La séance est ouverte à onze heures.
Nous accueillons ce matin Monsieur Olivier Bertrand, président fondateur du groupe éponyme. Il est accompagné par deux proches collaborateurs, Madame Christelle Grisoni, directrice générale de la filiale « Bertrand Restauration » et Monsieur Christophe Gaschin, secrétaire général du groupe.
En moins de vingt ans, M. Bertrand a bâti un groupe qui, en termes de chiffre d'affaires, est devenu le n° 2 du secteur de la restauration française – hors restauration collective.
La commission a choisi de vous auditionner, monsieur le président, parce que le groupe Bertrand a pour particularité d'être présent dans les principaux segments d'activité de la restauration. Vous êtes, en effet, propriétaire de nombreuses grandes brasseries, parmi lesquelles Le Procope, héritier du plus vieux café parisien, créé au XVIIe siècle, et la célèbre brasserie Lipp. Ces établissements, sans prétendre à de la haute gastronomie, visent une clientèle touristique et d'habitués plutôt exigeants s'agissant du service et des plats traditionnels.
Vous êtes également présent dans d'autres secteurs assez différents, dont l'événementiel et des concessions dans certains grands établissements publics, tels que le Château de Versailles et de grands musées. Ces activités ne sont pas exactement celles d'un restaurateur « classique », mais plutôt voisines de celles d'un traiteur ou encore de la vente à emporter.
Il est difficile de lister l'ensemble des activités de restauration de votre groupe, tant elles sont diversifiées. Il est cependant impossible de ne pas vous interroger sur son rôle dans le secteur de la restauration rapide, ou plus précisément du fast food.
Après avoir été propriétaire ou franchisé de l'enseigne Quick, vous avez racheté les activités françaises de Burger King. Ce rachat a fait de vous le principal concurrent de McDonald's en France.
Étant donnée la diversité de vos activités, nous avons donc de nombreuses questions à vous poser et qui entrent dans le cadre de notre commission d'enquête.
Madame, messieurs, nous allons vous écouter au titre d'un exposé liminaire d'une quinzaine de minutes. Puis, nous engagerons un échange avec, notamment, les questions que vous posera notre collègue, Michèle Crouzet, rapporteure de la commission d'enquête.
Je vous informe que cette audition est ouverte à la presse.
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes auditionnées sont entendues sous serment.
Les personnes auditionnées prêtent serment.
Je vous remercie, Monsieur le président.
Nous ne sommes pas très rompus à ce type d'exercice, mais sachez que nous sommes ravis d'être présents devant vous et que nous répondrons au mieux à l'ensemble de vos questions.
Je commencerai par me présenter. Originaire du Cantal, je suis ce qu'on appelle communément un « Auvergnat de Paris », très attaché à mes racines. J'ai commencé ma vie professionnelle assez tôt, ayant arrêté l'école un an avant le baccalauréat. Je me suis formé sur le terrain, avec l'ambition, dès le plus jeune âge, d'ouvrir un restaurant ; un pari réussi à l'âge de vingt et un ans. Effectivement, n'ayant pas fait d'études, j'ai gagné du temps.
Néanmoins, après l'ouverture de mon premier restaurant, j'ai très vite atteint la limite de mon modèle économique, n'apportant que très peu de valeur ajoutée par rapport à la concurrence. J'ai donc été obligé de me remettre en question, de revoir mon approche de ce métier, sachant que je ne suis pas chef de formation.
Le bilan que j'ai tiré de cette première expérience m'a aidé à créer les valeurs du groupe, valeurs que nous continuons aujourd'hui de développer. D'abord le beau, avec un environnement décoratif de qualité ; ensuite le bon, à travers l'origine des produits et l'attente de nos clients ; enfin l'humain, parce que c'est, avant tout, un métier de service. Et tout cela en proposant le meilleur rapport qualité-prix.
Je n'ai eu de cesse, durant toutes ces années, de créer de nouveaux concepts de restauration et de me développer, notamment avec le rachat de restaurants ou de groupes de restauration en difficulté, mais toujours très bien situés. Ainsi, j'ai pu, à chaque fois, créer de nouveaux concepts adaptés à la zone de chalandise.
