La séance est ouverte à quatorze heures dix.
Mes chers collègues, nous examinons cet après-midi la proposition de loi n° 4016 de M. Bastien Lachaud et plusieurs de ses collègues pour une meilleure reconnaissance et un meilleur accompagnement des blessés psychiques de guerre, dont M. Bastien Lachaud est le rapporteur.
Cette proposition de loi sera examinée en séance publique le jeudi 6 mai, à l'occasion de la niche parlementaire réservée au groupe de La France insoumise.
Comme son titre l'indique, ce texte vise à supprimer les obstacles administratifs à la reconnaissance de la situation des blessés psychiques de guerre. Concrètement, elle vise à tirer toutes les conséquences de la présomption d'imputabilité au service des blessures psychiques, en conditionnant l'ouverture des droits à indemnisation et l'octroi de la médaille des blessés de guerre au seul diagnostic de la blessure, établi par le médecin du service de santé des armées.
Notre commission a abordé à plusieurs reprises cette question, trop longtemps ignorée. Ainsi, Mmes Anissa Khedher et Laurence Trastour-Isnart ont remis en septembre 2019 un rapport en conclusion des travaux d'une mission d'information sur le suivi des blessés. La proposition de loi de M. Lachaud fait d'ailleurs référence à ce rapport qui consacre une section aux blessures psychiques, dans laquelle est dressée la liste des progrès accomplis ces dernières années, en particulier le lancement d'un plan d'action ministériel 2019-2022. Les auteurs de ce rapport constatent cependant que la multiplication des initiatives ne permet pas de dissiper tous les malentendus.
Je remercie le rapporteur de nous offrir l'occasion de débattre à nouveau de ce sujet.
Au service de la nation, le militaire expose sa vie. Soumis au statut général des militaires, il s'engage avec un esprit de sacrifice qui mérite le respect et la considération de la Nation. « Ces Français que nous fûmes contraints de jeter dans la bataille, ils ont des droits sur nous », résuma ainsi Clemenceau le 20 novembre 1917 dans un discours de politique générale qui fit date.
Après le rapport de nos collègues Anissa Khedher et Laurence Trastour-Isnart de l'an dernier, qui faisait suite à un premier rapport d'Olivier Audibert Troin et Émilienne Poumirol sur la prise en charge des blessés, en 2014, je crois que nous sommes tous conscients, ici, de l'engagement indéfectible des forces armées pour soutenir leurs blessés. Entendons-nous bien, je ne remets aucunement cela en cause. Il me semble cependant que nous ne leur avons pas suffisamment simplifié la tâche.
Vous connaissez certainement de nombreux blessés, chacun, dans vos circonscriptions. Et vous avez certainement à l'esprit, comme moi, le récit de leurs souffrances, comme ce légionnaire chargé de distribuer des vêtements et de la nourriture tous les vendredis à des enfants de Sarajevo, qu'il a vus périr sous ses yeux dans l'explosion d'une bombe. Vous savez le parcours administratif semé d'embûches qu'ils ont parcouru.
L'exercice des droits à la réparation et à la reconnaissance consacrés par le statut général des militaires repose largement, en effet, sur leur capacité d'initiative. Blessé, le militaire doit être encore suffisamment en possession de ses moyens pour avoir les bons réflexes administratifs. Le guide du parcours du militaire blessé et de sa famille, édité en 2015, actualisé en 2018, en témoigne : le militaire doit rendre compte à son supérieur hiérarchique, il doit faire constater son état de santé, se procurer et conserver tous les documents utiles à l'examen futur des circonstances de sa blessure, et s'engager dans le long parcours de réparation et de reconnaissance.
Le militaire malade, ou blessé, a accès à d'utiles dispositifs d'aide tout au long de son parcours. Mais ceux-ci se ramifient en une kyrielle de sous-dispositifs conditionnés à tout un éventail de critères et de subtiles distinctions pour lesquelles la France semble parfois avoir un talent particulier. À cet égard, je vous renvoie à la comparaison avec le modèle des forces armées canadiennes, cité plusieurs fois dans l'excellent rapport de Mmes Khedher et Trastour-Isnart.
L'obtention d'une pension militaire d'invalidité repose sur de très nombreuses expertises : celle qui établit le diagnostic médical, celle qui permet d'évaluer le préjudice subi, la contre-expertise réalisée par l'administration en application d'un principe de contradictoire qui place d'emblée la procédure sous le signe du contentieux, voire du soupçon, plutôt que de la bienveillance et du soutien. Les expertises doivent être renouvelées si l'état de santé du militaire évolue. À ces expertises s'ajoutent celles requises pour l'indemnisation complémentaire, dite Brugnot, du nom d'une jurisprudence favorable du Conseil d'État, indemnisant des préjudices non fonctionnels comme le préjudice esthétique ou sexuel. La procédure est quasiment la même et requiert, en partie, les mêmes pièces. En partie seulement. La présomption d'imputabilité au service, introduite par la loi de programmation militaire de 2018 n'a guère réduit la charge administrative portant sur les blessés, de l'avis des deux rapporteures que j'ai citées.
Une fois indemnisé, le militaire blessé doit encore solliciter la reconnaissance de la Nation. S'ils ont des droits sur nous, nos blessés sont contraints, toutefois, de les réclamer avec force. Parmi les blessés que j'ai entendus, beaucoup n'ont jamais été reconnus comme blessés de guerre, soit parce qu'ils ont participé à des opérations de maintien de la paix non reconnues comme des opérations extérieures (OPEX), au sens de l'état-major des armées, soit parce qu'ils sont des militaires « isolés insérés » dans une mission multinationale. Par ailleurs, les modèles de courriers fournis par le ministère invitent les blessés à « solliciter de la haute bienveillance » de leur commandement « l'homologation de leur blessure » de guerre. La procédure relève en effet de la seule initiative du blessé. D'après nos collègues, plus de10 % des blessés de l'armée de terre ne demanderaient jamais la carte du combattant ou le titre de reconnaissance de la Nation, par méconnaissance, négligence, ou par une réticence que certains qualifieraient peut-être de phobie administrative.
Vous m'objecterez sans doute que nos blessés sont bien accompagnés par une galaxie d'acteurs institutionnels et associatifs. Vous aurez raison et je rends hommage à leurs efforts et à leur dévouement. Ce sont ces acteurs plutôt que nos dispositifs, fruits d'une sédimentation centenaire, qui manifestent le plus directement et chaleureusement à nos blessés la reconnaissance de la Nation. Aussi devons-nous nous atteler à la simplification de ces dispositifs, poursuivre la codification de la jurisprudence, afin de dématérialiser les procédures, les automatiser, et les rendre plus transparentes. J'ai compris que les réticences actuelles du ministère des armées étaient guidées par la peur que cette simplification se fasse au détriment de l'indemnisation des blessés. Bercy pourrait vouloir en profiter pour réduire les aides qui leur sont accordées. Mais faut-il se satisfaire que l'opacité seule protège les droits de nos blessés de guerre ? Peut-on seulement l'accepter ?
