Je suis très heureux de vous présenter aujourd'hui mon avis budgétaire sur le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2021. Comme vous le savez, celui-ci a pour rôles de préparer l'avenir, de soutenir l'effort d'innovation de la France et de contribuer au développement de la base industrielle et technologique de défense (BITD).
Renseigner sur l'environnement présent et futur, préparer les systèmes d'armes de demain et les protections face aux armes adverses, identifier les mutations géostratégiques, contribuer au maintien d'une recherche et d'une industrie de défense au meilleur niveau, former des ingénieurs, tels sont les objectifs poursuivis par ce programme.
Pour la troisième année consécutive, et en conformité totale avec la programmation inscrite dans la loi de programmation (LPM) 2019-2025, les crédits du programme 144 sont en augmentation dans le projet de loi de finances pour 2021, ce dont je me félicite.
Eu égard aux objectifs du programme et à la survenance de la crise de la covid-19 en 2020, j'ai choisi de consacrer la partie thématique de mon rapport à la prospective stratégique. Face aux accusations d'impréparation des pouvoirs publics et de manque d'anticipation, j'ai estimé qu'il était indispensable de dresser un état des lieux de la prospective, d'évaluer la qualité des travaux produits dans ce domaine et de formuler des préconisations pour les améliorer.
J'ai également souhaité, dans une moindre mesure, consacrer une partie de mon rapport aux études amont, qui constituent le cœur du programme 144 sur le plan budgétaire.
Commençons par les enjeux proprement budgétaires. Le budget du programme 144 voit ses crédits augmenter de manière substantielle, d'environ 1,3 milliard d'euros en autorisations d'engagements et de 137 millions d'euros en crédits de paiement, soit une hausse respective de 76 % et de 9 %, le portant à environ 3,1 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 1,7 milliard d'euros en crédits de paiement. Fort heureusement, la crise de la covid-19 n'a pas eu d'impact significatif sur le programme, si ce n'est, dans une relative mesure, pour l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) et pour l'École polytechnique, dont je parlerai un peu plus tard.
Le programme 144 comprend trois actions : l'action 07 « Prospective de défense », l'action 03 « Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France », qui rassemble les crédits de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et ceux de la Direction du Renseignement et de la Sécurité de la Défense (DRSD), et l'action 08 « Relations internationales et diplomatie de défense », dont la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) est en charge.
Dotée de 1,5 milliard d'euros en autorisations d'engagement et de 1,2 milliard d'euros en crédits de paiement, l'action 07 « Prospective de défense » enregistre la plus forte revalorisation des crédits de l'ensemble du programme, après celle au profit de la DGSE. La plus grande part revient, sans surprise, à la sous-action 07.03 « Études amont ».
Au sujet de cette action, je souhaiterais plus particulièrement appeler votre attention sur la situation financière de l'École polytechnique et de l'ONERA.
Dans son rapport public annuel 2020, la Cour des comptes a dressé un réquisitoire sévère contre la gestion de l'École polytechnique en estimant que cette dernière n'est « pas à la hauteur des ambitions de l'École ». La Cour s'interroge également sur l'opportunité de la création de l'Institut polytechnique de Paris ainsi que sur « les implications coûteuses du choix de quitter [le pôle scientifique et technologique] Paris-Saclay ». Un plan de redressement financier est néanmoins en cours d'élaboration suite à ce rapport : je prêterai donc une attention particulière à l'évolution de la situation financière de l'École et de l'Institut polytechnique de Paris au cours de l'année 2021.
L'ONERA, outre les difficultés de recrutement et de fidélisation des ressources humaines auxquels il est toujours confronté, mérite également de faire l'objet d'une attention particulière. Si son activité contractuelle est en hausse depuis 2017, celle-ci a été ralentie en 2020 par la crise de la covid-19.
À titre personnel, je plaide pour qu'une solution soit rapidement trouvée à sa situation et compte sur la pleine considération de ses difficultés dans le futur contrat d'objectifs et de performances (COP) 2022-2026, qui doit succéder à l'actuel, qui s'achève en 2021.
L'action 03 « Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France », qui regroupe les crédits de la DGSE et de la DRSD, enregistre une très forte hausse, de 290 % en autorisations d'engagement par rapport à l'an dernier, soit 1,5 milliard d'euros, et de 11,4 % en crédits de paiement, soit 406 millions d'euros. La DGSE en est la grande bénéficiaire, ce qui lui permettra de poursuivre ses actions en conformité avec sa stratégie définie dans la LPM, ce dont je me félicite.
Enfin, l'action 08 « Relations internationales et diplomatie de défense » voit également ses ressources augmenter par rapport à l'an dernier, puisqu'elles s'élèvent à 40,3 millions d'euros en autorisations d'engagement et à 40,7 millions d'euros en crédits de paiement, soit des hausses respectives de 1 % et de 1,7 % par rapport à l'an dernier.
J'en viens désormais au thème de la prospective. Avant de vous présenter les conclusions de mes travaux, une précision d'ordre méthodologique : j'ai délibérément choisi de circonscrire l'acception de la notion de prospective en me concentrant sur la prospective dans les domaines géostratégique et géopolitique ; je n'ai donc pas étudié la prospective sous l'angle technologique ou capacitaire.
La première conclusion de mon travail a trait à l'opportunité ou non pour les services de l'État de publier des études de prospective.