Aujourd'hui, le groupe Bertrand est présent sur tous les segments de la restauration : de la restauration rapide à 9 ou 10 euros le ticket jusqu'à la restauration étoilée. Les équipes sont, bien entendu, dédiées en fonction de la typologie des restaurants, mais les recettes et les valeurs sont les mêmes, quels que soient les enjeux de nos restaurants. Des recettes que vous retrouvez dans les grandes brasseries historiques, telles que Le Procope, Lipp ou Le Pied de Cochon.
Nous avons récemment racheté le groupe Flo – un groupe coté en bourse, mais qui était en état de faillite –, propriétaire, entre autres, de la grande enseigne Hippopotamus et de quelques fleurons parisiens tels que La Coupole.
S'agissant de l'enseigne Hippopotamus, nous avons changé l'offre et remis les cuisines et les cuisiniers en action. En effet, nous avons arrêté ce qu'on appelle la « quatrième gamme », à savoir les produits préparés d'avance, et les sauces en poudre, pour proposer des sauces cuisinées maison ; nous avons remis du produit brut en cuisine et nous sommes passés sur des approvisionnements France, en particulier s'agissant du poulet et d'une partie du boeuf. Enfin, pour les menus enfants, nous proposons du steak haché bio.
Ce changement a entraîné une reprise de l'activité : alors que le chiffre d'affaires du groupe était négatif depuis vingt-cinq trimestres, il est, depuis notre reprise, passé sur des trends positifs, ce qui montre que nos recettes de restaurateur « pur jus » fonctionnent, et qu'il s'agit bien d'une demande des clients.
Je vous livre maintenant quelques chiffres concernant le groupe : 14 millions de repas assis par an ; près de 30 000 collaborateurs ; une croissance de 20 % par an ; et une création nette de plus de 6 000 postes par an – hors turn over.
La restauration est un métier de service : l'humain et le savoir-faire en sont le coeur. Les restaurants sont animés par des restaurateurs, des cuisiniers ; nous ne sommes pas un groupe industriel, je tiens à le préciser. Nous sommes, au contraire, un groupe très agile et très proche du terrain, en lien avec ma culture et celle de l'ensemble de mes collaborateurs.
Le groupe ne possède pas de cuisine centrale. S'agissant de la restauration commerciale, ce sont 90 % de produits bruts qui entrent dans nos cuisines. Par ailleurs, et c'est une spécificité du groupe, les achats dépendent du marketing ; c'est donc bien le produit qui prime et nous anime, et non le prix.
Le groupe Bertrand est un groupe de restauration multisegments et un groupe national ; nous avons effet très peu d'activités à l'international. Un groupe qui réfléchit à sa mutation, et doit se positionner sur le digital et sur la question de la livraison ; des enjeux fondamentaux. Mais nous devons également réfléchir à des sujets aussi variés que l'approvisionnement, la lisibilité et la traçabilité des produits ou le tri des déchets ; des questions essentielles pour nous comme pour nos clients.
Je vous remercie pour cette présentation liminaire claire et concise. Vous nous dites ne pas être rompus à cet exercice, je vous rassure, nous le sommes à peine un peu plus que vous !
Au titre de votre expérience professionnelle de la restauration qui est, vous l'avez dit, très longue, avez-vous constaté, ces dernières années, des évolutions significatives dans les comportements alimentaires de vos clients, relatives notamment à des attentes nutritionnelles ? Avez-vous été amené à répondre à des demandes précises de vos clients ? Proposez-vous, par exemple, une alternative végétarienne ? Des produits bio – vous avez parlé de steak haché bio pour les enfants ? S'agissant de vos approvisionnements, une partie est-elle bio ?
