M. Philippe Latombe alerte M. le ministre de l'économie, des finances et de la relance sur la façon dont les grandes entreprises étasuniennes du logiciel contournent en Europe la non-brevetabilité des logiciels. Le 6 juillet 2015, après plus de deux ans de débats préparatoires, le Parlement européen confirmait le droit européen en vigueur en refusant que le logiciel (ou programme d'ordinateur) entre dans le champ de la brevetabilité, ceci à une écrasante majorité de 648 voix, contre 14 voix pour et 18 abstentions. Malgré cette décision claire, les grandes entreprises étasuniennes du logiciel, Microsoft en tête, n'ont jamais jeté l'éponge. Puisque la porte d'un accord européen leur était fermée, elles ont attaqué chapitre national par chapitre national. Si certains États membres comme la France mais aussi l'Italie, l'Espagne ou la Pologne ont résisté à ce lobbying intensif, d'autres se sont montrés plus réceptifs aux arguments étasuniens. C'est notamment le cas du Royaume-Uni, sous tutelle américaine sur le plan économique, comme la récente affaire des sous-marins australiens vient une nouvelle fois de le mettre en lumière. C'est aussi, malheureusement, le cas de l'Allemagne, qui abrite la Cour européenne des brevets à Munich, cour juge et partie sur cette question puisque l'essentiel de son budget de fonctionnement provient des brevets accordés ou refusés. C'est à ces deux pays membres (avant 2020) que l'on doit une énième tentative de faire rentrer le logiciel dans le champ de la brevetabilité, projet que le Brexit fera avorter. Sans vergogne, la Commission européenne a alors tenté de mettre sur pied la signature d'un accord commercial hors traités de l'Union, manœuvre qui avait le mérite essentiel d'interdire au Parlement européen un droit de regard et d'avis sur le texte. Le mercredi 27 octobre 2021, le Comité préparatoire de la juridiction unifiée du brevet (JUB) s'est réuni à Luxembourg pour discuter d'une façon d'amender le traité de mise en application provisoire (PPA) afin de passer outre le prérequis du Royaume-Uni, qui est toujours nécessaire pour son entrée en vigueur, selon l'article 3.1. La délégation française aurait déjà donné son accord pour l'organisation d'une cérémonie de signature de cette déclaration en marge d'une réunion Coreper à Bruxelles. On se retrouve donc aujourd'hui dans la situation parfaitement inadmissible où, du fait des manœuvres de la Commission européenne, aucune des assemblées françaises n'est en mesure d'apprécier exactement quel sont les pans de la souveraineté numérique auxquels la France apprête à renoncer. Ce renoncement aura de très graves conséquences, si pas létales, sur le secteur logiciel français et européen. En effet, l'écrasante majorité des « brevets logiciels » déjà délivrés par l'USPTO étasuniens, ainsi que ceux qui ont été délivrés illégalement par l'Office européen des brevets (OEB), sont aux mains d'entreprises étasuniennes. Celles-ci s'en servent déjà pour racketter l'innovation aux États-Unis d'Amérique, et souhaitent étendre ce contrôle à l'Europe, la vassalisant encore plus. Le montant extrêmement élevé des frais de défense et de recours qui ont été établis (en moyenne 20 000 euros, soit de 20 à 40 fois supérieurs à ceux en vigueur dans les différents États membres), essorera les PME innovantes. Même en cas de victoire juridique, aucune jeune pousse logicielle ne survivra à ce genre d'offensive ; elles seront rachetées à vil prix par leurs assaillants, comme cela se produit aux États-Unis d'Amérique depuis 40 ans et a permis les situations de monopole abusif telles que celles dans lesquelles se trouvent notamment Microsoft et Apple. Comment peut-on d'un côté prétendre promouvoir la souveraineté numérique de la France, comme le Président de la République l'a déclaré aux Français lors de sa dernière intervention, et tolérer de telles pratiques ? Pourquoi les assemblées françaises n'ont-elles jamais été informées, alors qu'il aurait dû y avoir un débat en leur sein avant de donner un quelconque mandat de négociation pour la signature de cette déclaration en Conseil ? Le Gouvernement peut-il préciser le contenu exact de cette déclaration ? Cette dernière est-elle compatible avec la convention de Vienne sur l'interprétation des traités (VCLT) et qui en a effectué une vérification juridique ? Il souhaite avoir des précisions à ce sujet.
