Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Séance en hémicycle du jeudi 25 mars 2021 à 15h00
Lutte contre les individus violents lors de manifestations — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Il s'agit d'une journée particulièrement importante pour le groupe UDI et indépendants : une fois par an seulement, hélas, nous sommes autorisés à défendre nos proposition de loi. Nous sommes satisfaits d'avoir pu aujourd'hui présenter certaines d'entre elles.

Comme j'ai eu l'occasion de le dire à maintes reprises, dans cet hémicycle et ailleurs, nous regrettons que les journées d'initiative parlementaire soient si peu nombreuses. On a vu ce matin, notamment grâce à trois votes unanimes, qu'elle peuvent être utiles à tout le pays. Sur ce point, comme sur bien d'autres d'ailleurs, nous aurions tout intérêt à nous inspirer davantage de la sagesse sénatoriale et de son mode de fonctionnement. Les textes d'initiative parlementaire, qu'ils viennent de l'opposition ou de la majorité, doivent être considérés à égalité avec ceux du Gouvernement. Ils ne sont pas tous bons à être acceptés, ni rejetés ; nous avons vu par le passé qu'une oreille attentive du gouvernement évite souvent des embûches.

Quoi qu'il en soit, le groupe UDI et indépendants a souhaité inscrire à l'ordre du jour la proposition de loi de notre collègue Pascal Brindeau visant à lutter contre les individus violents lors de manifestations. Ce texte reprend certaines mesures de la loi dite anticasseurs, adoptée en 2019, afin de les rendre plus en adéquation avec notre Constitution ; il est particulièrement attendu par nos policiers et nos gendarmes, mais surtout par nos concitoyens.

En effet, depuis plusieurs années maintenant, des individus ont pris l'habitude de s'introduire dans les manifestations afin de détruire, brûler, piller et s'en prendre violemment à nos forces de l'ordre.

Désormais, pratiquement à chaque manifestation d'envergure, nos concitoyens assistent, outrés et même, disons-le clairement, la rage au ventre, aux mêmes scènes de guérillas urbaines avec leur lot de poubelles et de carcasses de voitures incendiées, d'abribus détruits, de commerces tagués, voire pillés et dévastés, de chaussées dépavées, de mobiliers urbains qu'ils ont payés pulvérisés. À cela s'ajoutent des scènes insupportables, que nous connaissons tous, d'individus aux visages dissimulés, vêtus de noir, cherchant à s'en prendre à nos forces de l'ordre et à les lyncher.

Je pense, en particulier, à cet affrontement délirant de la place de la Bastille, lors de la manifestation contre la proposition de loi relative à la sécurité globale, quand, devant les caméras, un policier jeté au sol encaisse, pendant plus d'une demi-minute, une pluie de coups de pied de la part de bandes d'individus ne désirant que le chaos. Sans l'intervention de ses collègues, il est certain que le calvaire de ce policier se serait certainement terminé en drame.

Je pense encore à cette scène insupportable qui s'est déroulée lors de la manifestation des personnels soignants, quand des gendarmes mobiles contraints de reculer face à des individus violemment amassés ont été roués de coups de pied après avoir été volontairement déséquilibrés.

Enfin, je pense à cet ex-boxeur professionnel, lors de l'acte VIII des gilets jaunes, qui n'a pas hésité à asséner des coups de poing à un gendarme comme si ce garant de l'ordre public était le sac de frappe de sa salle de sport.

Si les débordements lors de manifestations ont toujours existé, il n'en demeure pas moins que nous sommes confrontés, depuis plusieurs années, à l'émergence d'un phénomène nouveau, d'une ampleur et d'un niveau de violence inacceptables. Ce phénomène, qui n'épargne aucun territoire, même les plus ruraux, doit être combattu par l'État avec force et détermination pour garantir à la fois l'ordre public et son autorité.

Car il est insupportable que nos forces de l'ordre soient constamment prises pour cible. Il est également inadmissible que le message et les revendications de manifestants venus pacifiquement manifester pour ce à quoi ils aspirent soient constamment confisqués ou relégués au second plan par les agissements d'individus haineux ne portant aucune revendication si ce n'est le chaos et l'anarchie. N'oublions pas, d'ailleurs, que les manifestants et les services d'ordre sont aussi la cible de la violence de ces individus lors des manifestations.

Mes chers collègues, combien de nos concitoyens ne se rendent-ils plus sur la voie publique pour exprimer leurs opinions, conformément au droit fondamental que leur garantit la Constitution, par peur des conditions dans lesquelles se déroulent les manifestations ? La vérité est que la violence de ces individus remet précisément en cause la liberté de manifester de nos concitoyens.

Enfin, il est inadmissible qu'à chaque passage de cortège, nos commerçants soient contraints de vivre dans la peur : peur de l'état dans lequel ils retrouveront leur vitrine, peur du pillage, peur d'être démunis en raison d'un outil de travail dévasté, voire peur pour eux-mêmes lorsqu'ils cherchent à protéger ce qu'ils ont mis toute une vie à construire. Tout comme vous, nos concitoyens me témoignent régulièrement leur colère et leur incompréhension face à cet État, sévère parfois à leur égard, mais qui n'arrive pas à porter un coup définitif à ces violences et qui laisse les casseurs recommencer à chaque manifestation.

