La séance est ouverte à dix-huit heures cinquante-cinq.
L'Assemblée nationale a constitué une commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire Lactalis, et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques.
Il ne s'agit pas de faire le procès de qui que ce soit, ni de juger, ni de punir, mais M. Besson-Moreau va produire un rapport qui, je l'espère, nous permettra d'éviter les soucis majeurs que nous avons connus lors de cette crise, notamment les risques pour la santé publique, et en particulier les bébés.
La commission d'enquête a entendu les organismes de contrôle de l'État. La Fédération nationale des industries laitières (FNIL) et la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) vous ont précédés au cours de cette après-midi d'auditions. Nous rencontrerons ensuite d'autres acteurs : la grande distribution, l'e-commerce, l'ordre des pharmaciens et les responsables des crèches. Ce cycle s'achèvera avec le président de Lactalis et les ministres concernés.
Nous recevons aujourd'hui deux organisations professionnelles, puisque les représentants des Jeunes agriculteurs sont apparemment absents. La Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) est représentée par M. Henri Brichart, son premier vice-président ; la Confédération paysanne l'est par Mme Temanuata Girard, secrétaire générale, et M. Joris Gaudaré, animateur.
La FNSEA, regroupant 70 % des agriculteurs français, rassemble depuis 1946 toutes les régions et toutes les productions agricoles. Elle compte 20 000 élus, aux niveaux local et départemental, à l'écoute des agriculteurs, et représente ceux-ci dans les instances de concertation et de décision. Au niveau européen et international, elle fait valoir les positions des agriculteurs français en intervenant soit directement, soit par l'intermédiaire du COPA (Comité européen des organisations professionnelles agricoles de l'Union européenne) et de la FIPA (Fédération internationale des producteurs agricoles).
La Confédération paysanne se propose, depuis 1987, de porter des valeurs de solidarité et de partage. Son projet se veut une alternative à un modèle d'agriculture industrielle qui élimine trop de paysans et de structures agricoles diversifiées, en dénonçant en particulier la course à la compétitivité.
Comme il s'agit d'une commission d'enquête, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais demander à chacun d'entre vous de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».
Les personnes auditionnées prêtent serment.
Notre commission souhaite vous entendre sur différents points.
Quels ont été les termes de la rencontre en janvier dernier entre la FNSEA et Lactalis ? Un certain nombre d'assurances vous ont-elles été données par Lactalis ?
Selon vous, quels sont les différents responsables du scandale Lactalis ?
Que pensez-vous de la culture de l'opacité de Lactalis ? Aurait-il fallu communiquer les résultats non conformes avant décembre 2017 ?
La Confédération paysanne a indiqué dans la presse qu'elle ne croyait pas à l'incompétence de Lactalis : y a-t-il donc eu volonté d'écouler des lots qui n'étaient pas normaux ? Jusqu'où va votre pensée ?
La réglementation sur les autocontrôles vous paraît-elle suffisante ? Lactalis et les autres industries laitières devraient-ils rendre publics les contrôles positifs, non seulement sur les produits fabriqués à l'intérieur de l'usine, mais aussi ceux réalisés sur l'environnement ?
Je souscris aux excellents propos du président Hutin, auxquels j'ajouterai plusieurs questions.
Que pensez-vous de la responsabilité des distributeurs et des promotions qui ont été faites sur les produits contaminés ?
Estimez-vous que la DGCCRF dispose de suffisamment de moyens pour contrôler les retraits-rappels ?
Estimez-vous nécessaire de développer des contrôles réalisés par l'État ?
Quelles mesures préconisez-vous afin que ce type d'affaire ne se reproduise plus ?
Effectivement, nous avons eu l'occasion de rencontrer les dirigeants de Lactalis. Pour nous, l'entretien s'est concentré sur les conséquences de l'affaire sur les producteurs. Ce n'est un secret pour personne puisque Lactalis s'est exprimé ensuite publiquement auprès de ses producteurs : ils nous ont donné l'assurance qu'il n'y aurait pas de répercussions pour les producteurs sur le prix du lait et les volumes que les producteurs pouvaient livrer chez eux. Voilà, pour être très factuel sur cette question.
Ils n'ont pas donné d'autres éléments que ceux connus publiquement.
