Ces propos sont à la hauteur des enjeux qui sont devant nous. Cela fait trois ans, et j'en remercie la commission, que je suis ces questions de diplomatie environnementale et mes rapports ont déjà pu se montrer alarmants.
La commission des affaires étrangères doit à nouveau se prononcer pour avis sur les crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables. Je tiens à saluer leur augmentation en 2022, qui permettra à la France de soutenir une croissance verte et de renforcer ses actions en faveur de la protection de l'environnement.
Les écosystèmes ne connaissent pas les frontières, et leur préservation implique nécessairement des coopérations régionales et internationales. Afin de pouvoir porter un tel message sur la scène internationale, la France doit conduire au niveau national une politique environnementale ambitieuse et exemplaire. J'estime que le présent budget lui en donne pleinement les moyens et j'invite dès à présent la commission à émettre, à l'issue de nos échanges, un avis favorable à son adoption.
L'examen du budget constitue par ailleurs l'occasion d'examiner, chaque année, les instruments, objectifs et modalités de la diplomatie environnementale. J'ai choisi cette année de consacrer la partie thématique de mes travaux aux défis de la préservation des écosystèmes marins.
La protection de l'océan mondial est au cœur des travaux de notre commission depuis le début de la législature, comme l'attestent les précédents travaux de mes collègues. Je pense notamment à trois rapports d'information : Mers et océans : quelle stratégie pour la France ? de Jean-Luc Mélenchon et Joachim Son-Forget, La pollution des mers de Ramlati Ali et Nicolas Dupont-Aignan, ou encore La problématique des pôles : Arctique et Antarctique d'Éric Girardin et Meyer Habib.
J'ai souhaité pour ma part focaliser mon avis budgétaire sur un outil en particulier, les aires marines protégées (AMP), et une zone géographique spécifique, la mer Méditerranée.
Les aires marines protégées ne sont qu'une facette de la protection des océans mais constituent, à mes yeux, la clé de voûte de toute stratégie de conservation des écosystèmes marins.
Pour l'UICN, une aire marine protégée correspond à « un espace géographique clairement défini, reconnu, spécialisé et géré par des moyens légaux ou d'autres moyens efficaces, visant à assurer la conservation à long terme de la nature, des services écosystémiques et des valeurs culturelles qui y sont associés ». Les aires marines protégées peuvent permettre « une utilisation modérée des ressources naturelles », mais « non industrielle et compatible avec la conservation de la nature ».
Les aires marines protégées provoquent bien sûr des effets écologiques positifs, puisqu'elles permettent à la biodiversité marine de se régénérer. Cela se traduit notamment par une reconstitution de la richesse biologique locale et par une augmentation de la population de poissons et de leur taille.
Par ailleurs, grâce aux effets de débordement qu'elles suscitent, les AMP produisent des retombées positives au sein des zones avoisinantes dans des domaines aussi bien sociaux qu'économiques et culturels. Les plus efficaces engendrent, en trois ou quatre ans seulement, une augmentation des stocks halieutiques, au bénéfice des pêcheurs locaux. Elles ont également une influence positive sur les activités de tourisme durable, où se créent revenus et emplois supplémentaires. Du fait d'une meilleure compréhension des espaces marins dans leur globalité, elles permettent aussi d'améliorer les outils de gouvernance dédiés. Elles se révèlent ainsi bénéfiques pour la nature comme pour les populations riveraines.
Mais pour entraîner de tels bénéfices, les AMP doivent répondre à certaines conditions, que toutes ne remplissent pas. En effet, le concept de « protection » des aires marines peut revêtir maintes significations : c'est hélas devenu un terme fourre-tout qui recouvre des niveaux de protection très différents selon les pays, ce qui a par ailleurs pour effet de masquer ce qui se passe réellement en mer.
Ainsi, certaines aires marines protégées ne permettent aucune extraction, tandis que d'autres autorisent presque tous les types de prélèvement, comme l'exploitation minière ou le chalutage. Certaines disposent de plans de gestion actifs tandis que d'autres ne sont que déclarées : elles n'existent que sur le papier. À l'échelle du globe, cette situation peut conduire à de fausses attentes quant à leur efficacité. L'élan mondial en faveur de la protection des mers et des océans doit selon moi s'accompagner d'un langage commun, fondé sur des données scientifiques et permettant de mieux appréhender, de mieux suivre et de mieux comparer les résultats obtenus pour la biodiversité et le bien-être humain.
Pour cette raison, la classification des aires marines protégées doit se fonder sur les réglementations auxquelles elles sont soumises et non, comme c'est souvent le cas, sur leurs seuls objectifs déclarés. Une telle classification, basée sur les activités autorisées, a été intégrée au Guide des aires marines protégées endossé par le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE).
Je tiens à souligner que les bénéfices, écologiques comme socio-économiques, des aires marines protégées sont directement corrélés au niveau de protection qu'elles assurent. Les scientifiques observent un grand écart qualitatif entre les aires. C'est pourquoi il apparaît essentiel de les classer en fonction du niveau de protection.
L'instauration d'une aire marine protégée rencontre de manière quasi systématique une résistance de la part des usagers de la mer. De façon générale, les communautés locales et les populations autochtones manifestent des inquiétudes. Plus spécifiquement, les pêcheurs et les professionnels du tourisme expriment des craintes pour leurs activités. J'insiste sur le fait que les aires marines protégées n'ont pas vocation à mettre la nature sous cloche : elles permettent au contraire aux milieux marins de continuer à fournir des services écosystémiques au profit du plus grand nombre.
