes pour mettre en oeuvre une expérimentation, ce qui est beaucoup trop long. Ainsi, pour ces quatre expérimentations, un délai moyen d'un an a été constaté entre la loi ou le décret autorisant leur lancement et la publication du décret arrêtant la liste des collectivités territoriales autorisées à y prendre part.

D'autre part, le caractère binaire de l'issue de l'expérimentation – abandon ou généralisation, sauf si l'expérimentation est prolongée – s'est avéré peu incitatif pour les collectivités territoriales.

Rendue nécessaire, l'évolution de la loi organique du 1er août 2003 doit néanmoins aujourd'hui être envisagée à cadre constitutionnel constant. Je ne peux que regretter que la perspective d'une adoption prochaine de la réforme constitutionnelle qui aurait permis d'offrir plus de responsabilités et de libertés à nos territoires se soit éloignée, mais je constate que cette contrainte n'a cependant pas empêché le Gouvernement de proposer le présent projet de loi organique opérationnel et utile, qui permettra de simplifier et de faciliter les expérimentations dans nos territoires.

À cette fin, ses articles 1er, 2, 4 et 7 faciliteront l'entrée des collectivités territoriales dans l'expérimentation et allégeront le contrôle exercé en la matière. L'article 2 mettra ainsi fin au régime d'autorisation préalable auquel étaient soumises les collectivités territoriales souhaitant prendre part à l'expérimentation. L'article 3 prévoit une entrée en vigueur des actes dérogatoires dans les conditions de droit commun. L'article 5, que le Sénat a récrit, enrichira le processus d'évaluation, en prévoyant la remise d'un rapport intermédiaire au cours de l'expérimentation.

L'article 6 consacre deux options supplémentaires à l'issue de l'expérimentation : le maintien des mesures prises à titre expérimental dans toutes les collectivités territoriales ayant participé à l'expérimentation ou dans certaines d'entre elles, et la possibilité d'une extension à d'autres collectivités. Il prévoit également la modification des dispositions régissant l'exercice de la compétence ayant fait l'objet de l'expérimentation. Cet article important permettra d'adopter une approche plus fine et plus intelligente de la mise en oeuvre des politiques publiques, afin de répondre aux problématiques de chaque territoire.

Le principe d'égalité, auquel nous sommes tous très attachés, contraindra la pérennisation différenciée des expérimentations, ce qui est une bonne chose. D'ailleurs, le Sénat a fait en sorte que cette contrainte positive soit inscrite noir sur blanc dans le texte. Cependant, le principe d'égalité ne doit pas être interprété de manière monolithique : il ne s'agit pas d'un principe d'uniformité : comme tout principe, celui-ci peut faire et fait l'objet d'adaptations lorsqu'elles sont justifiées, en l'espèce par une situation objectivement différente ou par un motif d'intérêt général.

Au-delà de ce point qui suscite quelques inquiétudes – nous y reviendrons lors de la discussion des amendements – , le projet de loi organique s'inscrit dans une démarche collective et consensuelle qu'il convient de saluer. D'abord, il se fonde sur des travaux préparatoires de grande qualité. Ensuite, il est soutenu par l'ensemble des associations d'élus locaux que j'ai pu auditionner. Enfin, et vous l'avez rappelé madame la ministre, le Sénat, saisi du texte en premier lieu, a enrichi ses dispositions de manière très constructive.

Alors que nous pouvons désormais entrevoir une adoption définitive dès ce soir et une entrée en vigueur dans les plus brefs délais, je le redis : le projet de loi organique ne pourra pas se suffire à lui-même. En effet, l'ambition ne se décrète pas, elle se suscite. Pour développer la démarche expérimentale dans nos territoires, deux éléments devront être pris en considération.

Tout d'abord, il y a la question de l'offre : rien ne sert de simplifier la procédure si le nombre d'expérimentations proposées est trop faible. En l'occurrence, quatre en dix-huit ans, c'est trop peu.

Si des expérimentations existent sous d'autres formes – par exemple, celles de l'article 37-1 de la Constitution – , il est nécessaire de redonner un nouvel élan à celles relevant de l'article 72. Il ne s'agit pas d'un slogan ou d'une mode, mais j'ai la conviction que l'expérimentation peut apporter des réponses pertinentes à la recherche d'efficience pour les politiques publiques et au besoin de proximité exprimé par bon nombre de nos concitoyens.

En ce qui concerne la question de la demande, à l'échelon territorial, il est également nécessaire d'encourager les expérimentations, ce qui suppose d'instaurer un véritable accompagnement des collectivités par les services de l'État afin qu'elles puissent s'emparer concrètement de la réforme. Il ne suffit pas de simplifier : il faudra aussi encourager et accompagner les initiatives locales, y compris dans la durée.

Je remercie Mme la ministre d'avoir répondu, lors de son audition en commission, aux préoccupations que j'ai exprimées, et d'avoir formulé des engagements très concrets, parmi lesquels la création de guichets permanents et dédiés, placés auprès des préfets et qui permettront à l'État de recueillir, sur le terrain, les propositions des collectivités territoriales en matière d'expérimentation. Il s'agit d'une mesure utile et très positive.

Au niveau central, les guichets locaux s'appuieront sur la Direction générale des collectivités locales – DGCL – qui centralisera les propositions reçues par les préfectures et assurera une coordination avec les différents ministères chargés d'examiner l'opportunité et la faisabilité des propositions. Ce dispositif permettra également d'accompagner les collectivités territoriales dans la mise en oeuvre des expérimentations, de renforcer l'ingénierie mis à leur disposition et ainsi d'insuffler un nouvel élan à la démarche expérimentale.

Enfin, je me réjouis que l'avant-projet loi 4D prévoit d'ores et déjà deux nouvelles expérimentations sur le fondement de l'article 72 de la Constitution. L'une concernera un renforcement des dispositifs de délégation de compétences de l'État aux intercommunalités en matière de logement social et d'hébergement, et l'autre portera sur des mesures relatives au renforcement des dispositifs d'insertion et d'orientation pour les allocataires du RSA.

Le texte que nous allons adopter et la dynamique dans laquelle il s'inscrit feront oeuvre utile au service de nos territoires, de leur énergie, de leur intelligence et de leur diversité.

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