Vous nous avez indiqué avoir abandonné les produits préparés d'avance, appelés « de quatrième gamme » ; nous touchons là à la question des additifs alimentaires. Vous nous dites également avoir réintroduit des produits bruts en cuisine, nous ne pouvons que vous en féliciter. Pour autant, restez-vous vigilants, s'agissant des additifs alimentaires dans les produits « non bruts » dont vous vous servez ?
Nous sommes aujourd'hui dans une sorte de zone grise s'agissant de cette question, la législation ne les interdisant pas, alors même que nous sommes en train de nous apercevoir qu'ils sont à l'origine de problèmes de santé publique.
Effectivement, nous notons très clairement des envies et des attentes différentes dans le mode de consommation de nos clients. S'agissant des attentes, il est clair qu'ils souhaitent plus de transparence et de traçabilité ; ils veulent comprendre ce qu'ils mangent et savoir d'où viennent les produits. Ils sont donc très attentifs à la notion de proximité de l'approvisionnement.
Oui, il existe une forte demande sur le bio. « Manger sain » devient une exigence de plus en plus forte. De la même façon, la cuisine végétarienne est plus recherchée qu'auparavant ; nous travaillons beaucoup sur cette question.
En revanche, nous ne souhaitons pas faire du bio un outil de marketing. Il y a deux façons de faire du bio : une bonne et une mauvaise. Nous souhaitons être très clairs à ce sujet, très transparents, car nous ne voulons pas utiliser cette tendance comme argument marketing.
Je vous ai cité l'exemple du steack haché bio pour les enfants, parce que nous considérons que l'alimentation de l'enfant, et l'enfant en lui-même, sont des sujets importants ; de sorte que le bio pour les enfants est fondamental. J'ai des enfants en bas âge, nous mangeons beaucoup dans mes restaurants, je me sens donc particulièrement concerné par cette question. Nous nous attachons à faire du bio de la meilleure des façons possibles.
D'un autre côté, il y a l'enjeu économique. Or la difficulté est de respecter ce modèle économique, c'est-à-dire proposer à nos clients un prix de vente qui soit cohérent, tout en modifiant la chaîne d'approvisionnement, en travaillant sur des produits qui coûtent plus cher – le bio, on le sait, coûte beaucoup plus cher.
Nous devons trouver, dans notre modèle économique de restaurateur, une économie qui fonctionne, à la fois pour les fournisseurs, l'approvisionnement et nous-mêmes ; ce n'est pas toujours évident. Nous sommes donc obligés de le faire par touches. Au fur et à mesure que les marchés s'ouvrent et se consolident, cette offre bio se met en place un peu plus facilement.
Quand vous dites que vous faites du bio de la meilleure des façons possibles, à quoi pensez-vous exactement ?
Nous faisons du bio en nous approvisionnant localement. Nous ne sommes pas favorables au bio qui vient de loin. Nous souhaitons rester cohérents.
Concernant les 90 % de produits bruts qui entrent dans vos cuisines, parlez-vous en valeur ou en volume ?
C'est important, car les produits bruts ne contiennent pas, a priori, d'additifs.
Pouvez-vous garantir une qualité gustative uniformisée dans tous les restaurants de vos chaînes, tout en vous approvisionnant localement ? Cette notion d'uniformité n'est-elle pas antinomique avec la gestion des approvisionnements ?
Oui et non. Bien entendu, quand on s'approvisionne localement, on s'ouvre à une irrégularité des produits. Mais quel que soit le mode de fonctionnement, les produits proviennent d'endroits différents. La qualité gustative tient surtout à la transformation des produits. Or, avec 90 % de produits bruts, ce sont nos chefs qui, en cuisine, assurent cette qualité gustative. L'humain compte énormément.
Concernant la viande, il nous paraît plus cohérent de travailler sur des races locales, que de faire venir une viande de je ne sais où. Obligatoirement, le goût change en fonction de la typologie et de la race du boeuf, mais cela va dans le sens de l'histoire : compte tenu de notre mode de fonctionnement – 90 % de produits bruts sont transformés dans nos restaurants –, le goût ne peut être uniforme. Mais nos recettes sont les mêmes dans tous nos restaurants.
