Intervention de Michèle Victory

Séance en hémicycle du jeudi 25 mars 2021 à 15h00
Lutte contre la fraude à l'identité et mineurs non accompagnés — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Victory, SOC :

Si c'était là une vérité, ce que nous contestons avec force, que proposent donc les auteurs de cette proposition de loi pour y faire face ?

Si telle était la réalité, on aurait pu imaginer, par exemple, qu'ils préconisent de renforcer les moyens juridiques, matériels et humains pour lutter contre les filières criminelles de passeurs. Sans même rêver qu'ils cherchassent à renforcer le droit d'asile, on était en droit d'espérer des mesures visant à protéger les mineurs des réseaux clandestins qui abusent de leur évidente vulnérabilité. Mais on était loin d'imaginer que la seule solution proposée serait de lutter contre la fraude à l'identité dans le cas des mineurs non accompagnés.

Ainsi, il serait urgent de faire le tri entre les vrais mineurs et les jeunes qui prétendent avoir moins de 18 ans pour bénéficier de la protection de l'ASE. En dehors du fait que l'État français s'honorerait en protégeant mieux tous les jeunes isolés sur son territoire, il est à noter que, dans la proposition de loi, la détermination de l'âge des intéressés repose intégralement sur les tests osseux et les examens dentaires. À cette fin, le texte vise à instaurer une présomption de majorité pour les jeunes refusant de se prêter à un test osseux. En contrepartie – on ose à peine utiliser ce mot – , en cas de doute sur la minorité, celui-ci profiterait au jeune. Encore heureux, serait-on tenté d'ajouter. Enfin, le texte prévoit que, s'il voit sa minorité reconnue, le jeune devra être pris en charge dans une structure dédiée. À tout prendre, on ne voterait que pour cette dernière disposition.

Parce que l'évaluation de l'âge à partir des données radiologiques et dentaires est extrêmement aléatoire, le destin de ces jeunes et leur protection juridique et sociale ne peuvent entièrement en dépendre. Instaurer une présomption de majorité pour ceux qui refuseraient de se prêter à de tels examens médicaux est aussi inique qu'inepte. Certains parmi ces jeunes ont subi des violences et des maltraitances qui ont pu les traumatiser durablement. Il faut être capable d'un minimum d'empathie pour le comprendre. Oui, un jeune peut refuser de subir de tels examens. Non, il n'est pas forcément majeur pour autant. Oui, un jeune peut redouter qu'un examen médical le condamne à retourner dans un pays qu'il a fui. Or on ne fuit pas sans une bonne raison – qui dans cet hémicycle affirmerait le contraire ?

Je reprends les termes de l'avis rendu le 26 juin 2014 par la Commission nationale consultative des droits de l'homme : « Le climat de suspicion entretenu à l'encontre des MIE – mineurs isolés étrangers – est [… ] fondé sur des considérations purement fantasmatiques. » On retrouve de telles considérations dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, lequel évoque l'attaque terroriste qui a visé le journal Charlie Hebdo le 25 septembre 2020.

S'agissant des tests osseux pratiqués de manière systématique dans certains départements, on peut lire dans le même avis : « La CNCDH ne peut que le déplorer, dès lors que les jurisprudences administrative et judiciaire relèvent le peu de fiabilité de cette expertise. À ce propos, il doit être rappelé que, dès 2005, le Comité national consultatif d'éthique a mis en garde contre son utilisation. En 2009, le comité des droits de l'enfant des Nations unies a, dans ses observations concernant l'examen périodique de la France en matière de droits de l'enfant, noté "avec préoccupation que, malgré l'avis négatif du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, l'État [… ] continue de recourir à l'examen osseux pour déterminer l'âge des enfants". L'Académie nationale de médecine, le Haut conseil de la santé publique et la communauté médicale ont plus précisément relevé que le test osseux comporte des possibilités d'erreur en ne permettant pas de poser une distinction nette entre 16 et 18 ans. Constat d'autant plus problématique que la plupart des MIE présents sur le territoire français sont âgés de 16 ans ou plus. »

Ces tests, donc, ne sont pas fiables, mais les auteurs de la proposition de loi voudraient que le destin des jeunes non accompagnés en dépende. Tout est dit. Cette vision du monde, qui désigne des boucs émissaires de la misère du monde, n'est pas la nôtre. Cette vision du monde, qui ne propose à des femmes et à des hommes brisés rien d'autre que des réponses de comptables, n'est pas la nôtre. Elle met en question avec une certaine inconséquence et avec brutalité nos valeurs de solidarité et d'humanisme, et n'ouvre aucune piste vers la prise en charge de ces situations dramatiques que nous connaissons dans nos départements, dans nos circonscriptions. Ces jeunes garçons et ces jeunes filles qui vous racontent comment ils ou elles ont traversé un continent entier, au péril de leur vie, emportant avec eux, parfois à bout de forces, de jeunes frères et s? urs, n'ont-ils et n'ont-elles rien de mieux à attendre de la représentation nationale que des regards inquisiteurs, prêts à les juger et à les condamner ?

La politique d'asile et d'immigration de notre pays n'a pas, à l'évidence, la clarté et l'ambition qu'elle mérite. Elle ne sortirait pas grandie ou mieux éclairée si nous adoptions le texte soumis aujourd'hui à notre examen. Pour les départements, c'est une charge financière lourde, mais c'est surtout une charge humaine et émotionnelle plus importante encore. L'accueil et le soin sont une responsabilité que certains élus départementaux sont d'ailleurs fiers d'assumer. C'est le cas chez moi, en Ardèche, et ce malgré les nombreuses difficultés que vous avez évoquées, monsieur le secrétaire d'État.

Nous devons travailler ensemble sur ce sujet difficile, sans caricature, sans préjugés et sans excès. Avec l'État, nous devons trouver les moyens d'une politique plus juste et plus européenne. Vous l'avez compris, le groupe Socialistes et apparentés votera avec force contre cette proposition de loi.

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