« Dites-le nous une seule fois ! » Le principe phare de la simplification du code des marchés publics et de la modernisation des relations entre l'État et ses administrés doit résonner tristement aux oreilles des militaires, surtout blessés. Si les fournisseurs de l'État peuvent désormais se féliciter d'avoir accès à des coffres-forts numériques, la devise du ministère des armées semble devoir rester : « Répétez-le nous à chaque fois ! » Comment ne pas s'en indigner ?
Je voudrais appeler votre attention sur une population croissante aux besoins particuliers, celle des blessés psychiques. Plus de 12 500 militaires de l'armée de terre ont été blessés pour la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la Nation depuis 1993. L'écrasante majorité d'entre eux souffre de blessures psychiques. D'après les statistiques du Haut comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) de juillet 2019, dans son rapport intitulé La mort, la blessure, la maladie, les militaires seraient 4,5 fois plus exposés à des troubles psychiques qu'à une blessure par arme ou engin explosif.
La procédure précitée est plus ardue pour ces blessés, pour trois raisons. Tout d'abord, les états de stress post-traumatique surviennent parfois plusieurs années après le fait générateur, cinq, dix ans, voire quinze ans plus tard. Lorsque les troubles psychiques surviennent, les militaires ont donc souvent quitté l'institution. Ils se sont éloignés des acteurs institutionnels de l'accompagnement, n'ont pas toujours demandé leur carte du combattant, n'ont plus la même information et ne peuvent accéder au portail e-PMI mis en place pour dématérialiser la demande initiale de pension militaire d'invalidité. La plupart des blessés psychiques que j'ai rencontrés n'avaient pas bénéficié des mesures mises en place progressivement dans le cadre des plans d'action dédiés à une meilleure prise en charge de la blessure psychique, adoptés à partir de 2011. Ils se sentent terriblement abandonnés par l'institution. Certains signalent que la fréquence des rendez-vous prévus dans leur protocole de soins a été réduite, apparemment du fait d'un manque de personnel et des difficultés de fidélisation du service de santé des armées, en lien notamment avec le taux de projection important des praticiens du service en OPEX.
Ensuite, si je peux admettre que le récit répété de l'événement traumatique, dans un contexte thérapeutique, peut être l'une des étapes du chemin de la guérison, il me semble douteux que cette répétition destinée simplement à faire valoir ses droits soit de nature à apporter une quelconque amélioration à la souffrance et à l'état de santé des blessés. Ceux que j'ai rencontrés me disent plutôt que la succession d'expertises et de contre-expertises leur a parfois fait perdre pied, bouleversant leur vie personnelle, entraînant parfois des séparations, brisant leur famille. Le rapport de nos collègues témoignait déjà de la lassitude des blessés, contraints de fournir de nombreuses pièces, certaines identiques, à différents services, de répéter sans cesse la même histoire. J'en rappelle quelques termes : « Chaque nouveau papier remet le blessé face à un échec », « sentiment de se battre contre le système », « se justifier d'être blessé », « cette complexité administrative, les délais associés, la multitude des acteurs, le manque d'informations sur l'état d'avancement du dossier génèrent de l'inquiétude, de la frustration et de la colère qui nuisent au soin et à la reconstruction », « des procédures administratives rebutantes ». J'ai entendu les mêmes témoignages, ainsi que les pleurs de militaires faisant à nouveau l'effort de me raconter l'origine de leur traumatisme. Il est aussi question de comptes rendus d'expertise perdus, qu'il faut donc refaire, au prix d'un nouvel entretien.
Enfin, je pense que la blessure psychique est par nature excluante. Invisible, elle demeure une blessure « différente », pour reprendre l'expression utilisée par le HCECM. Lorsqu'il se révèle, le trouble psychique pousse souvent le blessé à s'isoler, à rejeter l'institution, et parfois à adopter des comportements dangereux, qui l'isolent de ses proches, de ses anciens camarades. Ils éprouvent souvent un sentiment de honte, celui de ne pas être en adéquation avec les valeurs de courage, de solidarité, de résistance à tout prix devant l'ennemi, prônées par leur unité.
Les militaires blessés psychiques ont donc, selon moi, un besoin aigu de reconnaissance et la nature de leurs troubles renforce encore la nécessité impérieuse de simplifier la procédure.
C'est l'ambition de cette proposition de loi.
Vous voulez améliorer la reconnaissance et l'accompagnement des blessés psychiques. Nous partageons tous, ici, vos objectifs. En effet, toute personne est vulnérable face à la souffrance psychique et le militaire n'y échappe pas. Pour lui, exprimer sa souffrance psychique ne va pas de soi. Cette souffrance peut être stigmatisée. Elle peut aussi entraîner son exclusion. Tous ces aspects ont été abordés dans l'excellent rapport sur le suivi des blessés rédigé, en 2019, par Mmes Khedher et Trastour-Isnart. Malheureusement, nous devons rejeter votre proposition de loi, pour des raisons de fond et de forme.
Commençons par le fond. L'accompagnement des blessés psychiques est, depuis plusieurs années, une priorité du ministère des armées. L'article 54 de la dernière loi de programmation militaire a créé une présomption d'imputabilité au service pour tous les blessés physiques et psychiques. Sur le plan pratique, de nombreux dispositifs et procédures ont été instaurés pour améliorer la prise en charge des blessés psychiques. Le guide du parcours du militaire blessé et de sa famille a été actualisé et amélioré. La maison numérique des blessés et des familles, lancée en 2018 dans le cadre du plan Famille, simplifie l'accès aux principaux droits à réparation, dont la pension militaire d'invalidité. Elle permet également un gain de temps significatif dans le traitement des demandes des intéressés. Le plan ATHOS, lancé en 2019, que vous saluez d'ailleurs dans l'exposé des motifs de votre proposition de loi, met en place des structures dédiées à l'accompagnement psycho-social des blessés psychiques. Enfin, le service des pensions et des risques professionnels est mobilisé pour traiter plus humainement et rapidement les différents dossiers. En 2020, 93 % des demandes de pension d'invalidité déposées pour des blessures psychiques ont ainsi été agréées.
Pour ce qui est de la forme, même si l'on réécrivait l'article 1er, ce texte continuerait de poser de nombreux problèmes du fait de l'ignorance de la procédure de reconnaissance des blessures. Il confond imputabilité au service et lien avec le service. Il introduit une inégalité de traitement entre blessés psychiques et physiques, ce qui pourrait être inconstitutionnel. Il ignore la procédure rigoureuse du service des pensions et des risques professionnels, la nécessité d'une double expertise pour établir le lien entre la blessure et l'invalidité, ce qui pourrait porter préjudice au blessé lui-même. Surtout, il ignore la nécessité d'établir un lien avec le service qui doit demeurer un acte de commandement.
