Commission d'enquête Chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite sarah halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement
Jeudi 16 décembre 2021
La séance est ouverte à onze heures cinquante
(Présidence de M. Meyer Habib, président)
Nous reprenons nos travaux avec l'audition d'un sergent sapeur-pompier, primo-intervenant le 4 avril 2017, rue de Vaucouleurs, à Paris. Nous souhaitions auditionner les pompiers, l'un des corps les plus aimés des Français et à juste titre, car ils sauvent des êtres humains en toute circonstance, 24 heures sur 24, tout au long de l'année et au péril de leur vie. Je salue le travail remarquable des sapeurs-pompiers.
Dans ce cas précis, vous avez été un primo-intervenant dans cette terrible et triste affaire.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M.N. prête serment.)
Pouvez-vous nous faire part des souvenirs que vous conservez de cette affaire ? À quelle heure avez-vous été appelé par les services de police ?
Pendant trois jours, j'ai essayé de me remémorer cette intervention. J'ai porté mes souvenirs par écrit. Je peux vous en faire part.
Tout à fait. Il s'agit du fonctionnement de notre commission. Nous vous interrogerons ensuite mes collègues et moi-même.
Je suis sous-officier à la brigade des sapeurs-pompiers et j'ai neuf ans de service. Le mardi 4 avril 2017, vers 4 heures du matin, nous sommes sonnés pour une intervention, au 30 rue de Vaucouleurs dans le 11e arrondissement de Paris. Le motif de notre intervention portait sur une personne tombée avec notion de hauteur. Pour ce type d'intervention, un engin pompe avec six hommes se déplace. Parmi eux se trouvait le chef d'agrès qui commande l'intervention, le conducteur qui achemine les effectifs, le véhicule et le matériel, ainsi que deux binômes. J'étais alors chef d'équipe. Une fois arrivés sur les lieux – je ne dispose pas des horaires exacts – mon chef d'agrès nous a ordonné de prendre le matériel nécessaire pour ce type d'intervention. Nous arrivons dans le hall d'entrée de l'immeuble où se trouvent des officiers de police. Je suis mon chef d'agrès partout où il se rend. Nous attendons la sécurisation de la courette, car nous n'avons pas une connaissance précise des événements. Les officiers de police braquaient la façade de l'immeuble avec leur arme de service. Ils nous ont ensuite autorisés à entrer dans la cour. Mon chef d'agrès m'a ordonné de récupérer la victime, de la mettre à l'abri sous un porche. Une fois cette mission effectuée, j'ai rendu compte à mon chef d'agrès que la victime était en arrêt cardio-respiratoire. Mon chef d'agrès m'a alors demandé d'effectuer une manœuvre de réanimation cardio-pulmonaire (RCP), soit un massage cardiaque, des insufflations d'oxygène et la pose d'un défibrillateur. Le médecin pompier, qui arrivera plus tard, nous intimera d'arrêter nos gestes à la suite de ses propres examens. Nous sommes restés dans le hall d'entrée à disposition et nous sommes rentrés au centre de secours vers 6 heures 30 environ.
À 4 heures 30 précises, la police dit sur les ondes radio : « Reçu. J'appelle les pompiers. » Cet horaire correspond au début de l'agression de Mme Sarah Halimi, qui durera entre douze et seize minutes. Je dispose des horaires exacts. Le premier véhicule des sapeurs-pompiers est arrivé à 4 heures 51. Comment pouvons-nous connaître l'heure de la demande d'intervention de vos services ?
Il est nécessaire de formuler une demande à l'état-major des sapeurs-pompiers de Paris.
Tout est enregistré. En demandant à l'état-major, vous obtiendrez les horaires exacts du départ jusqu'au retour de l'engin.
Je vous remercie, ces informations sont parfaitement claires. Lorsque vous avez commencé à examiner Mme Sarah Halimi, étiez-vous la première personne à vous pencher sur elle ?
Il me semble, mais je n'en suis pas sûr, qu'un policier avait déjà regardé la victime. Lorsque je suis arrivé, la victime était déjà dans la courette.
À 4 heures 51, lorsque vous arrivez, nous savons que Mme Sarah Halimi a déjà été défenestrée. Était-elle vivante ?
Elle était inconsciente.
Je n'ai pas dit cela. Nous avons entamé une manœuvre de réanimation cardio-pulmonaire pour relancer son cœur. Nous avons essayé de la sauver. Je ne peux pas dire qu'elle était vivante.
