Publié le 14 octobre 2019 par : M. Colombani, M. Acquaviva, M. Castellani, Mme Dubié.
Cet amendement a été déclaré irrecevable après diffusion en application de l'article 98 du règlement de l'Assemblée nationale.
Cet amendement vise à corriger une injustice dans l’accès aux soins dont pâtissent les familles domiciliées en Corse : il permet de rétablir une continuité territoriale de l’offre de soins sur le territoire métropolitain.
Il s’agit d’une simplification administrative sans impact budgétaire.
La spécificité sanitaire de la Corse (absence de CHR/CHU et de certaines spécialités) est réelle et lourde de conséquences au plan humain, social et financier pour sa population, trop souvent contrainte de se rendre sur le continent. 26 000 déplacements sont enregistrés chaque année, chaque famille est concernée mais le financement des transports en avion et bateau représente seulement 18 % des frais de transports remboursés par les Caisses (2 % pour les mineurs).
Les modalités de prise en charge de l’Assurance Maladie sont restrictives et inadaptées à la réalité de l’île. (Demande d’Entente Préalable systématique, prise en charge d’un seul accompagnateur pour les - de 16 ans, examens au cas par cas pour les adultes et les 16‑18 ans, absence de prise en charge de l’hébergement etc…) Elles créent une rupture d’équité territoriale inacceptable qui entraine des phénomènes de précarité et de renoncement aux soins.
Concernant notamment la contrainte de l’entente préalable, objet du présent amendement qui propose d’instaurer une dispense systématique pour les transports de patients résidant en Corse devant être pris en charge sur le continent, il convient de noter que tout malade qui réside en Corse doit obtenir l’accord préalable du service médical de l’Assurance Maladie pour sa prise en charge.
Or, ces formalités sont pénalisantes et inutiles dans 2 cas :
- Pour les pathologies relevant de spécialités inexistantes en Corse :
A titre d’exemple, il faut attendre 15 jours l’accord de l’Assurance maladie pour un enfant ayant un cancer alors qu’il ne peut en aucun cas être pris en charge en Corse. Devoir demander et attendre l’autorisation de partir alors qu’il est impossible de rester semble ubuesque. - Pour les évacuations sanitaires :
Un malade dont l’état de santé a entrainé une évacuation sanitaire sur le continent ne bénéficie pas d’une prise en charge systématique de son billet retour. La demande d'entente préalable est obligatoire mais, très souvent, elle n’est pas effectuée par l’établissement de départ en Corse ni par l’établissement d’accueil sur le continent. Une fois rétabli et en capacité de regagner l’île, le malade doit alors faire acheter lui-même son billet retour. Ceci est d’autant plus problématique qu’il ne pourra pas bénéficier du « tarif résident » auprès des compagnies de transport délégataires de service public pour le compte de la Collectivité de Corse car son voyage Aller n’a pas été effectué sur un avion de ligne. Ces difficultés administratives entrainent des situations de grande détresse auxquelles les Assistantes sociales des Etablissements de santé en Corse et sur le continent doivent faire face dans l’urgence en sollicitant les Associations.
Les actions complémentaires récentes mises en place par certaines associations, notamment l’action exemplaire de l’association reconnue d’intérêt général « Inseme » et celle de l’association « la Marie-Do », compagnies de transports, mutuelles et par la Collectivité de Corse, ont permis d’améliorer la situation et de pallier les carences du service public. Elles témoignent de l’évolution de la société insulaire et de la maturité de la réflexion liée à cette problématique. Mais ces palliatifs apportés par des idéaux de solidarité très présent dans la société insulaire ne peuvent faire l’économie d’une réponse de l’État, dont la politique de santé constitue une des compétences principales, même si elle n’est pas régalienne.
La prise de conscience des acteurs locaux ne permettra pas de soulager les familles de manière systématique et pérenne des difficultés qu’elles rencontrent dans leur parcours de soin. La réponse à cette problématique ne peut reposer sur des actions individuelles, éparses et limitées. Il importe désormais que les institutions publiques s’en emparent pleinement afin de mettre en place un cadre réglementaire adapté à la spécificité sanitaire de la Corse.
C’est le constat dressé par un rapport du Conseil économique social environnemental et culturel de Corse (C.E.S.E.C.) : « Déplacements médicaux vers le continent : Innover pour supprimer les inégalités territoriales », qui s’est auto-saisi de ce sujet important, et qui a été adopté à l’unanimité en séance plénière du 18 septembre 2018.