Nous rejetterons donc votre texte, non parce qu'il viendrait de l'opposition mais parce qu'il est satisfait sur le fond et que, sur la forme, il crée davantage de problèmes qu'il n'en résout. Nous souhaitons tous que nos forces armées poursuivent les efforts pour améliorer l'accompagnement des blessés, en particulier les blessés psychiques.
Je tiens tout d'abord à saluer l'initiative de M. le rapporteur pour ce texte qui met en avant, après notre rapport, les difficultés que peuvent éprouver les blessés, physiques ou psychiques, à être reconnus. Ils doivent remplir de nombreux documents administratifs, se soumettre à des expertises médicales. Le parcours est encore plus compliqué pour un blessé psychique qui a besoin d'oublier ce qu'il a vécu, les images qui l'ont traumatisé. Or, un blessé psychique doit subir des expertises médicales au moment où sa blessure se révèle, puis trois ou six mois après, puis chaque année, au moment de la réévaluation de la pension. C'est très éprouvant.
Le témoignage d'une jeune femme, que j'ai rencontrée, m'a beaucoup touchée. À tout juste 20 ans, elle s'est retrouvée sauveteur de premier niveau, sur le terrain. Traumatisée par ce qu'elle a vu, elle a été hospitalisée durant huit mois et on devinait bien qu'elle aurait du mal à s'en sortir. J'ai échangé avec elle, en présence de son médecin. Elle voudrait devenir infirmière mais son médecin doutait que ce projet puisse se réaliser. Cette jeune fille passait ses journées à faire des origamis pour effacer les images qu'elle avait vues. Il me semble, par conséquent, qu'il n'est pas adapté de demander à ces personnes de répéter, inlassablement, ce qu'elles ont vécu.
Je remercie Bastien Lachaud d'avoir déposé cette proposition de loi mais j'ai entendu les critiques de la majorité. Il serait souhaitable qu'elle se saisisse de ce sujet et présente un texte plus complet afin d'améliorer l'accompagnement de ces hommes et de ces femmes qui, tous les jours, s'investissent pour nous, quitte à y laisser une partie de leur vie, si ce n'est leur vie elle-même. Nous leur devons cette reconnaissance. Nous devons leur simplifier l'existence lorsqu'ils reviennent en France. Nous ne pouvons pas ignorer leurs attentes. Ils souhaitent une reconnaissance de leurs blessures, par une médaille, par un avancement. Des avancées ont été faites, je ne le nie pas, mais nous devons continuer dans cette voie.
Notre groupe s'abstiendra mais, à titre personnel, je voterai pour.
Permettez-moi tout d'abord de préciser deux points. Il arrive que le terme de victime soit employé. Mettons-nous bien d'accord : les militaires peuvent être des blessés de guerre, des héros morts à la guerre, mais pas des victimes. Par ailleurs, les blessures physiques sont souvent opposées aux blessures psychiques. Or, les deux peuvent se cumuler.
Cela étant dit, le rapport d'Olivier Audibert-Troin de 2014, déjà très complet, a permis d'élaborer la loi de programmation militaire et a nourri nos travaux. Il a également servi de base aux différents rapports budgétaires que j'ai pu vous présenter concernant la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation. En particulier, un budget de 55 millions d'euros, répartis entre plusieurs exercices, était dédié à la transformation de l'Institution nationale des invalides (INI) en institut spécialisé dans la prise en charge du post-traumatique, pour les militaires mais aussi pour d'autres corps constitués comme la police ou les pompiers. L'INI a vocation à devenir la maison du post-traumatisé en France. L'armée est sans doute le corps constitué qui aura le mieux pris en compte le traumatisme invisible parce que non physique. Les traumatisés crâniens souffrent d'un handicap lourd qui n'est que rarement reconnu.
C'est pour cette raison que Florence Parly et Geneviève Darrieussecq ont souhaité, dans la loi de programmation militaire, mieux prendre en compte l'aspect humain et transformer l'INI. C'est notre approche de la question qui a été modifiée en profondeur pour mieux accompagner les blessés de guerre. Ce souci va jusqu'à prévoir la présence d'un psychologue ou d'un psychiatre lors de l'opération d'un blessé grave, mutilé, pour évaluer le niveau du traumatisme psychique du blessé et le prendre en charge dès son réveil. C'est dire les progrès que nous avons accomplis dans ce domaine.
N'oublions pas, par ailleurs, le programme ATHOS, qui est un dispositif de réhabilitation psychosocial dédié à l'accompagnement des militaires souffrant de blessures psychiques, ni le développement des centres ATLAS (Accès en tout temps, tout lieu, au soutien) ou les mesures prises pour renforcer le soutien à l'ONACVG (Office national des anciens combattants et victimes de guerre) rappelées par Mme Darrieussecq dans l'ensemble du territoire.
Certes, des progrès restent à faire, notamment pour éviter au blessé de se répéter ou de multiplier les procédures mais gardons à l'esprit deux chiffres. En 2019, 91 % des dossiers ont été acceptés, et en 2020, 93 %. Des problèmes demeurent, bien sûr, mais globalement, le dispositif fonctionne bien. Nous rejetterons votre proposition mais nous suivrons de près l'application de la loi de programmation militaire.
Mme Tristour-Isnart l'a rappelé avec beaucoup d'émotion : notre Assemblée se doit de répondre aux militaires blessés psychiquement et confrontés à un parcours de reconnaissance difficile. Un rapport a été établi et M. Bastien Lachaud nous présente aujourd'hui cette proposition de loi, que nous voterons. J'ai bien compris les réserves qui ont été émises quant à la constitutionnalité de certaines dispositions mais il nous appartient justement, en commission et en hémicycle, de les corriger pour les rendre conformes à la Constitution. Nous n'avons pas déposé d'amendements car cette proposition de loi se suffit à elle-même, quitte à être enrichie par le rapporteur lui-même. Le débat qui se tiendra en hémicycle nous donnera l'occasion de rendre hommage au service de santé des armées et à ceux qui apportent les soins médicaux nécessaires.
Je remercie Bastien Lachaud pour avoir mis en avant un sujet aussi important. J'ai suffisamment critiqué son groupe précédemment pour saluer aujourd'hui sa mobilisation. Je rends également hommage à l'action du ministère des armées dans ce domaine, depuis 2017 notamment. Il est essentiel de prendre en charge immédiatement le blessé car ce sont souvent les premières minutes qui comptent. La CABAT (cellule d'aide aux blessés de l'armée de terre) est également un dispositif très important.
