Pour rester dans le domaine des transports, qui est tout à fait important, le chapitre consacré à la SNCF montre que le groupe ferroviaire national a lui aussi fait preuve d'une réactivité notable. En effet, elle a rapidement instauré une organisation de crise, en prenant des mesures sanitaires pour ses personnels et ses clients, mais aussi en anticipant la reprise de l'activité. La circulation des trains de voyageurs a été assurée, tout comme le transport de fret, qui a été orienté en priorité vers les besoins essentiels.
Dans un autre domaine, notre rapport public présente un exemple de dispositif très rapidement déployé pour gérer les conséquences de la crise : le fonds de solidarité à destination des entreprises. Comme vous le savez, c'est, avec l'indemnisation de l'activité partielle et les prêts garantis par l'État, l'un des principaux dispositifs de soutien aux entreprises instaurés par le Gouvernement. La Cour a conduit une comparaison internationale sur neuf pays, qui montre qu'ils ont tous, peu ou prou, adopté ce type de mesures. Le succès du fonds a été réel, et il a permis de limiter les effets de la crise en distribuant très rapidement 11,8 milliards d'euros à 1,8 million d'entreprises.
Après le premier confinement, ce fonds s'est transformé ; d'outil de soutien aux petites entreprises, il est devenu un outil d'aide plus globale et durable, consacré aussi à des structures de plus grande taille. Son enveloppe financière pour 2020 a d'ailleurs été doublée dans la dernière loi de finances rectificative. Cependant, les principes de son fonctionnement, qui reposent sur un traitement rapide et largement automatisé des demandes déposées par les entreprises, n'ont pas été adaptés en parallèle, ce qui accroît le risque souligné par la Cour d'un cumul d'aides permettant de percevoir un montant supérieur au préjudice subi. À nos yeux, cela justifie donc le renforcement des contrôles – j'aurai l'occasion d'y revenir dans la présentation de l'audit des finances publiques demandé par le Premier ministre.
Les risques que l'évolution des dispositifs de soutien aux entreprises pourrait faire peser sur les finances publiques m'amènent à aborder le troisième enseignement de ce premier tome, consacré à la gestion de la crise de covid-19 : son coût financier est très élevé – cela ne surprendra personne – et remet en cause durablement certains modèles de financement.
C'est particulièrement vrai pour la SNCF, qui devra faire l'objet d'un suivi attentif car il existe un risque de déficit structurel pour le transport à grande vitesse et le fret. D'autres actions que j'ai citées ont eu un coût non négligeable, dont nous donnons un premier chiffrage : l'hébergement d'urgence, par exemple, a coûté 650 millions d'euros, en raison de tarifs hôteliers plutôt élevés, qui dépassaient parfois la centaine d'euros par nuit et par personne.
La crise née de la pandémie a également touché très durement les finances d'autres secteurs, dans des proportions bien plus importantes, comme le montre le chapitre consacré à l'assurance chômage. Si cette dernière, qui affichait une situation financière déjà dégradée avant la crise, a pleinement joué son rôle de stabilisateur économique et social depuis le déclenchement de la crise, en finançant conjointement avec l'État le dispositif exceptionnel d'activité partielle pour sauvegarder l'emploi, elle accuse aujourd'hui très logiquement un déficit historique de plus de 17 milliards d'euros en 2020, contre moins de 2 milliards d'euros en 2019.
La dette de l'UNEDIC s'élèverait donc à près de 65 milliards d'euros à la fin 2021, un montant bien trop lourd à porter pour ce seul régime. Ses modalités d'apurement devront donc être étudiées dans le contexte plus large du traitement de la dette publique, qui sera au coeur de notre prochain rapport. Parallèlement, la Cour appelle à définir pour ce régime une nouvelle trajectoire financière, et à clarifier les rôles respectifs de l'État et des partenaires sociaux dans son régime de gouvernance.
Le secteur culturel a également beaucoup souffert depuis le déclenchement de la crise. Un chapitre du rapport est consacré à une association culturelle fragilisée par la crise : l'institut Lumière de Lyon, organisme remarquable, présidé, comme chacun sait, par le grand cinéaste lyonnais Bertrand Tavernier. Il a été créé dans les années 1980 par les héritiers des frères Lumière, et il est célèbre notamment pour le festival du même nom, qu'il organise chaque année. Il était parvenu à diversifier ses ressources privées, mais les associations culturelles comme lui, peu subventionnés, sont particulièrement exposés aux effets de la crise. Malgré les mesures d'urgence instaurées, il appartiendra donc aux pouvoirs publics d'accompagner ces acteurs culturels sur le long terme, en coordonnant leurs aides et en définissant des orientations claires.
