Intervention de éric Dupond-Moretti

Séance en hémicycle du vendredi 19 mars 2021 à 9h00
Droit au respect de la dignité en détention — Présentation

éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

Une grande démocratie se mesure aussi à l'état de ses prisons. Je ne peux pas me résoudre à l'idée que la France, patrie des droits de l'homme, soit régulièrement condamnée pour l'indignité de ses détentions.

N'en déplaise aux abolitionnistes de la prison, la peine d'emprisonnement est, je le redis, nécessaire à l'État de droit et à la République. Elle ne peut, bien sûr, être la seule réponse judiciaire, comme certains responsables politiques populistes le soutiennent. La prison s'impose lorsqu'elle est l'unique solution pour assurer la sécurité de nos concitoyens, afin de mettre à l'écart les délinquants dangereux. Je veux parler des terroristes, de ceux qui ont commis des actes d'atteinte aux personnes, de la criminalité organisée, des trafics de grande ampleur.

Cependant, la privation de liberté ne doit jamais correspondre à une privation de dignité : c'est une question d'humanité. Pour la délinquance de basse intensité, l'incarcération n'est pas la solution. Les courtes peines exécutées sur des matelas à même le sol, dans des cellules étroites, où s'entassent parfois plusieurs détenus dans une insoutenable proximité, sont désocialisantes et criminogènes. Que les choses soient claires : la peine doit avoir un sens. En premier lieu, elle ne doit pas être un vecteur de récidive.

Depuis mon arrivée à la tête du ministère de la justice, j'agis pour améliorer à la fois les conditions de détention des personnes écrouées et la qualité de travail des personnels pénitentiaires. Je tiens solennellement, devant votre assemblée, à saluer le courage et le professionnalisme des chefs d'établissement, officiers, gradés, surveillants, personnels d'insertion, qui, en dépit de la complexité de leur mission, décuplée durant cette période de crise sanitaire, font fonctionner nos prisons, contribuant ainsi de manière indispensable à l'oeuvre de justice.

La priorité, pour progresser, est de tirer toutes les conséquences de la condamnation de l'État français par la Cour européenne des droits de l'homme – CEDH – , le 30 janvier 2020, pour ses conditions de détention dans six maisons d'arrêt et centres pénitentiaires. La réponse doit être à la hauteur des enjeux. Nous avons, à cette fin, proposé un plan d'action, qui sera finalisé à la fin du mois de juin et examiné en comité des ministres du Conseil de l'Europe en septembre prochain.

Il est notamment indispensable de poursuivre la mise en oeuvre des dispositions de la loi de programmation et de réforme pour la justice du 24 mars 2019, qui a refondé l'échelle des peines. Il faut accompagner en priorité la révolution culturelle qu'elle présuppose : sortir du tout carcéral ; limiter le prononcé des emprisonnements de courte durée qui sont, je le répète, des peines désocialisantes ; favoriser le recours aux alternatives à l'incarcération pour les infractions les moins graves, puisque, on le sait, plus la sortie de prison est accompagnée et encadrée, plus la personne dispose d'un logement, d'un travail, d'une formation, d'un travailleur social qui assure son suivi, et plus le risque de nouveaux passages à l'acte diminue.

Nous devons mettre en place une politique de régulation carcérale plus volontariste : tel est le discours que je tiens très régulièrement auprès de l'ensemble des chefs de cours et de juridictions, pour qu'ils s'emparent avec volontarisme de la mise en ? uvre de la nouvelle loi, explorent activement les marges de progression qui existent et adaptent ainsi rapidement leur politique pénale sur chacun de leurs ressorts.

Les aménagements de peine ab initio ont très significativement augmenté, passant de de 3 % à 11 % en moins d'un an, ce qui est un signal positif, même si, chaque mois environ, quarante peines illégales de moins d'un mois de prison sont encore prononcées. Les alternatives à la détention doivent être développées dès le traitement des procédures par les parquets, qui doivent utiliser le pouvoir qui est le leur, du choix des poursuites, car, pour les incivilités et les délits de faible gravité qui pourrissent littéralement la vie de nos concitoyens, il faut des réponses immédiates, efficaces et constructives, pour garantir la force pédagogique de la justice.