À quelle heure le décès a-t-il été constaté ? Dans le camion de pompier, il semblerait qu'elle était en mort clinique. Nous entrons dans des notions médico-légales pour lesquelles vos connaissances sont plus précises que les miennes.
La victime n'est jamais montée dans mon véhicule.
Non, elle n'est pas montée dans notre camion. L'enquête de police a ensuite débuté et nous n'avons plus touché le corps.
Oui effectivement, sous le porche, à l'abri.
A-t-elle été déplacée ou l'avez-vous auscultée à l'endroit de sa chute ? Nous nous sommes rendus sur place.
Notre objectif premier est d'être en sécurité. Les policiers étaient occupés à autre chose.
Effectivement, il n'y a pas eu de coup de feu.
Traoré n'a jamais été armé. Il n'a jamais eu de couteau. Il a tué la victime avec ses poings et l'a défenestrée. Nous apprenons qu'elle était inconsciente et que la tentative de réanimation a échoué.
Lorsque je suis arrivé avec mon chef d'agrès, la victime était inconsciente. Nous l'avons extraite pour la placer en sécurité.
Je n'ai pas vu l'assassin. Je n'ai pas levé les yeux vers la façade de l'immeuble.
Je n'entends rien, je n'ai aucun souvenir de cela. Mon objectif demeurait de m'occuper de la victime. Mon attention était concentrée sur elle uniquement.
Il est plus de 4 heures 51, il a déjà commis son crime. Nous savons ensuite qu'il rentre chez la famille Diarra par le balcon. Nous ne savons pas à quelle heure précisément. La porte de Mme Sarah Halimi était fermée à clé. Connaissez-vous l'heure précise de votre intervention ? Êtes-vous allé directement au chevet de la victime ?
Il est nécessaire que vous formuliez une demande à l'état-major afin de disposer des horaires précis. Je ne peux malheureusement pas vous répondre. Nous devons nous présenter à partir de l'appel en dix minutes maximum.
Vous n'êtes pas intervenu immédiatement. Vous avez attendu que les lieux soient sécurisés par la police.
L'enchaînement des événements a été relativement rapide, car nous devions prendre en charge la victime au plus vite. En tout état de cause, lorsque je suis arrivé, les forces de police étaient à l'extérieur avec leurs armes et sécurisaient les lieux.
Ils étaient nombreux. Je ne peux pas être plus précis. Beaucoup de policiers sont intervenus, je ne saurais vous dire combien.
Je comprends l'importance de ces éléments, toutefois les faits remontent à quelques années et mes souvenirs sont flous. Depuis, j'ai effectué de nombreuses interventions et certaines ressemblaient à celle qui vous intéresse.
Je ne peux pas vous répondre, je ne sais pas.
Nous savons que la substitute du procureur s'est rendue sur place. En gardez-vous un souvenir ?
Je n'étais pas chef d'agrès ce jour-là, je ne suis donc pas en mesure de vous dire si la substitute était là. J'étais concentré sur la victime, ce qui est mon rôle.
Pourriez-vous m'indiquer combien de temps s'est écoulé entre votre arrivée et votre intervention ?
Le délai entre notre arrivée dans la courette et l'autorisation d'intervenir délivrée par les policiers n'a pas été long. Nous sommes intervenus rapidement.
Il s'est écoulé une heure et quatorze minutes entre le premier appel et l'interpellation de Kobili Traoré. Comment la cour était-elle éclairée ? Quel souvenir conservez-vous de cet endroit ?
Elle était assez éclairée, sans lumière forte.
Lorsque je me suis approché, je l'ai supportée pour la tirer. Elle était molle, n'avait aucune force. Une fois en sécurité, nous l'avons allongée.
Si nous avons prodigué un massage cardiaque et des insufflations, c'est qu'elle ne respirait pas. Elle était en arrêt cardio-respiratoire. Nous avons essayé de la sauver.
Je ne saurais pas vous le dire. Il aurait fallu utiliser des électrodes.
Non, il est nécessaire de constater le battement du pouls.
Si nous avons procédé à un massage cardiaque, c'est que son cœur ne battait plus en prenant le pouls.
Oui, il est nécessaire de formuler une demande à l'état-major.
Avant votre arrivée, les policiers avaient-ils procédé aux gestes de premiers secours sur la victime ? Habituellement, la police procède-t-elle à des soins dans l'attente de l'arrivée des sapeurs-pompiers ?