Ainsi, ces quelques chapitres, par leur grande diversité, nous permettent donc de disposer d'un premier aperçu de la manière dont la crise de covid-19 a été gérée. Nous y reviendrons tout au long de l'année 2021, je vous en dirai un mot dans un instant.
L'année 2020 a également vu l'aboutissement d'autres travaux et enquêtes : c'est pourquoi je vais à présent traiter du second tome du rapport public annuel, qui en présente un panel riche et diversifié. Les onze chapitres de cette partie regroupent en effet des objets de contrôle variés, correspondant aux orientations définies notamment en fonction des enseignements tirés du grand débat national, auquel la Cour des comptes a largement pris part. Une place importante a ainsi été accordée à des politiques publiques concrètes, territorialisées, de même qu'à l'innovation publique.
Ce second tome revient d'abord sur deux politiques publiques qui ont connu d'importantes évolutions et joueront un rôle majeur dans les prochaines années. La première consiste à favoriser l'inclusion bancaire et à lutter contre le surendettement : elle vise à donner à chacun, à chacune, la possibilité de détenir un compte bancaire, ce qui constitue aujourd'hui un impératif si l'on veut participer à la vie économique et sociale. Ces dispositifs, dont l'enquête de la Cour montre qu'ils ont beaucoup progressé tout en demeurant perfectibles, risquent d'être très fortement sollicités dans les mois et les années à venir du fait des répercussions économiques et sociales de la pandémie, autrement dit de l'augmentation de la pauvreté qui peut en résulter. Ils devront donc être renforcés afin de mieux accompagner les personnes en difficulté ; la procédure de droit au compte, en particulier, gagnerait à être mieux encadrée en termes de délais et de suivi, et la prévention des incidents doit être améliorée.
La seconde politique évoquée concerne l'innovation de défense, indispensable au renforcement de notre indépendance stratégique dans un contexte marqué par l'intensification de la compétition mondiale entre les grands pôles de puissance : Chine, États-Unis, Russie. Davantage tournée vers la préparation de l'avenir et vers la maîtrise des technologies de rupture, qui devront être mieux intégrées aux futurs programmes d'armement, cette politique pourra également permettre de consolider notre indépendance économique en soutenant les grands groupes industriels, ainsi que les domaines les plus touchés par la crise sanitaire, comme les secteurs aéronautique et spatial, en maintenant un effort minimal d'innovation, en dépit du contexte récessif. Nous recommandons particulièrement de sanctuariser l'effort de recherche en créant un programme budgétaire consacré à l'innovation, qui regrouperait les crédits destinés aux études et les subventions des organismes de recherche.
Au-delà de ces politiques nationales, le rapport annuel de la Cour s'intéresse de près à l'action publique locale, avec des exemples très concrets, tirés des travaux des chambres régionales des comptes, que je souhaite voir de plus en plus intégrés à ceux de la Cour. Certains abordent notamment les enjeux locaux liés au changement climatique et à la préservation de l'environnement. C'est le cas du chapitre portant sur l'optimisation de l'éclairage public dans les communes d'Auvergne-Rhône-Alpes : après le bâtiment, l'éclairage est en effet le deuxième poste de dépense énergétique des communes. L'enquête de la chambre régionale des comptes montre que le bilan des actions entreprises afin de diminuer la consommation énergétique est encourageant, mais aussi que la lutte contre la pollution lumineuse demeure en retrait, alors qu'elle se trouve bien souvent, à l'échelon local, au coeur des préoccupations des défenseurs de l'environnement : on ne le sait pas assez. S'atteler à ce chantier implique d'agir sur plusieurs paramètres, comme la puissance émise, le spectre lumineux ou la durée de l'éclairage, dans un contexte de forte évolution technologique.