La culture du secret de Lactalis n'est une surprise pour personne. Nous nous sommes souvent plaints de cette culture du secret d'un point de vue purement économique, en particulier de la non-publication de ses résultats. Je vais éviter de m'exprimer sur la gestion de la crise, parce que nous n'avons pas suffisamment d'éléments. Dans l'attente des résultats de l'enquête, c'est difficile car Lactalis ne nous ont pas donné d'éléments qui n'étaient pas connus nous permettant de dire qui étaient les responsables, ni si elle pouvait communiquer avant ou non.
Ce qui est sûr, c'est qu'une telle affaire est préjudiciable pour l'ensemble des producteurs de lait, car la mise en cause d'un produit par une problématique sanitaire pose des questions aux consommateurs. Il est encore trop tôt pour bien mesurer les effets dans la consommation globale des poudres de lait et chez Lactalis. Une de nos craintes, en particulier, concernait les producteurs Lactalis. À ce stade, les dirigeants de cette entreprise se sont engagés à ce qu'il n'y ait pas de répercussion pour les producteurs, il faudra attendre et voir comment se déroule cette année pour mesurer l'éventuelle répercussion indirecte pour les producteurs, en particulier sur le prix du lait.
Je ne serai pas forcément plus bavard en réponse à vos questions sur les autocontrôles, car ce sont des domaines que nous ne maîtrisons pas forcément. Quand les autocontrôles sur des produits sont positifs, il y a, sauf erreur de ma part, une obligation de déclaration. La question se pose dans les cas d'autocontrôles positifs dans l'environnement, comme ce fut le cas à Lactalis : la bactérie n'avait pas été détectée dans les produits, mais dans le sol, d'après ce que nous avons compris. La publication d'autocontrôles positifs, lâchée médiatiquement, nous paraîtrait dommageable, ce ne serait pas la meilleure solution. Mais la capacité que donnerait aux pouvoirs publics la connaissance de cet autocontrôle positif pour bien vérifier la mise en oeuvre de procédures de retour à la normale nous paraît aller dans le bon sens.
Tout le monde est persuadé que toute crise sanitaire peut avoir des effets catastrophiques sur l'économie d'une entreprise ou d'une filière, et tout le monde a intérêt, en cas de problème, à trouver rapidement la solution.
Cela m'amène à aborder les contrôles par l'administration. Dans les entreprises comme Lactalis, qui fonctionnent par des autocontrôles, il faut que les autocontrôles positifs puissent entraîner des remises à niveau. La connaissance par les pouvoirs publics, et donc la vérification après coup que les mesures nécessaires sont appliquées, nous paraît importante. Effectivement, sans connaître précisément les moyens au niveau départemental, les moyens des directions départementales de la protection des populations (DDPP) nous semblent insuffisants pour effectuer tous ces contrôles.
La culture du secret de Lactalis n'est pas une nouveauté. Au sein de la Confédération paysanne, nous avons été lanceurs d'alerte à plusieurs reprises concernant Lactalis, dont les comptes n'étaient pas publiés. Nous n'avons pas besoin d'énumérer les différentes affaires qui relient Lactalis à des scandales, sanitaires ou autre. Sur le site de Craon, en 2012, une enquête publique était en cours et Lactalis ne s'était pas donné la peine d'attendre ses résultats. Les éléments sur la culture du secret de Lactalis ne manquent pas.
Vous nous avez interrogés sur le communiqué de presse dans lequel nous disions douter de l'incompétence de Lactalis. En effet, nous restons persuadés que les faits étaient connus. Nous ne pouvons pas nous imaginer que les lots étaient partis dans la nature sans qu'il n'y ait eu connaissance de cette contamination.
Nous savons que cela va avoir un impact sur la filière, et les producteurs laitiers. S'il y avait une réelle répartition de la valeur entre Lactalis et ses producteurs, je pourrais comprendre la protection de cette filière. Mais ce n'est pas le cas aujourd'hui, et je ne comprends pas que Lactalis se permette de jouer avec la profession et avec ses producteurs laitiers. La volonté d'écouler les lots en prenant le temps pour qu'il ne soit plus possible de les rappeler était réelle. Nous avons eu un exemple peu de temps avant avec les oeufs contaminés au Fipronil : tous les lots étaient partis.
Comme dans votre communiqué de presse, vous continuez à affirmer que Lactalis était au courant qu'il y avait un risque sur un certain nombre de lots, et qu'ils ont lâché les lots de telle sorte qu'il soit impossible de faire un rappel global ?