Les aires marines à protection haute ou intégrale engendrent d'importants effets positifs sur les réserves de pêche. Les moins restrictives ont peu de répercussions positives sur la biodiversité et ne produisent in fine que très peu, ou pas d'effets socio-économiques. Par ailleurs, si elles n'engendrent aucun bienfait pour la nature, elles ont pour effet négatif de renforcer la défiance des usagers de la mer à l'encontre des aires marines protégées, dont ils ne peuvent pas percevoir les avantages.
Il me paraît donc nécessaire de mieux communiquer sur les effets positifs des aires marines les plus protégées, afin de créer une dynamique en leur faveur. Certains acteurs, comme le gestionnaire d'AMP en Méditerranée MedPan, ont organisé, à l'échelle régionale et internationale, des échanges et des retours d'expérience qui sont d'une grande utilité. Il paraît primordial de favoriser ce dialogue entre acteurs de terrain en vue d'apaiser les craintes et de convaincre de la pertinence de ces zones protégées au bénéfice de tous.
De mon point de vue, une telle responsabilité nous incombe. Nous devons jouer un rôle d'intermédiaires entre les usagers de la mer et les scientifiques pour favoriser les instruments de conservation les plus pertinents et efficaces, tant pour la nature et le vivant que pour les populations locales. Le travail qui reste à faire pour mieux préserver l'océan mondial demeure colossal. La situation en mer Méditerranée l'atteste.
La mer Méditerranée, qui est au cœur de relations géopolitiques et culturelles importantes et qui est un lieu d'échanges économiques décisifs, se trouve exposée à de nombreuses menaces : surexploitation des ressources halieutiques, intensification du transport maritime, avec de fortes perturbations sonores et lumineuses, destruction des habitats causée par les activités d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures en mer, prolifération d'espèces exotiques envahissantes, pollution plastique, rejet des déchets… La liste n'est pas exhaustive.
Or la Méditerranée se caractérise par une protection très disparate de ses écosystèmes marins. Les aires protégées sont en théorie nombreuses et représentent environ 6 % des eaux. À première vue, cela paraît très satisfaisant. Mais à y regarder de plus près, ces zones offrent des niveaux de protection très inégaux, et seule une infime part des eaux de la Méditerranée est réellement protégée.
D'abord, une partie des aires déclarées ne connaissent aucun plan de gestion et aucune régulation. Si l'on ne tient pas compte de ces « aires de papier », l'étendue des eaux protégées en Méditerranée s'établit aux environs de 4 %.
Ensuite, la très grande majorité des aires marines protégées en Méditerranée sont des aires de concertation avec les usagers de la mer, sans réglementation contraignante. On en trouve beaucoup sur le littoral français. Ces aires, qui disposent de fonds, permettent de sensibiliser le public, mais elles ne présentent aucune efficacité écologique et n'engendrent aucun bénéfice socio-économique. Si l'on n'en tient plus compte, l'étendue des eaux protégées en Méditerranée chute à 0,3 %.
Les aires hautement ou intégralement protégées ne représentent que 0,23 % de la Méditerranée. Celles intégralement protégées, qui offrent le plus de bénéfices, ne représentent que 0,06 % du total des eaux.
Les pays riverains ont élaboré des stratégies différentes en matière de protection. Une telle situation conduit parfois à des incohérences qui nuisent à la protection effective des écosystèmes marins.
Pour l'ensemble de ces raisons, un renforcement des actions de coopération en mer Méditerranée me paraît indispensable. Il faut un dialogue et une coordination entre tous les pays riverains pour améliorer la cohérence et l'efficacité des stratégies de conservation des écosystèmes de notre mare nostrum. Nous devons travailler au développement concerté des aires marines protégées, à l'harmonisation des réglementations et à la coordination des moyens de surveillance dans la région.
La France a indéniablement un rôle à jouer sur ces questions, puisqu'elle dispose du deuxième domaine maritime mondial après celui des États-Unis, avec 10,2 millions de kilomètres carrés répartis sur tous les océans.
Une telle situation constitue un avantage mais implique aussi une énorme responsabilité. Notre pays doit impérativement donner l'exemple en matière de protection des écosystèmes marins, à l'échelle nationale, régionale et internationale.
La France se montre mobilisée, comme le prouve son engagement à l'occasion du dernier Congrès mondial de la nature de l'UICN, qui s'est tenu à Marseille en septembre 2021, mais aussi dans le cadre de négociations sur la protection de la haute mer, que j'estime de première importance.
Mais la France peut mieux faire. Elle le doit. Dans le domaine des aires marines protégées, il lui faut notamment renoncer à son approche spécifique en matière de classification, qui l'isole et rend sa stratégie difficilement lisible. Nous devons nous conformer aux critères énoncés par le Guide des aires marines protégées et aux préconisations de l'UICN – bref, adopter le langage scientifique commun que j'évoquais.
Car si la France a voulu, ces dernières décennies, une rapide augmentation de ses aires marines protégées, avec 31,8 % de ses eaux désormais classées, le niveau effectif de protection demeure très insatisfaisant. Moins de 1,7 % des eaux bénéficient d'une protection haute ou intégrale, les seules à offrir de véritables bénéfices écologiques et socio-économiques. Et 97,4 % de ces eaux hautement ou intégralement protégées sont concentrées dans les Terres australes et antarctiques françaises et en Nouvelle-Calédonie.
Nous avons fait le choix de la couverture géographique. Il nous faut maintenant monter en gamme, dans l'optique d'un renforcement qualitatif de la protection des milieux marins. La France, qui sait faire preuve dans les instances internationales de courage en faveur des océans, doit à mes yeux œuvrer dans cette direction afin de demeurer crédible et d'apparaître comme une nation chef de file pour la préservation des mers et des océans.