Vous approvisionnez-vous aussi en local, s'agissant des fruits et légumes ? L'enjeu est important pour nos producteurs de pouvoir travailler avec la restauration locale.
Ce sont exactement les sujets qui nous animent en ce moment. Nous menons une réflexion relative aux approvisionnements et à la proximité : le lien que nous pouvons avoir avec la production, le milieu agricole, et la manière dont nous pouvons, grâce à la garantie d'un certain volume – même quand c'est régional ou local –, trouver des accords en amont avec les producteurs.
L'approvisionnement local est un sujet qui m'anime à titre personnel ; je viens du Cantal, du milieu agricole, je suis donc tout à fait conscient de la nécessité de ce mode de fonctionnement, de ce besoin de lier davantage le milieu agricole à notre métier de restaurateur.
Concernant le coût de ces approvisionnements, en bio et locaux, vous êtes à même de définir leur part sur le prix final. Quel est le delta entre un approvisionnement de basse qualité en provenance d'un pays étrangers et un approvisionnement localisé ou bio ?
L'écart de prix entre un produit massifié et un produit bio est de 25 %.
Dans la comptabilité d'un restaurateur, les deux gros postes sont les achats et la masse salariale. Ces 25 % ont donc, bien évidemment, un impact très fort sur la marge de nos restaurants. C'est la raison pour laquelle nous y allons par étapes. Nous ne pourrions pas, aujourd'hui, basculer d'un seul coup en bio sur l'ensemble du groupe.
Oui, tout à fait. Nous perdrions la rentabilité du groupe.
Monsieur, je vous remercie pour vos propos liminaires.
Pouvez-vous nous garantir que les produits utilisés dans vos fast food proviennent des mêmes approvisionnements que vos autres restaurants ?
La qualité des ingrédients utilisés dans l'alimentation industrielle est l'une des questions qui nous intéressent. À cet égard, depuis 2016, au niveau international, les chaînes de fast food se sont notamment engagées à ne plus s'approvisionner en poulets traités aux antibiotiques – la question se pose aussi pour la viande de boeuf.
Quelle est, à cet égard, votre politique d'approvisionnement de votre groupe – vous l'avez évoquée, mais je souhaiterais que vous y reveniez –, notamment en ce qui concerne la restauration rapide ? J'imagine qu'elle n'est pas la même selon vos établissements, or cette politique n'a pas le même impact selon les restaurants et le nombre de consommateurs.
Quels sont vos exigences et critères en matière d'origine de vos produits et de traçabilité ? Comment informez-vous clients ? Comment arrivez-vous à assumer le bon approvisionnement ?
S'agissant de l'impact social et environnemental, vous avez parlé du tri des déchets. L'organisation non gouvernementale (ONG) Zero Waste France vous a interpellés en octobre dernier, ainsi que les chaînes McDonald's et Kentucky Fried Chicken (KFC), sur le fait que vous ne respectiez pas les obligations légales en matière de tri et de recyclage. Quelle politique avez-vous mise en place depuis le mois d'octobre ? Agissez-vous rapidement en la matière ? Quelles sont vos prochaines échéances ?
Par ailleurs, votre groupe a également été ciblé par cette même ONG pour son manque d'exigence vis-à-vis des fournisseurs et, consécutivement, pour sa contribution massive à la déforestation. Vous semblez, au niveau, international, faire preuve d'une singulière inertie.
La loi impose un devoir de vigilance de la part des sociétés donneuses d'ordres vis-à-vis des fournisseurs, notamment en matière environnementale ; quelle est la politique de votre groupe en ce domaine ? Avez-vous évolué ? Quelles précisions pouvez-vous nous apporter concernant les procédés de fabrication et les effets qu'ils induisent sur la qualité nutritionnelle de vos produits ?
Vous avez également été épinglés par M. Périco Légasse concernant une publicité selon laquelle seul Burger King grillerait ses viandes à la flamme. Or il s'avère, selon des études scientifiques, que la pyrolyse favorise les hydrocarbures aromatiques, qui ont de graves conséquences sur la santé. Pratiquez-vous toujours cette cuisson ou avez-vous revu votre pratique ?