Cependant, notre groupe ne votera pas ce texte, pour deux raisons principales. Tout d'abord, le système actuel, même s'il est perfectible, est déjà performant, comme en témoignent les taux d'agrément – 91 % en 2019 et 93 % en 2020. L'existence d'un mur administratif ne semble donc pas avérée. Surtout, l'adoption de cette proposition de loi pourrait saturer le service de santé des armées. Le ministère des armées s'appuie sur un vivier d'experts civils constitués de plus de 400 médecins experts et de plus de 50 psychiatres, implantés au plus près des territoires, alors que la médecine des forces ne dispose que d'une vingtaine de psychologues. Ainsi, au regard des besoins face aux blessures psychiques, le Service de santé des armées (SSA) aurait du mal à gérer en interne l'homologation nécessaire. Au-delà, le Gouvernement a récemment pris des mesures importantes pour les blessés, au travers, notamment, du plan d'action ministériel 2019-2022, dont l'un des trois axes prioritaires était d'améliorer la réhabilitation psychosociale des blessés psychiques.
Enfin, le dispositif ATHOS, qui vise à améliorer la réhabilitation psychosociale, est piloté par l'armée de terre pour l'année d'expérimentation 2021.
Les objectifs de cette proposition de loi sont louables mais ses mesures ne permettront sans doute pas de les atteindre. Voyons-la comme un appel à progresser pour mieux prendre en charge les blessés de guerre, notamment les blessés psychiques.
Cette proposition de loi se veut une pierre modeste mais utile à l'édifice de la reconnaissance et de la réparation que la Nation doit à ses soldats blessés.
Ils exposent leur vie, consentent de nombreux sacrifices, obéissent aux autorités civiles et font leur devoir. Lorsque le malheur les frappe, la Nation doit donc tout mettre en œuvre pour être à la hauteur. Cette conviction, nous la partageons. En tant que législateurs, nous devons donc trouver les moyens d'agir le plus systématiquement et le mieux possible. C'est la raison d'être de ce texte. Nous le savons modeste et nous le voulons de bon sens.
La prise en compte et la compréhension de la blessure psychique se sont imposées comme une préoccupation universellement partagée ces dernières années. Pourtant les travaux déjà cités de nos collègues Anissa Khedher et Laurence Trastour-Isnart ont montré encore récemment qu'en la matière les intentions n'étaient pas toujours suivies d'effet, et surtout pas assez rapidement. Donnons au Gouvernement et à l'administration un coup de pouce, afin d'améliorer rapidement la situation de ceux qui sont peut-être parmi les plus vulnérables parmi nos blessés : les blessés psychiques.
Vous savez en quoi consiste cette blessure, le rapporteur et plusieurs collègues ayant pudiquement évoqué la situation de personnes rencontrées ou auditionnées. Je vous renvoie également au rapport thématique du HCECM en 2019, indiquant que la blessure psychique est « différente », privant la personne atteinte de la plupart des ressources dont elle a besoin pour faire valoir ses droits face à une administration encore trop complexe, avec une perte de l'estime de soi, un amenuisement de la volonté et un sentiment d'isolement qui rendent parfois la personne dangereuse pour elle-même. Tout cela rend quasiment insurmontable l'accomplissement de démarches administratives.
Nous proposons donc de dessiner les contours d'une procédure simplifiée, dont des centaines de personnes pourraient bénéficier chaque année. Grâce à elle, un blessé psychique pourrait voir un médecin du service de santé des armées afin de faire diagnostiquer sa blessure. Il n'aurait plus à craindre de devoir sans cesse faire le récit de ce qu'il a vécu et qui l'a profondément ébranlé, que son dossier soit incomplet, de devoir solliciter l'aide et la reconnaissance auxquels il a automatiquement droit, ou qu'on doute de la sincérité de son propos ou de la gravité de son mal.
Pour les blessés psychiques moins que pour quiconque, faire valoir ses droits ne devrait pas conduire à s'engager dans une procédure contentieuse. Comme l'a rappelé le rapporteur en s'appuyant sur les propos du vice-amiral d'escadre Hello, plus de 90 % des demandes de pensions militaires d'invalidité (PMI) sont validées administrativement. Assurons-nous donc désormais qu'aucun de ceux qui y ont droit ne renonce à l'obtenir ; près de 10 % d'entre eux baissent les bras ou n'osent la demander, et ce sont encore 10 % de trop.
Quant à l'obtention de la médaille des blessés de guerre, je rappelle qu'elle est de droit et qu'il n'y a donc aucune raison de la conditionner à un acte douloureux de sollicitation.
Nous savons que de nombreuses pistes d'amélioration existent et que ce texte ne traite qu'une toute petite partie du problème. Mais ce petit peu est déjà bon à prendre. Il envoie aux blessés le signal que la représentation nationale et à leurs côtés, et au Gouvernement que nous sommes disponibles pour l'aider à travailler à la grande réforme nécessaire. Je vous propose donc d'adopter cette proposition de loi.
Pendant longtemps les blessures psychiques ont été minorées par l'institution militaire, soit parce qu'elle fermait les yeux, soit parce que les victimes refusaient d'en parler, soit enfin parce qu'il était très difficile de définir une blessure psychique. Aujourd'hui, il est dit que la blessure psychique résulte souvent d'un événement hors du commun, confrontant directement le sujet à la mort. Elle se manifeste au travers de différents symptômes constitutifs d'un trouble de stress post-traumatique.
J'ai en tête les échanges avec des anciens d'Algérie, qui m'avaient beaucoup bousculé. Quand ils sont rentrés de ce conflit qui ne portait pas encore le nom de guerre, ils n'en parlaient jamais, y compris dans leurs familles, contrairement à ce qui s'était passé lors des précédents conflits. Lorsqu'un ami m'a fait part des expériences qu'il avait vécues, j'ai compris à quel point il était marqué, 40 ans après.
Depuis 2011, les pouvoirs publics ont manifesté leur volonté de mieux prendre en compte les blessures psychiques. Le ministère de la défense a mis en œuvre des plans d'action sur le sujet, je tenais à le rappeler. En 2013 le numéro vert « Écoute défense » a été créé. Fonctionnant en permanence, il a été ouvert aux familles de militaires en situation de harcèlement. Entre 2010 et 2019, le SSA a recensé 2 800 cas de militaires atteints de blessures psychiques, liées à un événement traumatisant. La période de l'engagement en Afghanistan a augmenté considérablement le nombre de cas.
Le ministère de la défense a aussi fait des progrès notables en matière de reconnaissance de ces blessures. Un nouveau plan d'action ministériel 2019-2022 a été mis en place, avec trois axes prioritaires : le renforcement des actions de sensibilisation et de prévention en faveur des militaires et de leurs familles ; un effort pour une meilleure réhabilitation psychosociale des blessés psychiques ; la consolidation des dispositifs d'accompagnement vers l'emploi. En outre, depuis janvier, deux maisons expérimentales ont été ouvertes dans le cadre du dispositif ATHOS, l'une à Toulon et l'autre à Cambes, afin d'accompagner des militaires blessés psychiques vers une nouvelle vie.