Contrairement à ce qu'on pourrait penser de prime abord, en France, à part quelques études produites par des think tanks ou par des instituts comme l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM), en collaboration ou non avec des services de l'État, et, dans une certaine mesure, la première partie de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017, aucune étude publique de prospective n'est éditée ; à l'exception notable du rapport Chocs Futurs du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), publié en 2017 et qui se proposait d'évaluer l'impact des transformations et ruptures technologiques sur l'environnement stratégique et de sécurité de la France.
Or, tout en ayant conscience des difficultés liées à la publication de travaux de prospective, ceux-ci pouvant être ipso facto lus par des compétiteurs qui disposeront alors d'avantages tactiques, un équilibre pourrait à mon sens être trouvé entre, d'une part, la contrainte de la publicité, qui réduit inévitablement la profondeur, l'exhaustivité et la complétude des analyses prospectives, et d'autre part la nécessité de publier des études scientifiques sur les risques auxquels l'État, et en particulier le ministère des Armées, peut être confronté à l'avenir afin d'enrichir le débat public.
La deuxième conclusion a trait au rapport du ministère des Armées aux méthodes innovantes en matière de prospective. La question des biais cognitifs revêt une importance capitale en matière de prospective de défense. Ceux-ci sont de deux ordres : la tendance à analyser les événements sous un angle de plus en plus pessimiste et l'absence d'estimation des probabilités de survenance des risques évoqués.
Afin de remédier à ces biais, des méthodes innovantes en matière de prospective ont été inventées. Si leurs résultats s'avèrent plus ou moins probants, elles méritent d'être davantage explorées. Si les algorithmes prédictifs doivent faire l'objet d'un examen prudent, les marchés prédictifs et l'intelligence collective d'une part, et les techniques d'investigation en source ouverte d'autre part, sont autant de techniques qui devraient être étudiées avec plus d'attention par les services du ministère des Armées.
Ma troisième conclusion a trait à la capacité des centres de recherche français à mener des travaux de prospective. Les chercheurs français font l'objet d'un soutien important par la DGRIS, en particulier par le biais du Club Phoenix, dont les résultats semblent prometteurs à ce stade, afin de les aider notamment à s'insérer sur le marché du travail. Cet effort d'accompagnement gagnerait cependant à être amplifié.
Par ailleurs, les procédures de passation des études prospectives et stratégiques de la DGRIS sont particulièrement lourdes : leur simplification devrait, de mon point de vue, être recherchée.
Ma quatrième conclusion a trait au rapprochement nécessaire des services ministériels et de nos centres de recherche avec les acteurs européens de la prospective. Les centres de recherche français devraient s'inspirer de leurs méthodes de travail souvent bien plus ouvertes aux techniques innovantes, et, dans la mesure du possible, mutualiser les méthodes, les moyens et les expériences avec les centres de recherche et les services étatiques des autres États membres de l'Union européenne.
Enfin, et c'est là ma dernière conclusion sur la prospective, la question cardinale qui demeure, in fine, en suspens est celle des difficultés relatives à la prise en compte de tous les risques dans les politiques de défense.
Si j'ai pleinement conscience du caractère difficile de l'exercice, de mon point de vue, l'erreur n'a pas tellement été la sous-estimation du risque pandémique, clairement identifié dans la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017, mais la sous-estimation des risques qui ne sont pas déjà advenus. Ainsi, de ce point de vue et pour le futur, il me semble indispensable de ne pas se focaliser exclusivement sur le risque pandémique à cause de la crise de la covid-19, au détriment des autres risques et menaces, et en particulier de la menace cyber.
Par ailleurs, afin d'aider les décideurs, et tout en étant conscient de la difficulté de l'exercice, j'estime que les risques évoqués dans les divers travaux de prospective devraient être à tout le moins hiérarchisés, à défaut de pouvoir être quantifiés, et assortis de solutions de politiques publiques concrètes pour y remédier afin d'aider à la prise de décision.
Enfin, il me semble indispensable que les prévisions inclues dans les travaux de prospective soient soumis à des stress tests et fassent l'objet d'un examen régulier a posteriori pour vérifier leur survenance ou non, et, le cas échéant, les corriger.
Ces risques devraient également se traduire par la menée d'exercices d'entraînement à l'échelle interministérielle et avec la participation de tous les acteurs publics et privés susceptibles d'être impactés par lesdits risques.
J'en viens, pour conclure, aux études amont. La progression constante de leurs crédits jusqu'au montant cible de 1 milliard d'euros en 2022, ainsi que le prévoit la LPM, est respectée, puisque ceux-ci s'élèvent à 1,2 milliard d'euros en autorisations d'engagement et à 901 millions d'euros en crédits de paiement, ce dont je me félicite. Je salue à cet égard le doublement du fonds Definvest ainsi que la création du fonds Definnov.
Si je formule quelques préconisations en vue d'améliorer la cohérence et la lisibilité de la répartition des études amont dans mon rapport, j'aimerais appeler votre attention sur un impératif : l'intégration de critères environnementaux dans l'élaboration des systèmes d'armes dans le cadre des études amont – bien que je sois conscient des difficultés que pose leur prise en compte.
Tel est, mes chers collègues, le bilan des travaux que j'ai menés au titre de ma mission de rapporteur pour avis sur les crédits du programme 144 sur lesquels j'émets un avis favorable.