Intervention de Fabien Gouttefarde

Réunion du mercredi 20 octobre 2021 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFabien Gouttefarde, rapporteur pour avis (Environnement et prospective de la politique de défense) :

Pour la quatrième année consécutive, les crédits du programme 144 Environnement et prospective de la politique de défense sont en phase avec la stratégie de remontée en puissance inscrite dans la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, avec 2,146 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 1,778 milliard d'euros en crédits de paiement.

Je concentrerai mon propos sur trois points saillants du programme 144 pour 2022 : les crédits alloués aux études amont et ceux consacrés à deux des trois services de renseignement du ministère des Armées, la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD).

Je me réjouis de la hausse de 11 % des crédits de paiement consacrés aux études amont. Il s'agit des recherches et des études appliquées attachées à la satisfaction d'un besoin militaire prévisible et contribuant à constituer, maîtriser, entretenir ou développer la base industrielle et technologique de défense (BITD) et l'expertise technique étatique nécessaires à la réalisation des opérations d'armement. Elles permettent aussi d'obtenir des technologies de rupture et participent donc à l'innovation de nos armées.

Cette augmentation de crédits substantielle permet à la France de franchir le cap du milliard d'euros consacré aux études amont. À titre de comparaison, la précédente LPM leur octroyait environ 700 millions par an. Cette évolution est conforme à la trajectoire d'augmentation progressive prévue par la LPM 2019-2025. Présentée par le Gouvernement et votée par notre majorité, cette loi nourrit une ambition d'innovation à la hauteur des évolutions techniques et des défis de demain. Cette ambition est matérialisée par cet effort significatif inédit. L'engagement pris dans la LPM 2019-2025 est tenu.

Je salue également l'effort financier important consacré à la DGSE. Les tableaux du PAP indiquent une baisse conjoncturelle des autorisations d'engagement, due à leur hausse sans précédent dans la loi de finances initiale pour 2021, à hauteur de 310 %, pour financer sur plusieurs années la construction du nouveau siège de la DGSE, au Fort Neuf de Vincennes, annoncée par le Président de la République le 6 mai dernier, et dont le marché sera notifié l'an prochain. Ce nouveau site répondra aux besoins et aux exigences de la DGSE, et permettra d'améliorer et de pérenniser notre capacité de renseignement extérieur, dans un contexte de mutation de l'environnement stratégique. Par ailleurs, l'augmentation de 6 % des crédits de paiement alloués au renseignement extérieur permettra à la DGSE de mieux anticiper les évolutions technologiques auxquelles elle est confrontée et de mieux s'y adapter.

Je me félicite aussi de la hausse importante des crédits alloués à la DRSD, qui est le service enquêteur de l'État, chargé notamment de délivrer les habilitations. Les autorisations d'engagement progressent de 21 % et les crédits de paiement de 92 %, pour atteindre 35,4 millions d'euros. Une part de cet effort budgétaire permettra à la DRSD de financer le nouveau siège de sa direction centrale, qui doit être livré en 2024, regroupant au sein d'un bâtiment unique les acteurs du cycle du renseignement, pour un total d'environ 650 postes. Ce site renforcera le travail collaboratif et offrira à la DRSD des infrastructures à la hauteur de ses ambitions et adaptées à ses missions.

Cette augmentation s'explique également par la hausse des dépenses d'investissement, en raison du développement de nouveaux systèmes d'information permettant à la DRSD de mener à bien ses missions de contre-ingérence des forces, de contre-ingérence économique et de contre-ingérence cyber.

J'ai consacré la partie thématique de mon rapport aux liens entre l'innovation de défense et le numérique. Mes trois principales conclusions sont les suivantes : l'intégration des innovations numériques aux divers et multiples systèmes d'information du ministère des Armées connaît des difficultés ; l'essor de la 5G est un défi qui reste à relever ; une large réflexion sur les grandes orientations de notre politique d'innovation de défense est nécessaire.

Le ministère des Armées a développé de nombreux systèmes d'information innovants, à des fins de gestion, de logistique et de mise en œuvre des systèmes d'armes. Le programme ARTEMIS, par exemple, vise à doter le ministère des Armées d'une infrastructure sécurisée et souveraine adaptée aux besoins de défense, au profit des applications de traitement massif de données et d'intelligence artificielle (IA) du ministère.

Plusieurs personnes auditionnées ont émis des doutes sur ce programme de grande ampleur, qui est révélateur d'une difficulté propre à l'innovation dans le domaine du numérique de défense, à savoir son intégration dans certains des 1 500 systèmes d'information existants au sein du ministère. Si le projet est séduisant sur le plan intellectuel, de nombreux défis techniques demeurent, au point de ralentir, voire de compromettre le déploiement d'ARTEMIS dans un avenir proche. Je déduis de cet exemple la nécessité d'une réflexion sur l'approche développée dans le cadre de programmes innovants dans le domaine du numérique pour le secteur de la défense.

Par ailleurs, de nombreuses personnes auditionnées ont fait part de leur étonnement au sujet du défaut de prise en considération des enjeux relatifs à la 5G par le ministère. Or, d'après l'état-major des armées lui-même, le ministère des Armées devra tôt ou tard recourir à la 5G. Il a déjà été pris au dépourvu, faute de préparation, lors du déploiement de la 3G au profit du système de fantassin à équipements et liaisons intégrés (FELIN). De mon point de vue, il serait exagéré de dire que la 5G est un impensé du ministère des Armées. Le directeur général du numérique et des systèmes d'information et de communication (DGNUM) nous a indiqué que la direction générale de l'armement (DGA) l'étudie d'ores et déjà, compte tenu de ses nombreuses implications. Toutefois, l'absence de stratégie comparable à celles élaborées pour l'IA et le cloud surprend. J'invite le ministère des Armées à s'impliquer davantage dans ce domaine.

Enfin, mes travaux ont démontré la nécessité de réfléchir plus largement aux grandes orientations de notre politique d'innovation de défense. L'agence de l'innovation de défense (AID), dont nous avons auditionné le directeur, est confrontée à de nombreux défis. Son fonctionnement, que j'ai pu observer de près, suscite parfois des critiques. Le délai de traitement des projets soumis par le biais du guichet unique dans le cadre du dispositif « régime d'appui à l'innovation duale » (RAPID) est souvent trop long, dépassant parfois les quatre-vingt-dix jours réglementaires. Le RAPID ne porte donc pas toujours bien son nom ! Emmanuel Chiva, directeur de l'AID, a conscience de ces problèmes et travaille à y remédier. Par ailleurs, les entreprises dont le projet n'a pas été retenu ne reçoivent aucun retour écrit, et l'instruction des dossiers donne parfois lieu à des injonctions contradictoires.

La Cour des comptes a consacré un chapitre du rapport public annuel 2021 à l'innovation de défense. Elle y déplore que la culture du ministère des Armées soit trop centrée sur la réduction de la prise de risque, au détriment de l'innovation de rupture. Toutes les personnes auditionnées, sans exception, en conviennent. À la lumière de ces critiques, il semble pertinent que le Parlement se saisisse de ce sujet à court terme pour dresser un bilan de la politique du ministère des Armées en matière d'innovation de défense et apprécier par lui-même les efforts accomplis et les marges de progression dans ce domaine.

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