La présentation du rapport public annuel de la Cour des comptes au Parlement est l'un des moments marquants de chaque exercice budgétaire. Nous l'attendions avec d'autant plus d'intérêt qu'il s'attache à éclairer la décision publique et la réflexion des citoyens au terme d'une année qui a été pour le moins inhabituelle. Plus encore que de coutume, je souhaite souligner l'importance que nous donnons à la mission constitutionnelle d'assistance de la Cour au Parlement, dont la présente séance est une manifestation importante. Dans un contexte perturbé, la Cour a su être présente tout au long de l'année passée en maintenant un niveau de production élevé et en réorientant une partie de son programme d'enquêtes pour tirer le plus rapidement possible les premiers enseignements de la crise.
Je retiens de ce rapport deux aspects importants : d'abord, l'utilité de l'évaluation en temps réel de la gestion de la crise pour guider la prise de décision sans perturber l'action des acteurs ; ensuite, la poursuite – que je salue – des travaux de fond menés par la Cour, qui permettent de continuer d'alimenter nos réflexions et nos débats sur des sujets majeurs allant de l'inclusion bancaire à l'innovation en matière de défense, par exemple.
Aussi délicat et imparfait qu'un exercice d'évaluation en temps de crise puisse paraître, il n'en est pas moins indispensable autant pour le décideur public contemporain que pour celui qui lui succédera. À cet égard, en tant que corapporteur spécial avec Éric Woerth à la fois de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire » et de la mission « Plan de relance », j'ai été heureux de retrouver les travaux très fouillés produits par la Cour à l'occasion de la crise financière puis de la crise des dettes souveraines de la période 2008-2011. Le bilan qu'elle avait réalisé à l'époque à la demande du Parlement, tant du plan de relance que de la gestion de la crise, est riche d'enseignements sur les réponses qu'il convient aujourd'hui d'apporter. Établissant un parallèle avec le débat que nous avons eu hier soir à l'initiative du groupe communiste sur la gestion de la dette publique, je ne peux qu'insister sur la nécessité d'apprendre des crises passées pour prendre les bonnes décisions.
Au bénéfice de cette expérience, je fais mien un voeu formulé par la Cour : celui d'améliorer nos capacités d'anticipation. En effet, l'esprit global de la partie consacrée à la gestion de la crise m'a rappelé l'un des romans ayant eu le plus de succès ces derniers mois, L'Anomalie, d'Hervé Le Tellier. L'une des questions abordées par ce livre concerne l'importance, en période normale, d'anticiper les crises potentielles. De votre rapport, monsieur le Premier président, je retiens le même message : des solutions peuvent toujours être – et ont été – trouvées dans l'urgence, grâce à une mobilisation collective exceptionnelle, mais l'anticipation des risques est toujours un choix payant qui facilite considérablement la gestion des crises lorsqu'elles surviennent. Parmi les succès rencontrés pendant la crise, on peut mentionner l'organisation du retour de 349 000 de nos compatriotes depuis l'étranger, dont vous avez souligné l'efficacité, ou la mise en place rapide du fonds de solidarité, nouvel outil d'abord destiné à soutenir les indépendants, TPE et PME, puis à compenser les charges fixes des entreprises fortement touchées par la crise.
Au sujet de ce fonds, nous avons eu dans l'hémicycle, à l'occasion de l'examen des quatre projets de loi de finances rectificative et du projet de loi de finances, de très longs débats, parfois tendus. En effet, nous avions peur de ne pas en faire assez ou de priver de cette aide un certain nombre de bénéficiaires potentiels. Combien de fois, au cours de l'année 2020, n'avons-nous pas prononcé ou entendu l'expression : « trous dans la raquette » ? Finalement, à la lecture du rapport – c'est en cela qu'il prend tout son sens – , je suis presque soulagé de constater que la principale critique adressée à ce dispositif serait presque l'excès de générosité que permet le cumul de plusieurs aides. S'il faut bien sûr y remédier, cela signifie néanmoins que le calibrage du fonds et le protocole mis en place ont atteint leur cible, voire que le résultat est parfois au-delà des attentes.
Pour d'autres politiques publiques, le défaut d'anticipation a parfois conduit, c'est vrai, à des difficultés initiales dont sont souvent venus à bout des trésors d'innovation et une mobilisation sans faille des agents et des responsables publics. Cela ne doit pas occulter le fait qu'il est nécessaire, comme le recommande la Cour, de conduire à moyen et long terme une réflexion plus globale qui aboutisse à une organisation plus résiliente de l'action publique.
Parmi les thématiques sur lesquelles la Cour nous invite à nous pencher, citons : l'organisation des services de réanimation et de soins critiques, dont le modèle et la tarification doivent être repensés ; la continuité pédagogique numérique, qui doit se structurer ; l'hébergement d'urgence, pour lequel un retour d'expérience approfondi est indispensable – malgré l'impréparation et une sous-utilisation de certains outils, vous notez toutefois que la mobilisation a permis d'éviter une surmortalité des personnes sans abri au cours de l'année 2020 ; le modèle économique de la SNCF, particulièrement fragilisé, même s'il faut souligner la réactivité et l'efficacité de l'entreprise dans l'adaptation de son programme de financement pendant la crise ; la trajectoire financière de notre assurance chômage et la nécessité de rétablir l'équilibre du régime dès que la crise sera derrière nous, point de vue que je partage ; enfin, le soutien à la culture.