La gestion de l'eau doit aussi tenir compte de nouveaux enjeux, notamment en matière de préservation des milieux naturels, comme le montre le chapitre portant sur la Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne, chargée d'assurer un service public d'aménagement hydraulique, qui participe aussi à la protection de la ressource en eau dans une région – l'Occitanie – présentant une surface agricole très importante. Son modèle économique n'est plus adapté à ces nouveaux enjeux de gestion de l'eau. Cette enquête illustre donc, à partir d'un cas précis, la nécessité de repenser le système de gestion de ce bien commun.
Outre ces aspects environnementaux, les chambres régionales des comptes se sont intéressées à un autre sujet local : celui des communes qui dépendent fortement de l'implantation d'un casino sur leur territoire. Elles sont très nombreuses : les 202 casinos français constituent le réseau le plus important et le plus dense d'Europe. Ils assurent à près de 200 collectivités des ressources dont la principale, le prélèvement sur le produit des jeux, représente à elle seule plus du tiers des recettes de fonctionnement de certaines collectivités. Or nos travaux révèlent que les communes concernées ne sont guère actives dans la négociation et dans l'exécution des contrats de délégation de service public ; elles appréhendent la présence du casino comme une sorte de rente de situation, sans toujours percevoir l'intérêt d'une relation plus équilibrée. Toutefois, la crise sanitaire a mis en évidence les risques financiers associés à cette fragilité structurelle. Par conséquent, nous recommandons que les intérêts de ces communes soient mieux protégés à l'avenir, entre autres par le renforcement de leur expertise juridique.
Comme chaque année, le rapport public annuel revient aussi, dans ce second tome, sur différents types d'action et de gestion publics. Deux chapitres abordent ainsi le cas des réseaux consulaires, des chambres de commerce et d'industrie – CCI – , des chambres de métiers et de l'artisanat – CMA – , des chambres d'agriculture : ils permettent d'opérer la synthèse des travaux de la Cour et des chambres régionales sur ces organismes, mais aussi de mesurer leur différence, leurs forces et leurs faiblesses respectives. Ainsi, la structuration des réseaux des CCI et CMA est plus aboutie, mais, vous n'en serez pas surpris, les chambres d'agriculture bénéficient d'un positionnement mieux identifié et reconnu. Ces dernières doivent poursuivre leur mutation interne en encourageant la fusion des chambres départementales afin de renforcer leur efficacité, tandis que les réformes sectorielles qui ont affecté les CCI et les CMA posent la question du maintien, à terme, de leur financement public.
Des choix stratégiques devront également être faits pour d'autres organismes. Il faut consolider l'héritage de l'ex-Agence du numérique, notamment en matière d'inclusion numérique, politique qui n'a pas encore donné de résultats probants : la Cour rappelle à ce titre que l'illectronisme concerne 17 % de la population, regroupant les personnes qui ne possèdent pas les compétences électroniques de base et celles qui n'ont pas une seule fois utilisé internet au cours de l'année écoulée. Cette proportion est encore très significative. D'autres dispositifs présentent un bilan bien plus satisfaisant, comme la French Tech, qui demande néanmoins à être mieux coordonnée et mieux pilotée.
De son côté, l'Institut de recherche pour le développement, l'IRD, s'implique fortement dans la recherche visant à combattre les pandémies, mais il souffre d'une faible visibilité, en partie à cause de la dispersion de ses missions et de ses moyens. Près de quatre-vingts ans après sa création, son rapprochement organique avec le Centre national de la recherche scientifique – CNRS – serait aujourd'hui nécessaire en vue de renforcer les leviers d'influence et de coopération de la France en matière scientifique, mais aussi économique, grâce à la valorisation de la recherche.
