Publié le 13 novembre 2018 par : M. Coquerel, Mme Autain, M. Bernalicis, M. Corbière, Mme Fiat, M. Lachaud, M. Larive, M. Mélenchon, Mme Obono, Mme Panot, M. Prud'homme, M. Quatennens, M. Ratenon, Mme Ressiguier, Mme Rubin, M. Ruffin, Mme Taurine.
Supprimer cet article.
Cet amendement vise à s'opposer au remplacement de l'« exit tax » actuelle par un « dispositif anti-abus » inefficace et injuste tel que celui proposé par le présent article.
Les incessants rebondissements dans le feuilleton de l'« exit tax » n'augurent rien de bon, sinon une mesure décidée sans fondement, montrant une fois de plus que ce Gouvernement n'a d'autre boussole que de réduire toujours davantage les impôts des plus riches, même lorsque ceux-ci s'exilent dans d'autres pays pour échapper à l'impôt, comme en témoigne cet article qui détricote une taxe ayant pourtant été mise en place justement pour lutter contre l'évasion fiscale. Cette taxe avait d'ailleurs été mise en place en 2011 par un gouvernement de droite. Proposer de la conserver comme nous le faisons par cet amendement n'a donc rien d'une mesure extrême...
Emmanuel Macron avait annoncé la suppression de l'exit tax dans le magazine Forbes en mai dernier. Mais, du fait des réactions vives de l'opinion publique, il a décidé finalement de précéder de manière plus discrète, en proposant un soi-disant « aménagement » de cette exit tax, qui revient de fait au même que de la supprimer complètement. D'ailleurs, M. Le Maire a eu l'honnêteté de le reconnaître lors de la présentation du PLF 2019 devant la commission des finances le 24 septembre dernier, en déclarant : « Oui, nous supprimons l'exit tax. Nous la supprimons en mettant fin au délai de quinze ans qui avait conduit nombre de contribuables à quitter le territoire français. Nous la supprimons car elle avait un rapport très faible pour le Trésor public ».
A l'inverse, le rapporteur général Joël Giraud a déclaré vouloir amender le texte du Gouvernement pour atténuer l'atteinte qu'il porte au mécanisme actuel qui repose pourtant sur le bon sens social et fiscal. Si même la majorité parlementaire estime que la mesure de l'Exécutif est insuffisante pour constituer un vrai garde-fou contre les risques d'optimisation fiscale, c'est que la copie du Gouvernement est vraiment à revoir...
En effet, le Gouvernement entend tout bonnement favoriser l'expatriation fiscale en supprimant l'imposition qui vise les contribuables possédant des droits sociaux, titres ou droits d'une valeur globale d'au moins 800 000 € ou représentant au moins 50 % des bénéfices sociaux d'une société, qui souhaitent s'expatrier dans un État plus clément sur le plan fiscal et qui revendent leurs titres dans les 15 ans suivant leur départ. Ils doivent actuellement payer à l'État français une taxe de 30 % sur la plus-value de cette vente. La réforme du Gouvernement consiste à abaisser cette durée de 15 ans à 2 ans, alors même que la période de 2 ans constitue un délai bien trop court pour être réellement dissuasif.
Pour rappel, le dispositif d'« exit tax » a été renforcé par la loi de finances rectificative pour 2013 sur deux points : (i) la valeur des titres retenue dans le calcul de la taxe est passée de 1,3 million d'euros à 800 000 euros, son assiette ayant donc été élargie afin qu'elle touche un plus grand nombre de contribuables ; (ii) les contribuables redevables de la taxe étaient avant 2014 tous ceux possédant leur domicile fiscal en France durant au moins 6 des 10 années qui précèdent le transfert de son domicile fiscal hors de France, mais depuis 2014 tous les contribuables français sont concernés par la taxe sans condition de durée de domiciliation fiscale.
Par cet article le Gouvernement va donc à contre-courant des fondements mêmes de cette taxe et de son renforcement, votés successivement par les deux précédentes majorités : en termes d'ultra-libéralisme, Emmanuel Macron veut donc faire mieux que Nicolas Sarkozy et François Hollande réunis ! Mais en dehors du lectorat du magazine Forbes, auquel il a réservé l'exclusivité de son annonce, personne ne peut se réjouir d'une telle mesure...