Je n'ai aucun doute sur le fait que ces thématiques seront reprises dans nos travaux parlementaires. C'est notre tour de travailler sur ces sujets, particulièrement les rapporteurs spéciaux de notre commission des finances, dans la perspective du printemps de l'évaluation et du prochain projet de loi de finances. Le temps de la réflexion arrivera avec les conclusions à tirer de la période de mouvements et d'actions que nous vivons. Chacun d'entre nous doit y prendre sa part.
Vous le savez, monsieur le Premier président, avec Éric Woerth, nous proposons d'apporter notre pierre à l'édifice par une réforme de la gouvernance de nos finances publiques. Nous travaillons à une proposition de loi organique destinée à aborder le défi de la sortie de crise dans un cadre organique plus clair, plus transparent, plus responsable. Je forme le voeu que nous puissions nous retrouver ici même pour débattre de ce texte dans des délais permettant à la navette d'aller à son terme avant la fin de la législature.
Le second volet du rapport public annuel porte sur les travaux d'évaluation plus traditionnels de la Cour des comptes. Conformément à l'orientation prise l'année dernière, celle-ci s'attache à présenter le résultat de trois évaluations réalisées par des chambres régionales des comptes, portant ainsi une attention particulière à la dimension territoriale de l'action publique. De façon novatrice, le rapport de la Cour présente une synthèse des résultats de plusieurs travaux des juridictions financières. Je pense, par exemple, aux développements consacrés aux chambres de commerce et d'industrie, d'artisanat ou d'agriculture. La Cour continue d'insister sur la nécessité de transformer ce réseau. Tout au long de l'année 2020, nous avons eu des débats nourris sur l'utilité – que je crois réelle – des chambres consulaires de proximité pendant la crise. Et je ne doute pas, à la lumière de vos travaux, que nous les poursuivrons lors de l'examen des prochains textes budgétaires.
Toujours aussi riche d'enseignements, la partie sur le suivi des recommandations de la Cour met en lumière les progrès accomplis mais aussi les marges de progression. Je retiens, par exemple, les bons résultats en matière d'inclusion bancaire, enjeu particulièrement important dans un contexte de crise économique, grâce aux réformes engagées par le Gouvernement ces derniers mois – renforcement du plafonnement des frais bancaires à l'occasion d'incidents de paiement et mise en place d'une offre spécifique à destination des clients en situation de fragilité financière. La Cour met en évidence la nécessité de poursuivre nos efforts en ce domaine : nous devons améliorer l'efficacité des procédures existantes, ce qui passe par le développement de la dématérialisation, et renforcer l'accompagnement de nos concitoyens en situation de fragilité financière.
Je souhaite également souligner l'intérêt de l'évaluation qu'a faite la Cour sur l'Agence du numérique, dont les missions ont été reprises par l'Agence nationale de la cohésion des territoires – ANCT – et la direction générale des entreprises – DGE. Elle esquisse des pistes pour améliorer l'efficacité de notre action en matière d'inclusion numérique. La crise sanitaire a montré la nécessité de développer de manière très significative nos actions sur ce plan – l'inclusion numérique constitue d'ailleurs un axe essentiel du plan de relance. La Cour recommande à juste titre de mobiliser le compte personnel de formation pour mettre en place des formations professionnelles qualifiantes relatives aux compétences numériques. Si cette recommandation va évidemment dans le bon sens, il ne faut pas oublier que ces mêmes formations ne peuvent s'adresser qu'à une partie du public ciblé par notre stratégie nationale pour un numérique inclusif. Je souhaite souligner le caractère complémentaire des actions de médiation numérique déjà menées ou des dispositifs existants, tels que le pass numérique, qui incitent les publics les plus éloignés à franchir la porte des structures de proximité.
Pour conclure, je remercie à nouveau la Cour des comptes pour la qualité du travail d'évaluation mené cette année et pour la rapidité avec laquelle elle a transmis ses observations relatives aux premiers enseignements de la crise du covid-19, qui figurent dans le présent rapport.
Contrôler et évaluer l'action de l'exécutif et les politiques publiques dans un univers marqué par l'incertitude est un exercice particulier : nous l'avons nous-mêmes constaté au sein de cette assemblée en réorientant largement nos travaux de contrôle et d'évaluation depuis le début de la crise. En tant que rapporteur général, je ne peux m'empêcher de relever l'absence de la partie du rapport traditionnellement consacrée à la situation de nos finances publiques. J'ai pris bonne note de la volonté de cohérence exprimée par la Cour, qui souhaite réserver la primeur des analyses sur le sujet au rapport demandé par le Premier ministre sur la stratégie d'évolution des finances après la crise. Si la crise que nous traversons justifie aujourd'hui un arsenal très lourd de mesures de soutien de l'économie, il faudra en effet se poser la question du retour progressif à l'équilibre structurel des finances publiques, une fois celle-ci derrière nous – je renvoie à nouveau à la proposition de loi organique que nous pourrons, je l'espère, examiner ensemble, mes chers collègues.
Vous le comprendrez aisément, monsieur le Premier président, le futur rapport est attendu avec impatience par la représentation nationale et viendra nourrir dès le mois prochain une réflexion collective.