Intervention de Pierre Moscovici

Séance en hémicycle du mardi 23 mars 2021 à 15h00
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes

Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes :

Le chapitre consacré à l'hébergement et au logement des personnes sans domicile pendant la crise met également en lumière une faible préparation opérationnelle à la crise. En effet, les services de l'État ont rapidement créé des cellules de gestion de crise, mais ils ne disposaient pas tous d'un plan de continuité d'activité à jour. Or, en l'absence de ces outils, il n'a pas été possible, durant les premières semaines, de couvrir de façon satisfaisante les besoins de protection des plus précaires.

Un autre secteur s'est révélé peu armé pour affronter une crise qui l'a pourtant placé en toute première ligne : les services de réanimation et de soins critiques. Comme le rappelle notre rapport, avant la crise, la réanimation était une activité hospitalière très spécifique, peu connue du grand public – depuis, hélas, elle l'est beaucoup plus. Pourtant, depuis le début de la crise, elle conditionne nombre de décisions, influant de manière décisive non seulement sur le fonctionnement de notre système de santé, mais également sur notre vie économique et sociale, ainsi que sur nos libertés publiques.

Ce phénomène est bien entendu totalement inédit, et c'est au prix d'un renoncement sans précédent aux autres soins – dont il faudra d'ailleurs évaluer toutes les conséquences – et dans un contexte de fragilité structurelle des ressources humaines dédiées à cette activité, que la mobilisation des services de soins critiques a eu lieu. La Cour pense que ce modèle doit aujourd'hui être revu, car quoi qu'il arrive, le vieillissement de la population soulèvera la question de l'augmentation des effectifs des services de réanimation et une réforme des modalités de financement.

L'enquête menée par les chambres régionales des comptes sur un vaste échantillon d'établissements de santé implantés dans les régions Nouvelle-Aquitaine et Bourgogne-Franche-Comté permet de corroborer les constats de la Cour au niveau territorial. Cette enquête souligne notamment que le « plan blanc » déployé par plusieurs hôpitaux s'est révélé mal adapté à la gestion d'une épidémie. Surtout, elle indique que la réduction des incertitudes qui entourent le système de collecte et de remontée d'informations, sur lesquelles se fondent pourtant des décisions pratiques nationales, constitue un chantier absolument prioritaire.

Je tiens à préciser que nous ne souhaitons pas, par ces exemples, pointer du doigt certaines administrations. Je n'aime pas la formule selon laquelle la Cour serait là pour « épingler » ou « étriller » : la Cour est là pour évaluer, contrôler, aider à assurer la qualité de la décision publique. Les exemples ne sont là que pour mieux illustrer la nécessité d'accorder plus de temps et d'attention à la préparation et à l'anticipation des crises, c'est-à-dire à ce que l'on appelle la résilience des acteurs publics.

Impréparation ne signifie toutefois pas mauvaise réaction ou mauvaise gestion : c'est le deuxième enseignement de ce premier tome, et il est plutôt réconfortant. Une fois la crise enclenchée, les acteurs publics se sont fortement mobilisés et ont fait preuve d'une très grande capacité de réaction, et même d'innovation, pour faire face aux conséquences de la crise. Ce constat vaut pour les administrations et services que je viens de citer – en particulier les services de réanimation et de soins critiques, auxquels nous devons un hommage tout particulier puisqu'ils ont sauvé de nombreuses vies – mais aussi pour d'autres politiques.

À cet égard, les développements consacrés à l'aide au retour des Français retenus à l'étranger pendant la pandémie soulignent une mobilisation exceptionnelle, à la fois du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et de la compagnie nationale Air France, qui a déployé des efforts considérables et d'une qualité très supérieure à celle de tous ses concurrents européens. En effet, aucune compagnie nationale n'a consenti à une telle coopération, chez nos voisins britanniques ou allemands par exemple. Près de 370 000 personnes ont ainsi pu regagner le territoire français, dont 240 000 grâce à l'aide apportée directement par le ministère, pour un coût total très maîtrisé d'environ 8,5 millions d'euros. Cette aide au retour, je tiens à le préciser et à le saluer, est le fruit d'un engagement politique, et en aucun cas d'une obligation juridique.

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