Je ne peux pas me permettre de les accuser aujourd'hui, parce que je ne connais pas le détail des faits.
Vous pouvez vous exprimer librement ici, c'est une commission d'enquête publique : si vous pensez dire la vérité, vous pouvez le dire.
Je suis productrice de lait, je transforme des fromages, je suis soumise aux autocontrôles et je pense que Lactalis a des unités de contrôle et des laboratoires qui offrent une fréquence de contrôle telle qu'on ne peut pas ignorer ces résultats.
Vous parlez d'autocontrôles et d'analyse, pensez-vous que les autocontrôles réalisés par Lactalis sont falsifiables, dissimulables, échangeables, ou qu'ils peuvent faire l'objet d'autres types de manoeuvres ?
J'ai pu lire que les laboratoires étaient sous l'emprise de Lactalis, mais je ne sais pas comment cela peut être falsifiable. Aujourd'hui, nous, petits producteurs, nous travaillons avec des laboratoires départementaux. Nous savons que nous n'avons aucun moyen de falsifier ces résultats. S'agissant de Lactalis, je n'ai aucun moyen de savoir si les analyses sont falsifiables ou non.
Mais comment dire qu'ils ne sont pas au courant ? Les résultats de l'analyse du laboratoire sont connus après vingt-quatre ou quarante-huit heures pour des salmonelles.
Cette commission essaie d'étudier la qualité de l'analyse qui a été réalisée dans l'entreprise, et de connaître le nombre d'analyses, et lesquelles ont été réalisées par des laboratoires publics. Vous nous dites que la qualité de ces analyses est assurée, et c'est ce qui vous permet de dire que Lactalis savait obligatoirement que des produits étaient sortis de ces usines alors qu'il y avait un risque.
Vous me demandez de me prononcer sur la sûreté des analyses. J'imagine que leurs laboratoires ont des moyens pour faire ces analyses, sinon ils ne seraient pas agréés. Il me semble que les analyses libératoires nous permettent de savoir si, oui ou non, tel ou tel lot est contaminé.
Ce que dit Lactalis, et c'est pour cela que votre avis est extrêmement intéressant, c'est qu'ils ont fait des autocontrôles dont les résultats étaient négatifs. A la suite des problèmes rencontrés début décembre, de nouveaux contrôles ont été faits, et ces contrôles complémentaires ont été positifs. C'est pour cela que nous vous interrogions sur la qualité de ces autocontrôles.
En tant que petits producteurs, nous travaillons avec un laboratoire départemental. Mais je ne pourrais pas prendre position sur le laboratoire et les autocontrôles mis en place chez Lactalis.
Et une fois que le problème a été identifié, est-il possible de faire traîner les livraisons ?
Faire traîner les livraisons, je ne sais pas, mais on peut faire traîner le résultat des analyses de manière à retarder le rappel des lots.
A ce que j'ai pu lire, des analyses ont été faites et des contre-analyses ont été demandées. Ce délai préalable à la certification qu'il y avait une contamination des produits a peut-être freiné le rappel des lots.
Oui.
S'agissant de l'obligation de réaliser des autocontrôles sur l'environnement, je rejoins l'avis de mon collègue. Je comprendrais qu'il y ait une obligation, mais il faut faire très attention à la façon dont les résultats sont diffusés. Quand un autocontrôle positif survient dans une exploitation, on ne sait pas d'où vient la contamination. Il y a deux poids deux mesures entre un producteur, petit ou grand, à qui un contrôle positif arrive, et une industrie agroalimentaire, dont les ateliers sont d'une autre taille.
Il existe différentes catégories d'autocontrôles : les autocontrôles de l'environnement, les autocontrôles chez le producteur, les autocontrôles dans l'environnement industriel et ceux dans le produit fini.
Trouvez-vous normal de ne pas diffuser les résultats d'autocontrôles positifs chez les agriculteurs ? Nous avons reçu la FNIL, qui nous a expliqué qu'il s'agissait d'un environnement vivant, que nous avions tous de la salmonelle chez nous dans notre réfrigérateur, ou dans les fermes. Dans l'environnement de l'usine, où des camions viennent des fermes, on risque aussi d'en trouver. Mais un autocontrôle positif dans un produit fini, ce n'est pas la même chose.