Enfin, l'industrie agroalimentaire est souvent au coeur de scandales – je pense au Fipronil, au scandale de la viande de cheval… Quelle est votre analyse s'agissant des mécanismes de contrôle mis en place aux différents stades de votre chaîne ? Le consommateur peut-il avoir confiance dans les produits que vous lui servez ?
S'agissant de la sécurité alimentaire, nos normes sont drastiques, probablement les plus poussées du secteur. Nous sommes très attentifs à la sécurité alimentaire, c'est une nécessité pour un groupe tel que le nôtre. Nous sommes plutôt avant-gardistes et allons loin dans les process.
Concernant le tri des déchets et le gaspillage alimentaire, nous travaillons avec des sociétés qui auditent l'ensemble de nos restaurants de manière à nous préconiser la bonne manière de fonctionner et la bonne utilisation de l'ensemble de nos déchets ; des plans d'action ont été mis en place, il y a plusieurs mois. Ils concernent notamment le tri des déchets organiques, les retours clients des produits, les surstocks… Nous travaillons, en outre, sur un label « Antigaspi » qui sortira dans quelques mois.
En ce qui concerne la déforestation, et notamment l'huile de palme – un enjeu important –, nous nous sommes engagés à retirer totalement, d'ici à fin 2018, l'huile de palme de nos friteuses.
Quant à la qualité nutritionnelle, il ne faut pas se mentir, le burger est un produit très nutritif. Si nous devons être capables de proposer des alternatives, nous ne pouvons pas imposer à notre clientèle une manière de consommer. Nous leur proposons donc de la salade, des bâtonnets de légumes, de l'eau, etc.
Il est important de savoir que nos plus gros clients de fast food – ceux que l'on appelle les heavy users – ne viennent qu'une fois par mois. Il est donc difficile d'affirmer qu'ils sont en surconsommation de burgers ! Nous tenons ce chiffre d'études que nous menons depuis l'implantation de l'enseigne Burger King.
Mais effectivement, ils viennent pour un produit spécifique et pour se faire plaisir autour d'une certaine offre, à un ticket moyen de 9 à 10 euros. Une offre qui possède des qualités nutritionnelles qui sont, il est vrai, hors marché – du pain, de la viande, du fromage…
Nous sommes conscients de tout cela et nous ne cherchons pas, en restauration rapide, à vendre à nos clients autre chose qu'un burger.
Enfin, je rappellerai que nous avons repris l'enseigne Burger King avec une « master franchise » : seuls 7 % des approvisionnements provenaient alors de France, tout le reste provenant de l'international. Aujourd'hui, il y a une montée en puissance de l'enseigne en France – 250 restaurants – et 43 % de nos approvisionnements proviennent de France.
Nous sommes, par ailleurs, en train d'ouvrir des usines d'approvisionnement en France. D'ici à la fin de l'année, par exemple, 100 % de nos pains seront fabriqués dans notre usine de Brétigny-sur-Orge, que nous sommes en train d'ouvrir, et 100 % de la farine sera française.
Nous sommes donc clairement dans une démarche de construction d'un modèle, qui passe aussi par la massification. Pour maintenir le ticket moyen à 10 euros, et pour atteindre nos objectifs qui vont dans le sens de l'histoire – suppression de l'huile de palme, qualité des produits en amont, etc. –, une certaine massification est indispensable
Plus nous avançons dans notre modèle, plus nous avons la liberté de prendre la main – je le répète, nous avons une « master franchise » – et plus nous la prenons. De sorte que nous amenons des réponses au fur et à mesure de la construction de notre modèle.
Nous savons bien que « massification » ne rime pas forcément avec « pas bon ». Mais nous voulons nous assurer que les produits fabriqués en masse répondent malgré tout à des critères de qualité nutritionnelle. Or, nous savons que l'alimentation industrielle, dans le monde et pas seulement en France, n'aboutit pas toujours à ce résultat.
