Le deuxième foyer de tensions se situe en mer Noire et en mer d'Azov. Au cœur des enjeux de sécurité énergétique, la région de la mer Noire est une zone de transit d'importance stratégique tant pour les pays importateurs d'Europe centrale et orientale que pour les pays producteurs tels que la Russie ou l'Azerbaïdjan. Environ 3 millions de barils de pétrole en provenance de Russie, d'Ukraine et du bassin caspien y transitent chaque jour.
Depuis le début des années 2000, les crises russo-ukrainiennes ont redessiné la carte des réseaux de transport d'hydrocarbures. Le volume global de gaz transitant par l'Ukraine a ainsi diminué de 80 à 35 % environ pour les seules livraisons de gaz russe à destination d'Europe et l'épicentre du transit gazier s'est déplacé de l'Ukraine vers la Turquie, l'Europe du Sud-Est et la région baltique. Ces évolutions s'expliquent par la volonté russe de contourner le territoire ukrainien par le nord avec les gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2 et par le sud avec le Turk Stream.
Plusieurs incidents ont eu lieu entre les forces navales russes et ukrainiennes depuis 2014 en mer Noire et en mer d'Azov, le plus grave étant celui du 25 novembre 2018 dans le détroit de Kertch entre les garde-côtes du Service Fédéral de Sécurité russe (FSB) et trois navires militaires ukrainiens. La Russie a accusé la Marine ukrainienne d'être entrée illégalement dans ses eaux territoriales bordant la Crimée, après avoir refusé de reculer face aux sommations. Les commandos du FSB ont alors arraisonné les navires de force.
Depuis cet incident, la Russie et l'Ukraine se renvoient la responsabilité de cet accrochage. Les deux parties ont saisi le Conseil de sécurité des Nations unies afin de dénoncer une agression. L'Ukraine a sollicité le soutien de l'OTAN et a saisi la Cour européenne des droits de l'Homme le 30 novembre 2018 ainsi que le Tribunal international du droit de la mer, dont Moscou récuse la compétence dans cette affaire. Le 10 avril 2019, le Conseil de la Fédération de Russie a averti l'Ukraine des risques d'un conflit militaire dans le détroit de Kertch si elle s'obstinait dans son attitude.
La remontée en puissance de la Russie en mers Noire et d'Azov s'inscrit dans la volonté de Vladimir Poutine d'un renouveau national intégrant un volet naval. Le déséquilibre entre les flottes russes et ukrainiennes est flagrant. Parallèlement, l'empreinte militaire russe autour de sa région militaire Sud s'accroît. Moscou a reconnu en 2008 l'indépendance des provinces géorgiennes d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie. Elle a renforcé dans cette dernière sa présence (3 500 soldats) et utilise le long de ses 240 km de littoral la base navale de Goudaouta jusqu'en 2059 et le port en eaux profondes de Soukhoumi. Ce mouvement s'est accéléré depuis l'annexion de la Crimée en mars 2014 et l'intervention en Syrie à partir de 2015, avec le déploiement dans ces deux zones de systèmes de défense anti-aériennes S-400 Triumph. La Crimée a vu ses effectifs militaires doubler (28 000 soldats) ainsi que l'arrivée de chars de combat et d'avions de supériorité aérienne.
Depuis 2020, la Russie organise des exercices militaires de plus en plus souvent et pour des durées de plus en plus longues, dans des zones de la mer Noire de plus en plus nombreuses et de plus en plus grandes, où la Russie décourage et déconseille aux navires militaires étrangers d'accéder. À titre d'exemple, la Russie a bloqué une zone de la mer Noire allant d'Odessa jusqu'au détroit de Kertch pendant plus de 6 mois, entre avril et octobre 2021.
Au fond, la Russie souhaite faire de la mer d'Azov une mer russe et renforcer sa domination sur la mer Noire. La remilitarisation de la Crimée l'aide évidemment dans cet objectif. Dans les faits, la Russie contrôle directement les trois-quarts de la mer d'Azov (contre 40 % avant 2014) et le détroit de Kertch, unique passage maritime entre ces deux mers. Le pont de Kertch sert de facto aux Russes de régulateur du trafic maritime, d'autant qu'ils peuvent aisément le bloquer.
S'agissant de la France, des tensions peuvent parfois se faire jour en mer Noire, sans pour autant qu'il n'y ait eu d'escalade notoire à ce jour. La frégate multi-missions (FREMM) Auvergne a été suivie dès le détroit du Bosphore par un navire russe, et lorsqu'elle a atteint Odessa, elle a reçu une communication dudit navire qui lui indiquait qu'elle devait faire attention car elle se situait à 200 milles du territoire russe ; ce à quoi la France a répondu qu'elle se trouvait dans les eaux internationales. Les AWACS déployés par l'armée de l'Air et de l'Espace font également l'objet d'une surveillance étroite de la part de la Russie. Il n'y a cependant pas eu d'escalade à ce stade et, par sa présence, la France veut montrer qu'elle peut naviguer librement en mer Noire, en vertu du droit international.