La proposition de loi s'inscrit dans le sens d'une meilleure prise en compte des souffrances psychiques des militaires. Il est en effet impératif d'accompagner ce mouvement. De très nombreux travaux historiques ont montré l'importance des blessures psychiques subies silencieusement par les soldats du fait de la multiplication des opérations. Plus récemment, Pierre Lemaître a mis en évidence la question dans son magnifique roman Au revoir là-haut, prix Goncourt en 2013, en évoquant le désarroi psychologique et psychique des poilus à la fin de la première guerre mondiale.
Le taux d'agrément des blessures psychiques est en constante augmentation : il est passé de 87 % en 2007 à 93 % en 2020. Autrement dit, l'administration refuse l'agrément dans seulement 7 % des cas, soit parce que le taux d'invalidité est inférieur à 10 %, soit parce que le lien avec le service n'est pas établi. Se passer de la procédure administrative en s'en remettant à la seule décision médicale facilitera indéniablement la reconnaissance de la souffrance des militaires, tout en leur permettant de passer à une nouvelle étape dans le processus de guérison.
Le groupe GDR votera en faveur de cette proposition de loi, tout en s'interrogeant sur les modalités de fixation du taux d'invalidité, sur l'absence de contre-expertise et sur la reconnaissance du lien avec le service. Je sollicite le rapporteur à ce propos.
Pour conclure, la proposition de loi ne pourra suffire à elle seule. Comme le font remarquer nos collègues Anissa Khedher et Laurence Trastour-Isnart dans leur rapport d'information de 2019 sur le suivi des blessés, il convient de mettre l'accent sur la prévention des blessures psychiques et de s'assurer au moment du recrutement que la personnalité des postulants ne présente pas de caractéristiques rédhibitoires. Elles ont insisté à juste raison sur la nécessaire augmentation des moyens à accorder à la médecine des forces armées, laquelle dispose de seulement vingt et un psychologues, ce qui est très insuffisant.
Le problème des blessures psychologiques ne date pas d'aujourd'hui. L'anecdote qui va suivre n'a pas pour objet une quelconque mise en valeur par procuration. En 1920, mon grand-père est venu faire pacager ses brebis sur le Champ-de-Mars, et a passé tout l'hiver à Paris. Bien longtemps après, je lui en ai demandé la raison. Il m'a expliqué qu'alors qu'il était en permission et attendait la correspondance à la gare Montparnasse – comme mon autre grand-père il avait fait toute la première guerre mondiale –, il fit un tour dans le quartier. C'était le printemps ; des couples dansaient sous les tonnelles et à la terrasse des bistrots tandis qu'il avait vécu l'enfer à 170 kilomètres de là. Un homme l'apostropha en ces termes : « Espèce de salopards de troufions, quand allez-vous arrêter vos jeux ? Vous ne voyez pas que vous êtes en train de détruire le pays ? » En 1920, mon grand-père a eu besoin de vérifier si tous les Français étaient pareils.
Comme beaucoup de collègues, j'ai rencontré un certain nombre de traumatisés. Mais un profond changement a eu lieu avec le passage de l'armée de conscription à celle de métier. C'est toute une nation qui avait appris au fil du temps à prendre en charge, bien ou mal, les générations successives de conscrits. Aujourd'hui il n'y a plus rien de comparable. Une prise de conscience populaire est donc nécessaire, et il faut voter ce texte afin de faire un pas de plus. Parce que ces hommes, à un moment donné, ont fait don de leur corps à la Patrie. Le groupe LT votera pour cette proposition de loi et ne déposera pas d'amendements, parce que le texte se suffit à lui-même.
À mon sens, il ne faut surtout pas voter ce texte pour trois raisons.
En tant que membre du conseil d'administration de l'ONACVG, je peux vous assurer qu'au mieux deux associations d'anciens combattants ont été consultées à une ou deux reprises, et que les autres ne l'ont pas été. Ces deux associations, notamment l'Union des blessés de la face et de la tête, n'ont à ma connaissance pas donné leur approbation à ce texte. Elles ne soutiennent pas le pouvoir exorbitant qui serait donné au seul diagnostic médical si cette proposition de loi était votée.
Vous avez fait état de la complexité administrative, et on a même pu parler de mur administratif. Les difficultés découlent de la multiplicité des régimes de réparation applicables – vous avez très justement cité la jurisprudence Brugnot – et des types de congés liés à l'état de santé du militaire – congé maladie, congé du blessé, congé longue durée. L'important, c'est que l'imputabilité d'une blessure ne résulte pas du seul constat médical, comme vous le demandez dans votre proposition, mais de deux constats. Il faut établir le lien entre un fait et le service, ce qui relève du commandement, et le lien entre ce fait et la blessure, qui relève en effet du SSA. Autrement dit, le commandement et le SSA sont conjointement compétents pour statuer sur le lien au service. Il ne faut pas s'y tromper, mes chers collègues, cette proposition de loi revient sur cette conjonction.
Enfin, le rapport de nos collègues Anissa Khedher et Laurence Trastour-Isnart comprend trois recommandations qui portent sur les pensions militaires d'invalidité et deux sur le lien de la blessure avec le service. Aucune d'entre elles ne correspond à ce que vous proposez.
S'il existe encore des difficultés, ce n'est pas avec cette proposition de loi qu'on arrivera à les résoudre.
Si l'article 54 de la LPM avait résolu tous les problèmes, cela se saurait ; ce n'est malheureusement pas le cas. Les rapporteures Anissa Khedher et Laurence Trastour-Isnart ont très clairement dit que la reconnaissance de la présomption d'imputabilité n'avait pas eu l'effet escompté.
Je l'ai indiqué dans mon propos introductif et dans mon rapport : bien entendu il existe des dispositifs de soutien qui permettent aux blessés d'avancer dans le parcours de reconnaissance et de réparation. M. Marilossian a évoqué la maison numérique des blessés ou le dispositif ATHOS. Très bien. Mais ce que vous n'avez pas dit, c'est que les anciens militaires n'en bénéficient pas. Et c'est un problème car on sait que le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) peut se déclarer après cinq ou dix ans, et donc quand le blessé a déjà quitté l'institution.
En effet, une simplification de la procédure est assumée dans cette proposition de loi, au détriment de certaines subtilités. La question de sa constitutionnalité a été évoquée. Il est exact qu'une distinction entre blessés psychiques et blessés uniquement physiques est opérée, sachant qu'en pratique beaucoup de blessés physiques sont également des blessés psychiques. Mais cette distinction ne me paraît pas disproportionnée au regard de l'objectif de simplification. Je fais le pari que le juge constitutionnel aurait également cette lecture, parce que cette distinction ne change que la procédure et ne fait perdre de chance de réparation ou de reconnaissance à aucun blessé.
Pour répondre aux questions du président Chassaigne, l'évaluation du taux d'invalidité se ferait de la même manière qu'actuellement et la proposition de loi n'interdit pas au commandement de faire parvenir au SSA des éléments circonstanciés pour établir la justification du lien avec le service. La modification porte sur le fait qu'il n'appartiendrait désormais plus au blessé de s'inscrire dans deux procédures, l'une médicale, l'autre administrative ; mais rien n'empêche que le SSA demande les pièces justificatives du lien avec le service. Le commandement n'est donc évidemment pas privé de son rôle en la matière.
