Publié le 9 octobre 2021 par : M. Rolland.
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Suite à de nombreuses réformes législatives et règlementaires réalisées dans la filière visuelle (2004, 2005, 2015, 2016, 2017), au développement du travail aidé, à la mise en place des protocoles organisationnels prévus dans le décret des orthoptistes de 2016, à la stabilisation de la démographie des ophtalmologistes, l’accès aux soins visuels est en train de s’améliorer rapidement en France. Ainsi, une enquête réalisée par l’institut CSA Research en septembre 2021 montre que les délais de RDV pour une consultation de contrôle non urgente ont baissé de 60 % depuis 2017 (médiane passant de 66 jours dans l’étude de la Drees à 26 jours en 4 ans dans l’étude CSA). Des régions comme la Bretagne ont vu la médiane des RDV de ces consultations passer de 126 jours à 29 jours entre 2019 et 2021 ! Les délais s’améliorent également dans les agglomérations de moins de 100 000 h vu la tendance à une meilleure répartition des installations sur le territoire (enquête sur les installations 2018‑2020 publiée en juillet 2021 par le Syndicat National des Ophtalmologistes). Les délais de RDV sur les sites en ligne ont aussi fortement baissé et sont plus courts de près d’une semaine que ceux donnés par téléphone.
Ces résultats satisfaisants sont obtenus alors que le volume des départs en retraite est à son maximum. Cela montre que les mesures actuelles sont déjà efficaces. D’autres vont encore arriver avec l’avenant 9 de la convention médicale en avril 2021, comme la téléexpertise qui deviendra possible entre paramédicaux et médecins. Cela favorisera le déploiement des protocoles organisationnels à distance entre orthoptistes et ophtalmologistes qui étaient jusqu’à aujourd’hui bloqués faute d’un cadre de financement clair.
Or, dans 2‑3 ans, les départs en retraite vont fortement chuter, et une ère assez longue va s’ouvrir où les arrivées d’ophtalmologistes seront plus nombreuses que les départs. On peut donc légitimement penser que le problème des délais de RDV sera définitivement solutionné dans 2‑3 ans. Il convient donc d’être prudent dans les propositions pour augmenter encore les délégations, voire les transferts d’activité, alors que toutes les mesures déjà prévues ne sont pas encore déployées et encore moins évaluées. D’autant que l’article 42 soulève des questions importantes sur la qualité des soins qui seraient délivrés par les professionnels proposés et la sécurité sanitaire des patients.
Il reste le problème de certaines zones médicalement sous-denses, conduisant à des retards, voire à l’absence de dépistage des pathologies, car la population qui s’y trouve est plus âgée, se déplace moins bien et consulte plus tard. Il faut donc développer un plan pour apporter des soins médicaux vers cette population. Il ne s’agit pas de problème de corrections optiques. Cette prise en charge sera réalisée par des cabinets secondaires où les ophtalmologistes peuvent se relayer.
Cet article 42 propose une évolution majeure du système de santé, voire une rupture totale avec la philosophie de délégation de tâches qui a conduit à l’amélioration en cours des délais de RDV. Il s’agit d’un véritable transfert de soins médicaux avec prise en charge en autonomie des patients par les orthoptistes, auxiliaires de santé de niveau licence (après seulement 3 années d’étude), qui auraient ainsi droit de prescription (lunettes, lentilles de contact) sans passage et contrôle par l’ophtalmologiste après avoir réalisé un bilan visuel au contour non défini.
Or tous les médecins consultés arguent que ce niveau de responsabilité ne relève pas de la formation actuelle ou passée des orthoptistes, spécialistes de la rééducation orthoptique ou travaillant comme aide-ophtalmologiste. Ils n’ont pas la formation nécessaire pour assurer un examen médical complet ou une adaptation de lentilles de contact. Ce degré d’autonomie relèverait au minimum d’une pratique avancée encadrée et avec une formation adéquate. 90 % des ophtalmologistes pensent (enquête en phase de finalisation) que ce dispositif conduirait à des retards de diagnostics et à l’augmentation de la gravité de pathologies ophtalmologiques silencieuses initialement (comme le glaucome, la DMLA, le kératocône, la rétinopathie diabétique, …)
L’émoi soulevé chez les ophtalmologistes par cette mesure de démédicalisation proposée par le Gouvernement risque de remettre en cause tout l’édifice monté patiemment depuis une quinzaine d’années de collaboration avec les orthoptistes et qui est une référence pour les autres spécialités. De plus, il propose de permettre le renouvellement de cette ordonnance orthoptique par les opticiens, comme les ordonnances médicales. On verrait ainsi la création d’un circuit parallèle orthoptiste-opticien sans connexion avec une prise en charge médicale. Le texte ne met aucune barrière d’âge ou d’un autre type et se borne à renvoyer à un décret pour lequel il n’y aucune indication dans l’exposé des motifs du Gouvernement.
Par ailleurs, le rapport IGAS-IGESR de 2020 sur la filière visuelle ne demandait d’envisager cette mesure qu’en cas d’échec des autres recommandations qu’il préconisait. Celles-ci ne sont pas encore en application et l’amélioration actuelle permet de prendre du recul et de réfléchir avec l’ensemble des acteurs aux meilleures dispositions à prendre, si possible sur le moyen et le long terme et non dans l’urgence d’une situation qui ne le nécessite pas.
L’article 40 propose également d’élargir l’offre de dépistage visuel des enfants en incitant un accès direct aux orthoptistes pour les jeunes enfants pour la réalisation du dépistage de l’amblyopie du nourrisson et des troubles de la réfraction. Ces dépistages réalisés par l’orthoptiste viseraient à offrir un complément à ceux pouvant être faits par le médecin de l’enfant. Il conviendrait de prévoir un encadrement médical adapté, voir même une prescription médicale préalable ou une expérimentation sur 3‑4 régions. Il ne faut pas oublier aussi le rôle essentiel actuel joué par les pédiatres et les ophtalmologistes dans ce dépistage. Si une mesure conventionnelle était prise, elle doit être élargie aussi à ces deux professions.
Cet article 40 apparaît donc à la fois non adapté à la situation et inutile pour solutionner la problématique actuelle. Il sera aussi source de conflit permanent au sein de la filière visuelle. Le retrait de l’article est demandé.
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