Intervention de Élisabeth Toutut-Picard

Réunion du jeudi 1er octobre 2020 à 11h00
Commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Toutut-Picard, présidente :

Vous avez dressé un bref historique des politiques publiques en santé environnementale montrant qu'elles avaient été quasi-improvisées en situation de crise. Une trentaine de plans sectoriels « en silos » se juxtaposent au gré des thématiques qui prennent le dessus à certaines époques. Si l'existence de tels plans, pour des thématiques comme le cancer, se comprend et se justifie, il en existe aussi pour des sujets extrêmement précis, et la distribution des fonds entre ces thématiques laisse parfois perplexe. Le plan Nutrition par exemple n'a reçu que 40 millions d'euros, alors que le grand plan pour l'autisme a reçu 400 millions d'euros. Je ne remets pas en cause la pertinence de l'objectif poursuivi par ce plan ou de la somme qui lui a été consacrée. Aucune explication n'est cependant fournie des écarts considérables d'investissement entre les différents plans et leurs objectifs ne sont pas indiqués.

La structure de certains plans sectoriels a en effet permis leur efficacité. Le plan cancer constitue une très belle réussite, mais il a aussi bénéficié d'un engagement au plus haut niveau de l'État, avec une volonté politique affichée. Peut-être peut-on également établir un lien de causalité entre cette volonté et l'importance économique des enjeux de recherche afférents, notamment dans le secteur des laboratoires et des thérapeutiques. Cette juxtaposition de plans fait en tout cas que nombre d'entre eux se poursuivent hors du plan santé environnementale, comme s'ils n'en relevaient pas, alors que ce plan est supposé national. Aucun retour n'est fourni sur l'évaluation de l'efficacité et de l'opérationnalité de ces dispositifs, qui présentent des superpositions et des oublis. Il en résulte l'impression d'une myriade de démarches, sur lesquelles aucun retour, aucune prise et surtout aucune vue d'ensemble ne sont possibles.

J'entends avec intérêt votre proposition d'un ministère du risque ou de l'incertitude. J'en vois l'intérêt politique majeur, mais je saisis moins la méthodologie que vous proposeriez de suivre. La Convention citoyenne sur le climat a ouvert les yeux de nombreux décideurs, y compris au niveau de l'État, sur l'intérêt de lancer ce genre de débats. La demande est très forte, comme on l'a vu avec le mouvement social des Gilets jaunes et le Grand débat qui l'a suivi. Il s'agit bien d'une revendication de la population française. Toutefois, on ne sait pas toujours comment s'y prendre. J'ai moi-même été élue locale d'une très grande ville, et même conseillère métropolitaine d'une grande métropole, et j'ai pu voir que, chaque fois qu'on cherche à mettre en place une démarche d'ouverture, visant à associer la population, il est rare qu'on obtienne en retour une participation effective. Les gens veulent participer, mais lorsqu'on leur offre la possibilité de le faire, ils contestent le cadre prévu pour cette participation, soupçonnent des conclusions déjà écrites, et subodorent une manœuvre politique, de sorte qu'on a toujours affaire aux mêmes personnes : celles en âge d'être disponibles, notamment parce qu'elles sont à la retraite, ou les représentants des associations. Il est donc parfois frustrant de chercher à ouvrir réellement le débat avec les citoyens.

La Convention citoyenne sur le climat s'est avérée très fructueuse, mais il a fallu passer par une période de formation, parce que personne n'est omniscient et que la complexité des sujets rend compréhensible le besoin d'un regard d'expert. Surtout, il est frappant que cette Convention n'ait absolument pas abordé les questions de santé environnementale, grandes absentes de cette réflexion. Cela signifie que les experts venus « évangéliser » les participants à cette Convention n'étaient pas au courant de cette problématique, alors même qu'en pleine période de Covid -19, les questions de zoonose et de trop grande proximité entre l'univers humain et l'univers animal sont particulièrement d'actualité. Comment se fait-il que, dans de grands débats publics, on oublie de parler de la santé environnementale ? Peut-être ce concept même, et cette terminologie, ne sont-ils pas suffisamment clairs. À ma grande surprise, j'entends dire autour de moi qu'il s'agit d'une thématique émergente, alors qu'il s'agit d'une question fondamentale de survie de l'organisme humain. Lorsque j'essaye d'expliquer ces problématiques avec des mots simples, on me répond généralement qu'il s'agit en effet de bon sens.

Par ailleurs, comment peut-on ouvrir un débat public sur autant de sujets en même temps ? J'anime actuellement le groupe de travail d'un think tank sur la santé environnementale : nous avons commencé par découper la question en sous-groupes thématiques, ce qui s'est avéré un travail infini, car chaque sous-groupe pouvait à son tour être découpé en sous-thèmes. Lorsque je communique sur ces questions, j'établis moi-même en général une liste de tous les risques impliqués : les risques liés au réchauffement climatique, aux expositions à la chimie, aux pollutions, les risques émergents, etc. J'ai alors surtout l'impression de contribuer à l'inquiétude générale par une telle énumération. Quelle méthodologie préconiseriez-vous ? J'entends votre souci de diminuer le caractère anxiogène des politiques publiques. La crise de la Covid-19, notamment, fait que la perte de confiance à l'égard des politiques et des élus est particulièrement aiguë actuellement. Toutefois, je ne vois pas bien comment, concrètement, gérer ce problème.

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