Je comprends, et c'est la raison pour laquelle je vous explique que nous ne subissons plus les fournisseurs extérieurs européens. Nous prenons la main sur cette question, de manière à créer notre propre filiale, et donc de décider des approvisionnements qui nous permettront de contrôler cette massification.
Vous avez raison, il est tout à fait possible de fabriquer en masse, mais il y a toujours un enjeu économique, puisque, in fine, nous devons arriver à entrer dans ce modèle – un modèle low cost malgré tout – qui réunit le plaisir, un prix bas et, bien évidemment, la transparence et la qualité.
Nous sommes en train de mettre en place le modèle que nous avons construit pour la restauration commerciale dans la restauration rapide, progressivement, étape par étape. Dès que nous prenons la main sur les fournisseurs, nous démontrons que nous allons dans le sens de l'histoire.
Nous le savons tous, les produits contiennent « trop de sucre, trop de sel et trop de gras » ; les choses doivent changer rapidement. Or le freakshake que vous proposez contient 1 500 calories. C'est délirant !
La meilleure des réponses que je puisse vous donner est que ce produit n'a pas rencontré le succès. Le freakshake, qui était dans le « pipe » à un niveau européen, était clairement une erreur. Lorsque je vous dis que plus nous avançons, plus nous prenons notre autonomie, c'est bien entendu aussi pour éviter ce genre d'erreur.
Que nos clients n'aient pas apprécié ce produit prouve qu'ils commencent à se sensibiliser à cette problématique et à ses enjeux. Et c'est tant mieux.
Vous n'avez pas parlé des additifs. Qu'en est-il à ce sujet concernant la production de vos pains ? En avez-vous tenu compte dans votre cahier des charges ?
Oui, très clairement. C'est une question que nous traitons en amont depuis déjà plusieurs mois.
Le fait d'être invités devant votre commission, de visionner certaines auditions, de débattre de cette question, nous a sensibilisés et permis de nous replonger dans ce dossier. Nous nous sommes demandé si tout ce que nous avons mis en place, dès le début, allait assez loin, ou si nous devions aller encore plus loin. Alors, oui, très clairement, nous sommes sensibilisés à ce sujet.
Vous avez employé le terme low cost, ce qui peut paraître contradictoire, vous qui connaissez le coût d'une bonne alimentation. N'est-ce pas désinformer les consommateurs que de leur faire croire que le fast food ne coûte pas cher ?
Pendant des années, nous avons fait croire aux Français que s'alimenter correctement ne coûtait pas cher. D'ailleurs, la part de leur budget consacrée à l'alimentation a chuté de façon drastique.
J'ai en effet utilisé ce terme, que je n'aime pas. En réalité, lorsque je pense à l'alimentation rapide, je pense d'abord à mes enfants et à ce qu'ils vont manger dans les fast food. Car mes enfants aussi sont demandeurs et vont chez McDonald's – et non pas exclusivement, hélas, chez Burger King !
Nous ne pouvons pas supprimer cette offre. En tant que restaurateur, je me dois de proposer ce modèle à des clients qui n'ont qu'un ticket moyen de 10 euros à dépenser et qui veulent une qualité nutritive forte, et en même temps du plaisir, mais je me dois aussi de travailler pour faire évoluer ce modèle.
Nous possédions, à un moment donné, des cafétérias, un modèle qui est en train de mourir à petit feu et sortir du paysage de la restauration. Pourtant, ceux qui proposent encore ce modèle font de gros efforts en termes de produits et de traçabilité. Or ce n'est pas parce qu'ils proposent des légumes à volonté, qu'ils ont davantage de clients. Cela prouve qu'il existe, entre la volonté d'une restauration saine et la réalité du terrain, un écart certain.
Nous nous devons de proposer une restauration rapide, mais nous nous devons aussi d'offrir à cette clientèle de l'eau, de la salade, des légumes. Et cette offre doit être faite au meilleur prix.
Je vous rejoins, nous devons, dans ce modèle de restauration, intégrer la question des additifs, les enjeux, en amont, de la déforestation, etc.