De nombreux orateurs, notamment de la majorité, ont utilisé l'argument du taux d'agrément de 93 % des dossiers pour dire que le système fonctionne. Je n'ai jamais dit que les blessés n'obtenaient pas l'indemnisation ou la reconnaissance qui leur est due. Mais le parcours qu'ils doivent suivre pour cela est trop complexe et générateur de souffrances pouvant empêcher ou gêner leur reconstruction. Votre argument ne s'applique donc pas s'agissant de cette proposition de loi, qui traite du parcours de reconnaissance et d'indemnisation. La multiplication et la sédimentation des dispositifs depuis 1918, voire avant, ne fait que complexifier les choses et rendre encore plus touffu le code des pensions militaires d'invalidité – et il ne s'agit en aucun cas au travers de cette observation de remettre en question leur qualité ou leur générosité.
M. Gouttefarde a critiqué la proposition de loi au motif qu'elle porterait sur des détails de niveau réglementaire et infra réglementaire. Rappelons-le, notre assemblée a tout de même voté l'interdiction du téléphone mobile à l'école, ce qui relève à mon sens du domaine réglementaire. S'il est possible d'exonérer le requérant de fournir lui-même toutes les pièces justificatives, pourquoi cela n'est-il pas déjà fait ? Si une loi n'est pas nécessaire, pourquoi un texte réglementaire relevant du ministre de la défense n'est-il pas publié pour résoudre ce problème ? Faisons-le. Chiche !
La commission en vient à l'examen des articles de la proposition de loi.
Avant l'article 1er
Amendement DN3 de Mme Sereine Mauborgne.
Cet amendement a pour but de dépoussiérer l'article qu'il est proposé de modifier, en supprimant la mention « pendant la durée légale du service national ».
Le service national sous la forme de la conscription a été simplement suspendu. Il pourrait être rétabli, et dans ce cas la mention en question serait nécessaire. Demande de retrait.
L'amendement est retiré.
Amendement DN4 de Mme Sereine Mauborgne.
L'amendement vise à étendre aux réservistes opérationnels le dispositif de présomption d'imputabilité de la blessure.
Lorsqu'ils sont régulièrement convoqués dans le cadre d'un engagement à servir dans la réserve, les réservistes sont considérés comme des militaires à part entière. Cet ajout n'est donc pas nécessaire. Demande de retrait.
L'amendement est retiré.
Article 1er (article L. 121-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre) : Reconnaissance simplifiée de l'imputabilité au service des blessures psychiques constatées en opérations
Amendements identiques DN5 de Mme Laurence Trastour-Isnart et DN7 du rapporteur.
Mon amendement prévoit que soient automatiquement considérés comme des blessures imputables au service les troubles psychiques diagnostiqués par le SSA à l'occasion d'opérations extérieures ou de guerre. Il a été rédigé en collaboration avec le rapporteur pour simplifier le dispositif initialement prévu par la proposition de loi et le rendre plus opérationnel.
À la suite de mes auditions, j'ai souhaité réécrire l'article 1er pour le rendre plus lisible. Cette nouvelle rédaction est le fruit d'un travail commun avec Laurence Trastour-Isnart.
L'amendement prévoit que les troubles psychiques constatés en opérations extérieures ou sur des théâtres de guerre et diagnostiqués par le SSA sont automatiquement considérés comme des blessures psychiques imputables au service.
Cet amendement ne modifierait pas substantiellement les conditions d'indemnisation des militaires. Comme l'a indiqué la direction des ressources humaines, le taux d'agrément des blessures psychiques, en constante augmentation, était de 93 % en 2020 ; dans 7 % des cas seulement, l'administration définit par son contradictoire que le taux d'invalidité est inférieur à 10 %, seuil d'obtention de la PMI. Il est rarissime que l'administration considère que la maladie diagnostiquée n'est pas liée au service.
La médecin en chef du SSA a précisé lors de son audition qu'un SSPT pouvait avoir des origines dans l'enfance ou la vie civile, mais que la scène traumatique obsédante était alors clairement identifiée et que nul ne la confondait, ni ne souhaitait la confondre, avec un épisode de la vie militaire.
Le bénéfice pour nos militaires blessés justifie cette simplification et le choix d'une telle automaticité. Vous m'objecterez peut-être que cela prive le commandement d'un rôle important dans la réparation et la reconnaissance du blessé, mais la formulation retenue n'exclut pas que le commandement transmette des éléments au SSA sur les circonstances de la blessure.
Quant à la relation entre le médecin et le soignant qui serait inévitablement perturbée par cette nouvelle responsabilité conférée au SSA, rien n'empêche le service de créer un parcours de soins et de réparation en faisant intervenir des médecins différents pour diagnostiquer, évaluer et soigner.
Il s'agit simplement de réduire la charge mentale pesant sur le blessé. M. Marilossian ayant jugé que cette réécriture était utile, je ne doute pas que vous adopterez cet amendement.
La réécriture est utile car l'article 1er ne pourrait, en l'état, passer tous les obstacles juridiques.
Il me semble important de rappeler le processus d'une demande de PMI, qui commence bien sûr par une demande, se poursuit par l'imputabilité administrative puis passe par l'expertise et l'analyse médicale.
L'imputabilité au service exige de réunir deux éléments de façon simultanée : l'imputabilité administrative, qui nécessite d'établir un fait précis de service et l'imputabilité médicale, qui établit un lien direct, certain et déterminant entre l'infirmité et le fait de service.
Seul le commandement peut établir l'imputabilité administrative, en affirmant qu'il existe bien un lien direct avec le service. Il a été noté qu'on pouvait faire la distinction entre un soldat traumatisé par le suicide d'un proche alors qu'il était en OPEX et un soldat ayant développé un SSPT après avoir été confronté à une action de combat. Il revient donc bien au commandement d'établir l'existence et le lien avec le service.
L'imputabilité médicale nécessite que le SSA effectue des examens et que le médecin conseil guide l'analyse afin de fixer un taux d'invalidité en fonction du barème des PMI, à la date de la demande. Cette demande peut avoir lieu plusieurs années après le fait générateur. S'agissant des états de stress post-traumatique, la complexité du diagnostic nécessite souvent une seconde expertise.
Je voterai contre ces amendements qui prévoient que le diagnostic médical du SSA est suffisant. Or on ne peut laisser au seul SSA la responsabilité de l'imputation du service.
Il faut reconnaître que, sans ces amendements de réécriture, votre dispositif ne serait pas opératoire, Monsieur le rapporteur. L'article, dans sa rédaction initiale, prévoit en effet que « les bénéficiaires du droit à pension établissent le lien au service », alors que cela relève bien sûr de l'administration.