Concernant les gestes de premiers secours, dans le cas présent, je ne peux pas vous répondre. Lors d'autres interventions, il est possible que des policiers formés réalisent des mesures de premiers secours.
Conservez-vous un souvenir du délai qui s'est écoulé entre l'appel et votre arrivée sur place ?
Normalement, nous nous présentons dans les dix minutes. À compter de l'appel, nous disposons de dix minutes pour arriver à destination.
Concernant la chronologie des faits, M. le président, vous avez rappelé que l'interpellation de M. Kobili Traoré a eu lieu à 5 heures 35. Dans les enregistrements audios de la police, il est fait état de l'intervention des sapeurs-pompiers à 4 heures 52. Cette chronologie correspond à vos dires, car il est stipulé que les sapeurs-pompiers ont été commandés environ huit minutes avant.
Vous indiquez que vous pratiquez un massage cardiaque, car vous avez constaté un arrêt cardio-respiratoire. La police précise, dans ses échanges, que la victime était en arrêt cardio-respiratoire. Cette précision peut-elle signifier que les forces de police se sont rendues au contact de la victime pour constater cet arrêt ?
Effectivement, si un policier a constaté que la victime était en arrêt cardiaque, cela signifie qu'il l'a approchée.
Dans un cas d'arrêt cardiaque, la personne est inconsciente, elle ne respire pas et le pouls ne bat pas. Si ces trois facteurs sont réunis, cette personne est en arrêt cardio-respiratoire.
Vos premières constatations ont lieu là où la victime est tombée ou après l'avoir déplacée ?
Nous devons d'abord nous mettre en sécurité. Par conséquent, nous récupérons la victime, nous nous installons à couvert et ensuite je procède aux premières constatations. Je n'ai pas examiné la victime dans la courette, sous la façade.
Alors que vous pratiquez un massage cardiaque, la respiration de la victime a-t-elle repris ? À quel moment est-il décidé d'arrêter les gestes de premiers secours ?
Le médecin prendra la décision. Tant que la respiration ne reprend pas ou que nous ne constatons pas de signe de vie, nous avons ordre de continuer les gestes de premiers secours. Le médecin est l'autorité qui pourra nous dire de mettre fin à nos gestes ou de les poursuivre.
Je suis élu de Paris et je vous remercie pour tout ce que font les pompiers de la capitale. Vous faites notre fierté.
Les policiers nous indiquent qu'ils ont appelé les sapeurs-pompiers rapidement pour qu'ils déposent un matelas de sécurité afin d'éviter une défenestration. Est-ce pour cela que vous vous êtes mis en retrait ? Un matelas a-t-il été installé dans cette courette ? Une autre équipe de sapeurs-pompiers était-elle présente côté rue de Vaucouleurs ? Comment ces événements se sont-ils articulés ?
Un matelas ne partira pas seul. Il est nécessaire qu'une première équipe soit sur place et en formule la demande. Si l'appel au 18 est suffisamment précis, un matelas peut partir en même temps que le premier engin. Lors de cette intervention, deux autres départs de casernes plus éloignées ont eu lieu.
Oui, effectivement, mais ils n'ont pas été posés.
Vous intervenez aux alentours de 4 heures 51 ou de 4 heures 52. Vous constatez que de nombreux policiers se trouvent dans la cour. Nous n'en connaissons pas le nombre exact. Ils ont les armes aux poings. Y avait-il du bruit ?
Durant l'intégralité de l'intervention, de nombreux policiers étaient présents. Beaucoup de policiers se trouvaient dans la courette.
Les policiers nous ont répété à maintes reprises qu'ils n'ont pas entendu Mme Sarah Halimi hurler. Cette dernière a été agressée pendant une vingtaine de minutes. Elle a pu s'enfuir et être rattrapée. Pendant cette agression, de nombreux appels à police secours ont été émis. Il serait intéressant de savoir si certains témoins ont également appelé les sapeurs-pompiers. Les témoins indiquent les nombreux cris de la victime et également ceux de son agresseur qui l'insulte : « sale pute », « tu es le sheitan du quartier », « Allah akbar ». J'ai à ma disposition une cassette audio d'un enregistrement où l'agresseur crie : « Appelez la police. J'ai les mains dans le sang. Elle va se suicider. » Nous savons que de nombreux policiers sont présents, mais nous n'en connaissons pas le nombre. Y avait-il des policiers à l'extérieur lors de votre arrivée ?