Je souhaiterais vous entendre sur le gaspillage alimentaire, notamment sur les portions proposées – j'ai pu constater, cet été, le nombre d'assiettes à moitié pleines qui retournaient en cuisine.
Ne pensez-vous pas que, dans la restauration traditionnelle, une réflexion devrait être menée sur les portions, notamment en fonction du gaspillage que cela peut engendrer ?
Nous sommes actuellement en pleine réflexion sur ce sujet. Nous avons fait appel à un organisme qui analyse, dans nos cuisines, tous les déchets et toutes nos poubelles pour nous faire un reporting sur ce qui revient, sur ce qui n'est pas consommé.
Nous prendrons ensuite des mesures en conséquence : diminuer les grammages, changer des recettes, changer certaines présentations des assiettes – nos chefs sont créatifs, mais parfois le client s'empresse de pousser au bord de l'assiette les produits ajoutés, etc.
Il s'agit d'un véritable enjeu pour nous. Car il n'y a qu'une alternative : soit les aliments ne sont pas bons – et c'est un vrai problème –, soit il y en a trop ; en brasserie, il est vrai que les portions sont généreuses. En tout état de cause, un bon chef doit toujours noter ce qui sort de sa cuisine et ce qui revient. Si l'assiette revient vide et que le client l'a saucée, tout va bien ; si elle revient pleine, c'est que le produit n'est pas bon, et c'est un véritable problème.
Nous aimons avoir nos poubelles vides, car cela veut dire que les gens se sont régalés.
Vous existez depuis longtemps or vous avez mis du temps à mettre une telle initiative en place. C'est ce que je ne comprends pas bien.
De la même façon, s'agissant de la massification et des qualités nutritionnelles, il y a urgence à mieux fonctionner. Pourquoi n'avez-vous pas – vous, mais également les autres enseignes – commencé à prendre de telles mesures plus tôt ?
La grande distribution a été sensibilisée au problème bien plus tôt et a déjà mis en place de nombreuses démarches – ainsi que des dons à des associations.
Au risque de me répéter, nous avons construit notre modèle dans le temps, avec une grosse accélération ces dernières années, et le rachat de nombreux groupes en difficulté – plusieurs avaient déposé le bilan.
Nous avons construit le groupe restaurant pas restaurant, et nous nous approvisionnions de manière intuitive ; tout restaurateur agit de façon intuitive. Certes, il y a, depuis quelque temps, une massification de nos activités, mais chacune d'entre elle est distincte ; chaque restaurant est géré indépendamment, et nous y tenons.
Aujourd'hui, nous mettons cette politique en place de façon organisée et non plus intuitive, parce que le groupe a grossi ces trois dernières années. Mais je vous rappelle qu'il n'existe que depuis douze ans ! Vous ne pouvez donc pas nous reprocher de n'avoir rien fait, tout est allé très vite : la construction du modèle, la compréhension des choses, etc.
Je le répète, nous avons déjà mis en place de nombreuses choses, de bonnes choses, et ce de façon intuitive. Et aujourd'hui, nous essayons, en permanence, de nous améliorer sur ce qui est mal fait. Il est donc difficile de nous faire des reproches, car nous sommes très attentifs à toutes ces problématiques.
En outre, avec l'âge, je le suis de plus en plus : bien plus qu'il y a cinq ans. Même si, concernant les approvisionnements et les filières courtes, nous avons toujours fait le bon choix de façon intuitive ; j'en parle depuis longtemps avec mes amis agriculteurs. Et je dirais qu'aujourd'hui, enfin, nous y arrivons !
Mais cela prend du temps, il faut de la maturité, tenir compte des enjeux économiques et politiques. C'est vraiment quand tout le monde se mobilise en même temps que les choses peuvent se mettre en place. Nous sommes, soyez en sûrs, les premiers à être proactifs et à en avoir envie.
Nous avons réalisé, au cours de nos auditions, que même si l'envie est là, il est parfois difficile de s'approvisionner, pour certains produits, dans les filières françaises – je pense au porc bio, par exemple.