En outre, cette continuité de l’offre de soins découle de deuxième priorité de la stratégie nationale de santé (SNS) définie par le Gouvernement en application de l’article L. 1411‑1‑1 du Code de la santé publique et arrêtée par le décret du 29 décembre 2017 : lutter contre les inégalités sociales et territoriales d’accès à la santé, avec une approche centrée sur les parcours organisés dans les territoires de vie des patients. De manière plus précise, il convient de noter que l’Objectif N°2 de la SNS doit permettre de réduire les inégalités concernent l’exposition aux risques et l’accès à l’offre de soins et que des dispositifs spécifiques doivent permettre de répondre aux besoins des personnes particulièrement éloignées de l’offre de santé.
Pour cela il convient de :
- Lever les obstacles sociaux et économiques à l’accès aux services de santé et notamment de limiter les dépenses restant à la charge des assurés en matière de transports sanitaires et de dépenses non couvertes - Garantir à chaque citoyen l’accès à des soins de qualité, quel que soit l’endroit où il vit ; - Généraliser les usages du numérique en santé pour abolir les distances ; - Libérer les capacités des acteurs locaux de développer des projets adaptés aux caractéristiques des territoires.
Ce dispositif constitue une déclinaison concrète des dispositions de la loi-montagne telle que révisée par la loi n° 2016‑1888 du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne et dont l’article 8 en vigueur dispose que : « Les dispositions de portée générale ainsi que les politiques publiques et les mesures prises pour leur application relatives (...) à la santé, aux transports, (...) sont, éventuellement après expérimentation, adaptées à la spécificité de la montagne ou à la situation particulière de chaque massif ou partie de massif. ».
Dès lors procéder à une expérimentation n’est pas obligatoire et, de plus, cette solution ne répondrait pas de manière pérenne à ce problème structurel lourd ainsi que le note le rapport précité du C.E.S.E.C. : « Hors, la Commission insiste sur le fait que les innovations proposées pour la Corse doivent apporter in fine une réponse pérenne et non limitée dans le temps à la problématique des déplacements médicaux sur le continent. ».
L’article 8 de la loi Montagne doit également être lu en combinaison avec l’article 8bis introduit par la loi du 28 décembre 2016, lequel dispose que : « Sans préjudice de la présente loi, et pour l’application et l’interprétation de celle-ci notamment, la spécificité de la Corse, territoire montagneux et insulaire présentant le caractère d’ « île-montagne » , par suite soumise à un cumul de contraintes, est prise en considération conformément à l’article 174 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’État et la collectivité territoriale de Corse, en concertation avec les collectivités territoriales et établissements publics de l’île, veillent conjointement à la mise en œuvre en Corse de l’article 8 de la présente loi. ».
La santé n’étant pas une compétence de la collectivité de Corse, et n’étant pas non plus une compétence réclamée par la majorité territoriale actuelle dans le cadre de la révision constitutionnelle, il convient donc à l’État de veiller à la mise en œuvre de l’exigence d’adaptation de la législation en matière de santé dans cette île-Montagne.
De plus, l’article 8bis renvoie à l’article 174 du TFUE qui dispose que : « Afin de promouvoir un développement harmonieux de l’ensemble de l’Union, celle-ci développe et poursuit son action tendant au renforcement de sa cohésion économique, sociale et territoriale. / En particulier, l’Union vise à réduire l’écart entre les niveaux de développement des diverses régions et le retard des régions les moins favorisées. / Parmi les régions concernées, une attention particulière est accordée aux zones rurales, aux zones où s’opère une transition industrielle et aux régions qui souffrent de handicaps naturels ou démographiques graves et permanents telles que les régions les plus septentrionales à très faible densité de population et les régions insulaires, transfrontalières et de montagne. ». Le dispositif proposé ne peut dès lors être incompatible avec le droit de l’Union européenne puisque ce même droit encourage l’adoption de politiques spécifiques pour certaines régions défavorisées, catégorie que le législateur national a reconnu pour la Corse.
Le dispositif n’est pas plus contraire à la Constitution, notamment au principe d’égalité puisque, ainsi que l’a constamment rappelé le Conseil constitutionnel : « Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. ».
Or l’insularité est, sans doute raisonnable possible, une situation différente de celle du continent, sanctionnée par la réalité géographique.
En définitive, l’impossibilité de voir un tel dispositif aboutir, alors même qu’il trouve un fondement et une justification à la fois dans la loi, dans le droit de l’Union et dans la jurisprudence constitutionnelle, sonnerait comme un aveu que les dispositions des articles 8 et 8bis de la loi-Montagne n’ont en réalité aucune portée normative et opérationnelle, et qu’elles constituent un simple bavardage législatif d’affichage, ce que le Conseil d’État n’a pas manqué de dénoncer plusieurs fois dans ses rapports annuels.
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