Deux ans après le lancement de la réforme constitutionnelle, voilà donc que la montagne a accouché d'une souris ; certes, d'une souris qui va dans le bon sens, mais qui n'aura fait qu'un petit pas de souris. Le présent texte reprend en effet des dispositions du projet de réforme constitutionnelle proposée par le Gouvernement en 2019 mais qui allaient plus loin. Nous regrettons donc que ce projet ait été purement et simplement enterré – il prévoyait d'inscrire le droit à la différenciation des collectivités dans l'article 72 de la Constitution et de faciliter le recours aux expérimentations. Évidemment, nous aurions aimé que la Corse ou la Bretagne figurent explicitement à l'article 74, mais cela semblait ne pas faire l'unanimité sur ces bancs – dommage.
Le projet de révision constitutionnelle prévoyait également de reconnaître la spécificité institutionnelle de la Corse, ce qui lui aurait donné une plus grande faculté de différenciation. Une ouverture était également proposée en faveur des collectivités territoriales d'outre-mer. Cette proposition, qui ne contentait pas tout le monde sur ces bancs, je viens de le dire, était tout de même au centre de débats que nous aurions bien aimé poursuivre jusqu'au bout.
Car c'est bien d'une réforme constitutionnelle que nous avons besoin : on voit bien que légiférer à cadre constant, comme vous le faites ici, ne permettra pas de lever les freins que tous les élus locaux déplorent. Autorisées par la Constitution depuis la réforme de 2003, les expérimentations menées par les collectivités territoriales ont en effet essuyé un échec patent. Le chiffre, cruel, a été rappelé : en près de dix-huit ans, seules quatre expérimentations ont été menées sur le fondement de l'article 72 de la Constitution et sur la cinquantaine de demandes d'expérimentations par la collectivité de Corse, le Gouvernement n'a daigné répondre qu'à deux d'entre elles, et encore négativement – je précise qu'il ne s'agit pas du présent gouvernement.
La loi organique enserrait trop les possibilités d'expérimentation mais le mal se situe bien à la racine de la norme suprême. Ainsi, on peut relever pas moins de neuf contraintes propres à l'expérimentation : objet, durée, espace, volontariat, évaluation, réversibilité, autorisation, finalisation et libertés publiques. Si l'on peut estimer que la contrainte relative à l'espace sera largement assouplie et que, grâce à la fin du choix binaire entre généralisation ou abandon, celle concernant la finalisation le sera également, la limitation de l'expérimentation dans le temps et de nombreuses autres contraintes n'en demeureront pas moins.
D'abord, le schéma retenu reste très descendant : c'est le législateur ou le Gouvernement qui décide d'ouvrir ces expérimentations territoriales et qui choisit les domaines de compétence. Ensuite, c'est aux collectivités territoriales de suivre ou non. À aucun moment lesdites collectivités et leur assemblée délibérante n'apparaissent dans le processus de décision en amont de ces lois que l'on pourrait qualifier d'habilitation à l'expérimentation territoriale – alors que les collectivités sont les premières concernées et sont au fait des réalités territoriales.
Ainsi, c'est toujours l'État qui autorise l'expérimentation locale, qui en précise l'objet, la durée, qui détermine les catégories et les caractéristiques des collectivités territoriales autorisées à y participer, ainsi que les cas dans lesquels l'expérimentation peut être entreprise. Retranscrire dans les articles du projet de loi organique les dispositions du texte constitutionnel, afin de préciser que les dérogations accordées aux collectivités ne pourront porter que sur les dispositions législatives qui régissent leurs compétences, bride la réflexion sur le champ de l'expérimentation. Quel est d'ailleurs le sens de cette limitation quand on sait que les communes bénéficient toujours de la clause générale de compétence ?