Publié le 26 mars 2018 par : M. Ruffin, Mme Autain, M. Bernalicis, M. Coquerel, M. Corbière, Mme Fiat, M. Lachaud, M. Larive, M. Mélenchon, Mme Obono, Mme Panot, M. Prud'homme, M. Quatennens, M. Ratenon, Mme Ressiguier, Mme Rubin, Mme Taurine.
Après le premier alinéa de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Pour leurs activités relevant du cadre strict de leur travail d'enquête de mission d'information du public, et pour les actes non détachables de celles-ci, les journalistes titulaires de la carte d'identité professionnelle mentionnée à l'article L. 7111‑6 du code du travail ne peuvent faire l'objet de poursuites relatives au secret professionnel, au secret des affaires et à la confidentialité, sur le fondement, notamment, de l'art. L. 611‑15 du code de commerce qui exige la confidentialité dans le cadre d'une procéduread hoc ;
« La détention, par un journaliste titulaire de la carte d'identité professionnelle mentionnée à l'article L. 7111‑6 du code du travail, de documents, d'images ou d'enregistrements sonores ou audiovisuels, quel qu'en soit le support, violation du secret professionnel ou du secret de l'enquête ou de l'instruction n'est pas constitué des délits définis aux articles 321-1 et 226-2 du code pénal, lorsque ces documents, images ou enregistrements sonores ou audiovisuels contiennent des informations dont la diffusion au public constitue un but légitime dans une société démocratique. »
Par cet amendement, nous proposons de consacrer le principe selon lequel un journaliste accusé d'avoir outrepassé le secret des affaires ne puisse être jugé, pour les actes non détachables de l'exercice de son travail d'enquête de sa mission d'information du public, que sur le fondement du droit de la presse et donc par un juge judiciaire sur ce fondement, et non sur la base du droit commercial (quand celui-ci concerne le secret professionnel, secret des affaires, la confidentialité) ou du délit pénal de recel (qui actuellement concerne le secret professionnel, le secret des affaires, le secret de l'enquête et de l'instruction).
=> Si l'immunité pénale pour le recel avait déjà été votée en 2016 par la précédente législature (article 4 de la loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias), le Conseil constitutionnel l'avait considérée comme trop étendue. Nous proposons une nouvelle mouture prenant totalement en compte la décision du Conseil constitutionnel.
=> Nous attendons à cet effet que tous les parlementaires de la précédente législature qui avaient voté ce texte (et dont certain.e.s sont désormais députés de la majorité) expriment une cohérence de vote en soutenant cet amendement.
En cela, pour le code du commerce, nous relayons l'appel lancé au mois de février par plus d'une vingtaine de rédactions de journaux français en soutien au journaliste du magazineChallenges, lourdement sanctionné pour avoir, selon le tribunal de commerce de Paris, outrepassé le secret des affaires. (http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2018/02/06/liberte-de-la-presse-des-societes-de-journalistes-solidaires-de-challenges_5252717_3236.html#5ebsc4DZMMzTSjK1.99)
Cette tribune se termine par ces mots : “Le code du commerce qui impose un caractère confidentiel à une telle procédure a prévalu sur la liberté d'informer, l'un des principes fondamentaux de la République française et l'une des conditions de sa vitalité. Des juges issus du monde de l'entreprise ont de facto prononcé une décision transformant la liberté d'informer en délit.”
Pour le code pénal, les tentatives de museler la presse par le délit de recel sont suffisamment nombreuses et anciennes (https://www.lesechos.fr/05/04/1995/LesEchos/16872-068-ECH_la-liberte-de-la-presse-confrontee-au-delit-de-recel-d-informations.htmhttps://actu.dalloz-etudiant.fr/a-la-une/article/recel-de-violation-du-secret-professionnel-de-la-necessite-de-caracteriser-la-revelation-dun/h/9d158f0b5fff5caadbb82ff2a374802e.html), et le législateur l'avait déjà reconnu en votant l'article 4 de la loi sus-citée en 2016 (dans une version non constitutionnelle que nous avons donc modifié) pour que l'impératif de mieux protéger les journalistes soit manifeste.
Nous dénonçons ces manquements actuels qui menacent l'exercice de la profession de journaliste, en particulier de journaliste économique. Nous demandons aux pouvoirs publics, mais aussi à la justice, de garantir pleinement la liberté d'informer de manière indépendante et rigoureuse, garante d'une véritable démocratie. ».
A cet effet nous proposons que :
1) Dans le cadre strict de leur travail de journalistes (enquête, analyse etc.) et de leur mission d'information du public (publications), et pour les actes non détachables de ces activités ;
2) a) Les journalistes bénéficient d'une immunité au titre d'atteintes au code de commerce ;
b) Les journalistes bénéficient d'une immunité pénale pour les délits les plus utilisés pour tenter de les museler (recel de violation du secret professionnel, du secret des affaires,)
=> Pour ce dernier point, le Conseil constitutionnel avait censuré en 2016 l'article 4 de la loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias qui consacrait cette immunité pénale, parce que celle-ci était trop large et pas assez proportionnée et devait être conciliée avec d'autres principes à valeur constitutionnelle : “entre, d'une part, la liberté d'expression et de communication et, d'autre part, le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances. Il n'a pas non plus assuré une conciliation équilibrée entre cette même liberté et les exigences inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, la recherche des auteurs d'infractions et la prévention des atteintes à l'ordre public nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle.” et en ce qu'elle s'étendait “à l'ensemble des personnes mentionnées au paragraphe I de l'article 4, y compris les collaborateurs de la rédaction. Or, ces derniers sont définis comme les personnes qui, par leur fonction au sein de la rédaction dans une entreprise ou agence de presse ou dans une entreprise de communication au public en ligne ou audiovisuelle, sont amenées à prendre connaissance d'informations permettant de découvrir une source à travers la collecte, le traitement éditorial, la production ou la diffusion de ces mêmes informations. Cette immunité protège des personnes dont la profession ne présente qu'un lien indirect avec la diffusion d'informations au public.” (http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2016/2016-738-dc/decision-n-2016-738-dc-du-10-novembre-2016.148183.html).
Nous partageons ce souci de garantir pleinement la liberté d'informer. La liberté de la presse est consubstantielle de notre identité républicaine. L'article 11 de la Déclaration de 1789 stipule que “la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.”. Or, la loi du 29 juillet 1881, qui constitue le fondement de la conception française de la liberté de la presse, stipule bien, à son article 45, que “Les infractions aux lois sur la presse sont déférées aux tribunaux correctionnels (…) », et non pas aux tribunaux de commerce.”
Nonobstant, nous rappelons notre attachement certain au secret des affaires dans la mesure où il permet de faire valoir le génie français en matière d'innovation économique et protège nos entreprises contre la prédation des multinationales. Toutefois, il est absolument nécessaire que des informations susceptibles de concerner de potentielles atteintes à l'intérêt général soient connues de tous. Il serait aberrant qu'au nom du secret des affaires les principes les plus essentiels de notre République soient méconnus, principes sans lesquels la liberté d'entreprendre ne pourrait d'ailleurs être assurée.
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