Intervention de Jean François Mbaye

Réunion du mercredi 25 novembre 2020 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean François Mbaye, rapporteur au nom de la commission des affaires étrangères :

. Chers collègues, je voudrais adresser un soutien amical à notre présidente Marielle de Sarnez et saluer la présence de Marc Le Fur, rapporteur pour avis, qui témoigne de l'importance qu'attachent à ce texte notre assemblée, la commission des affaires des étrangères et la commission des finances.

La commission des affaires étrangères est saisie au fond pour autoriser l'approbation de l'accord monétaire entre la France et les pays de l'UMOA, au nombre de huit : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Ces pays ont en partage une monnaie, le franc CFA qui, demain, sera l'ECO. C'est tout l'objet de cet accord qui vient modifier le précédent qui date de 1973.

J'énoncerai en premier lieu un postulat de base. Le franc CFA est une affaire ouest-africaine qui concerne uniquement les habitants de la sous-région. C'est un attribut de leur souveraineté et un élément essentiel de leur modèle économique.

Une fois dit cela, je me dois d'ajouter qu'en raison de l'histoire, de la géographie et des relations multiformes qui unissent notre pays aux nations de l'Afrique de l'Ouest, nous ne pouvons pas rester indifférents ici à ce qui se passe là-bas. C'est la raison pour laquelle nous demeurons, en accord avec eux, associés à la gestion de leur monnaie.

Je ferai maintenant un peu d'histoire. Ces huit pays ont en partage le franc CFA, dit XOF, différent du franc CFEA, dit XAF, la devise des États d'Afrique centrale comme le Cameroun, le Gabon ou le Tchad. Cette monnaie, franc de la communauté financière africaine, est héritière du franc colonies françaises d'Afrique. Les initiales sont les mêmes et il est inutile de préciser que la charge symbolique du nom est immense et alimente tous les procès en néocolonialisme. Ne serait-ce que pour cette raison et après bien des débats et des polémiques, principalement en Afrique de l'Ouest, cette réforme monétaire est indispensable, la page doit être tournée.

Le franc CFA XOF est une monnaie partagée par huit pays et arrimée depuis 1945, par un taux de change fixe, au franc français puis à l'euro. Depuis la dévaluation de 1994, un franc français valait cent francs CFA, un euro équivaut à ce jour à 655,95 francs CFA.

Cette parité fixe offre l'avantage d'éviter l'inflation et de préserver le pouvoir d'achat des ménages ainsi que leur épargne. Elle a le mérite de maintenir la stabilité monétaire et d'éviter les risques de change, notamment pour les investisseurs qui bénéficient des mêmes avantages que dans la zone euro. Elle présente cependant l'inconvénient de faire évoluer des pays à faible revenu avec une monnaie trop forte. Pour maintenir la parité, la Banque centrale pratique des taux d'intérêt très élevés. À l'occasion de mon déplacement au Sénégal, il m'a été rappelé que les taux d'intérêt pratiqués par les banques commerciales pouvaient atteindre 15 à 20 %. La monnaie est un choix en faveur du consommateur et au détriment de l'investisseur et peut être perçue comme une rente pour les plus aisés. Cela dit, c'est un choix politique qui ne nous appartient pas – il convient de le souligner.

Par ailleurs, ce qui fait la force d'une monnaie réside dans la confiance que peuvent avoir en elle les agents économiques. C'est d'ailleurs à ce niveau qu'intervient la France, qui est garante sur son budget du franc CFA. Si les réserves de change venaient à être insuffisantes dans un des pays de la zone et que les importations en devises ne pouvaient plus être honorées, la France s'est engagée, en vertu de l'accord de 1973, à apporter les sommes nécessaires, désormais en euro. Aussi, les transferts de devises sont libres, dans la mesure où il n'y a pas de risque de fuite des capitaux, et la convertibilité du franc CFA est assurée.

Pour permettre à la France de piloter son risque, les accords monétaires prévoient une centralisation des réserves de change. La Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest a ainsi obligation de déposer 50 % de ses réserves sur un compte ouvert auprès du Trésor français. De même, la France a un représentant au sein des instances dirigeantes de cette même BCEAO. C'est une prérogative du garant et non une ingérence dans les affaires intérieures d'États souverains. En effet, contrairement à plusieurs rumeurs véhiculées, notamment à travers les réseaux sociaux, les dépôts de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest sont rémunérés à hauteur de 0,75 %, soit un taux supérieur aux taux actuels et le représentant français n'a aucun droit de veto au comité de politique monétaire. Il fallait toutefois sortir de ce schéma, la situation de 2020 n'étant plus celle de 1973.

L'accord d'Abidjan du 21 décembre 2019, signé entre les Présidents français, Emmanuel Macron, et ivoirien, Alassane Ouattara, en tant que président en exercice de l'UMOA, dont nous sommes saisis, modifie trois éléments : le nom ; le franc CFA devient l'ECO. Ensuite, il met fin à la centralisation. La Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest pourra désormais retirer l'ensemble des réserves et les placer là où elle le souhaitera. Le compte d'opérations ouvert au Trésor français sera clôturé au plus tard le 31 décembre 2020. Enfin, la place de la France évolue. Il n'y aura plus de représentant français au sein des instances monétaires ouest-africaines, si ce n'est ponctuellement dans le cas où la garantie de la France viendrait à être appelée.

Le reste de l'architecture monétaire demeure inchangé, à savoir la parité avec l'euro, la convertibilité et la libre transférabilité.