Ce sentiment d'impunité et la nécessité d'agir, le Gouvernement les avait bien compris lorsqu'il a repris, en 2019, la proposition de loi du Sénat visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestation, dite proposition de loi anticasseurs. Si les mesures adoptées alors par la majorité allaient dans le bon sens et donnaient de nouveaux outils pour lutter plus efficacement contre les individus violents, le Gouvernement n'a malheureusement pas souhaité retravailler l'article censuré par le Conseil constitutionnel, qui donnait à l'autorité administrative le pouvoir d'interdire de manifestation toute personne présentant une menace.

Je me souviens pourtant de Christophe Castaner, alors ministre de l'intérieur, défendant dans cet hémicycle, avec justesse, ces interdictions administratives et précisant, à juste titre, qu'il ne s'agissait pas d'autre chose que de garantir le droit de manifester aujourd'hui menacé, bafoué de façon systématique. Il ajoutait que si les décisions judiciaires étaient fondamentales, leur légitime lenteur ne permettait pas d'expliquer aux habitants de Bordeaux, de Montpellier ou de Bourges pourquoi des individus étaient autorisés à revenir manifester après leurs agissements violents et malgré leur identification et les plaintes déposées contre eux.

Concernant enfin les interrogations quant à la constitutionnalité de cette mesure, là encore, l'ancien ministre de l'intérieur en a été le meilleur défenseur. Le droit français permet déjà aux préfets – nous le voyons en ce moment – d'interdire une manifestation dans certains cas précis et donc d'interdire à des personnes qui souhaitent manifester de le faire. Dès lors, l'interdiction individuelle de manifester lorsque le comportement d'une personne est violent est constitutionnelle. Nous y avons déjà recouru dans le cadre de la législation anti-hooligans pour viser des personnes qui venaient systématiquement perturber les spectacles de sport et qui étaient interdites d'y assister et assignées au commissariat pendant leur déroulement.

Parce qu'il partageait la totalité des analyses et des arguments développés à l'époque, notre rapporteur, Pascal Brindeau, et les députés du groupe UDI et indépendants ont décidé de retravailler l'article censuré par le Conseil constitutionnel en prenant en compte l'ensemble de ses observations afin de tendre vers un meilleur équilibre entre la protection de la liberté fondamentale de manifester et la nécessité de répondre aux nouveaux phénomènes qui surviennent trop régulièrement lors de manifestations et que nos concitoyens ne supportent plus. Nous sommes convaincus que ces mesures qui, je le répète, permettront aux manifestants pacifiques d'exercer sereinement leurs libertés individuelles, combleront un trou important dans la raquette.

Comme l'explique Gérald Darmanin dans le schéma national du maintien de l'ordre, « il n'est plus acceptable que des casseurs puissent agir librement et venir voler aux manifestants le droit de s'exprimer sur la voie publique ». La proposition de loi que nous vous présentons vise à garantir ce droit tout en protégeant les forces de l'ordre et les biens des personnes, que cherchent à détruire les manifestants violents.

Évidemment, les mesures adoptées en 2019 existent déjà et vont dans le bon sens. Je pense notamment à la simplification des modalités de déclaration des manifestations, au régime ad hoc des contrôles de police judiciaire et au délit de dissimulation du visage. Évidemment, il conviendra de donner de nouveaux moyens, notamment opérationnels, à nos forces de l'ordre tout en renforçant les échanges européens entre les services de police, ce phénomène n'étant pas seulement limité à la France. Mais la lutte contre les casseurs et les black blocs, pour être efficace, ne peut souffrir d'aucun trou dans la raquette.

Mes chers collègues, vous aviez déjà accepté l'idée de ces interdictions administratives en 2019. Le Gouvernement lui-même les avait acceptées. Cette proposition de loi reprend des mesures de bon sens, mais en tenant compte cette fois-ci des observations du Conseil constitutionnel. C'est le jeu légitime de la démocratie : nous faisons la loi et le Conseil constitutionnel décide si nous sommes ou non dans les clous. Grâce au travail de Pascal Brindeau et de plusieurs de nos collègues, nous avons tenté de rentrer dans les clous de la loi pour résoudre un problème qui ne cesse de grandir dans notre pays et qui rend fous de rage les Français qui travaillent tous les jours pour construire alors que d'autres se permettent de détruire en toute impunité, de détruire le fruit de leur travail, les biens publics et les biens privés.

Ce n'est pas ici, dans cet hémicycle, que nous devons juger de la constitutionnalité d'une loi : les neuf personnes à qui revient ce rôle se trouvent rue de Montpensier. Les 577 députés que nous sommes – sans oublier les sénateurs – avons à nous prononcer sur les mesures qui nous semblent nécessaires et respectueuses de la Constitution. Je le dis pour que notre débat ne soit pas encombré par la question de la constitutionnalité, qui a déjà posé problème, et pour qu'un travail sérieux s'engage sur cette proposition de loi, afin que s'exprime la volonté de l'Assemblée nationale, c'est-à-dire la volonté populaire, la volonté des citoyens français. Ensuite, le Conseil constitutionnel tranchera. Comme le disait tout à l'heure Michel Zumkeller, ne brûlons pas les étapes. Chacun sa mission et la vôtre, chers collègues, est de vous emparer de cette proposition de loi et, je l'espère, de la soutenir, loin des considérations partisanes.

Finalement, madame la ministre déléguée, le groupe UDI et indépendants reprend aujourd'hui un texte voulu par le Gouvernement, censuré par le Conseil constitutionnel et amélioré afin de n'être plus censuré. Nous espérons qu'il recueillera le soutien des différents groupes de notre assemblée et en particulier de ceux de la majorité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.