Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du jeudi 25 mars 2021 à 15h00
Lutte contre la fraude à l'identité et mineurs non accompagnés — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

L'article 20 de la convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée par la France en 1990, stipule : « Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l'État. » En France, la loi dispose : « La protection de l'enfance a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d'assurer leur prise en charge. »

Ainsi que le rappelle UNICEF France, le comité français du Fonds des Nations unies pour l'enfance, les mineurs non accompagnés sont des enfants. En vertu de l'article 375 du code civil, les protéger est non pas une option, mais une obligation, car ces mineurs sont des enfants ou des jeunes en danger.

Nombre d'entre eux ont transité par les routes de la Méditerranée au cours d'un périple souvent très risqué, où les mauvais traitements, la traite et l'exploitation des êtres humains sont monnaie courante. Ainsi, les trois quarts des mineurs interrogés dans le cadre d'une étude menée par l'UNICEF et l'initiative REACH déclaraient avoir subi violences, harcèlements et agressions de la part d'adultes, pendant leur périple vers l'Europe. À ces maux s'ajoute un état de santé souvent déplorable, du fait des conditions de vie dans le pays d'origine ou de sa dégradation au cours du parcours migratoire.

Malgré la vulnérabilité extrême de ces publics, associations et institutions, allant d'UNICEF France à la Cour des comptes, constatent que l'effectivité des droits des mineurs non accompagnés n'est pas garantie en France. Dans son référé du 8 octobre 2020, la Cour des comptes a relevé, entre autres, des « carences observées dans la connaissance statistique des effectifs concernés », le non-respect de l'obligation de mise à l'abri dans de nombreux départements – les préfets ne jouant pas leur rôle de rappel à la loi – et une « inégalité flagrante de traitement de ces jeunes à toutes les étapes ». L'évaluation de la minorité est, toujours selon la Cour, très hétérogène selon les départements : certains d'entre eux procèdent à des pré-évaluations valant refus de reconnaissance de la minorité ; le recours à la pluridisciplinarité et à la collégialité, pourtant requis par la loi, est extrêmement rare ; souvent, le délai réglementaire de cinq jours n'est pas respecté, l'évaluation prenant parfois plusieurs mois.

Il y a donc beaucoup à faire pour nous mettre en conformité non seulement avec nos engagements internationaux, nos valeurs et nos principes fondamentaux, mais aussi avec nos propres lois. Or, avec le présent texte, vous nous proposez de faire tout le contraire de ce qu'il faudrait. La proposition de loi vise en effet à exclure le plus grand nombre possible de ces jeunes de la protection sociale et judiciaire de l'enfance.

Son article 1er tend à introduire une présomption de majorité en cas de refus de se soumettre aux examens médicaux – essentiellement aux tests osseux – , auxquels il serait recouru automatiquement dans le cas où les documents d'identité du mineur ou de la mineure seraient falsifiés ou ne pourraient être valablement certifiés conformes. Il s'agit d'une remise en cause pure et simple du principe de la présomption de minorité consacré tant par les textes internationaux que par notre propre jurisprudence.

Un tel renversement serait contraire aux engagements que nous avons pris dans la convention internationale des droits de l'enfant ; à l'article 10, paragraphe 3, de la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains ; à l'article 13, paragraphe 2, de la directive 201136UE concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes ; à l'article 25, pargraphe 5, de la directive 201332UE relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale.

La présomption de minorité est par ailleurs consacrée par l'architecture résultant d'une décision de principe du Conseil d'État de juillet 2015 et de dispositions introduites en 2016 dans le code civil et le code de l'action sociale et des familles. Rappelons également que le Conseil constitutionnel a jugé que la majorité d'une personne ne saurait être déduite de son seul refus de se soumettre à un examen osseux. De leur côté, la Commission nationale consultative des droits de l'homme, la Défenseure des droits, le Comité consultatif national d'éthique, le Haut Conseil de la santé publique, l'Académie nationale de médecine, le comité des droits de l'enfant des Nations unies et le Conseil de l'Europe – sans parler de nombreuses organisations de défense des droits humains et des migrants – condamnent le recours aux tests osseux, au motif qu'ils manquent de fiabilité.

Seule l'amélioration du dispositif de protection de l'enfance de droit commun dans son ensemble, son adaptation à la situation des mineurs non accompagnés et la garantie de sa conformité au respect de leurs droits fondamentaux permettront de réduire le nombre, d'une part, des enfants en errance et sans protection, d'autre part, de ceux qui entrent en conflit avec la loi. C'est ce qu'a expliqué, le 10 mars, un des chargés de plaidoyer d'UNICEF France. Avec votre texte, vous ne faites rien de cela. Voilà pourquoi nous ne le voterons pas.

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