Nous poursuivons notre cycle géostratégique en nous intéressant aujourd'hui à la zone indopacifique.
Lors de son discours à la Conférence des ambassadeurs du 27 août 2018, le Président de la République a insisté sur l'importance qu'il convient d'accorder à l'axe indopacifique. Il a déclaré : « Nous sommes une puissance indopacifique avec plus de 8 000 hommes dans la région et plus d'un million de nos concitoyens. Nous devons en tirer toutes les conséquences et je souhaite que vous puissiez décliner cet axe de l'océan Indien à l'océan Pacifique, en passant par l'Asie du Sud-Est, de manière résolue, ambitieuse et précise. »
Si cette partie du monde est si importante pour la France, c'est d'abord parce qu'elle y est présente et parce qu'elle a une coopération militaire et de sécurité avec l'Inde et l'Australie, mais aussi avec d'autres pays, comme la Malaisie. Plus globalement, ces enjeux ont une triple dimension : économique, compte tenu de la place croissante de cette zone dans le commerce mondial, politique et militaire, avec la présence du terrorisme islamique, les questions liées à la souveraineté des États et la protection des voies d'échange. La ministre des armées Florence Parly, dans le discours qu'elle a prononcé en juin 2019 dans le cadre du Shangri-La Dialogue, a estimé qu'il n'y avait pas besoin d'un nouveau Kissinger pour constater que cette région était en train de redevenir un espace de confrontation mondiale.
Pour nous aider à comprendre les risques de conflictualité et les enjeux stratégiques liés à cette zone, nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui deux officiers : le colonel Michel de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), qui interviendra notamment sur la mer de Chine méridionale et l'Afghanistan, et le capitaine de vaisseau Pascal de l'état-major des armées, qui analysera plus spécifiquement les relations entre l'Inde et son voisinage.
En mer de Chine méridionale, la militarisation des archipels par la Chine se fait au détriment du droit international, puisqu'elle remet en cause le principe de liberté de navigation maritime et aérienne. Les incidents entre les navires chinois et ceux des pays d'Asie du Sud-Est font régulièrement craindre une dangereuse escalade des tensions dans cet espace maritime crucial pour le commerce international. L'Inde, pour sa part, est en passe de devenir une puissance politique, économique et militaire de premier plan. La rencontre du président Macron avec le Premier ministre indien Narendra Modi en mars 2018 illustre la volonté de la France de nouer des relations fortes avec ce pays, qui est déjà l'un de nos partenaires stratégiques depuis 1998. Ce grand pays entretient des relations compliquées avec ses voisins, en particulier avec la Chine et le Pakistan, tous trois ayant en commun la possession de l'arme nucléaire.
Les litiges frontaliers sino-indiens sont fréquents et graves – chacun se rappelle les incidents survenus sur le plateau du Doklam à l'été 2017. Ces face-à-face périodiques ne sont que les signaux faibles de la compétition stratégique plus large que se livrent les deux États les plus peuplés de la planète. La perception indienne d'un encerclement stratégique par la Chine pourrait aggraver ces tensions, déjà importantes.
Quant aux relations entre le Pakistan et l'Inde, elles sont conflictuelles depuis la création de ces deux États en 1947. Le symbole de cette confrontation est la région du Cachemire, que se disputent l'Inde, le Pakistan et la Chine.
En Afghanistan, l'État reste fragile et peine à rétablir l'ordre dans un pays en proie au terrorisme islamiste et aux trafics en tous genres, les deux menaces s'alimentant mutuellement. La situation est loin d'être stabilisée, puisque la guerre et le terrorisme déciment la population, brisent la jeunesse – 41 % des victimes civiles sont des femmes et des enfants – et minent la stabilité du régime. C'est l'un des pays où les puissances régionales – la Russie, la Chine, l'Inde, le Pakistan, l'Iran et les pays du Golfe – continuent leur compétition d'influence, notamment dans un contexte de réduction de l'influence américaine. C'est aussi l'avenir de l'OTAN comme puissance d'intervention qui se joue en partie ici. L'enjeu est donc autant régional qu'international. La porosité de la frontière entre l'Afghanistan et le Pakistan, qui permet aux terroristes de se réfugier dans l'un ou l'autre de ces pays, contribue dans les faits à alimenter l'insécurité et l'instabilité de cette zone.
D'une manière générale, la région indopacifique est devenue une cible de choix pour les groupes djihadistes. L'attentat survenu au Sri Lanka en avril 2019, qui a tué 253 personnes, nous a rappelé le risque d'une contagion djihadiste dans la région : ce risque ne doit être ni négligé, ni minimisé. Je passe à présent la parole à nos deux intervenants, pour qu'ils nous exposent leur vision et leur analyse de la situation régionale.