Je suis assez en phase avec ce qui a été dit, mais nous ne savons pas exactement quels autocontrôles ont été faits. Il faut bien différencier les autocontrôles sur l'environnement des autocontrôles sur les produits ; les premiers amènent les petits producteurs ou les industriels à mettre en place un certain nombre de procédés pour éviter la contamination des produits. Il peut être intéressant d'en informer l'administration pour qu'elle puisse vérifier si ces procédures ont été mises en place, sans forcément publier les résultats pour ne pas affoler tout le monde, car comme vous l'avez dit, cela peut exister chez tout le monde.
Je ne connais pas bien la réglementation, mais il me semble que, s'il y a des autocontrôles positifs sur un produit fini, le produit ne peut pas sortir. Donc il faut bien différencier les deux situations.
Pouvez-vous nous rappeler la procédure quand un autocontrôle est positif dans une exploitation ? L'entreprise à laquelle vous vendez la production suspend-elle tout de suite la commercialisation, ou faut-il attendre un deuxième contrôle ? Vous demande-t-on de nettoyer tous les tanks, de tout changer ?
Dans les exploitations, chez les producteurs, toutes ces analyses ne sont pas effectuées, hormis pour quelques marchés de niche, certains produits à la destination très précise, qui impliquent des analyses plus poussées qu'une simple mesure du germe sur le lait. Sinon, il y a des analyses sur les germes totaux, mais on ne mesure pas la listéria ou les salmonelles dans les tanks des producteurs.
Au niveau des producteurs, un certain nombre de mesures sont prévues autour du bien-être animal, de la propreté de l'exploitation, pour limiter au maximum la contamination éventuelle. Vous imaginez bien que les animaux, de par leurs divagations dans une stabulation ou dans un pré, sont toujours porteurs de germes. Les exploitants agricoles doivent appliquer un certain nombre de mesures d'hygiène au moment de la traite pour limiter au maximum les contaminations éventuelles. La réfrigération du lait contribue aussi à bloquer le développement des germes, mais on ne fait pas d'autocontrôle sur la listéria ou les salmonelles dans les exploitations. Puis, le lait est mis dans le tank, et le camion de la laiterie passe tous les deux ou trois jours. Il ne serait pas possible de prévoir que le camion de la laiterie mette en place une analyse libératoire avant de pomper le lait.
En revanche, ces analyses et ces autocontrôles existent quand les producteurs transforment le lait. Quand un autocontrôle est positif sur le produit fini, il est obligatoire d'alerter la DDPP ou la direction générale de l'alimentation (DGAL), et un rappel des lots est fait en fonction de la contamination du produit. Sur la listéria, il y a une tolérance zéro. Si la contamination est à moins de 100, on doit détruire les lots, et, au-delà, rappeler tous les lots.
Vous êtes productrice de lait, et vous fabriquez un produit fini ensuite. Vous faites du fromage ?
C'est une toute petite entreprise comparée à Lactalis, mais j'imagine qu'elle est soumise aux mêmes règles. Pouvez-vous nous expliquer clairement et tout simplement comment les choses fonctionnent chez vous ?
Notre exploitation est tellement petite que nous transformons tous les jours, nous ne laissons pas le lait attendre. Nous avons une analyse du lait une fois par semaine. Et, deux ou trois fois par an, il y a une analyse des fromages et de l'environnement. Toutes ces analyses procèdent à une recherche de listéria et de salmonelles.
Sur le lait directement, et sur le produit fini.
Vous faites vous-même ces analyses, ou vous envoyez un échantillon en laboratoire car vous n'avez pas les moyens de le faire en interne ?
Ce qui existe aujourd'hui, et qui fonctionne très bien, ce sont les groupements de défense sanitaire (GDS) mis en place avec les chambres d'agriculture. Ils font une sorte de partenariat et de convention avec le laboratoire du département, ils nous fournissent de quoi faire les prélèvements sur le lait toutes les semaines, et nous leur envoyons nos prélèvements. Ensuite, le laboratoire vient chercher des prélèvements de fromages, nous avons des fromages frais et des fromages de vingt-huit jours qui sont analysés.
Imaginons une exploitation de taille intermédiaire, pas toute petite, mais pas non plus Lactalis, qui aurait les moyens de faire les autocontrôles en interne. Si l'on s'y apercevait qu'il y a de la salmonelle dans un des produits finis, qu'est-ce qui empêche de modifier, de falsifier ou de supprimer cet autocontrôle ?
Les autocontrôles arrivent directement aux GDS, et chez le producteur. Une fois que le GDS est au courant, il informe le producteur car, souvent, il reçoit l'alerte en premier.
