Le 14 septembre dernier, à Roubaix, le Président de la République mettait un point final à huit mois de réflexion et d'échanges ayant associé une multiplicité d'acteurs dans le cadre du Beauvau de la sécurité. Celui-ci trouve sa traduction concrète dans le programme 152, à raison de 255 millions d'euros sur les 295 millions d'euros en autorisations d'engagement, et de 202 millions sur les 232 millions en crédits de paiement. Effort majeur du budget de l'État à l'égard des forces de gendarmerie, ces crédits supplémentaires devraient notamment permettre de financer la modernisation des moyens de télécommunications de la gendarmerie – avec le projet NEO 2 –, de favoriser la montée en compétences des gendarmes et d'améliorer les conditions de leur présence sur le terrain.
Le budget de la gendarmerie, ce sont 9,9 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 9,3 milliards en crédits de paiement. Pour l'essentiel, il recouvre les dépenses de personnel (titre 2), à hauteur de 7,8 milliards – 3,9 milliards en rémunérations et 3,8 milliards en cotisations ; les dépenses de fonctionnement (titre 3) à raison de 1,8 milliard en autorisations d'engagement et 1,2 milliard en crédits de paiement, dont 535 millions pour les loyers ; les dépenses d'investissement (titre 5) réparties en 315 millions en autorisations d'engagement et à 284 millions en crédits de paiement.
Tout au long du quinquennat, les forces de gendarmerie, qui œuvrent jour et nuit pour la sécurité des Français sur 96 % du territoire national, auront été, comme les armées, une priorité budgétaire, après des années de diminutions massives d'effectifs et de désinvestissement dans le domaine immobilier. Depuis l'an dernier, le plan de relance a redoublé l'effort avec des crédits consacrés au renouvellement des véhicules et des casernes. Ces efforts budgétaires devront être pérennisés dans le cadre du futur projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI).
En 2022, le schéma d'emplois de la gendarmerie nationale croîtra de 185 équivalents temps plein, essentiellement au profit des brigades territoriales. Le ministère de l'intérieur entend d'ailleurs renforcer le niveau tactique en densifiant les pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG).
La gendarmerie assure une multiplicité de missions : sécurité du quotidien, lutte contre la menace terroriste, l'immigration irrégulière, les violences intrafamiliales et le trafic de stupéfiants, pour ne citer que les principales. À ces missions s'ajouteront plusieurs rendez-vous internationaux à venir, tels que la présidence française de l'Union européenne en 2022, la Coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques de Paris en 2024. C'est pourquoi le Président de la République a annoncé le renforcement de la réserve opérationnelle, pour la porter à 50 000 réservistes à l'horizon 2025. Je me réjouis de la montée en puissance de ces acteurs de proximité, fins connaisseurs du terrain et de ses habitants, que l'on surnomme la « gendarmerie du dernier kilomètre ». J'insiste toutefois sur l'importance d'employer les réservistes pendant au moins une trentaine de jours par an afin d'assurer l'attractivité de la réserve, et sur la nécessité d'en accompagner budgétairement la montée en puissance. J'ai déposé deux amendements en ce sens.
S'agissant des moyens de fonctionnement, dans la continuité des mesures annoncées dans le cadre du Beauvau de la sécurité pour financer la mobilité numérique, le déploiement de 110 000 téléphones mobiles pour la gendarmerie et 11 000 tablettes est prévu entre novembre 2021 et avril 2022.
Concernant l'investissement immobilier, je me réjouis que le Beauvau de la sécurité ait permis de porter les crédits à 183 millions en autorisations d'engagement et à 112 millions en crédits de paiement l'an prochain. Ces crédits devront être sanctuarisés dans la prochaine LOPPSI annoncée par le Président de la République, et même portés à 300 millions d'euros par an, tant le parc immobilier de la gendarmerie nécessite des investissements lourds et continus pour retrouver un niveau viable et éviter une dégradation irréversible – 200 millions pour les opérations lourdes et 100 millions pour les opérations de maintenance corrective. Quant aux crédits de fonctionnement consacrés à l'entretien du parc, ils devraient être portés à 100 millions par an, contre 38 millions actuellement.
Enfin, le projet de loi de finances pour 2022 permettra de poursuivre le renouvellement du parc automobile, avec 5 500 véhicules supplémentaires, et celui du parc de véhicules de maintien de l'ordre. Notre collègue Yannick Favennec-Bécot s'en réjouira sans doute, il vient d'être confirmé que la gendarmerie a choisi la Renault Alpine comme véhicule d'intervention rapide.
Je tiens maintenant à appeler votre attention sur plusieurs aspects budgétaires. Première préconisation, je l'ai déjà dit l'an dernier, il est impératif de redéfinir le périmètre de la mise en réserve des crédits budgétaires, qui vise à faire face aux aléas de gestion. Cet objectif ne peut être balayé d'un revers de main, mais le taux de 4 % s'impute sur l'ensemble des dépenses de la gendarmerie, hors crédits de personnel, et non sur les seules dépenses manœuvrables. Dès lors, une fois déduits les 64 % de dépenses obligatoires, notamment les loyers, le taux de mise en réserve s'avère être de 11 % sur les dépenses non obligatoires. Il a un effet d'éviction mécanique sur l'entretien des véhicules et des casernes, seules dépenses manœuvrables à la main du gestionnaire. J'ai constaté qu'un taux de mise en réserve réduit à 0,5 % était déjà appliqué actuellement, y compris hors dépenses de personnel, à certains programmes particulièrement contraints, tels les programmes 109 Aide à l'accès au logement, 157 Handicap et dépendance ou 04 Inclusion sociale et protection des personnes. Le budget de la gendarmerie étant lui aussi très contraint, je préconise l'application du même taux de 0,5 % au programme 152, y compris aux crédits qui ne relèvent pas de dépenses de personnel.