Un véhicule de police s'est présenté simultanément à notre arrivée.
Tous les policiers témoins nous disent, y compris ceux que nous avons auditionnés et qui ont prêté serment, qu'ils n'ont pas entendu de femme hurler. En tant que président de cette commission d'enquête, je n'arrive pas à le comprendre. Vous êtes primo-intervenant dans des cas dramatiques. Une femme est tuée à poings nus. Je ne sais pas si la mort est intervenue des suites de la défenestration. Un seul emplacement sur le balcon permettait qu'elle tombe de trois étages. Ailleurs, la chute aurait été d'un mètre vingt. L'agresseur savait qu'elle mourrait de cette chute et il a tenté de simuler un suicide. Une femme qui est massacrée hurle. Tous les témoins le confirment, tandis que l'intégralité des forces de police assure ne pas avoir entendu de cris. Cet élément m'amène à penser que certains policiers n'ont pas dit la vérité, car ils ne sont pas intervenus avant qu'elle soit défenestrée, pendant qu'elle se faisait massacrer. Vous ne pouvez pas m'apporter d'information sur ce sujet puisque vous êtes intervenu après la défenestration. Vous arrivez vers 4 heures 51 ou 4 heures 52. Des policiers se trouvent dans la cour. Toutefois, aucun d'entre eux n'a entendu les cris de Mme Sarah Halimi.
Deux matelas ont été demandés. Il ressort de la procédure qu'un premier matelas est arrivé à 5 heures 04 et l'autre à 5 heures 27. Ils auraient été installés. C'est parce que ces matelas et leur installation étaient attendus que l'interpellation de M. Traoré a été reportée. Il a été interpellé à 5 heures 35 après l'arrivée d'un door-raider et des matelas. Vous souvenez-vous de ces éléments ?
J'étais dans le hall d'entrée. Une installation a pu avoir lieu dans la rue. Dans la courette, je ne m'en souviens pas. Je ne pourrais pas répondre à cette question.
La procédure précise que des matelas ont été installés de part et d'autre de la cour. Vous avez indiqué que ces matelas se trouvaient dans différentes casernes. Il s'est écoulé une heure et quatorze minutes entre le premier appel à police secours à 4 heures 22 et l'interpellation de M. Kobili Traoré à 5 heures 35. Où sont stockés ces matelas ? Comment justifier de ce long délai ?
Un matelas se trouve à la caserne de Châtelet. Je ne peux pas me prononcer sur le délai. En tout état de cause, l'installation du matelas, une fois arrivé sur place, est très rapide.
Je ne sais pas. Je n'étais pas chef d'agrès sur cette intervention. J'étais équipier et je m'occupais de la victime.
Cette affaire vous a-t-elle marqué à titre personnel ? Malheureusement, votre métier vous conduit à être témoin de nombreux drames.
À l'instant précis, je ne connaissais pas les détails. J'étais concentré sur mon intervention pour la personne défenestrée. J'avais déjà été confronté à ce type d'événement et j'en ai vécu d'autres ces dernières années.
Je vous remercie. Il nous manque des précisions concernant l'intervention de la police. Lorsque vous êtes arrivé quelques minutes après la défenestration, beaucoup de policiers se trouvaient dans la cour armes aux poings. Aucun n'a entendu Mme Sarah Halimi crier pendant les douze à quatorze minutes pendant lesquelles elle a été massacrée à poings nus.
Durant l'ensemble de mon intervention, il y avait beaucoup de policiers dans la cour. Je ne sais pas s'ils ont entendu un cri.
Moi non, mais les policiers, je ne sais pas.
Je préfère le répéter.
À ce stade vous ne pouviez entendre que des cris de l'assassin. Peut-être était-il déjà rentré et ne criait-il plus. Je vous ai demandé si vous aviez entendu des cris. Vous m'avez répondu non. Les cris de Mme Sarah Halimi, ce n'est pas possible, vous concernant. Les cris de l'assassin, peut-être. Je ne sais pas.
Je ne me souviens pas d'avoir entendu des cris.
La réunion se termine à douze heure vingt-cinq. Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée de rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement
Présents. – Mme Camille Galliard-Minier, M. Meyer Habib, Mme Constance Le Grip, M. Sylvain Maillard, Mme Florence Morlighem
Excusé. - M. Aurélien Taché