Personnellement, j'ai connu un cas de listéria il y a trois ans à la ferme. Je peux vous assurer qu'au départ, on se pose plein de questions, on se demande ce que l'on a fait, on essaie de trouver d'où vient la contamination. Une fois que l'on s'aperçoit que cela ne vient pas d'un animal, on est rassuré, parce que le troupeau n'est pas contaminé, et il n'y a donc pas de répercussions sur les animaux. Ensuite, on met tout un processus en place avec le GDS et la DDPP de manière à retrouver un équilibre sain dans l'atelier.
Oui, on pourrait falsifier les résultats des contrôles. Aujourd'hui, sur tous les producteurs concernés par ce type d'incident, je n'en connais aucun qui prendrait le risque de le faire car il y a tout de même des cas de maladies, qu'il s'agisse d'enfants ou des personnes auto-immunes. En effet, nous pourrions prendre le risque de falsifier ou de ne pas diffuser des contrôles positifs, mais il y a tout de même le GDS qui est informé.
Je vends en restauration collective, dans les cantines, notamment scolaires.
Cela impose d'autant plus d'attention. C'est un circuit court. Excusez-moi de prendre votre exemple, mais c'est intéressant pour notre commission car j'imagine que nous n'aurions pas les mêmes réponses, aussi précises, de la part de grands industriels. Imaginons que vous ayez un problème de listéria ou de salmonelles, est-il possible que vous ne l'appreniez pas tout de suite ?
C'est difficile. Nous sommes en lien avec le laboratoire, nous travaillons par mail, nous avons les résultats des analyses en 48 heures.
Imaginons qu'il y ait un décalage, et que la production soit partie en restauration collective. Elle n'est pas encore mangée, elle est livrée. Vous avez des possibilités pour organiser un retrait immédiat ?
Oui parce que nous appelons directement les clients. C'est la différence avec Lactalis, nous n'avons pas du tout les mêmes échelles de production.
C'est sûrement clair dans votre esprit : dans le cas des producteurs fermiers, ce ne sont pas les producteurs qui font les analyses.
C'est pour cela que le rapporteur demandait s'il y avait des autoanalyses internes. J'imagine que dans les petites structures, il est très compliqué d'avoir son propre laboratoire !
Les autocontrôles représentent déjà un coût assez important pour les structures, le département aide à les effectuer, mais les coûts sont portés par les producteurs. C'est donc déjà un coût pour nos entreprises, et nous ne pourrions vraiment pas nous permettre d'avoir un laboratoire.
C'est un autocontrôle que vous décidez vous-mêmes, mais qui est réalisé par d'autres, extérieurs à votre commerce, alors que certaines industries font des autocontrôles internes, ce qui n'est pas du tout la même chose.
Que pensez-vous de la responsabilité des distributeurs et des promotions faites sur des produits contaminés ? Je parle des grandes surfaces, mais aussi des pharmacies, qui ont continué à distribuer des produits contaminés, qui les ont remis en rayon ; une certaine enseigne a même offert une remise de 40 %.
Je ne sais pas ce que vous voulez nous faire dire…
Vous êtes à la source, vous élaborez le produit. Il y a un risque d'image pour la filière. Qu'en disent les syndicats agricoles ?
Une fois que des produits ont été déclarés contaminés et qu'une procédure de retrait a été engagée, nous n'arrivons pas à comprendre que la procédure de rappel n'ait pas été effectuée, ou n'ait pas été efficace. Nous ne sommes pas capables de dire s'il s'agit d'une volonté délibérée de ne pas le faire, ou d'un dysfonctionnement dans le processus. Mais ce n'est pas admissible.
Non seulement ce n'est pas admissible, mais quand un producteur est concerné par un incident sanitaire sur sa ferme, et lorsque l'on voit la violence que peuvent avoir les retours des contrôles positifs par l'administration et les autorités – nous pouvons être accusés, ou dénoncés dans la presse – nous n'arriverions même pas à faire un dixième de ce qui a pu être fait dans cette affaire.
Avec la fréquence des analyses, des contrôles auxquels nous sommes soumis, les producteurs fermiers sont les premiers contrôlés. Il est beaucoup plus facile d'aller sur une ferme contrôler un producteur avec un atelier de transformation et de vente directe que dans une entreprise comme Lactalis. Il est beaucoup plus facile de rappeler et détruire les lots, et cela a beaucoup moins de répercussions sur la filière économique.