Deuxième préconisation, il faut faire progresser les effectifs et les moyens de la gendarmerie nationale au même rythme que la croissance démographique dans sa zone de compétence. J'ai été alerté d'un décalage dans l'évolution des effectifs entre la zone police et la zone gendarmerie : la croissance démographique, structurellement plus importante en zone gendarmerie, s'est encore accentuée de manière conjoncturelle en territoires périurbains et ruraux à la suite des confinements successifs. Si je me félicite des renforts dont peut bénéficier la police nationale, j'appelle l'attention sur la nécessité de faire correspondre strictement évolution démographique et évolution des effectifs de la gendarmerie, dans une optique de proximité et de contact avec la population.
Troisième et dernière préconisation, comme je l'ai dit l'an dernier, des marges de manœuvre budgétaire doivent être redonnées aux commandants de compagnie pour leur permettre d'élaborer, comme en 2020, des plans Poignée de porte annuels. Premier échelon de manœuvre, la compagnie est le véritable pivot de l'action territoriale, suffisamment proche des habitants pour être au cœur des enjeux de terrain. J'ai déposé un amendement en ce sens, tendant à créer au profit de cet échelon de commandement une dotation de fonctionnement, sur le modèle de la dotation de fonctionnement des unités élémentaires (DFUE).
L'année dernière, j'avais retenu comme thème de rapport la territorialité, l'une des deux caractéristiques consubstantielles et interdépendantes qui font de la gendarmerie à la fois une force armée et une force de sécurité intérieure. Cette année, j'ai choisi d'examiner la seconde : la militarité.
Sans son statut militaire, la gendarmerie, tout comme son maillage territorial, cesserait d'exister. S'imposerait une concentration des effectifs pour obtenir l'effet de seuil nécessaire au fonctionnement d'un commissariat. Près de deux brigades sur trois devraient fermer, ce que personne ne souhaite. La gendarmerie est en effet le dernier service public présent sur certains territoires.
La militarité du gendarme s'exprime au travers de principes garantissant sa cohérence et son efficacité : l'esprit de sacrifice, la discipline, la disponibilité, la loyauté et la neutralité. Elle présente de nombreux atouts pour le modèle de sécurité français – un maillage territorial très fin, une capacité de montée en puissance rapide, la faculté de faire face aux situations extrêmes, la rusticité et la capacité d'intervenir dans des conditions très dégradées, voire spartiates.
Ce modèle militaire a plusieurs implications : la concession de logement par nécessité absolue de service, au cœur du système d'arme de la gendarmerie ; la subsidiarité – clef de voûte du système intégré de la gendarmerie ; une capacité de montée en puissance et d'interopérabilité.
Ce modèle militaire doit absolument être conforté – une évidence, me direz-vous. Pourtant, il serait mis à mal s'il fallait commencer à compter les heures d'astreinte des gendarmes – comme, d'ailleurs, celles des pompiers – ainsi que semble nous le suggérer la Cour de justice de l'Union européenne depuis le 15 juillet dernier. Dans l'arrêt qu'elle a rendu, la Cour de Luxembourg semble remettre en cause l'unicité et l'unité de notre modèle militaire en distinguant ceux de nos militaires et de nos gendarmes qui exercent des fonctions administratives ou de soutien et les opérationnels. On l'a dit et redit, cette distinction méconnaît ce qui fait la singularité du modèle militaire français. Un contentieux est actuellement pendant devant le Conseil d'État, concernant un gendarme désireux de se voir appliquer la directive de 2003 sur le temps de travail. J'ai bon espoir que le juge administratif saura prendre une décision préservant le modèle militaire de la gendarmerie nationale.
Toujours en lien avec la militarité, je voudrais revenir sur le sujet de la mutualisation des moyens au ministère de l'intérieur. On peut comprendre que, dans un souci de bonne gestion et d'économies budgétaires, le ministère souhaite mutualiser des fonctions telles que les achats, la logistique, le numérique et le soutien automobile entre les deux forces de sécurité intérieure. Il ne faudrait cependant pas que celles-ci y perdent en autonomie, en efficacité et en résilience ce qu'elles pourraient gagner en moyens budgétaires. La mutualisation des moyens ne doit pas avoir pour effet de tirer la gendarmerie vers le bas, ni remettre en cause le principe de subsidiarité dont j'ai rappelé tout à l'heure qu'il était la clef de voûte du système intégré de la gendarmerie nationale.
En évoquant la militarité dans mon rapport, je voulais aussi, encore une fois, rendre un hommage appuyé aux 130 000 gendarmes d'active et de réserve qui, quels que soient les risques et les circonstances, agissent jour et nuit pour assurer la sécurité des Français.