D'après le Gouvernement, le but visé par cette réforme est de « renforcer l'attractivité de la France pour les investisseurs ». Cette « exit tax » serait en effet perçue comme un « signal négatif par les entrepreneurs et les investisseurs », comme nous pouvons le lire dans l'exposé des motifs de cet article.
Or, en l'état actuel, le caractère dissuasif que l'« exit tax » représente pour les investisseurs étrangers nécessite de réunir plusieurs facteurs : (i) il faut que l'investisseur souhaite venir en France pour y investir, (ii) acheter des titres, (iii) souhaiter vendre rapidement ses titres, (iv) pour cela vouloir partir dans un autre pays pour s'y voir attribuer une imposition plus clémente. Si tel était l'objectif initial de l'investisseur, pourquoi donc n'irait-il pas investir directement dans ce pays à la fiscalité plus laxiste ? Le Gouvernement devrait donc se réjouir de l'existence d'une « exit tax » qui dissuade ces investisseurs de se servir du dynamisme économique de notre territoire, de ses services publics, de ses infrastructures, simplement pour y réaliser des profits !
Un autre argument en faveur de l'efficacité de cette « exit tax » est à chercher dans ce qu'elle « rapporte » au trésor français. Nombreux sont les ultra-libéraux qui expliquent que supprimer l'« exit tax » est d'autant plus nécessaire qu'elle rapporte peu. Mais justement, si cette taxe rapporte peu c'est parce qu'elle désincite les expatriés fiscaux à céder leurs titres rapidement après leur départ ! Le montant des plus-values latentes placées en sursis est encore important avec 5,4 milliards d'euros, parce que les contribuables n'ont pas cédé leurs titres ou droits, avec seulement 138 millions d'euros cédés depuis 2012 ! En revanche en supprimant le dispositif actuel, on prend le risque de perdre d'ici les deux prochaines années jusqu'à 5,4 milliards d'euros de recettes fiscales reposant sur des plus-values réalisées quand le contribuable résidait en France. En effet, les expatriés pourront, dans deux ans, vendre leurs titres et ne devoir payer aucun impôt à l'État français. Voilà un effet d'aubaine qui n'échappera pas aux expatriés fiscaux...
Nous comprenons que ces investisseurs préfèrent échapper à l'impôt lorsqu'ils quittent le territoire français : cependant, l'intérêt général impliquerait de les imposer à hauteur des plus-values réalisées et donc de conserver cette « exit-tax ». En outre, cette taxe ne s'appliquant qu'aux personnes quittant le territoire national, elle risquerait de décourager uniquement les investisseurs souhaitant investir à très court terme en France, ce qui ne fait pas d'eux une source de financement pérenne et intéressante pour notre économie : il est donc inutile de vouloir les attirer !
Parmi les autres allègements apportés par cet article, il est fait mention que les obligations déclaratives actuelles vont être « simplifiées ». Mais ces obligations ne sont pas faites pour être simples, leur but est d'apporter à l'administration fiscale les informations dont elle a besoin pour recouvrer la taxe à son juste montant. Pourquoi donc vouloir les alléger ?
Par ailleurs, le sérieux d'une telle mesure imposerait qu'un chiffrage crédible sur les pertes budgétaires puisse être communiqué à la représentation nationale. Or, dans l'évaluation préalable de l'article, on peut lire que « L'incidence budgétaire de la mesure n'est pas chiffrable » ! Cela est très inquiétant : comment voter une mesure qui pourra avoir une incidence budgétaire aussi lourde, sans être informé des pertes potentielles pour l'État ?
En définitive, l'« exit tax » constitue un impôt à fort rendement et opère un effet dissuasif important. L'assouplir aussi drastiquement envoie donc un double signal. D'une part, que l'on continue de baisser les impôts pour les riches, même si les pertes se chiffrent en milliards pour l'État. D'autre part et surtout, que l'on ne fait rien pour lutter contre l'évasion fiscale : si les riches veulent partir avec leurs plus-values engrangées en France, ils doivent pouvoir le faire sans entrave, au mépris des citoyens français animés d'un civisme fiscal sincère et participant à l'effort budgétaire national. Il est regrettable qu'il faille en 2018 rappeler à ce gouvernement que l'impôt constitue un des fondements de la citoyenneté !
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