Avez-vous des produits que vous devez traiter de façon industrielle ? Les poulets, peut-être ? Avez-vous une filière pour acheter des poulets de qualité et labellisés ?
Existe-t-il d'autres produits que vous souhaiteriez acheter localement, mais qui ne disposent pas de filière française structurée vous permettant de vous approvisionner ?
M. Bertrand l'a dit, notre priorité est de faire travailler les producteurs français. Cependant, qui dit producteur local, dit produit saisonnier.
Nous avons beaucoup travaillé, ces deux dernières années, sur des produits spécifiques pour garder l'« Origine France ». S'agissant de la partie restauration commerciale, par exemple, la viande hachée est d'origine française à 100 %.
Il en va de même pour tous les produits un peu sensibles que nous vendons beaucoup, tels que le carpaccio ou les produits crus ; nous assurons à nos clients l'« Origine France ».
Concernant le poulet, la volaille au sens large, il s'agit également d'un produit sensible que nous vendons beaucoup. Nous vendons, par exemple, beaucoup de foie gras dans les brasseries – tout le monde le sait, les touristes viennent en France pour manger du foie gras et des escargots. Il est important pour nous d'assurer l'« Origine France » sur ces produits sensibles et très recherchés, c'est la raison pour laquelle nous traitons avec des personnes qui nous assurent cette qualité et cette origine.
Nous avons mis à la carte des restaurants Hippopotamus de la volaille française, dès la reprise de l'enseigne. Le demi-poulet a beaucoup de succès et est d'origine France – avec un petit label.
Je ne l'ai pas dit tout à l'heure, mais nous avons un cahier des charges très précis que doit suivre le fournisseur – qui est référencé. Par ailleurs, nous payons régulièrement des sociétés d'audits externes pour auditer nos fournisseurs – leurs outils de production, la traçabilité des produits, etc. Nous auditons également les produits une fois arrivés chez nous – huit personnes sont dédiées à cette tâche. Car apprendre qu'un de nos fournisseurs a oublié de nous dire qu'il ne se fournit plus en France depuis quelque temps n'est pas acceptable. Tout cela a un coût, certes, mais qui nous permet de garantir nos approvisionnements.
Enfin, concernant le poisson, nous faisons appel à des fournisseurs qui pêchent de manière durable et responsable. La coquille Saint-Jacques, par exemple, se ramasse d'octobre à mai et non au-delà. Le respect de la nature est important pour nous.
Nous cherchons donc des fournisseurs qui nous ressemblent, qui s'engagent, qui possèdent des labels et qui ont une vraie philosophie. Tout le monde est gagnant et ce choix valorise nos chefs, qui aiment travailler sur de bons produits.
Le marché de la restauration rapide est hyper concurrentiel, en voie de saturation. Les prix sont tirés vers le bas, alors que l'on voudrait faire du « meilleur ».
Comment envisagez-vous votre avenir dans ce domaine ? Allez-vous privilégier une montée en gamme, ou vous contenterez-vous de suivre la voie du « toujours moins cher », avec, de fait, une qualité nutritionnelle moindre ?
Notre modèle, dans ce domaine, est le coeur du concept. Nous n'allons donc pas augmenter les prix. Néanmoins, nous sommes dans une optique d'optimisation du modèle dans le temps – c'est ce dont je vous parlais précédemment. Il est de notre responsabilité de le faire évoluer.
Par ailleurs, il ne me semble pas que le marché soit saturé, loin de là. La demande est forte. Nos nouveaux établissements tournent bien. Je parle bien là du ticket de caisse à 10 euros et des menus enfants à un prix permettant aux gens de venir en famille passer un bon moment dans nos restaurants.
La séance est levée à midi.
Membres présents ou excusés
Réunion du mercredi 5 septembre 2018 à 11 heures
Présents. - Mme Michèle Crouzet, M. Loïc Prud'homme, Mme Nathalie Sarles
Excusés. - M. Julien Aubert, M. Christophe Bouillon