Intervention de André Chassaigne

Réunion du mercredi 14 avril 2021 à 14h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Pendant longtemps les blessures psychiques ont été minorées par l'institution militaire, soit parce qu'elle fermait les yeux, soit parce que les victimes refusaient d'en parler, soit enfin parce qu'il était très difficile de définir une blessure psychique. Aujourd'hui, il est dit que la blessure psychique résulte souvent d'un événement hors du commun, confrontant directement le sujet à la mort. Elle se manifeste au travers de différents symptômes constitutifs d'un trouble de stress post-traumatique.

J'ai en tête les échanges avec des anciens d'Algérie, qui m'avaient beaucoup bousculé. Quand ils sont rentrés de ce conflit qui ne portait pas encore le nom de guerre, ils n'en parlaient jamais, y compris dans leurs familles, contrairement à ce qui s'était passé lors des précédents conflits. Lorsqu'un ami m'a fait part des expériences qu'il avait vécues, j'ai compris à quel point il était marqué, 40 ans après.

Depuis 2011, les pouvoirs publics ont manifesté leur volonté de mieux prendre en compte les blessures psychiques. Le ministère de la défense a mis en œuvre des plans d'action sur le sujet, je tenais à le rappeler. En 2013 le numéro vert « Écoute défense » a été créé. Fonctionnant en permanence, il a été ouvert aux familles de militaires en situation de harcèlement. Entre 2010 et 2019, le SSA a recensé 2 800 cas de militaires atteints de blessures psychiques, liées à un événement traumatisant. La période de l'engagement en Afghanistan a augmenté considérablement le nombre de cas.

Le ministère de la défense a aussi fait des progrès notables en matière de reconnaissance de ces blessures. Un nouveau plan d'action ministériel 2019-2022 a été mis en place, avec trois axes prioritaires : le renforcement des actions de sensibilisation et de prévention en faveur des militaires et de leurs familles ; un effort pour une meilleure réhabilitation psychosociale des blessés psychiques ; la consolidation des dispositifs d'accompagnement vers l'emploi. En outre, depuis janvier, deux maisons expérimentales ont été ouvertes dans le cadre du dispositif ATHOS, l'une à Toulon et l'autre à Cambes, afin d'accompagner des militaires blessés psychiques vers une nouvelle vie.

La proposition de loi s'inscrit dans le sens d'une meilleure prise en compte des souffrances psychiques des militaires. Il est en effet impératif d'accompagner ce mouvement. De très nombreux travaux historiques ont montré l'importance des blessures psychiques subies silencieusement par les soldats du fait de la multiplication des opérations. Plus récemment, Pierre Lemaître a mis en évidence la question dans son magnifique roman Au revoir là-haut, prix Goncourt en 2013, en évoquant le désarroi psychologique et psychique des poilus à la fin de la première guerre mondiale.

Le taux d'agrément des blessures psychiques est en constante augmentation : il est passé de 87 % en 2007 à 93 % en 2020. Autrement dit, l'administration refuse l'agrément dans seulement 7 % des cas, soit parce que le taux d'invalidité est inférieur à 10 %, soit parce que le lien avec le service n'est pas établi. Se passer de la procédure administrative en s'en remettant à la seule décision médicale facilitera indéniablement la reconnaissance de la souffrance des militaires, tout en leur permettant de passer à une nouvelle étape dans le processus de guérison.

Le groupe GDR votera en faveur de cette proposition de loi, tout en s'interrogeant sur les modalités de fixation du taux d'invalidité, sur l'absence de contre-expertise et sur la reconnaissance du lien avec le service. Je sollicite le rapporteur à ce propos.

Pour conclure, la proposition de loi ne pourra suffire à elle seule. Comme le font remarquer nos collègues Anissa Khedher et Laurence Trastour-Isnart dans leur rapport d'information de 2019 sur le suivi des blessés, il convient de mettre l'accent sur la prévention des blessures psychiques et de s'assurer au moment du recrutement que la personnalité des postulants ne présente pas de caractéristiques rédhibitoires. Elles ont insisté à juste raison sur la nécessaire augmentation des moyens à accorder à la médecine des forces armées, laquelle dispose de seulement vingt et un psychologues, ce qui est très insuffisant.

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