La question des mineurs non accompagnés soulève d'importants débats, notamment sur les modalités de détermination de la majorité ou de la minorité. Ainsi, l'évaluation de leur âge repose généralement sur un faisceau d'indices prévu par le législateur ou par décret, qui ne fait pas toujours l'objet d'un consensus. En dernier recours, un examen osseux peut être entrepris, mais celui-ci est assez décrié en raison de sa marge d'erreur, qui est de plus ou moins dix-huit mois, ce qui est relativement important eu égard aux enjeux de protection de l'enfance.
Compte tenu de cette réelle difficulté à identifier les mineurs de façon certaine, nous le savons, des fraudes existent. Celles-ci ne doivent pas porter atteinte aux vrais mineurs, qui doivent pouvoir bénéficier de la protection au titre de l'aide sociale à l'enfance.
Au 31 décembre 2019, selon les chiffres de l'Assemblée des départements de France, les services de l'aide sociale à l'enfance prenaient en charge près de 40 000 mineurs non accompagnés. Durant l'année 2020, ils ont dû faire face à un flot important de mineurs non accompagnés. Cette situation suscite des crispations, en particulier dans les départements qui supportent le coût de la prise en charge, qui s'établit en moyenne à 50 000 euros par mineur et par an. En 2019, le coût total pour la collectivité s'élevait à 2 milliards d'euros, contre 50 millions en 2012. En 2021, ce chiffre pourrait atteindre 3 milliards. Ainsi, nous sommes confrontés à une hausse considérable du coût de la prise en charge des MNA, qui s'est réalisée en dix ans à peine.
Néanmoins, il n'est pas envisageable pour le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés de rogner sur les grands principes de protection de l'enfance, en changeant de philosophie pour basculer vers une présomption de majorité. Le dispositif que vous proposez, madame la rapporteure, découle de la volonté d'assurer aux vrais mineurs une prise en charge globale et de qualité, position que nous comprenons et soutenons. Mais nous sommes opposés à la création d'un régime d'exception qui serait défavorable à l'intérêt supérieur de l'enfant et qui comporte un réel risque d'inconstitutionnalité.
En effet, l'inversion de la présomption de minorité semble contraire à la Constitution. Dans sa décision du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel a jugé que fait partie des garanties attachées à la protection de l'enfance l'impossibilité de déduire la majorité d'une personne de son seul refus de se soumettre à un examen osseux. Par conséquent, la présomption de majorité du fait du refus de l'examen médical reviendrait à inverser la présomption actuelle, ce qui serait contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant, lequel impose que les mineurs présents sur le territoire national bénéficient de la protection légale attachée à leur âge.
En outre, plusieurs instances internationales ont consacré le principe d'une présomption de minorité, notamment la Cour européenne des droits de l'homme et le comité des droits de l'enfant des Nations unies, dans ses constatations du 31 mai 2019 concernant l'Espagne. Ainsi que l'a souligné ma collègue Élodie Jacquier-Laforge en commission, pour cette seule raison, prise séparément, le groupe Dem est défavorable à cette proposition de loi.
Mes chers collègues, nous pouvons envisager d'autres pistes, plus respectueuses des droits de l'enfant. Jean-François Eliaou et Antoine Savignat, corapporteurs de la mission d'information sur les problématiques de sécurité associées à la présence sur le territoire de mineurs non accompagnés, ont formulé plusieurs recommandations dans leur rapport. Ils proposent notamment la généralisation du fichier AEM, un recours accentué aux relevés d'empreintes digitales pour les individus se prétendant mineurs non accompagnés et un renforcement de la coopération internationale. L'actualité récente fournit d'ailleurs une belle illustration de cette coopération : le 7 décembre dernier, le ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, et son homologue marocain, Mohamed Ben Abdelkader, ont signé une entente judiciaire relative au retour des mineurs non accompagnés dans leur pays d'origine.
Vous l'aurez compris, madame la rapporteure, mes chers collègues, le groupe Dem ne votera pas la proposition de loi, car la lutte contre la fraude à l'identité dans le cas des mineurs non accompagnés peut et doit s'appuyer sur des moyens respectueux de l'intérêt supérieur de l'enfant.