Publié le 8 octobre 2018 par : Mme Rubin, Mme Autain, M. Bernalicis, M. Coquerel, M. Corbière, Mme Fiat, M. Lachaud, M. Larive, M. Mélenchon, Mme Obono, Mme Panot, M. Prud'homme, M. Quatennens, M. Ratenon, Mme Ressiguier, M. Ruffin, Mme Taurine.
Supprimer cet article.
Nous nous opposons à l'article 16 qui derrière une pseudo simplification, octroie des avantages et largesses injustifiés aux détenteurs d'entreprises familiales et à leurs héritiers.
Cet article vise à supprimer les maigres garde-fous du dispositif actuel tel que les obligations déclaratives annuelles. Il élargit le champ des dérogations permettant de bénéficier de l'exonération des droits de transmissions à titre gratuit (succession ou donation) de parts ou d'actions de sociétés exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, à hauteur de 75 % de leur valeur.
L'article 16 affirme qu'il est impératif de faciliter la transmission familiale, comme si elle constituait actuellement une problématique majeure pour le tissu entrepreneurial français. C'est absolument faux. Le gouvernement a encore une fois les yeux rivés sur les grandes fortunes familiales comme les Mulliez, niant la réalité économique de notre pays, et tournant le dos aux opportunités de faciliter la reprise des entreprises par les salariés.
La proposition de l'Exécutif de faciliter encore un régime fiscal de transmission des entreprises familiales déjà particulièrement favorable apparaît ainsi clairement comme un nouveau geste en direction des plus riches ! Si dans un premier temps il conviendrait d'empêcher l'allègement et la simplification du dispositif Dutreil, dans un second temps c'est sa suppression pure et simple qu'il faudrait engager.
Premièrement, par cet article, le Gouvernement a pour objectif de soutenir « le développement des sociétés (...) et la pérennisation des entreprises, (...) en s'adaptant aux nouvelles réalités économiques régissant la vie de ces dernières ». Cet objectif est en somme purement libéral. Pourtant l'article qu'il propose ne colle ni avec une vision libérale ni avec la réalité économique des entreprises.
En effet, les transmissions d'entreprises se font majoritairement à un tiers (et non à des membres de la famille), puisqu'elles représentent 80 % des transmissions d'entreprises à ce jour.
De manière générale, les reprises par des partenaires extérieurs motivés, souvent qualifiés et détenteurs des capitaux nécessaires au développement de la structure, présentent au regard de la transmission familiale de nombreux avantages en termes de compétitivité, conformément à la théorie schumpétérienne de la destruction créatrice ; la Commission européenne elle-même l'a bien compris puisqu'elle invitait dès 1994 à « encourager la transmission à des tiers » - le ministre Bruno Le Maire paraît sur ce point avoir presque 25 ans de retard.
D'autre part et surtout, l'analyse économique a désormais clairement établi que les transmissions familiales d'entreprises étaient globalement néfastes pour l'économie. Ainsi, la très sérieuse Direction Générale du Trésor relevait dans une de ses parutions que « Les études empiriques identifiant les successions des dirigeants concluent que les fondements économiques des incitations fiscales en faveur de la « transmission-continuité » à la famille sont contestables » dès lors que « le management héréditaire ne s'accompagne pas d'un accroissement de la profitabilité et de la pérennité des entreprises » et que « certains auteurs concluent qu'une fiscalité de faveur pour la transmission familiale serait néfaste au plan macroéconomique » -elle termine pour faire bonne mesure en soulignant « que la transmission aux salariés semble plus positive ».
Secondement, l'analyse économique va dans le sens de la suppression d'un tel dispositif, car la recherche économique a pu établir que :
- les« managers dynastiques » se caractérisent par une aversion au risque supérieure à la moyenne : en effet, les entreprises familiales ont tendance à privilégier la détention de liquidités et le présent au détriment de l'investissement et de l'avenir. Au-delà, elles sont moins enclines à accepter des sources de financement externes par crainte d'une perte de contrôle et conservent souvent une taille sous-optimale… Ce contre quoi souhaitait précisément, en affichage du moins, lutter le gouvernement avec son projet de loi PACTE qui vient d'être discuté en séance publique.
- le faible nombre de détenteurs de parts ou actions est susceptibles de favoriser un alignement des choix de gestion de l'entreprise sur le seul cycle de vie du ou des propriétaires.
- sur le plan empirique, force est de constater que les enquêtes, dans leur ensemble, pointent une moindre rentabilité ainsi qu'une moindre pérennité et une moindre performance en termes d'emplois des entreprises familiales. En effet, les entreprises de moins de 50 salariés reprises par un membre de la famille avaient 10 points de rentabilité en moins et une probabilité de faillite deux fois plus élevée que les autres. Les facteurs observés expliquant ces contre-performances sont notamment les conflits exogènes entre héritiers ou donataires menacent la pérennité de l'entreprise.
- il existe une association étroite entre la réussite (ou l'échec) d'une entreprise familiale et la personnalité de celle ou celui qui la dirige, désigné sur la base de critères sans rapport avec ses qualités ou ses aspirations. Même la Commission européenne notait dans une communication de 2006 que « (…) les familles étant moins nombreuses, les chefs d'entreprise ont moins de chance de trouver un.e successeur.s.e au sein de la famille, notamment parce que l'environnement de plus en plus compétitif exige des compétences très élevées en matière de gestion et de direction d'entreprise » .
- le poids des droits de succession, aussi réduit soit-il, est dans la plupart des cas indirectement supporté par la trésorerie de l'entreprise elle-même.
Sur ces bases et dans le même sens que les conclusions précitées de la DG Trésor, il apparaît que les traitements fiscaux privilégiés accordés aux entreprises familiales ont des « conséquences négatives sévères » sur la performance macro-économique d'ensemble. Ces mécanismes sont motivés non par la rationalité économique mais par une préférence du groupe pour un traitement social privilégié des descendants des détenteurs du capital par opposition aux valeurs de mobilité économique et sociale associées au travail et à l'effort.
En somme, il est inutile, pour ne pas dire dangereux, de poursuivre une logique, même pas libérale mais juste irrationnelle, qui favorise la fiscalité sur les transmissions d'entreprises familiales.
Pour finir, en l'état, dans l'évaluation des conséquences fiscales pour les administrations publiques concernées, aucune information relative au coût du nouveau dispositif sur les recettes de l'État n'est mentionnée (ni dans les Évaluations préalables, ni dans les Évaluations des voies et moyens). Comment nous demander de voter sur une reforme dont l'impact sur les recettes de l'État n'est même pas présenté ?
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