Conformément aux engagements du Président de la République, l'amélioration des conditions de détention dont nous débattons passe également par la construction de places supplémentaires de prison, non pas pour emprisonner davantage, mais pour incarcérer mieux, dans des conditions plus dignes. Nous en construirons 15 000, dont 7 000 sont déjà en cours de réalisation, ce qui permettra notamment de fermer des établissements insalubres ou vieillissants et de créer des places de prison neuves. J'annoncerai très prochainement les sites retenus pour les 8 000 places supplémentaires, dont la livraison est prévue à l'horizon de 2027.

Nous devons, enfin, et évidemment, prendre en considération les exigences de nos juridictions nationales, dont les deux arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 8 juillet 2020, et, en particulier, la décision du Conseil constitutionnel du 2 octobre 2020 qui nous réunit aujourd'hui. Par cette décision, la haute juridiction a demandé au législateur de garantir aux détenus placés en détention provisoire la possibilité de saisir le juge pour conditions de détention indignes.

Vous le savez, nous avons dès lors beaucoup travaillé pour concevoir, en réponse, un discours effectif, cohérent et efficace qui, je le crois, s'inscrira parfaitement dans notre droit. Au regard des enjeux, j'ai souhaité soumettre ce projet à l'avis du Conseil d'État, qui l'a validé au début du mois de décembre dernier. La procédure parlementaire n'a cependant pas permis d'intégrer cet amendement, transmis aux deux commissions saisies du projet de loi relatif au parquet européen alors en débat. C'est pourquoi, au regard des délais fixés par le Conseil constitutionnel, la présente proposition de loi revêt une importance toute particulière : il est temps, enfin, de rétablir dans notre pays des conditions de détention dont nous n'ayons pas à rougir, et de permettre enfin un recours effectif, pour faire cesser les situations révoltantes que nous connaissons tous.

Aussi, je tiens à remercier la commission des lois du Sénat pour son initiative. Mais il me faut remercier particulièrement votre commission des lois, en particulier sa présidente, Mme Yaël Braun-Pivet, qui, je le sais, a, depuis le début de la législature, eu une implication toute particulière sur ces questions, et que je sais pouvoir trouver à mes côtés lors des prochaines réformes pénitentiaires. Cet engagement, en lien étroit avec le groupe d'études sur les prisons et conditions carcérales, dont la présidente n'est autre que la rapporteure du texte, a permis un travail d'analyse remarquable, à l'aune de nos débats du jour. Je tiens ainsi à saluer l'implication de la députée Caroline Abadie et la qualité de ses propositions constructives, qui vous permettront d'améliorer le dispositif ce matin.

Il nous faut en effet être précis. La proposition de loi crée un nouvel article 803-8 dans le code de procédure pénale, qui pose le principe d'un recours effectif, et rappelle son existence dans le second alinéa de l'article 144-1 du même code, s'agissant des prévenus, ainsi qu'à l'article 707 pour les condamnés.

Si la personne est en détention provisoire, la juridiction compétente pour statuer sur la demande sera le juge des libertés et de la détention. Si la personne exécute sa peine, la requête relève alors de la décision du juge de l'application des peines. Le magistrat ainsi saisi pourra, si nécessaire, faire vérifier les allégations circonstanciées du détenu, le texte reprenant les formulations de la chambre criminelle de la Cour de cassation. S'il estime la requête justifiée, il fixera alors le délai dans lequel l'administration pénitentiaire devra mettre fin aux conditions indignes de détention, le cas échéant en transférant la personne dans un autre établissement pénitentiaire. Si les conditions indignes perdurent à l'issue de ce délai, le juge pourra ordonner lui-même un transfèrement, ou, pour les prévenus, la libération de la personne, le cas échéant sous mesure de sûreté. Pour les condamnés, il pourra prononcer une libération sous aménagement de peine, si la personne est éligible à une telle mesure.

C'est la force de ce nouveau dispositif d'être à la fois clair, lisible et efficace, pour répondre aux exigences constitutionnelles, qui sont indissociables de l'État de droit. Ce nouveau dispositif répond également aux exigences d'humanité et de dignité qui doivent prévaloir à l'exécution de toute peine privative de liberté. C'est pourquoi, mesdames et messieurs les députés, nous pouvons être collectivement fiers de franchir aujourd'hui une étape majeure dans l'amélioration des conditions de détention.

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