Publié le 2 avril 2018 par : M. Trompille.
Supprimer l'alinéa 3.
Il est rappelé que le contentieux de l'asile en France se caractérise par un système dérogatoire au droit commun plaçant ainsi le demandeur d'asile dans une situation moins protectrice que celle d'autres justiciables.
En effet, d'une part, les demandeurs d'asile ne bénéficient pas des garanties procédurales offertes par undouble degré de juridiction, la CNDA étant la seule juridiction à pouvoir statuer sur le fond du dossier.
D'autre part, ils ne bénéficient pas du délai de recours dedroit commun en matière administrative qui est pourtant dedeux mois.
Bien au contraire, le délai actuel de recours devant la CNDA, d'un seul mois, est un délai déjà très court, d'exception, alors même que les demandeurs d'asile sont des justiciables souvent non francophones, parfois peu scolarisés ou analphabètes, qui se trouvent dans des situations de précarité et de vulnérabilité particulières.
Si l'objectif du projet de loi est bien « un droit d'asile effectif », le délai de recours devrait à tout le moins être celui de droit commun, comme pour n'importe quel justiciable.
Or, son article 6 vise à réduire encore de moitié le délai dérogatoire d'un mois !
Cette disposition porte une atteinte disproportionnée au droit à un recours effectif (article 13 CESDH, article 47 de la Charte des Droits Fondamentaux de l'UE et article 46 de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013) et au procès équitable (article 6 CESDH).
L'article 46 de la directive susvisée précise notamment l'exigence d'un délai de recours « raisonnable », dans le cadre du respect du droit à un recours effectif :
« Les États membres prévoient des délais raisonnables et énoncent les autres règles nécessaires pour que le demandeur puisse exercer son droit à un recours effectif (....). Les délais prévus ne rendent pas cet exercice impossible ouexcessivement difficile. »
Cette exigence de délai raisonnable est également rendue impérative par le HCR dans son guide des procédures et critère (IIème partie A.) :
« vi) Si l'on ne lui reconnaît pas cette qualité, il faudrait lui accorder undélai raisonnable pour demander le réexamen de la décision, soit à la même, soit à une autre autorité administrative ou judiciaire, selon le système existant. »
Or, ce délai de 15 jours rend l'accès effectif au juge quasi impossible.
En effet, les demandeurs d'asile se retrouvent très souvent dans des situations d'hébergement précaire et confrontés à des problèmes de domiciliation (courrier ne pouvant être retiré qu'une fois par semaine/fermeture de domiciliation/changement de domiciliation…) si bien que le délai de 15 jours peut facilement être déjà dépassé lorsqu'ils ont en main la décision de rejet de l'OFPRA à contester.
Ils doivent par ailleurs être en mesure de comprendre la décision de rejet (délai de traduction), réunir des pièces et les faire traduire en français, rédiger leur recours en français avec ou sans aide d'un intervenant social ou trouver un avocat dans un délai rapide et ce, sans compter le barrage de la langue et du niveau d'instruction, la fragilité liée à la détresse psychologique ainsi que les cas fréquents de personnes isolées.
En pratique, beaucoup de demandeurs d'asile n'auront pas assez de temps pour introduire leur recours dans un délai aussi restreint.
Enfin, la réduction du délai de recours va augmenter mécaniquement les forclusions et les rejets par ordonnance si bien que nombre de demandeurs d'asile ne pourront plus être entendus lors d'une audience.
Ainsi, et ce qu'omet de dire le Conseil d'Etat dans son avis, un recours non motivé, compte tenu du peu de temps laissé au demandeur d'asile et/ou à son conseil pour rédiger son recours, entrainera nécessairement un risque élevé de rejet par ordonnance. D'autant plus que, d'après les derniers rapports d'activités de la CNDA, l'usage de ce procédé a fortement augmenté puisqu'il adoublé en sept ans passant de 12,4% des dossiers en 2010 à 25,9% en 2017.
À ce titre, si dans le système allemand le délai d'appel est bien de 15 jours en procédure normale, le rejet par voie d'ordonnance n'existe pas. Un demandeur d'asile en Allemagne a donc 100% de chance de voir sa demande d'asile examinée en audience s'il respecte les conditions de forme et de saisine.
Dès lors, l'incidence d'un délai de saisine particulièrement bref est moindre sur son droit au recours effectif, puisqu'un recours sommaire n'est pas exposé à un risque de rejet par ordonnance.
Or, en France, et comme les statistiques le démontrent, la réduction du délai de recours entrainera mécaniquement un nombre croissant de recours sommaires avec pour corollaire l'augmentation toujours plus importante de rejets par voie d'ordonnance.
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