J'estime, comme Jacques Marilossian, que le diagnostic médical, fut-il posé par le SSA, ne suffit pas à établir la réalité d'un fait de service. Je voterai donc contre ces amendements.
Sans revenir sur les propos de M. Marilossian, je précise que le diagnostic médical intervient, dans la procédure, avant l'imputabilité administrative. S'agissant des cas de SSPT, il faut regarder les choses un peu plus en détail. Il est évident, au vu des taux attribués et des récits, qu'il est très rare que le SSPT développé par un soldat de retour d'OPEX ne soit pas lié au service. Par ailleurs, je rappelle que ce dispositif ne supprime pas le rôle du commandement dans la procédure.
M. Marilossian a commencé son intervention en disant que la procédure débutait « bien sûr » par une demande. Je ne vois pas en quoi la procédure devrait forcément commencer par une demande écrite du blessé. Pourquoi le SSA ne serait-il pas plus proactif ? Pourquoi le diagnostic, une fois posé, ne lancerait-il pas automatiquement la procédure ?
Il faut faire confiance à l'encadrement pour évaluer ce qui s'est passé. Il est fréquent, en effet, que le récit d'un affrontement, d'un assaut ou d'un accrochage varie selon les participants. Seul l'encadrement est à même de garder une distance avec le récit et de mieux appréhender les conditions dans lesquelles l'événement s'est déroulé.
En outre, les blessures graves peuvent survenir parce qu'une consigne de sécurité a été enfreinte. Attribuer au blessé une médaille ou un grade alors que le reste de la troupe a respecté les consignes et s'est battu autrement peut poser problème. D'où l'intérêt que l'encadrement reste maître de la notation et du tableau d'avancement. Je voterai contre ces amendements.
Il ne s'agit en aucun cas d'ignorer l'encadrement – bien souvent, il accompagne la demande de réparation –, mais d'éviter les étapes administratives et médicales, les expertises successives. L'objet de ces amendements est de simplifier la procédure pour les blessés en rendant implicite le lien entre le SSA, le commandement et l'administration. J'ai constaté, avec Anissa Khedher, que dans certains corps d'armée, à la Légion étrangère notamment, les blessés ne rencontraient pas ces tracas administratifs car l'encadrement se saisissait de leur problème et qu'ils faisaient l'objet, dès le début, d'une prise en charge globale. Les blessés doivent être mieux accompagnés et leurs démarches simplifiées.
Le sujet est grave et on doit l'aborder avec rigueur. Contrairement à ce que vous avez dit, Monsieur le rapporteur, le projet ATHOS est ouvert aux anciens militaires.
Madame Trastour-Isnart, nous sommes d'accord, il faut améliorer la prise en charge et la simplification. Mais ces amendements, qui prévoient que « le diagnostic médical du service de santé suffit à établir l'imputabilité », excluent le commandement. Celui-ci n'est pas consulté. Le président du conseil de la commission consultative médicale a cité un cas récent où un taux de 50 % d'invalidité a été retenu alors que la recherche de l'imputabilité administrative a révélé que le demandeur n'était pas présent lors de l'événement traumatisant allégué ! Il peut donc y avoir aussi des erreurs. Nous devons aux blessés de garantir la justice et l'équité dans le traitement des demandes. L'acte de commandement est là aussi pour assurer l'équité et la cohérence.
Améliorer et simplifier la procédure, oui. Mais supprimer un pan d'une procédure qui nécessite deux actes concomitant administratif et médical n'est pas possible. En ne retenant que le diagnostic du SSA, on risque aussi de nuire aux blessés : pour évaluer des blessures psychiques, il faut bien plus d'un examen.
Lorsque la commission m'en laisse le temps, le plus souvent la nuit, j'étudie pour passer un diplôme universitaire d'expertise médico-légale. À la lumière de ce DU, il me semble que supprimer une partie de la procédure pourrait priver les blessés d'une évaluation individualisée. Or, en matière de préjudice, celle-ci doit prévaloir. Qu'il s'agisse de la perte d'un membre ou d'une blessure psychique, il faut plusieurs étapes pour déterminer les différents préjudices – effets sur la vie quotidienne, sur l'agrément, c'est-à-dire la capacité à gérer seul sa vie, sur la sexualité.
Vous avez raison, simplifier les démarches doit être notre règle ; il conviendrait de reprendre le travail d'Amélie de Montchalin, sur la question des délais de dépôt de dossier par exemple, et de mettre en place un baromètre dans le cadre de l'évaluation de l'action publique. Mais vouloir épargner de supposées épreuves aux blessés, qui ne sont que des étapes dans l'expertise, est une erreur d'appréciation. L'expertise médico-légale recherche non pas à imputer mais à évaluer et à individualiser au mieux l'indemnisation.
Je vous appelle moi aussi à la prudence. Pour m'être occupée de quelques blessés, je crains que nous ne soyons en train de produire l'inverse de ce qu'il faudrait. Toutes les personnes que j'ai interrogées ont peur que ce système ne conduise à complexifier les choses. C'est un parcours du combattant, il faut un suivi, sur un temps long. Pour un soldat, il peut être compliqué de s'exprimer devant un médecin du SSA – un autre soldat. Il lui faut parfois rencontrer quelqu'un de l'extérieur, de neutre, pour lâcher les chevaux, se mettre à pleurer, délier sa parole. Une bonne expertise nécessite du temps. C'est malheureux, mais c'est ainsi !
Cette question nous donne l'occasion de débattre et de réfléchir sur la place du chef, ce dont je me réjouis. Je préciserai, à l'attention de Laurence Trastour-Isnart, que la Légion étrangère n'est pas un corps d'armée mais qu'elle fait partie intégrante de l'armée de terre.
Comme l'a dit le rapporteur, lorsqu'un SSPT est déclaré en OPEX, il y a de fortes chances que l'imputabilité de service soit établie. Mais on ne peut pas non plus systématiser la procédure. Par ailleurs, un SSPT peut se déclarer peu de temps après l'arrivée en OPEX, car le stress y est si important que des traumatismes passés peuvent réapparaître. Tant sur le lieu que sur la date, il me semble que l'acte de commandement n'est pas inutile.
Le chef n'est pas un élément supplémentaire qui viendrait complexifier le processus. Responsable de tout, il accompagne au quotidien les soldats, qui peuvent le solliciter en retour – c'est d'autant plus vrai dans l'armée de terre où le commandement est très décentralisé. Il serait utile de faire évoluer les pratiques et de sensibiliser les chefs à la nécessité d'accélérer les processus, mais nier leur rôle dans la procédure risque de supprimer un accompagnement.
Je vous ai entendus parler à plusieurs reprises d'un examen unique. Nulle part il n'est écrit que le blessé rencontre le médecin une seule fois ! Le SSA est totalement libre de mettre en place le dispositif qu'il souhaite pour assurer le suivi du blessé pendant plusieurs mois. Dans le texte, rien n'empêche de mener un travail sur le long terme, d'organiser un accompagnement du blessé avant la décision.