En proportion, on contrôle beaucoup plus les petites exploitations que les grandes exploitations qui ont énormément de volume, c'est ce que vous voulez dire ?
Que pensez-vous des producteurs qui proposent d'apposer sur l'emballage de lait un code QR permettant de connaître l'origine du lait et l'exploitation ? Je sais que c'est difficile à étendre à l'ensemble de la production, mais n'est-ce pas ce que le consommateur va demander à la suite de tels scandales ?
Toutes les mesures permettant de rassurer le consommateur nous semblent aller dans le bon sens.
Après, il faut différencier une production comme la production laitière, où il y a une limite à la traçabilité car la citerne ne peut pas être divisée entre les producteurs, de la production de viande où l'on peut mettre en place une traçabilité complète de la bête jusqu'au consommateur. Mais de plus en plus, dans nos tanks, des échantillons sont pris automatiquement à chaque collecte de lait, ils ne sont pas analysés systématiquement, mais ils sont conservés. Et quand, dans la citerne, on trouve des antibiotiques, cela permet de remonter rapidement au producteur incriminé.
Le camion de laiterie est dépoté dans la journée à l'usine. Un test est fait sur les antibiotiques dans l'usine, et si le test est positif, l'ensemble des échantillons incriminés est analysé tout de suite ou dans les heures qui viennent. C'est la procédure fixée par l'interprofession, mais c'est pour les antibiotiques, c'est une analyse plus rapide.
En effet, nous en parlions précédemment avec le président de la Fédération des producteurs de lait, qui nous disait que l'analyse n'était pas systématique. Lui souhaitait que l'analyse se fasse systématiquement, et sur plus d'éléments, à condition que le coût soit partagé dans un bon sens, ce que l'on peut comprendre.
Avez-vous d'autres éléments à ajouter ?
Aujourd'hui, les moyens pour les contrôles font défaut, notamment au niveau des DDPP. C'est peut-être pour cela qu'il y a des incidents, et souvent ce sont les petits producteurs qui sont touchés, et pas la grande industrie agroalimentaire. Il faudrait augmenter les effectifs des contrôleurs, ça me semble vraiment important.
Il faudrait aussi une protection des lanceurs d'alerte et des salariés de certains laboratoires s'ils devaient dénoncer ou alerter sur certaines méthodes frauduleuses.
Nous avons surtout parlé des produits crus, mais le risque lié aux pratiques frauduleuses n'est pas suffisamment contrôlé et maîtrisé par les pouvoirs publics. C'est un aspect à prendre en compte suite à cet incident sanitaire.
Nous avons auditionné l'ensemble des acteurs du contrôle de l'État, et un certain nombre d'entre eux nous a clairement dit que leurs moyens étaient insuffisants. C'est un point sur lequel le rapporteur se prononcera dans son rapport ; je ne peux pas en préjuger, mais je connais sa finesse d'analyse.
Nous vous remercions, car il est très intéressant pour nous d'avoir le sentiment sincère et profond de producteurs. Ce n'est pas l'industrie ou la grande distribution, mais des gens qui savent ce qu'est un tank, un fromage, et le risque que représente une contamination pour une exploitation. Vous pouvez aussi comprendre le drame que peut représenter pour une maman le fait d'avoir nourri son bébé avec un produit non conforme.
Je ne me prononce pas sur Lactalis, car je n'ai pas suffisamment d'éléments pour savoir s'il y a eu triche ou non, mais globalement, l'impact économique d'une crise sanitaire est ressenti par tout le monde. C'est la raison pour laquelle, normalement, la quasi-totalité des intervenants d'une filière n'a aucun intérêt à frauder. Nous l'avons dit pour les producteurs fermiers, car s'ils ont un marché dans la restauration collective ou une grande ou moyenne surface des environs, ils le perdent tout de suite, et il est très compliqué de retrouver la confiance.
C'est aussi vrai à plus grande échelle, pour les industriels. Une crise sanitaire a un impact pour tout le monde, et retrouver la confiance ensuite est très difficile.
L'audition s'achève à dix-neuf heures quarante-cinq.
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Membres présents ou excusés
Réunion du lundi 14 mai 2018 à 18 h 30
Présents. - M. Grégory Besson-Moreau, M. Christian Hutin, M. Marc Le Fur, M. Didier Le Gac
Excusé. - M. Arnaud Viala