Le projet de juridiction unifiée des brevets en Europe vise à créer une juridiction européenne, compétente pour le contentieux de la validité et de la contrefaçon des brevets européens et du futur brevet européen à effet unitaire délivrés par l'office européen des brevets situé à Munich, Allemagne. La Commission européenne ne joue pas de rôle dans ce projet à caractère intergouvernemental. L'accord sur la juridiction unifiée des brevets a pour objectif de créer un juge unique des brevets en Europe dans le respect du droit de l'Union européenne et des règles de la Convention sur le Brevet européen. Le projet vise à remédier aux défaillances de la situation actuelle qui conduit les entreprises à devoir engager des contentieux multiples devant les juridictions des différents États membres où les brevets sont protégés et où des actes de contrefaçon sont constatés, avec des coûts importants et des risques de divergence de jurisprudence et d'incohérence des décisions judicaires en Europe. Le projet de juridiction unifiée des brevets constitue donc un réel progrès et est soutenu par l'ensemble des entreprises européennes comme étant un élément essentiel de l'encadrement juridique efficace du système des brevets en Europe, et comme facteur de compétitivité de l'économie européenne. Le projet de juridiction européenne des brevets n'a pas de lien ni d'impact sur le sujet de la non brevetabilité des logiciels : l'accord créant la juridiction unifiée des brevets ne modifie en rien les règles de la convention sur le brevet européen, notamment l'article 52 (2) qui interdit de protéger par brevet les programmes d'ordinateur en tant que tels, le vote du Parlement européen du 6 juillet 2005 ou le droit de l'Union européenne de manière générale. Le sujet de la non-brevetabilité des logiciels est traité dans le cadre de la délivrance des brevets en Europe, laquelle ne relève pas de la compétence de la juridiction unifiée des brevets mais de l'Office européen des brevets, en application de la convention sur le brevet européen. De la même manière, l'accord sur la juridiction unifiée des brevets ne concerne pas la problématique de la souveraineté numérique de l'Europe ou de la France : cet accord vise seulement à doter l'Europe d'une juridiction unique des brevets, ce dont l'Europe ne dispose pas à ce jour, compétente pour la validité et la contrefaçon de brevets dans l'ensemble des domaines technologiques. L'activité de la juridiction unifiée des brevets s'intègrera à l'ordre juridique de l'Union, car la juridiction pourra renvoyer des questions préjudicielles à la Cour de Justice de l'Union européenne, et sera en tout état de cause liée par la jurisprudence de cette dernière ou le droit de l'Union. Le siège de la division centrale, organe de première instance de la juridiction unifiée du brevet sera localisé à Paris, et celui de la cour d'appel à Luxembourg. Le budget de la juridiction unifiée du brevet sera constitué des contributions des États membres participants à ce projet et par les taxes de procédures versées par les plaignants. En outre, comme prévu par l'article 36 (3) de l'accord sur la juridiction unifiée des brevets, diverses mesures afin d'assurer l'accès de tous les acteurs innovants à cette nouvelle juridiction ont été adoptées, dont notamment des réductions de l'ensemble des frais de procédure pour les petites et moyennes entreprises (PME) /très petites entreprises (TPE), la création d'une aide juridictionnelle pour les personnes physiques ou encore le remboursement des frais de procédure en cas de menace sur l'existence économique de la partie. Enfin, tout comme en France, la partie gagnante pourra faire prendre en charge ses frais par la partie perdante. Le projet de déclaration vise à retenir une interprétation de l'article 3 du protocole d'application provisoire de l'accord sur la juridiction unifiée du brevet qui tire les conséquences du retrait du Royaume-Uni du projet d'accord sur la juridiction unifiée du brevet. Cette déclaration a pour seul objectif de substituer l'Italie au Royaume-Uni pour ceux des États dont la ratification est nécessaire pour l'entrée en vigueur du protocole d'application provisoire. Ce projet de déclaration technique ne modifie pas le contenu du protocole d'application provisoire, ni l'accord sur la juridiction unifiée des brevets, ne constitue pas un accord commercial et ne porte en rien sur les questions de non brevetabilité des logiciels ou de souveraineté numérique.
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