Enfin, le rapport public annuel aborde deux politiques publiques au coeur des enjeux économiques et sociaux pour notre pays : d'une part l'emploi et la formation professionnelle, à travers des travaux consacrés au pilotage des acteurs associatifs par le ministère du travail ; d'autre part la santé, avec un chapitre portant sur la gouvernance des professions de santé. Les acteurs associatifs sont bien sûr très divers ; qu'il s'agisse d'insertion ou de formation professionnelle, l'État les soutient depuis le début de la crise, qui a toutefois accentué les tensions au sujet de leur financement et fait ressortir la nécessité de renforcer leur pilotage, ainsi que l'évaluation de leurs actions et résultats, à la mesure des enjeux de leur travail quotidien, si utile. Des évolutions structurelles seraient également nécessaires concernant les ordres des professions de santé contrôlés par la Cour – nous nous exprimons régulièrement à ce sujet – , pour améliorer leur gouvernance et remettre la protection des droits des patients au coeur de leurs priorités. En cette période exceptionnelle que nous traversons, où la santé domine les préoccupations de tout le monde, il y va de la confiance des citoyens dans notre système de santé, dans les hommes et les femmes qui l'incarnent et le font vivre.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, les thèmes que nous avons choisi d'aborder au sein de ce rapport public annuel sont variés à l'image de nos missions, concrets à l'image de nos engagements. Tous concourent à défendre une conviction : lorsqu'on se penche sur la crise sanitaire, sur les préoccupations des Français, il n'y a pas de sujet mineur. Nous avons donc voulu éviter de nous focaliser sur une politique ou sur un secteur administratif ; nous souhaitions au contraire refléter la diversité de l'action publique, qu'elle soit nationale ou territoriale. Encore une fois, ce rapport ne se veut pas exhaustif, ni définitif, s'agissant de la gestion de la crise : il s'attache à partager quelques enseignements et à signaler la nécessité d'être collectivement plus résilients, mieux préparés aux prochains chocs, car il y en aura, malheureusement.
Son message est aussi empreint d'optimisme et de reconnaissance. Nos services publics ont tenu ; ils ont fait face. Nous avons désormais suffisamment de recul pour ébaucher un bilan de la crise du covid-19 : j'ai donc souhaité que notre programmation pour 2021 s'oriente vers la gestion et les conséquences de celle-ci. Notre rapport public de 2022 sera intégralement consacré à ce sujet, et par conséquent beaucoup plus complet. Ce choix répond d'ailleurs sans doute aussi à vos attentes ; j'en veux pour preuve les travaux que vous nous avez demandés cette année, que ce soit sur la continuité de l'activité du ministère de la justice pendant la crise ou sur l'évolution des dépenses publiques après le premier confinement. Le président de la commission des finances et son rapporteur général sont bien placés pour le savoir : nos équipes travaillent afin de vous remettre en temps et heure ces rapports qui promettent d'être fort intéressants. D'ici là, j'aurai également remis au Premier ministre l'audit qu'il nous a commandé au sujet de la stratégie d'évolution des finances publiques à l'issue de la crise : j'espère que ce travail assez volumineux sera éclairant.
Pour autant, la Cour ne prétend à aucun monopole, à aucune hégémonie. Nos travaux s'articuleront avec ceux que d'autres ont conduits sur ce même sujet : je pense à la mission d'évaluation de la gestion de la crise sanitaire, dirigée par le professeur Didier Pittet ; au comité de suivi de la mise en oeuvre et de l'évaluation des mesures de soutien financier aux entreprises, présidé par Benoît Coeuré ; à la commission sur l'avenir des finances publiques, conduite par Jean Arthuis ; ou encore aux travaux d'Olivier Blanchard et de Jean Tirole visant à penser l'économie mondiale, en particulier la croissance, post-épidémie. En ce qui la concerne, la Cour conduira ces analyses avec les atouts qui sont les siens et que vous connaissez – que vous appréciez, je crois : son indépendance, la diversité de ses missions, sa relation privilégiée avec le niveau local de l'action publique, notamment grâce au réseau des chambres régionales et territoriales des comptes, et naturellement sa relation toute particulière avec le Parlement.
Cependant, 2021 sera aussi pour nous une année de transformations internes importantes ; nous gagnerons en réactivité, en rapidité, nous réduirons nos délais de rédaction en conduisant des audits flash. Nos travaux seront ainsi plus accessibles, plus utiles au Parlement comme aux citoyens, qui pourront aussi nous solliciter. Je vous donne donc rendez-vous dans un an, début 2022, pour la présentation de notre prochain rapport public annuel, qui poursuivra la réflexion entamée par celui-ci – le premier que nous ayons voulu consacrer à la crise. D'ici là, j'aurai eu à plusieurs reprises l'occasion de vous rencontrer : j'espère que cette année sera riche en échanges et en coopération. En tout cas, je souhaite dire à la représentation nationale, bien qu'elle le sache déjà, qu'elle pourra toujours compter sur la Cour des comptes.