Madame Mauborgne, j'entends votre remarque sur le côté cathartique et réparateur des différentes étapes de la procédure. Le problème, c'est que celle-ci n'a pas été pensée en ces termes par un médecin ; elle est le résultat d'une sédimentation législative sur plus d'un siècle. Nous pourrions certes la repenser entièrement, à travers un prisme médical.
Monsieur Gassilloud, il ne faut pas confondre l'accompagnement que peuvent apporter les camarades de régiment et le commandement avec la fonction décisionnelle du SSA. L'automaticité n'empêche pas l'accompagnement.
Monsieur Marilossian, vous avez cité le cas d'un SSPT reconnu au niveau médical alors que la personne n'avait pas assisté à l'événement allégué. Les conditions dans lesquelles un SSPT peut se développer, les différentes formes que cette pathologie peut prendre sont encore mal connues. Rien ne dit que le récit par un camarade de régiment d'un fait traumatisant ne peut pas déclencher un SSPT. Il se peut que ce cas ne constitue pas, malgré les apparences, une erreur. Dans tous les cas, je me garderai bien d'émettre un avis – ni vous ni moi ne maîtrisons ces sujets.
La commission rejette les amendements.
Les amendements DN1 et DN2 de Mme Sereine Mauborgne sont retirés.
La commission rejette l'article 1er.
Après l'article 1er
Amendements identiques DN6 de Mme Laurence Trastour-Isnart et DN8 du rapporteur.
Pour simplifier les démarches des blessés de guerre, il est proposé d'attribuer automatiquement la médaille des blessés à tous les blessés, physiques ou psychiques, dont la maladie ou la blessure a été constatée au cours d'une guerre ou d'une opération extérieure. Actuellement, cette médaille doit faire l'objet d'une demande écrite.
Je précise que le ministère des armées vient tout juste d'adopter une circulaire unifiant les conditions d'octroi de la médaille des blessés dans les trois armées. Cet amendement confère donc une existence législative, et non plus seulement réglementaire, à cette médaille et dispense le blessé de la demander. Néanmoins, ce dernier reste libre de refuser une médaille, en lien avec sa blessure.
Une fois de plus, en créant une automaticité, vous excluez le commandement de l'homologation. Dans la procédure d'homologation et d'attribution des médailles, le commandement intervient d'abord, en employeur responsable, pour protéger l'intérêt des militaires, ensuite pour garantir une équité de traitement entre les différents cas de blessure.
L'automaticité pourrait conduire à homologuer des pathologies sans lien avec la blessure de guerre mais relevant éventuellement de l'accident du travail survenu dans un contexte d'OPEX ou d'une faute personnelle de l'intéressé, voire de maladies anciennes. Par ailleurs, pour conserver une équité de traitement, l'évaluation des blessures doit être individualisée. C'est d'autant plus important que l'homologation de la blessure de guerre, outre le droit de porter la médaille, ouvre le droit à d'autres mesures, comme l'attribution de la qualité de grands mutilés de guerre, la carte du combattant, d'autres mentions ou d'autres droits de pension militaire.
Merci pour ce cours de droit des blessés et la lecture commentée du code des pensions militaires d'invalidité ! Vous qui êtes dans la majorité, qu'attendez-vous pour simplifier la vie des blessés, que ne demandez-vous pas à la ministre des armées de changer le règlement ? J'ai utilisé la niche parlementaire – une par an ! – de mon groupe pour tenter de faire avancer la question des blessés psychiques, adopter des mesures sans doute symboliques mais qui comptent dans la vie quotidienne des blessés.
Vous expliquez que l'homologation ouvre droit au statut de grand mutilé de guerre. Je rappelle que pour bénéficier de ce statut, il faut remplir un dossier supplémentaire et fournir de nouvelles pièces administratives. Quant à la carte du combattant, nul besoin d'avoir été blessé pour l'obtenir : elle est attribuée à toute personne ayant effectué quatre mois d'OPEX.
Vous pouvez vous cacher derrière l'article 54 et dire que tout fonctionne bien, ce n'est malheureusement pas le cas de milliers de blessés qui se heurtent à cette procédure parfois qualifiée de parcours du combattant. En outre, il faut savoir que le statut de blessé de guerre nécessite une révision tous les trois ans : à chaque fois, le blessé doit refournir les pièces car l'administration ne dispose pas de coffre-fort numérique pour les conserver.
Je tiens à rappeler que 10 % des soldats éligibles à la carte du combattant ne la demandent pas. Vous qui êtes dans la majorité, demandez à la ministre de rendre automatique l'attribution de cette carte, comme au Canada ! Cela permettrait de simplifier la vie de nos troupes.
La mission d'information sur le plan Famille permettra d'aborder ce type de questions et de préconiser éventuellement l'attribution automatique de la carte du combattant.
La commission rejette les amendements.
Article 2 Recevabilité financière
La commission rejette l'article 2.
La commission rejette l'ensemble de la proposition de loi.
Chers collègues, je ne peux que déplorer le rejet de cette proposition de loi. Celle-ci aurait constitué un signal fort en faveur d'une simplification devenue urgente. Anissa Khedher et Laurence Trastour-Isnart le savent bien, notre volonté d'améliorer la situation des militaires se heurte systématiquement au caractère réglementaire, voire infra-réglementaire de nombreuses dispositions relatives à la réparation et à la reconnaissance des blessés ainsi qu'à la crainte que toute harmonisation n'aboutisse à un nivellement par le bas, imposé par des considérations financières.
Notre assemblée devrait porter une réforme ambitieuse du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Nous le devons aux militaires blessés. Elle doit intervenir avant que le processus de dématérialisation ne débute, sans quoi nous risquons fort de rencontrer un fiasco analogue à celui de Louvois.
Je remercie le rapporteur pour l'excellence de son travail et son implication, qui nous ont permis de débattre à nouveau de la blessure psychique. C'est un long cheminement. Je retiens que l'ensemble des dispositifs de réparation reposent sur la valorisation des actions de combat et qu'il faut se garder de la généralisation de toute automaticité, sauf à remettre en cause la singularité militaire.
Je reprendrai volontiers une phrase du rapport d'information d'Anissa Khedher et de Laurence Trastour-Isnart : « il est toujours possible de faire mieux ». Nous venons de le démontrer, la discussion nous a fait progresser. Dans le cadre du débat sur le plan Famille, nous pourrons prendre position sur ces questions. Le changement ne passera peut-être pas par la voie législative, mais par des mesures beaucoup plus concrètes d'organisation et de simplification de la procédure, issues de l'observation du terrain. Nous avions de nombreux témoignages, certains n'ont pu s'exprimer tant la blessure est encore douloureuse, mais il était intéressant d'avoir ce débat.
La séance est levée à quinze heures quarante-cinq.