Intervention de David Habib

Séance en hémicycle du samedi 10 avril 2021 à 21h00
Lutte contre le dérèglement climatique — Article 36

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDavid Habib :

Ce matin, j'ai pris l'avion. Je suis parti de l'aéroport de Pau, devant lequel se trouve une plaque commémorant la première école de pilotage créée en Europe par Wilbur Wright, en 1908. Je me souviens de ce qui a été raconté à plusieurs reprises par certains élus sur l'histoire magnifique de l'aviation dans le Sud-Ouest. Au début du XXe siècle, Pau comptait seize aérodromes. Savez-vous pourquoi l'aéronautique s'est construite à la fois à Toulouse et dans le Béarn, dans le grand Sud-Ouest ? Parce que cette région se situait loin des champs de bataille et de la frontière allemande et parce que les conditions atmosphériques étaient optimales à l'époque.

Nous avons eu des ingénieurs extraordinaires, à l'instar de Joseph Szydlowski, un ouvrier juif polonais venu s'installer près de Pau, qui créa l'entreprise Turbomeca, ancêtre de Safran. De merveilleuses expériences ont été réalisées au gré des années. Et si, plus tard, Toulouse a bénéficié de l'arrivée d'Airbus, c'est parce que Pau était entre-temps devenue la capitale de la chimie, avec notamment l'implantation de Total. Les élus palois de l'époque ne se sont donc pas battus, mais il n'en demeure pas moins que la tradition en matière de mécanique, de soudure et de procédés est restée vivace tant chez les ouvriers que chez les ingénieurs. Les 1 500 entreprises auxquelles j'ai fait référence cet après-midi demeurent ainsi réparties entre les deux régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine.

J'en viens à ce qui nous est proposé dans cet article. Certains, y compris au sein de mon propre groupe, disent que, au fond, le seuil des deux heures trente ne concerne que les vols Paris-Lyon et Paris-Bordeaux. Il convient néanmoins de réfléchir aux conséquences sociales de l'arrêt de ce type de desserte sur l'industrie aéronautique, ce que ne fait pas l'étude d'impact qui accompagne le texte. Par conséquent, toutes sortes de chiffres sont véhiculés. Certains industriels parlent de la destruction de milliers d'emplois et estiment que le nombre de postes supprimés serait deux fois supérieur si le seuil des quatre heures devait être retenu.

Monsieur le ministre délégué, dans l'une de mes interventions, cet après-midi, je me suis permis de vous dire qu'à l'heure où vous nous soumettez cette disposition relative au transport aérien, nous ne voyons rien venir s'agissant des LGV – Joël Aviragnet en a parlé à l'instant – ou encore de l'intermodalité. Alors que la navette Paris-Bordeaux va être supprimée, rien n'est prévu pour que les passagers au départ de Bordeaux et à destination des Antilles continuent de voyager dans de bonnes conditions. Du retard a été pris en la matière.

De la même manière, alors qu'il est prévu que cette disposition soit applicable à compter du premier dimanche de mars 2022, l'Union européenne n'a pas encore décidé de la reprendre à son compte. Dans les régions frontalières, un report de trafic au bénéfice d'aéroports situés hors du territoire national apparaît donc inévitable. Ce sera le cas dans ma région, qui est moins éloignée de l'aéroport de Bilbao que de celui de Bordeaux.

Monsieur le ministre délégué, je peux entendre l'argument selon lequel la mesure sera compensée par l'existence de LGV, comme dans le cas du trajet Paris-Lyon. L'économie est ainsi faite que, par le jeu du marché, la SNCF l'emporte sur Air France sur ce type de liaison. En revanche, ce que je ne peux admettre, c'est que nous mettions un doigt dans un engrenage que nous ne maîtrisons pas : c'est ce que j'appelle la théorie du toboggan. Dès lors que le seuil des deux heures trente aura été entériné – je vous dis cela en sachant que nos propos sont enregistrés et retranscrits – , un jour viendra où un candidat à l'élection présidentielle promettra d'élever ce seuil à quatre heures. Certains feront campagne en faisant du fly bashing – nous en parlions cet après-midi. L'industrie aéronautique sera remise en cause, alors qu'elle est la fierté de notre pays et de nos ingénieurs.

Nous subissons aujourd'hui les conséquences d'avoir abandonné le secteur de la santé et les laboratoires pharmaceutiques, de ne pas leur avoir imposé certaines choses. Cela a été dit précédemment, nous sommes le seul membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU à ne pas avoir inventé de vaccin contre le covid-19. Je suis très inquiet de notre capacité, chaque fois que nous sommes en position de leader, à renoncer à nos industries, qui font à la fois la richesse et la fierté de notre pays.

Oui, je serai de ceux qui ne voteront pas cette disposition. Je m'exprime en nom propre, mais aussi, puisqu'elle m'a autorisé à le faire, au nom de la présidente de mon groupe, Valérie Rabault, qui connaît les mêmes difficultés d'éloignement géographique que Joël Aviragnet, Sylvia Pinel et d'autres députés. Je tenais à vous exposer, monsieur le ministre délégué, ce qui nous amène à considérer que cette mesure est contraire à l'intérêt du pays.

Enfin, à celles et ceux qui appartient au même camp que moi, je dis que la gauche ne gagnera jamais en prônant la décroissance. Cette idée est fausse. La décroissance, ce n'est pas la gauche. La décroissance, nous la connaissons depuis quinze ans : c'est du chômage, des générations sacrifiées, des difficultés sociales multiples.

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