Eu égard au niveau extrêmement élevé des tensions et au caractère très volatil de la situation à la frontière russo-ukrainienne, tout exercice de prospective quant à l'issue de la crise serait vain. Il est toutefois possible de dresser quelques constats et d'évaluer les risques d'escalade.
L'Union européenne n'a été que très peu, voire pas du tout, associée aux négociations entre les États-Unis et la Russie sur la crise russo-ukrainienne et celles relatives à la nouvelle architecture de sécurité européenne, ce qui ne peut que nourrir l'idée selon laquelle un condominium russo-américain a été rétabli en Europe. Il est inconcevable que l'Union européenne ne soit pas davantage associée aux discussions qui concernent la sécurité de son territoire et de celui de ses voisins immédiats comme l'Ukraine.
Les Européens demeurent encore trop divisés quant aux réponses à apporter aux provocations de la Russie et à la nature du soutien à l'Ukraine. La suspension de la certification de Nord Stream 2, qui est intervenue tardivement, après l'entrée des troupes russes dans le Donbass, apparaît pour le moment comme une mesure temporaire et potentiellement réversible.
Contrairement à ce que l'on peut entendre aujourd'hui, l'Ukraine est en réalité en guerre depuis 2014 et n'a cessé de l'être jusqu'à aujourd'hui. La période actuelle ne constitue en réalité qu'une accélération d'un phénomène ancien que les Occidentaux ont trop ignoré jusqu'à une période récente. Malgré de très nombreuses tentatives de renouer le dialogue avec la Russie, celle-ci refuse dans les faits obstinément de privilégier la voie diplomatique, en dépit des déclarations en ce sens de Vladimir Poutine, et menace l'Europe toute entière, à la fois par l'invasion de l'Ukraine mais aussi par ses activités en mer Noire, en mer d'Azov et en mer Baltique, par sa politique de surmilitarisation de Kaliningrad, par son retrait du traité sur les forces nucléaires intermédiaires, du traité sur les forces conventionnelles en Europe et du traité Ciel Ouvert, et par l'intégration croissante de la Russie et de la Biélorussie sur le plan militaire. L'invasion de l'Ukraine en est le prolongement logique et prévisible, qui s'inscrit dans une stratégie globale de la Russie pour étendre son influence et retrouver le prestige et la puissance qu'elle estime avoir perdue depuis la chute de l'URSS.
Sur le plan diplomatique, la France a fait preuve d'initiative tant au niveau bilatéral qu'au niveau européen, en réactivant différents formats : la rencontre entre le président de la République et Vladimir Poutine le 7 février 2022, le format de Normandie ou encore les réunions du B9, de l'Estonie à la Bulgarie, avec l'adoption d'une position commune (dite « décalogue de Brest ») lors du sommet « Affaires étrangères / Défense » de Brest du 13 janvier 2022 en sont des illustrations. En outre, le président de la République a proposé une ultime tentative de médiation en proposant le 21 février 2022 la tenue à Paris d'un sommet entre Joe Biden et Vladimir Poutine, qui serait ensuite élargi à toutes les parties prenantes et qui porterait sur la sécurité et la stabilité stratégique en Europe. Ces initiatives, à défaut d'avoir enclenché un mouvement de désescalade, ont mis en évidence l'absence de volonté de compromis de la partie russe, qui a maintenu ses demandes irréalistes et a finalement reconnu l'indépendance des républiques séparatistes du Donbass.