Est-ce pour autant la fin de l'histoire ? Certainement pas. Cependant, la suite se joue au sein de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Cette organisation est la plus aboutie d'Afrique et a pour objet de favoriser l'intégration la plus poussée possible entre ses membres. La CEDEAO comprend, outre les huit pays qui ont en partage l'actuel franc CFA, le Cap Vert, la Gambie, la Guinée, le Liberia, la Sierra Leone et surtout le Ghana et le Nigeria.

La CEDEAO mène une réflexion sur la monnaie. Avant la crise du covid, elle avait d'ailleurs pour ambition de mettre en place en 2020 sa propre monnaie unique, l'ECO, que nous appellerons ici l'ECO CEDEAO pour ne pas le confondre avec l'ECO UMOA, institué par le présent accord.

Lors de mon déplacement au Sénégal, j'ai pu mesurer l'appréciation des quatorze autres pays et singulièrement des huit pays de l'UMOA à l'égard du géant nigérian. Avec ses 200 millions d'habitants, ce pays représente à lui seul 60 % de la population de la zone et 66 % du PIB grâce à sa manne pétrolière. Une monnaie unique ECO CEDEAO risque fort de n'être qu'un avatar du naira, l'actuelle devise nigériane, d'autant que ce pays plaide pour le désarrimage de la monnaie à l'euro au profit d'un panier de monnaies susceptible de comprendre du dollar, du yuan chinois et de la livre britannique.

Dans ce cas de figure, les risques d'instabilité monétaire sont grands, notamment dans les pays à l'insécurité forte comme le Mali ou le Burkina Faso. Même dans les moments de crise les plus aigus – coup d'État ou guerre civile –, les populations ont pu continuer à faire leurs courses grâce à une monnaie qui ne s'est pas effondrée. Le spectre d'une hyperinflation dollarisée, d'une fuite de la population devant la monnaie locale et de la recherche effrénée de dollars, comme le montre la situation libanaise, n'est pas à exclure en cas de précipitation. Tout le monde en Afrique de l'Ouest en est conscient.

C'est la raison pour laquelle nos interlocuteurs m'ont fait part de leur volonté de bien préparer leur future monnaie unique, tout en insistant sur plusieurs préalables. Tout d'abord, une plus grande intégration sous-régionale, de l'ordre de 15 % actuellement contre 60 % dans l'Union européenne. En effet, le partage d'une même monnaie perd beaucoup de son intérêt si le commerce intra-zones demeure marginal. Ensuite, une plus grande convergence des économies par le développement d'une industrie de transformation des matières premières. Si les économies importatrices et vivant de transferts de diasporas et du tourisme, comme celle du Sénégal, se satisfont d'une monnaie forte, les économies exportatrices commerciales, notamment de matières premières, telle celle de la Côte d'Ivoire avec le cacao, ont besoin d'une monnaie plus faible pour rester compétitives. La convergence est donc un préalable si nous voulons éviter de reproduire l'exemple grec en Afrique de l'Ouest. Enfin, nos interlocuteurs ont insisté sur des critères macro-économiques à respecter par tous portant sur l'inflation, le déficit public et la dette.

Lors du Sommet de Niamey, les chefs d'État et de Gouvernement de la CEDEAO ont décidé de repousser l'avènement de l'ECO en raison des dérapages budgétaires dus à la crise sanitaire. Ce temps pourrait être mis à profit pour trancher diverses questions essentielles – le régime de change fixe ou flottant avec les avantages et les inconvénients des deux régimes, l'arrimage à un panier de monnaies, les critères de ciblage de l'inflation, le mandat et le siège de la Banque centrale, la fin de la garantie française dès lors que notre pays ne peut prendre le risque de garantir une monnaie partagée par 350 millions de personnes et arrimée à des devises étrangères. Je le répète, il s'agit là de choix politiques lourds, que je détaille dans le rapport, et qui sont de la seule responsabilité des États concernés. Il paraît toutefois essentiel que toute réforme soit précédée de débats approfondis avec les opinions publiques et que les parlements ouest-africains s'en saisissent et ne renvoient pas cette question à un simple tête-à-tête entre leurs chefs d'État et la France. Les outils de concertation existent, notamment au sein de l'Union monétaire ouest-africaine. D'autres seront probablement à créer pour réfléchir à ces questions essentielles.

Mon dernier point tracera le rôle de notre pays. La France prend ses responsabilités comme l'a affirmé à plusieurs reprises le Président de la République, notamment à Ouagadougou dès 2017. Elle accompagnera, autant que nécessaire, par sa garantie, la stabilité monétaire ouest-africaine, mais elle ne prendra pas une responsabilité qui n'est pas la sienne. Elle prendra, de ce fait, acte d'un désarrimage dès que celui-ci sera décidé par les principaux pays concernés. Nous nous tenons prêts à travailler avec la CEDEAO à quinze membres qui partageront une monnaie unique, y compris avec les pays anglophones que sont le Nigeria et le Ghana. Le Président de la République l'a répété de manière forte lors de son déplacement à Lagos et à Abuja en juillet 2018.

En définitive, cet accord distend le lien entre la France et l'Afrique de l'Ouest en matière monétaire sans le couper à ce stade. Libre aux principaux intéressés d'en faire la demande au moment voulu.

Ces explications vous étant livrées, je vous invite à approuver cet accord du 21 décembre 2019.

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